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Critiques de Leonardo Padura (695)
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Une enquête de Mario Conde : La transparence ..

Cuba se réveille courbatue de la longue léthargie étouffante de l'ère Castro. Barack Obama lui avait donné des espoirs de normalisation des relations avec son géant de voisin, conjoncturellement gendarme du monde. La douche froide administrée par son successeur fait déjà partie de l'histoire. Mais Leonardo Padura ne le savait pas au moment la rédaction de son ouvrage. Gageons que l'île s'ouvre désormais à la modernité.



La modernité n'est toutefois pas une aspiration effrénée de Mario Condé, héros dont je découvre qu'il est le récurrent de Leonardo Padura. A l'instar de son inventeur, Mario Condé est d'une génération qui n'a connu Cuba que sous la politique castriste supposée garantir le bonheur d'un peuple, quant à lui prétendument souverain. Il en sort avec une mentalité aux accents contrastés, mélange de nostalgie et de résignation. Il a grandi avec son auteur. Dans La transparence du temps il fête son soixantième anniversaire et soigne son angoisse de mettre un pied dans le quatrième âge avec ses goûts pour le rhum aux arômes vanille-caramel et cigare aux senteurs poivrées. Son appétence pour la littérature consolide sa culture et lui façonne une philosophie très pragmatique du quotidien. C'est son penchant pour les femmes qui le harcèle le plus cruellement. Il perçoit bien avec un relent de déprime qu'il devient transparent à leur regard. Ancien flic, il a gardé la vocation de l'enquête ancrée dans ses gènes. Ça le distrait de l'idée de la décrépitude et complète accessoirement une pension trop chiche pour subvenir au minimum vital.



Dans ce premier roman de Leonardo Padura que je lis, je découvre un enquêteur attachant, ouvert aux difficultés des autres. Il n'hésite pas à rentrer chez lui pieds nus après avoir donné ses chaussures à un vagabond. Mario Condé est tempéré dans ses avis, avance à pas comptés et fiabilisés dans ses raisonnements. Il ménage la chèvre et le chou et s'attache à conserver de bonnes relations avec ses anciens collègues restés en activité et avec tous ceux qui ont gravité dans sa sphère d'influence depuis sa jeunesse au lycée. Des compères restés comme lui amoureux de leur île.



Car il faut bien dire que cette île est un autre personnage du roman. Leonardo Padura nous la dépeint sans complaisance mais avec une ferveur entichée du pays natal. Un pays insulaire pas seulement géographiquement, politiquement aussi, avec l'océan capitaliste qui harcèle ses côtes tout en lui interdisant ses faveurs. Une île avec ses mystères et croyances qui ont survécu en catimini aux cerbères d'un pouvoir inaccessible aux élans de la foi et dont la vitrine démocratique ne cachait plus depuis longtemps le fonds de commerce autocratique. Une île dont les couleurs des façades cachent la lèpre des enduits et celles des antiques limousines américaines la rouille de leur châssis.



Mais le personnage principal serait peut-être bien quand même cette vierge noire qui a été volée à son propriétaire et dont la valeur pourrait n'être pas seulement mystique si l'on en croit les allégations de ce dernier, et les victimes qu'elle laissera dans sa trace.



La transparence du temps, un titre métaphorique qui donne à Leonardo Padura la liberté de jouer avec l'histoire, à faire avec la chronologie des arrangements organisés à dessein pour servir un objectif fictionnel. Il s'en explique avec habileté dans un chapitre en fin d'ouvrage.



C'est un ouvrage dont l'intrigue peine à se mettre en place. Il souffre de quelques alanguissements descriptifs préjudiciables au rythme, tant dans le décor que dans les caractères. Mais on comprend à l'avancée dans l'ouvrage que cette lenteur sert la familiarisation avec un personnage dont la nonchalance est une garantie de ne pas succomber aux pulsions. Ce personnage devient vite sympathique à qui ne le connaît pas, tellement il ressemble au commun des mortels et dénoue une intrigue avec l'air de ne pas y toucher. Dans la touffeur tropicale de la Havane l'auteur nous prend par la main pour nous faire découvrir un pays et sa capitale au charme colonial désuet cher à son coeur. Un roman d'ambiance autant que d'intrigue, bien agréable à lire, plus enthousiasmant quand les convoitises déchaînent les rivalités dans la seconde moitié de l'ouvrage.

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Poussière dans le vent

« All we are is dust in the wind… »



Ça devait être la génération du progrès. Nés au début des années 60, dans un pays libéré de l’occupation américaine, avec des rêves de progrès et d’égalité. Tout ne va pas bien, mais il y a l’espoir que ça ira mieux. Les enfants peuvent aller à l’école, un taux d’analphabétisme bas, des soins médicaux gratuits pour tous, des logements en construction.

Un groupe de jeunes gens réunis par hasard. Succès du système, un enfant d’un quartier très pauvre comme Dario a pu devenir neurochirurgien. Les autres viennent d’un milieu plus favorisé, mais Horacio est physicien et Elisa est vétérinaire, ils sont graphistes, architectes, ingénieurs.



Puis, c’est la crise économique. Avec l’effondrement de l’URSS qui soutenait l’économie de Cuba, les conditions de vie deviendront de la survie, pertes d’emploi, rationnement de nourriture. Avec la dévaluation de la monnaie, le « salaire » de Clara est l’équivalent du prix de deux poulets par mois.



Sur le plan personnel, c’est aussi la crise, avec la mort de Walter et la disparition d’Elisa. Le groupe se disloque, les membres quittent le pays pour fuir la misère, comme des milliers d’autres Cubains.

Ils se dispersent comme « poussière dans le vent »… et des chapitres racontent leurs histoires.



Un roman complexe, avec des amours, avec l’homosexualité, avec l’exil à Buenos Aires, Madrid, Barcelone, Porto Rico ou Miami et même un cancer et un élevage de chevaux anglais.



Un grand roman pour comprendre le monde, les émotions et les destinées humaines.

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L'homme qui aimait les chiens

Qui est l'homme qui aimait les chiens? Car personne ne les déteste dans ce roman. Ni Trotski, éternel errant, explorant chaque interstice du piège qui se referme sur lui pour exister encore politiquement, tandis que Staline écrabouille ceux qui le soutiennent encore, et d'abord ses enfants. Ni Ramón Mercader, idéaliste aux idéaux agonisants, qui tue Trotski comme Lorenzaccio tue Philippe de Médicis, parce qu'il n'est plus que ce meurtre pour justifier sa propre existence. Ni Iván l'écrivain d'autant plus raté qu'il n'écrit plus depuis que l'art doit être le fer de lance de la révolution.

« L'homme qui aimait les chiens » est d'abord une nouvelle de Chandler qui donna son nom à un prix que Padura obtint quelques années avant la parution de ce roman. le braqueur à l'origine de ce titre justifie ses crimes par l'amour qu'il voue à une tendre jeune fille. « Elle n'était plus là, dis-je. Tu étais juste assoiffé de sang. Et si tu n'avais pas gardé ce chien jusqu'à ce qu'il tue un homme, ton protecteur n'aurait pas été poussé par la peur à te dénoncer.

— J'aime les chiens, dit Saint posément. Je suis un brave type en dehors du boulot mais il ne faut pas trop me marcher sur les pieds. »

Dans le roman de Padura, les chiens ne tuent pas. Mais les hommes s'y trouvent aussi de complaisantes excuses pour sauver une révolution qui leur fait les yeux doux et qu'ils invoquent moins pour justifier leur soif de sang que leur désir d'être quelqu'un. Chantres d'un communisme égalitaire, Mercader, comme Trotski, veulent pourtant marquer L'Histoire et s'élever au-dessus du vulgum pecus. Car les chiens du titre sont des lévriers borzois, chiens de race, chiens des rois et des tsars, seuls et uniques vestiges d'un sacre qui n'eut pas lieu.

Padura tient la chronique précise de ses deux personnages. Il ne nous épargne aucun détail, aussi inflexible dans sa quête de la vérité qu'un chef-décorateur sur un film en costumes. S'il ensevelit Trotski et Mercader sous le poids de l'histoire, c'est pour mieux les maudire. Et notre coeur, à nous lecteurs, ne s'émeut que pour Iván, narrateur malgré lui, héraut mezzo voce d'une génération sacrifiée.

« Car le rôle d'Iván, c'est de représenter la masse, la foule condamnée à l'anonymat [...]. Lui, [la compassion], il la mérite totalement : il la mérite comme toutes les victimes, comme toutes les créatures tragiques dont le destin est commandé par des forces supérieures qui les dépassent et les manipulent au point de les anéantir. [...] Que Trotski aille se faire foutre avec son fanatisme obsessionnel et son complexe de personnage historique, s'il croyait que les tragédies personnelles n'existaient pas et qu'il n'y avait que des changements d'étapes sociales et supra-humaines. Et les personnes, alors? »

Les personnes ont trouvé refuge dans le roman. Trotski et Mercader ne seront que des personnages historiques, des entrées d'encyclopédie dont nous retiendrons peut-être le nom mais qui resteront des figures de cire, à nos coeurs indifférents.
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Ouragans tropicaux

Et si on rejouait Tartuffe à La Havane ?



Dès les premiers chapitres on se ballade d’époque en époque sur l’île de Cuba. Tantôt on est en 1910 lors de la guéguerre entre la prostitution cubaine dirigée par Yarvini et la prostitution française. Puis on se retrouve dans la sinistre décennie des années soixante en pleine dictature castriste. Et enfin en 2016, lorsqu’il faut sécuriser La Havane, 5 habitants au m2, puisque cette ville va être confrontée à trois évènements majeurs et simultanés : l’arrivée d’Obama, des Rolling Stones et du défilé Chanel à La Havane.



C’est en mêlant tout ceci que Leonardo Padura nous plonge dans une vie cubaine où suintent fanatisme, puritanisme et hypocrisie. Son fil conducteur est son personnage phare, Mario Conde, la soixantaine en 2016, ancien policier à la retraite qui s’essaie à l’écriture sans réellement en sortir un jus abouti.

Mais comme tout ceci a dû paraitre encore un tantinet trop « plat » pour un grand auteur, essayiste, scénariste et journaliste tel que Padura, il y a ajouté sa cerise sur le gâteau, celle qu’il nous fallait pour faire réfléchir nos méninges : l’assassinat de Reynaldo Quevedo, apparatchik dominant le monde culturel par ses censures et ses répressions en tous genres, marié, une fille et amant d’homosexuels pas ordinaires. L’homme haissable par définition mais dont il va tout de même falloir trouver le, la ou les assassins.



Etant donné que tous les policiers jusqu’au dernier des réservistes sont sur le pont pour assurer les trois évènements explosifs de l’année 2016, le commandant de police Malano, ancien pote de Mario Conde, vient solliciter ce dernier. Il lui demande de démarrer l’enquête de l’assassinat de Quevedo qui a subi d’atroces mutilations et dont tant de personnes ont pu vouloir la mort.



Padura va nous faire voyager dans son pays, dans sa ville, La Havane. Il en connait tous les recoins, toute l’histoire, toutes les origines architecturales telles ces rues imitant des rues barcelonaises ou ces luxueux appartements côtoyant des cités infestés.

Pareillement il nous fait connaitre la vie sociale et politique qu’a traversé cette île durant quelques périodes clés du siècle passé. On navigue entre volontés politiques calculatrices, indolence tropicale ou plus simplement la vie de couple ou familiale des personnages.



Leonardo Padura m’a fait aimer ses concitoyens, son île ensoleillée, authentique et sincère comme l’ont été ses personnages.
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Une enquête de Mario Conde : Electre à la Havane

Je te laisse imaginer la chaleur qui dégouline sur cette île. Le Conde, totalement nu dans sa chambre, face aux pâles du ventilateur provoquant une légère brise aux embruns de sueur. Sept heures moins le quart, il prendrait bien un verre de rhum mais il a encore le souvenir des bières bues quelques heures plus tôt, et puis il est en service, une affaire sérieuse et épineuse, le fils d’un diplomate retrouvé mort. Habillé en femme, Electre à la Havane. Il enfile donc son costume de commissaire et de poète, file dans les rues voir à quoi ressemble un transformiste mort. Les déambulations dans son île enrhumée, par la clim et les barriques, l’emmènent à réfléchir sur son poste, sur les homosexuels de Cuba, sur le besoin - une déviance ? – de porter une robe rouge pour un homme.



Conde ne cessera alors de chercher la vérité, vérités troublantes de sa pensée, vérités effrayantes de son île. Le soleil qui illumine sa soirée solitaire, alors qu’une lignée de nuages se profilent à l’horizon. Au petit matin, la pluie aura lavé les vitres de sa maison. Pourrait-elle aussi laver son esprit de ses pensées. En premier, le petit cul de Cristina ou les longues jambes de Paloma. Ô femme du souvenir, femme de l’attente, femme de l’espoir et du désespoir. Ton cul, tes jambes. Ô plaisir, plaisir de la chair, plaisir du désir. Plaisir. Avenir. Tes jambes, ton cul. J’ai besoin d’un verre de Rhum. Conde, tu m’accompagnes ? Ah non, toujours en service… Alors je me recouche, jusqu’au prochain réveil, jusqu’à ce que la pluie cesse et lave tous mes péchés.



C’est avec un verre d’un bon vieux rhum, m’installant dans un fauteuil en cuir légèrement craquelé aux accoudoirs que je m’installe confortablement pour cette première veillée cubaine en compagnie de Conde. L’odeur froide d’un Montecristo parfume la bibliothèque. Là c’est pour me mettre dans l’ambiance, et ainsi sentir cette chaleur électrisante de La Havane. Je découvre la littérature du célèbre Conde, à la fois inspecteur et philosophe-poète-lettré cubain.
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Poussière dans le vent

« Poussière dans le vent » de Leonardo Padura est un magnifique roman qui nous embarque pour Cuba alors que le récit est, au contraire, une histoire d'exil.

Le roman débute en 2013, aux Etats-Unis, lors de la rencontre de deux jeunes, d'une vingtaine d'années, Marcos -originaire de Cuba- et Adela. Mais, c'est par une vieille photographie d'un groupe d'amis cubains, prise en 1990 et postée par Clara, la mère de Marcos, que tout va réellement commencer. Cette photo va faire naitre une interrogation au jeune couple tandis que de vieux souvenirs remontent à la surface pour les protagonistes présents sur la photo. Une photo qui nous fait faire un retour en arrière dans le temps, et repartir pour Cuba, dans les années 80/90.

Cette photo représente l'histoire d'un groupe d'amis qui s'est créé autour de Clara, qui a perdu tôt ses parents. Les amis se retrouvent souvent dans la maison de Clara, autour de plats et de boissons que chacun ramène au gré des aléas économiques. La maison mais surtout la jeune femme seront les points d'ancrage du groupe. le noyau dur du clan est composé de Clara, Daro, Bernardo, Elisa, Walter, et Irving…



Cette photo marque le moment avant le basculement, avant qu'un évènement ne vienne tout bouleverser. Ou plus exactement deux, concomitants : la mort d'un des membres du groupe, Walter et la disparition d'Elisa, une belle jeune femme, attirante mais à la face sombre. S'en suivra une enquête policière pour résoudre la mort mystérieuse du jeune artiste. le groupe sera interrogé, des heures durant, ce qui va, bien entendu, perturber et angoisser plus d'un. Et qui sera pour certains l'élément déclencheur d'un départ de l'île, d'un exil.

On découvre au fil des pages l'histoire de chacun des membres du groupe, leur parcours, leurs aspirations, leurs failles, leurs blessures, leurs espérances. Et pour une majorité d'entre eux, l'espoir que le départ du pays puisse enfin leur permettre de vivre leurs rêves et être libres. Peu à peu, par des moyens illégaux ou lorsqu'enfin il sera autorisé de quitter Cuba, ils vont un à un partir vers un ailleurs, jusqu'aux deux fils de Clara, Marcos et Ramses. Seule Clara et Bernardo resteront sur l'île. Clara, celle qui reste le pilier, le centre névralgique du groupe, celle qui fait aussi qu'ils ne peuvent jamais vraiment oublier leur pays.

On suit les différents protagonistes dans leur tentative d'exil, puis dans leur nouvelle vie, et les nouvelles difficultés rencontrés (les papiers, leur diplôme non reconnu et qu'il faut des années pour valider, la recherche d'un travail), avec chacun leurs cicatrices, et leur combat à mener (homosexuel, noir, femme, réussir sa vie dans un pays étranger) et comme un jeu de miroir, on voit la vie de Clara, restée au pays.



Avec « Poussière dans le vent », Leonardo Padura nous livre une saga politique et sociale de Cuba. Padura nous raconte le quotidien dans ce pays communiste, l'embargo des Etats-Unis depuis 1962, les difficultés de tous les jours pour se nourrir, pour vivre ou survivre, les pénuries aussi bien alimentaires que matérielles, le chômage, le fait de devoir faire attention à tout ce qu'on peut dire, de devoir taire ses opinions politiques et critiques vis-à-vis du pouvoir, de devoir faire attention à l'autre, potentiellement espion du parti… et cette obsession de partir pour bon nombre de cubains.

Et c'est à travers ces différents personnages que Padura évoque les ressentis des cubains, notamment vis-à-vis du ‘'départ''. Il nous présente comme une typologie de ceux qui souhaitent partir, des exilés. A celui qui voit son départ comme une fuite en avant pour enfin être libre, pour ne plus avoir peur, à cet autre qui le vit comme un exil, un vrai déracinement avec un point au coeur parce qu'il n'y a pas d'autres choix, attaché à un espoir de retour ou, au contraire, un autre faisant table rase sur la vie d'avant, et même jusqu'à ce qu'il ‘'était'' avant. Dualité pour leur pays, entre amour et haine, comme une vraie histoire passionnelle ravageuse.

D'ailleurs les histoires d'amour et d'amitié sont loin de manquer … Des histoires sentimentales presque aussi compliquées et ardentes que l'histoire du pays. S'entremêlent secrets, tromperies, jalousies, amours passionnés. Et c'est en partie grâce à cela que l'auteur dessine le portrait d'hommes et de femmes denses, profonds, écartelés parfois par des sentiments ambivalents, des personnages complexes, aux caractères bien trempés. On s'attache forcément à certains d'entre eux. Pour ma part, j'ai particulièrement aimé les moments d'introspection d'Irving, le meilleur ami de Clara, durant sa vie en Espagne.



Peu à peu, par ces différents portraits sombres et lumineux, l'auteur nous dessine les contours de Cuba aux multiples aspérités, un pays à la fois fascinant et terrifiant. C'est toute une société que Padura nous raconte, à travers ces jeunes hommes et femmes, c'est l'histoire de ce pays insulaire à travers leurs histoires, et réciproquement. Car la vie de ces jeunes gens -que ce soit leur quotidien et même leur chemin de vie- est forcément impactée, corrélée à l'histoire politique et économique de Cuba. Ils vivent de manière exacerbée, au rythme des évènements politiques et sociaux du pays. L'auteur nous décrit avec précision ces différentes périodes et faits marquants : la guerre froide, l'embargo avec les Etats-Unis, les liens avec l'URSS, le droit enfin de pouvoir librement sortir du pays, les années les plus difficiles économiquement, laissant les habitants affamés et obligés de vivre de la débrouille.

L'auteur utilise un fil narratif intelligent. En se servant des techniques du roman policier, il réussit à tenir le lecteur en haleine. La mort de Walter reste en effet une énigme tout au long du roman. Accident, suicide ou meurtre ? L'histoire tourne autour de cette mort, des interrogations, des suspicions des uns et des autres mais aussi autour de la disparition d'Elisa, deux évènements qui leur paraissent liés.



Dans ce roman de plus de 600 pages, par de nombreux flashbacks, on revit certaines périodes, mais agrémentés de nouveaux éléments, des points de vue des divers personnages, pour ne pas dire éclairés par de nouveaux indices. Ces flashbacks récurrents mettent encore plus en exergue leurs esprits et comportements imprégnés par ce qu'il s'est passé, par leur passé. Car bien entendu, on ne quitte pas Cuba d'un coeur léger. On laisse derrière soit un tas de souvenirs, d'amertumes, de traumatismes et de culpabilités aussi, de relations parfois houleuses, mais aussi des amis, des parents...



J'ai découvert l'écrivain Leonardo Padura avec ce magnifique roman « Poussière dans le vent », fort, puissant. Un roman qui marque indéniablement le lecteur. Padura est un formidable conteur, un amoureux de son pays, âpre, chaud et humide tout autant que de ses compatriotes courageux, pugnaces, émouvants …

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Poussière dans le vent

Le livre s’ouvre sur la rencontre de deux jeunes gens, Adela et Marcos, âgés d’une vingtaine d’années qui sont tombés amoureux.



Adela Fitzberg est née à New-York, d’un père psychanalyste qui a fui la dictature argentine et d’une mère, Loreta, vétérinaire Cubaine en exil qui rejette systématiquement tout ce qui a trait à son île natale.



Marcos vient de quitter Cuba pour tenter sa chance, gagner sa vie le mieux possible à Miami, chacun fuit pour une raison qui lui est propre…



Ils se sont rencontrés parce que Adela a décidé de faire des études de lettres hispaniques et a choisi une université à Miami au grand dam de sa mère. On imagine la réaction de cette dernière quand elle lui a annoncé leur décision de vivre ensemble : elle a disparu de la circulation, purement et simplement.



Un jour, Adela tombe sur une photographie de la famille de Marcos et de leurs amis, prise lors d’un anniversaire et une jeune femme enceinte attire son attention car il s’agit probablement de sa mère. Et l’histoire peut commencer.



Retour à Cuba, où le communisme (le castrisme) bat son plein, des amis sont réunis à la villa Fontanar qui appartient à Clara, ingénieure et son mari Dario, neurochirurgien et leurs deux enfants Marcos et Ramsès. Il y a là Irving, et son compagnon Joël, Elisa Correa, fille de diplomate ayant beaucoup voyagé et son époux Bernardo, Horacio, docteur en physique, dont lepère Renato a fui Cuba dès la révolution, et Walter, artiste peintre ayant étudié à Moscou dont il s’est fait renvoyer, Liuba et son mari Fabio. Ils constituent « le Clan ».



On fête l’anniversaire de Clara et la préparation du départ de Dario en Espagne, alors que Walter, persécuté qui se dit espionné par le gouvernement tente de persuader Dario de l’aider à fuir.



Le lendemain, Walter est retrouvé mort : il se serait suicidé en sautant d’un toit. Mais, cela semble étrange donc, vont survenir les interrogatoires musclés, notamment pour Irving, homosexuel donc forcément louche. Et, tout aussi étrange, Elisa disparaît sans rien dire à personne.



L’URSS est en train de s’effondrer, exit le mur de Berlin, donc Cuba perd un allié de poids et va sombrer dans la pauvreté, la faim, car tout manque, malgré « les longues queues » qu’il faut faire pour trouver quelque chose à manger ou autres denrées de première nécessité.



Tout le monde finit par s’exiler : Dario à Barcelone, en 1990, puis Irving et Joël à Madrid, Horacio à Miami en 1994, puis San Juan, Liuba et son époux Fabio, à Buenos Aires, obligés de laisser derrière eux leur fille Fabiola…



Bien-sûr, on se demande si Elisa et Loreta sont une seule et même personne, et si oui, qui est le père d’Adela ? mais également qui est a trahi qui ? Walter s’est-il suicidé ou a-t-il été assassiné ? Mais, le roman va beaucoup plus loin…



Leonardo Padura nous raconte les liens qui se sont formés entre tous les membres du Clan, leur évolution, comment ils sont arrivés à se construire une autre vie, et à travers chacune de ces vies, on se rend compte que chacun détient une part de la vérité, sur Elisa, sur son père, fonctionnaire en vue du régime, sur Walter et c’est ce qui fait la force du récit, avec en fond sonore cette chanson de Kansas :



« Poussière dans le vent,



Nous ne sommes que de la poussière dans le vent. »



Et, encore et toujours cette même phrase lancinante, autant que la chanson de Kansas, « que nous est-il arrivé ? »



Leonardo Padura parle tellement bien de l’exil (vous savez à quel point ce thème m’est cher !), de la difficulté de se reconstruire ailleurs, car on ne se sent chez soi nulle part, comme Dario qui milité pour l’indépendance de la Catalogne, pour pouvoir avancer, alors qu’il a réussi sa nouvelle vie, ou comme Irving qui ne supporte pas la chaleur de Madrid, comme si le soleil n’était supportable qu’à Cuba.





L’écriture est très belle, pleine de poésie, de sensibilité, et de lucidité, pour évoquer la douleur l’exil, l’émigration, la désillusion, la nostalgie, le retour fantasmé…



Vous l’avez compris, j’ai vraiment adoré ce roman, pavé de 600 pages environ, que j’ai fait durer le plus possible, alors que la lecture était addictive.J’ai encore des étoiles plein les yeux…J’espère ne pas avoir trop radoté, sous l’effet de l’émotion! en résumé: il faut le lire…



Un grand merci à NetGalley et aux éditions Métailié qui m’ont permis de découvrir ce roman et de me plonger enfin dans l’univers d’un auteur magistral.



#Poussièredanslevent #NetGalleyFrance
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Poussière dans le vent

Tout commence par une photo de groupe prise à La Havane en 1989 sur laquelle Adela reconnaît sa mère.

Avec Marcus son fiancé, ils n’auront de cesse de percer les mystères de ce groupe d’amis qui se croyaient soudés à jamais.

Ils se retrouvaient régulièrement pour refaire le monde face aux grands bouleversements consécutifs à la chute du bloc soviétique.

Clara, Elisa, Dario, Bernardo et les autres vont dévoiler leurs zones d’ombres sous la plume efficace de Léonardo Padura qui mène ce roman comme un thriller, mêlant adroitement la politique, l’amour, l’amitié, la trahison, l’exil.

Tous vont quitter leur île pour un monde meilleur, loin des privations, de la faim, de la présence policière omniprésente, du manque d’avenir.



Mais peut-on partir vraiment ?

La vie ailleurs est souvent bien compliquée lorsque l’on s’éloigne de ses racines.



Je me suis parfois un peu perdue au fil de cette lecture mais le talent de l’auteur m’a rapidement remise sur le bon chemin.

J’ai passé une dizaine d’heures avec des personnages magnifiques, subtils et attachants.

J’ai lu une histoire d’amour sublimée par la maîtrise de Léonardo Padura, subjuguée jusqu’au point final.



« Poussière dans le vent » est un roman poignant, qui évoque avec subtilité et émotion les destins brisés par l'Histoire et l'irrationnalité des hommes, les séquelles de l'exil, le déracinement, le lourd poids de l'héritage familial mais aussi la force de l'amour filial.



Merci à NetGallet et aux Editions Métailié pour leur confiance.

#Poussièredanslevent #NetGalleyFrance !





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Poussière dans le vent

Poussière dans le vent , merveilleux titre du dernier roman de l’auteur cubain Leonardo Padura , de cet auteur , j’ai lu plusieurs livres dont l’inoubliable L’homme qui aimait les chiens et Les brumes du passé , des livres qui méritent 6 étoiles .

Leonardo Padura est un conteur né , un auteur exceptionnel, lire un de ses livres , c’est pour un lecteur , une expérience qui se renouvelle rarement , un bonheur absolu .

Que dire des personnages , Irving qui retrouve Dario après l’exil , Dario qui lui en met plein la vue jusqu’à en être désagréable , le récit se poursuit et donne un avis plus nuancé sur Dario qui a eu une enfance misérable .

Dario exilé en Espagne qui devient plus catalan que les catalans d’origine , même si au fond de lui , il n’est pas dupe , c’est ça l’exil , n’être plus jamais à sa place , avoir perdu ses racines et parfois essayer de l’oublier en se forgeant opiniâtrement une nouvelle identité .

Chacun réagit différemment à la ´ période spéciale ´ à Cuba , certains , la plupart du groupe d’amis choisissent l’exil , d’autres comme Clara décide de rester et d’affronter les terribles années où tout manque , c’est le temps des débrouilles diverses , de terribles corruptions .

L’auteur dresse un portrait sans concessions de Cuba , même si on sent poindre une tendresse pour ses personnages soumis à un régime dictatorial. La surveillance , la délation , les privations atteignent un paroxysme inimaginable à nos yeux .

L’auteur évoque aussi l’exil des jeunes générations qui eux ont d’autres raisons puisque la situation est moins précaire , les anciens exilés s’interrogent.

Je pourrais vous parler de ce roman pendant des heures , les personnages , très nombreux vivent en moi , si je devais citer un seul roman à lire cette année , sans aucun doute c’est celui - ci .

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Une enquête de Mario Conde : L'automne à Cuba

Automne 1989, alors que La Havane se prépare tant bien que mal à subir un cyclone, l’inspecteur Mario Condé n’a pas le moral, il pense même que l’heure est pour lui d’aller voir ailleurs, mais un assassinat particulièrement sordide d’un ancien camarade l’oblige à laisser ces états d’âme de côté et ces projets de démission à plus tard.

Padura signe une nouvelle fois, un polar atypique, ou l’enquête sert de prétexte pour mettre en lumière un pays écrasé par la dictature ou corruption, magouilles, et violences sont monnaie courante. Dans ce pessimisme ambiant, électrisé par l’arrivée du cyclone, Condé est un flic qui ne croit plus en grand-chose, une forme de fatalisme même si Condé se persuade que cette catastrophe climatique pourrait bien emporter avec lui tous les maux qui gangrène son ile. C’est aussi pour Mario et ses amis la fin d’une période, celle des utopies car malgré la chute du communisme en Europe, Castro (et les siens) tient toujours de sa poigne de fer un pays abandonné à son dictateur.

Un roman empreint de nostalgie, de désirs déçus avec des personnages formidablement attachants à l’image de Condé bien sur mais aussi de Joséfina et de son fils paralysé El Flaco. Quand les illusions sont perdues, reste plus qu’à faire couler le rhum. A votre santé les amis.
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Poussière dans le vent

Je me souviens de mes cours de tango, une sorte de tango-thérapie en fait : une véritable catastrophe.

En désespoir de cause je passais de la danse argentine à la cubaine mais la salsa fut aussi un désastre.

C’était il y a …une éternité. Mais de cette éternité là jaillit une évidence : je n’avais pas le rythme dans la peau. Nada, aucun sens du rythme et du chaloupé !

Depuis ce deuil cruel je résolus de limiter sévèrement mes aventures exotiques sur les dance floor et me tournais vers la littérature sud-américaine et cubaine. C’était moins risqué.

Quoique…..

Poussière dans le vent m’a attrapé par le bras et Padura , le diabolique Padura , m’a entraîné dans une des salsas narratives dont il a le secret. Je n’ai pas trop aimé. Je n’ai toujours pas le sens du rythme.

J’ai trouvé mes partenaires exigeants,troubles et pour tout dire étrangement flous.Irving et Elisa ont plus de consistance. Physique, psychique et sexuelle.

Mais les autres : le pauvre Bernardo, l’inquiétant Walter, le bel Horacio, le ténébreux Joël, l’agaçant Darìo et la trop sage Clara ne m’ont pas convaincu.

J’ai dansé comme j’ai pu sur ces tempos nonchalants et mélancoliques sans pouvoir réellement m’ajuster , trouver la bonne mesure entre flashbacks et ellipses incessants ( couvrant une trentaine d’années).

J’ai peu appris que je ne savais déjà du Cuba de ces années cruelles et longues.

Certains destins m’ont plu , m’ont vaguement ébouriffé. D’autres m’ont ennuyé, comme lorsque l’on se marche sans arrêt sur les pieds

Le Clan m’a pris et m’a jeté :

Je n’ai aucun sens du rythme.

Et ne suis qu’une poussière dans le vent.
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Une enquête de Mario Conde : Les brumes du pa..

Je suis lessivée, rincée, après la lecture de ce roman noir. Voir Cuba, et plus particulièrement La Havane, par les yeux de Leonardo Padura est une épreuve : bas-fonds sordides, misère, famine, drogue, prostitution, violence...



Aucun jugement, non ! Juste une constatation d’échec, d’immense échec pour cette île qui a connu ses heures de gloire avant les années 50 et que l’auteur nous invite à découvrir à travers l’histoire de cette chanteuse de Bolero, Violetta Del Rio.







Tout commence lorsque Mario Conde, flic démissionnaire devenu antiquaire en livres anciens, découvre dans la maison des Montes de Oca, des titres très convoités. Cuba pour survivre et manger liquide ses ors, bibliothèques, faïences et meubles d’artisans reconnus. A l’intérieur d’un de ces livres, une coupure de journal évoquant cette chanteuse attire irrésistiblement Le Conde. Et se fiant toujours à ses pressentiments, il entame alors une enquête pour connaître ce qu’a pu devenir cette artiste à la voix si particulière et au physique si attachant...







Si vous pensez trouver ici la carte postale idéale sur Cuba, vous vous trompez ! Leonardo Padura vous embarque pour un voyage spatio-temporel où le lecteur découvre tour à tour l’ambiance folle des années 50 avec ses musiques, ses cabarets, sa joie de vivre opposée à celle d’aujourd’hui où tout part en déliquescence, et où chacun essaie de survivre dans un monde de plus en plus désespéré et violent. Vous y trouverez aussi les espoirs déçus de la révolution par toute une frange de la population ainsi que le vide sidéral que connaissent les jeunes ne trouvant plus d’intérêt auquel accrocher leur vie.



Mais rassurez-vous, Leonardo Padura vous montrera aussi que dans la vie avoir un bon copain, c'est la meilleure chose au monde.



Les brumes du passé sont envoûtantes et nostalgiques et on se laisse facilement bercé par le son du bolero...


Lien : http://mespetitesboites.net
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Une enquête de Mario Conde : Adios Hemingway

Hemingway dans le titre d'un roman, je ne sais pas vous, mais moi ça m'intrigue. Du coup ça m'attire fortement. Du coup je craque. Et bim j'achète. Ah naïveté quand tu nous tiens.



Leonard Padura s'explique dans une préface : ce roman fut écrit suite à la demande de son éditeur de participer à une série "littérature et la mort". Objectif : articuler un récit autour d'un écrivain célèbre et son rapport à la mort. Padura l'avoue, aucune hésitation : son choix se porte tout de go sur Ernest Hemingway, auteur emblématique s'il en est, et pour lequel il est partagé entre son amour pour l'écrivain et sa haine pour le bonhomme. Voilà ainsi une sérieuse aubaine pour effectuer quelques recherches et utiliser son personnage-phare, Mario Conde, pour tenter d'élucider l'ambiguité qui plane autour du mythique Ernesto.



Dans cette fiction mêlée à la réalité, nous suivons donc les derniers jours sur Cuba (1959) du vieil homme sans la mer pour qui sonne le glas. Loin des vertes collines d'Afrique et des neiges du Kilimandjaro ses angoisses se réveillent : Hemingway se sent persécuté, traqué par le FBI. Pourtant au-delà du fleuve et sous les arbres, la vie cubaine suit son cours. Et après Paris, La Havane est une fête pour Ernesto. Car là-bas, derrière les manguiers, le soleil se lève aussi, et La Finca Vigía, sa demeure de style colonial, se mue en jardin d'Eden. Entre amitiés cubaines, alcoolisation, parties de pêche et combats de coq, l'heure n'est pas encore à l'adieu aux armes.



Sa vie durant, Ernest Hemingway s'est construit un personnage arrogant, bougon, solitaire. Dénigrant son prix Nobel, en conflit avec Faulkner ou Dos Passos, l'image du vieux râleur en proie à ses démons paranoïaques perdure. Image d'un personnage public en décalage total avec celle de ses proches décrivant un homme altruiste, généreux et humble. Qui est Ernest Hemingway alors? Peut-être pas uniquement ce type que l'on dépeint comme délirant et attendant la mort dans l'après-midi ou n'importe quand. Mort qui ne viendra pas et qu'il devra par ailleurs provoquer s'il en a le courage. Et ce courage, en avoir ou pas, on connaît malheureusement la réponse...



Pour aborder la vie cubaine hemingwayenne, Padura a imaginé une intrigue avec un semblant d'enquête policière. Mais intrigue sans aucun intérêt à mes yeux. Juste un formidable alibi pour pouvoir côtoyer pendant quelques pages Papa. Car soyons clair : Adios Hemingway n'a rien d'un grand roman, n'est pas inoubliable, et est écrit avec des moufles (ou peut-être est-ce le traducteur qui a gardé les siennes). Roman ponctué qui plus est de moult familiarités inutiles sur l'intimité d'Hemingway dont je me serais passée.



Mais malgré tout, je ne boude pas ce moment privilégié en compagnie d'Ernest, moment qui donne surtout furieusement envie de se replonger dans son oeuvre!

Immortel Hemingway.

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Une enquête de Mario Conde : Les brumes du pa..

Leonardo Padura est né en 1955 à Mantilla, La Havane (Cuba). Après avoir été critique et essayiste, il trouve progressivement sa voie, entre littérature et journalisme, publiant romans et essais. En 1991, il crée Mario Conde, son héros, flic et enquêteur.



Publié en français aux Editions Métaillé, en 2006, « Les brumes du passé » (« La neblina del ayer ») relate une étrange aventure. Jugez plutôt. Dans une maison de maître, à La Havane, Conde -qui a quitté la police- découvre une bibliothèque contenant des centaines de livres rares. Il en achète quelques uns et en confie un -un livre très rare, de cuisine- à Joséfina, la mère de Flaco Carlos (un copain) afin qu'elle compose un menu qui fasse oublier à ses copains (Yoyi le Palomo, le Flaco, le Conejo, le mulâtre Candito) leur malnutrition quotidienne. Un vieil article de journal coincé entre les recettes du livre bouleverse cependant ce projet. Lancé à la recherche de Violeta del Rio (excitante chanteuse de boléros, surnommée La Dame de la Nuit), Conde mène l'enquête, aidé par ses copains et par Manolo (un ancien collaborateur). Notre ex-flic croise de nombreux personnages : Dionisio et Amalia Ferrero (détenteurs de raretés livresques et liés aux richissimes Montes de Oca, une famille influente de Cuba et proche du pouvoir exercé par l’ex-dictateur Batista), Pancho Carmona (expert en livres rares), Fleur de Lotus (ancienne prostituée et amie de Violeta), Silvano Quintero (journaliste ayant approché de trop près Violeta et ayant failli le payer de sa vie), Juan l'Africain (doté d'un organe surdimensionné qui fait la joie des chupas-chupa), le fantôme d'un Noir boiteux (que personne n’a rencontré mais qui semble chercher des livres rares) et quelques autres. Rien n'est simple pour Conde. Entre deux rhums, deux cigares et deux Chevrolet modèle Bel Air (on est à La Havane), au milieu des cris de la rue et aux accents du boléro, errant de rebondissements en rebondissements, Conde finira par découvrir la vérité, au grand bonheur de Tamara, sa compagne, une femme aux yeux limpides comme deux amandes humides.



L'enquête de Conde n'est qu'un prétexte pour plonger le lecteur dans la mémoire historique de Cuba et dans la description de son présent misérable. Avec mélancolie et nostalgie, mais aussi fierté et orgueil, Padura évoque les heures de gloire de Cuba (cf. ma citation), une époque où la culture, le travail et la civilisation n'excluait pas l'insouciance et la passion. Mais Padura énonce aussi -plus qu'il ne dénonce- la pauvreté, la détresse alimentaire, la prostitution, les trafics en tout genre, la délinquance et la corruption ; il prend la précaution de montrer la réalité sociale de l'île au travers des yeux de Conde, témoin privilégié et alcoolique, ayant des accointances avec la pègre, vengeur, défenseur de la veuve et de l'orphelin. Tout en nuances, l’auteur permet ainsi aux contempteurs comme aux laudateurs du régime de s'y retrouver. Padura souhaite que le peuple cubain retrouve le chemin de la normalité. « Les Brumes du passé » est donc un « entrelacs d'amours, de malheurs et de séparations ». Padura lie les histoires personnelles de ses personnages au destin collectif de Cuba. L'écriture de Padura est dense, réjouissante, chaleureuse et exubérante.



Alors, un chef-d’œuvre ? Non, car nonobstant ce qui précède, le livre est un tissu d'invraisemblances : Condé un ex-flic passionné de littérature et expert en histoire de la littérature cubaine ? Condé découvrant des livres rares stockés depuis plus de 50 ans en pleine atmosphère tropicale (80 % d'humidité pendant la saison des pluies) mais en parfait état de conservation ? Violeta, une chanteuse de boléros qui serait en fait une aristo ayant eu une liaison avec un très riche amant, proche des amis de Batista ? Confectionner un menu inoubliable en pleine crise alimentaire cubaine alors que les ingrédients de base sont introuvables et hors de prix ? Fleur de Lotus qui, à 80 ans passés, entre en confession devant Conde, et sur 13 pages ! Condé qui, après avoir été copieusement passé à tabac, se met à voir Bouddha ! Le père de Condé qui aurait admiré et connu personnellement Violeta ? N’en jetez plus ! Et puis, sauf à être lui-même bibliothécaire et spécialiste de la littérature cubaine, le lecteur n’en pourra plus de toutes ces références énoncées pour chaque livre rare identifié dans la bibliothèque de Dionisio et d’Amalia Ferrero. En outre, le démarrage est lent, le suspens n'est pas très marqué, les enjeux sont faibles (comment se passionner pour une enquête portant sur un événement survenu il y a plus de cinquante ans ?) et le procédé utilisé par Padura (un livre en deux parties, comme les deux faces d'un disque de Violeta del Rio, et des lettres énigmatiques d'une femme qui se mêlent aux détails de l'enquête) –bien qu’original- est sans effets positifs sur la lecture. Conclusion : pas très emballant, à mi-chemin entre polar et guide touristique sur La Havane !
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Une enquête de Mario Conde : Vents de carême

Un grand merci à Bookycooky pour m’avoir fait découvrir le versant « polar » du célèbre auteur cubain.



L’auteur de « Poussière dans le vent » ou de « l’homme qui aimait les chiens » a bâti un personnage de flic auquel on s’attache très vite, Mario Conde.



Dans « les vents de Carême », après une introduction de 15 pages qui rappelle que Leonardo Padura est d’abord un grand écrivain, on entre dans l’intrigue : une jeune femme – on découvrira bientôt qu’elle est professeure enseignante dans un lycée que Mario Conde connaît très bien – vient d’être découverte assassinée.

En parallèle Mario Conde rencontre une jeune femme dont il tombe raide amoureux en quelques minutes. Il ne sait pas grand-chose d’elle, si ce n’est que comme lui elle aime le jazz et joue du saxophone.



Commence alors un récit dans les ruses de Cuba où la drogue, les trafics en tout genre, et où le crime est roi. La vie au commissariat avec ses jalousies, ses bassesses, mais aussi ses coups de main entre collègues est rendue très palpable.



Mais ce n’est pas tout. Car contrairement à ses polars télévisuels dont on nous matraque à longueur de soirée, il s’agit ici aussi de nostalgie, et aussi de la force de l’amitié.



Autour de nombreuses bouteilles de rhum (bien sûr), avec une scène de sexe torride (bien sûr) l’auteur nous balade dans tous les sens du terme.

Et si on découvrira à la fin qui est l’auteur de ce meurtre stupide, ce n’est pas le principal.



On refermera « Vents de carême » avec une furieuse envie de lire une autre histoire de Mario Conde, un verre de rhum à la main, en écoutant un solo de Benny Carter, dont il est question dans ce livre, à moins qu’on ne préfère Charlie Parker ou John Coltrane – libre à vous – mais vite ! un nouveau Leonardo Padura sur ma table de chevet.

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Poussière dans le vent

La malédiction du deuxième opus, sans doute. Ce n’est pas la première fois qu’après avoir chaviré à la lecture d’un auteur que je découvrais, je suis déçue en lisant un nouveau livre de ce même auteur. « L’Homme qui aimait les chiens » m’avait estomaquée, et cette poussière dans le vent est loin de m’avoir provoqué le même effet.

Bon, j’aurais dû me méfier. J’ai écouté « Dust in the wind », et j’ai reconnu une bluette mièvre que je n’aurais jamais mise dans mes play lists. Et finalement, le roman de Padura a cette même tendance à ne parler de ce qui fâche ou qui inquiète que pour mieux célébrer les vertus consolatrices de la chansonnette ou du roman feel good.

Évidemment, si tous les livres décevants étaient à la hauteur de celui-là, le monde ne s’en porterait que mieux. Mais le grand roman sur la fin des illusions castristes reste encore à écrire.

Le « Clan » s’est dissous à force de départs. Ils étaient vaillants, prêts à construire le monde idéal: mais tous ou presque ont fini par quitter Cuba pour conjurer la peur, la faim, et surtout pour ne plus se heurter à l’impuissance, à l’incapacité de se forger un avenir dans un pays qui se délite après la chute de l’URSS et la fin des subsides apportées par le pays frère.

Exilés de l’intérieur ou exilés qui vivent (plutôt bien) à l’étranger, tous ont en partage la même mélancolie devant le fiasco cubain, la même nostalgie d’un temps où tout semblait possible.

Et c’est là, à mon avis, le meilleur de ce roman que la quête d’une vie meilleure, tous les expédients nécessaires pour partir, pour manger; tous les remords des privilégiés qui ont déserté leur patrie (laquelle leur a donné des compétences mais aucun moyen de les exprimer) ou trahi la cause en trafiquant et en profitant d’un système corrompu.

Mais « Poussière dans le vent » se veut aussi la chronique d’une amitié inaltérable, qui résiste à toutes les épreuves; un clan que ne renieraient pas Rachel, Phoebe, Ross et consorts et qui fonctionne sur le même principe de retrouvailles immuables malgré les dissensions - et de plus en plus larmoyantes.

Et surtout, Padura transforme son roman en demi-polar, en utilisant toutes les ficelles du genre mais sans que la résolution des mystères soit un véritable enjeu. Alors, comment est mort Walter? (On s’en fiche un peu) Qui est le père d’Adela? (On s’en cogne total) D’ailleurs, Padura semble conscient du peu de suspens créé puisqu’il multiplie les prolepses, genre « Ils ne savaient pas encore à quel point cette mort allait être le point de départ d’événements tragiques dont ils ne se relèveraient jamais. » Ah, pardon, j’ai retrouvé une des occurrences: « Et, par la suite, il se dirait que tout ce qu’il avait vu et senti durant les secondes de silence provoquées par Horacio formait le stade ultime d’une vie quotidienne simple qui s’évanouirait à jamais quand son ami finit par lâcher la bombe. » Oui, ben, c’est à peine mieux. La prolepse, l’arme ultime du roman mal fichu.

Bref, le monde est tragique, surtout pour les Cubains, mais l’amitié et la famille font que la vie vaut tout de même la peine d’être vécue. C’est la morale gentillette et simpliste de ce roman, à laquelle j’aurais aimé échapper.
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Poussière dans le vent

J'ai adoré.

C'est un groupe d'amis, qui s’appellent entre eux le clan ; ils vivent dans un Cuba qui sombre.

Quel plaisir de les suivre pendant près de 30 ans ; ceux qui vont choisir de partir, ceux qui vont rester.

Le personnage principal est Cuba avec ses contradictions, sa misère, l'excellence de son enseignement, sa corruption, ses danses, sa musique...

Il est question d'exil, de déracinement, de pauvreté, de résilience, de trahison et de solidarité.

Il est aussi questions de rêves, d'espoir, de déception, de renoncement et d'espérance.

Ce récit est surtout une ode à l'amitié.

L'écriture est élégante et nostalgique.

Les personnages sont attachants et je les quitte avec regret.

Un roman émouvant et passionnant.
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L'homme qui aimait les chiens

En 1968, alors que les mouvements contestataires et les manifestations contre l'establishment essaimaient à travers le monde, y compris en Amérique latine, alors que le rock, la mouvance hippie et la contreculture en général influençaient une jeunesse aspirant à plus de liberté et à un nouvel ordre sociétal, à Cuba, déjà, «the dream is over ». Les structures locales du Parti Communiste Cubain (PCC), les Comités de Défense de la Révolution (CDR), la Centrale des Travailleurs de Cuba (CTC), qui s'étaient vu transformer progressivement en organes de contrôle idéologique, dissuadent ses citoyens de se livrer à toute forme de contestation politique; de même pour ce qui est de l'Union Nationale des Écrivains et Artistes de Cuba (UNEAC), qui au départ avait largement soutenu la création artistique et l'émergence de nouveaux talents littéraires dans l'île, muée définitivement en organe de censure : n'y sont désormais publiés que les auteurs certifiés idéologiquement conformes par les éditeurs d'État.

L'année 1968 scelle ainsi la fin définitive du rêve d'une Révolution cubaine dont la réussite et le caractère singulier se devaient non seulement à une adhésion et à une mobilisation massives de la société civile cubaine, mais aussi à une volonté manifeste d'indépendance politique de la part de ses dirigeants vis-à-vis de l'impérialisme pratiqué à large échelle par l'URSS. Si, par la force des choses (et surtout depuis le blocus imposé par les américains), le régime cubain ne pouvait totalement se soustraire à l'ombre du géant soviétique, il cherchait cependant, dans la mesure du possible, à se départir d'une dépendance trop exclusive et tutélaire au Kremlin. Au mois d'août 1968, Cuba, qui avait pourtant tenu à coeur, depuis la prise de pouvoir par les forces révolutionnaires une dizaine d'années plus tôt, de jouer un rôle politique et diplomatique prépondérant au sein du groupe des pays dits non-alignés, apportera son soutien inconditionnel à l'occupation de la Tchécoslovaquie par l'URSS, suite au printemps de Prague. S'en suivra rapidement la promulgation en interne d'un premier plan de développement s'inspirant directement du modèle économique soviétique, ce qui aura pour conséquence, entre autres, de soumettre irréparablement l'économie cubaine à une dépendance intégrale au bloc communiste durant les deux décennies à venir, et jusqu'à l'effondrement de l'URSS dans les années quatre-vingt-dix, contraignant alors la nation cubaine, exsangue, affamée, démunie, à subir des carences et des privations jamais connues auparavant dans l'île, et condamnant la plupart de ses citoyens à toutes sortes de renoncements, quelquefois aux pires expédients, ou bien à l'exil définitif pour pouvoir survivre.

C'est dans ce contexte, après les ruptures emblématiques survenues donc à la fin des années 60, que le personnage et alter-ego de l'auteur, Iván, après des débuts prometteurs en tant que jeune écrivain, sera profondément marqué par la motion de censure venant frapper son oeuvre. «Nous étions la générations des naïfs, des romantiques qui avaient tout accepté et tout justifié, les yeux tournés vers l'avenir, qui coupèrent la canne à sucre, convaincus qu'ils devaient le faire (…) la génération qui fut la cible des attaques de l'intransigeance sexuelle, religieuse, idéologique, culturelle et même alcoolique, qu'elle endura tout au plus avec un hochement de tête et, bien souvent, sans éprouver le ressentiment ou le désespoir qui mène à la fuite.» Démotivé, désabusé par la tournure prise par les évènements, touché personnellement par la peur qui se faisait de plus en plus présente dans les consciences de son époque et de sa génération, suite aux remontrances et les sanctions effectives dont il avait fait l'objet, Iván finit par renoncer à toute illusion de poursuivre une carrière universitaire et littéraire. Quelques temps après, il trouve un travail de rédacteur dans une revue vétérinaire, se marie, fonde une famille, se résigne.

Un soir de mars 1977, sur la plage de Santa María del Mar, Iván fait la rencontre de celui qu'il surnommera «l'homme qui aimait les chiens», titre d'une des nouvelles du recueil de Raymond Chandler (« Un tueur sous la pluie ») qu'il lisait au moment où il entendit pour la première fois, à quelques mètres de lui, l'homme appeler ses deux magnifiques lévriers russes, «ces barzoïs si prisés» qu'Iván voyait «pour la première fois ailleurs que sur les planches d'un livre ou de la revue vétérinaire». Autour des chiens, se noue un dialogue entre les deux inconnus. Impressionné par l'allure et par les propos de ce personnage atypique dont la présence même à Cuba semble entourée d'une aura de mystère qui l'intrigue de plus en plus, au fil de leurs rencontres sur la plage qu'Iván cherchera à susciter en retournant régulièrement à Santa María del Mar, «l'homme qui aimait les chiens» en viendra petit à petit à lui livrer l'histoire de Ramón Mercader, l'assassin de Trotski. Mercader, côtoyé à plusieurs reprises par Jaime López, l'homme de la plage, à qui le jeune révolutionnaire espagnol responsable de l'assassinat de Lev Davidovitch Bronstein, dit Trotski, se serait confié sans réserves, finiront tous les deux par se confondre en une seule et même image dans l'esprit d'Iván. La disparition subite et inexpliquée de l'énigmatique personnage, quelques mois après leur première rencontre, le laissera pourtant sans aucune réponse claire aux questions qui continueront à le tarauder pendant plus d'une vingtaine d'années: Qu'est-il arrivé au juste à Ramón Mercader après avoir purgé sa peine de vingt ans de prison au Mexique et avoir été exfiltré vers l'URSS, où Lopez, «l'homme qui aimait les chiens » l'aurait rencontré plus tard? Mais à vrai dire, qui est qui en fin de compte? Mercader et López ne seraient-ils le seul et même homme? Dans ce cas-là, pourquoi s'être confié à lui, Iván, tout en sachant qu'il avait un passé d'écrivain et qu'il avait publié un livre? Et puis, pourquoi en même temps lui avoir fait jurer de ne jamais révéler à personne toute cette histoire?

Malgré tous les écueils concrets auxquels il devrait faire face pour tenter d'assembler les pièces de cet étrange puzzle (d'autant que le régime castriste ayant proscrit tout ce qui avait trait à Trotski, l'oeuvre, la vie même ou la mort de ce dernier étaient à ce moment totalement méconnues et inaccessibles au commun des cubains), malgré également toute l'ambiguïté d'un tel projet (comment écrire sans trahir la promesse faite à l'homme qui aimait les chiens?), malgré, last but not least, lui-même, Iván et le combat intérieur qu'il livre contre ses propres fantômes, l'écrivain sommeillant au fond de lui ne résistera, in fine, à la tentation de s'en emparer et de s'investir dans la reconstruction des parcours tragiques de Trotski et de Ramon Mercader.

Leonardo Padura, situe en 1989, au même moment où tombait le Mur de Berlin, les toutes premières fondations de cet immense édifice que constituerait L'HOMME QUI AIMAIT LES CHIENS, qui ne serait pourtant effectivement érigé et publié qu'une vingtaine d'années après. Fruit donc d'une très longue maturation dans l'esprit de son auteur, la pierre inaugurale de ce monument dédié aux ravages abominables provoqués par la plus grandiose et la plus tragique de toutes les utopies du XXème siècle, y fut posée cette même année, à l'occasion du premier voyage au Mexique de Lenardo Padura et à la suite du « choc purement humain, que causa (sa) visite de la maison où avait vécu et était mort Léon Trotski».

Il s'agit bien, en effet, avant tout de matière vive et humaine, personnifiée, incarnée dans des individualités au-delà du rôle supra-humain auquel on avait souhaité les astreindre, mises à l'épreuve de leurs croyances et de leurs doutes face à l'imposture idéologique dont elles ont été victimes. Dans ce roman fleuve à l'architecture complexe, alternant faits historiques et spéculation fictionnelle, trois parcours sont reconstruits parallèlement pour se rejoindre dans un épilogue sublime, bouquet final de vérité et d'humanité : celui de Léon Troski, depuis son exil de l'URSS en 1929, jusqu'à son assassinat au Mexique en 1940, celui de Ramon Mercader, jeune communiste espagnol combattant au sein des forces républicaines durant la guerre civile d'Espagne, embrigadé par les services secrets soviétiques, celui, enfin, d'Iván Cárdenas Maturell, écrivain cubain et double fictionnel de Leonardo Padura, personnage emblématique qui, selon son créateur, «fonctionne aussi comme métaphore d'une génération et comme le résultat prosaïque d'une défaite historique».

Appuyé par un travail de reconstitution historique détaillé, strictement fidèle à la chronologie des évènements, l'auteur, à partir «de ce qui est vérifiable et de ce qui est historiquement possible ou plausible d'après le contexte» tente surtout d'approcher, d'un point de vue essentiellement subjectif, les vicissitudes, les ambigüités, les épreuves psychologiques subies par ses personnages, entraînés dans le drame collectif provoqué par les dérives totalitaires et la débâcle effroyable de trois utopies majeures du XXème siècle : les révolutions russe, espagnole et cubaine .

Le lecteur suit pas à pas, sur près de sept-cents pages, une intrigue dont, après tout, il connaît déjà le dénouement aussi dramatique qu'inutile (d'un point de vue historique, aucun meurtre ne pouvant, bien évidemment, être considéré d'«utilité»). L'HOMME QUI AIMAIT LES CHIENS étant un quelque sorte un anti-thriller politique, un roman construit essentiellement à partir de cette atmosphère particulière qui habite l'attente, l'angoisse, la peur, et qui donne une densité particulière au passage du temps, épaisseur toujours extensible par l'alternance irrésolue entre croyance aveugle en l'avenir et clairvoyance intolérable face à l'imminence du désastre, entre sentiments de révolte et de soumission face à des injonctions qui dépassent complètement les individus.

Les longueurs tant redoutées et habituellement honnies (souvent, d'ailleurs, à priori et de manière indiscriminée...) par un grand nombre de lecteurs contemporains, semblent donc constituer ici un élément essentiel à l'approche choisie par l'auteur, un choix de narration délibéré et auquel le lecteur doit pouvoir être en mesure de se laisser porter, grâce notamment à la finesse d'analyse et à la qualité exceptionnelle de la plume déliée et alerte de Leonardo Padura.

En définitive, une lecture aussi instructive d'un point de vue historique que touchante, un récit saisissant, empreint de sensibilité, d'empathie et de compassion pour ses personnages, victimes «happées par la fatigue historique et l'utopie pervertie ». Un grand roman où le mensonge collectif le dispute à la tragédie personnelle. Un auteur doté d'un immense talent de conteur, que je découvre avec ce livre et vers lequel je vais certainement revenir ultérieurement.

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Une enquête de Mario Conde : Mort d'un chinoi..

C'est mon premier polar cubain et je suis assez déçue par l'ouvrage de Leonardo Padura. Je n'ai pas accroché à l'intrigue policière, vague prétexte pour nous parler de l'histoire de la communauté chinoise de la Havane qui vit toujours dans une grande pauvreté.

Le cadavre d'un Chinois a été retrouvé dans le Barrio chino de la Havane, avec un doigt tranché et deux flèches dessinées au rasoir sur sa poitrine. le policier, Mario Conde, nous fait part de son ignorance crasse et de ses préjugés alors qu'il se rend dans un bus bondé et puant chez son ami Juan Chion. Ce vieux Chinois, cuisinier hors-pair et philosophe à ses heures, bien entendu, l'aidera à résoudre l'enquête. L'intrigue est mince, le suspense inexistant, le dénouement larmoyant. j'ai trouvé les Chinois lourdement caricaturés (accent, stéréotypes éculés). Et l'intérêt littéraire quasi nul. Est-ce la traduction ? J'ai apprécié quelques descriptions : celle du bus bondé, celle des gens de la rue privés d'électricité et puis celle des cocktails explosifs ingurgités par le Conde.
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Poussière dans le vent

Poussière dans le vent est un véritable bonheur de lecture et il faut se laisser prendre par cet ample roman choral qui embrasse la vie d'un groupe d'amis "Le Clan " sur près de 30 ans entre 1990 et 2016.

Le Clan, c'est huit amis soudés qui vont être affectés par les transformations du monde sur la vie à Cuba

Nous entrerons dans Le Clan par le truchement d'une photo de groupe postée sur Facebook par Clara. à l'intention de son fils Marcos. La photo a été prise en 1990 dans les jardins de la maison familiale de Fontanar.

Cette photo est révélatrice de secrets , des souvenirs et plus.

En s'appuyant sur cette photo, Leonardo Paduro va nous entrainer dans un roman à trois niveaux:

1 / La découverte approfondie de chacun des membres du Clan et de leurs secrets

2 / le déroulement d'une intrigue et d'un suspense tenu jusqu'au dernier chapitre

3 / Cuba et son régime politique dans les années 1990 et jusqu'en 2016.

Et pour bien fluidifier ces trois niveaux , Leonardo Padura va faire que son roman ne soit pas chronologique mais qu'au contraire il oscille entre ses trente années de vie de ces personnages.

Il faut un peu de temps au départ pour tout mettre en ordre , entre l'ensemble des personnages et la ligne de temps. Mais une fois que cela est acquis , c'est un grand bonheur de lecture de retrouver Clara , Horacio , Bernardo , Walter , Irving , Joel , Fabio et Liuba.

Poussière dans le vent est un roman de l'amitié, de l'amour , de la fidélité le tout sur fond d'exil, de perte.

La force de ce roman vient aussi de la façon dont est traité Cuba et son régime politique. Rien n'est dit frontalement. Jamais le nom de Fidel Castro n'est prononcé ( Juste une fois le prénom !). On comprend les liens forts avec l'Union Soviétique, on a vent de la chute du mur de Berlin. Une peur certaine des indics espions et délateurs parcourt le roman.

Cette chape enveloppe chaque personnage est dicte en partie leurs actions.

Tout cubain est viscéralement attaché à son île .Mais les pénuries alimentaires, économiques et le besoin de liberté font que chaque cubain devient candidat à l'exil et avec des bouts de ficelle il fait une vie.

Ce roman est aussi celui de la diaspora cubaine à travers les Etats Unis , l'Argentine et l'Espagne .

L'amour, la fidélité à une terre , des paysages, des familles

Mais laisse t -on son pays ?

Poussière dans le vent ?

Leonardo Padura à la double nationalité cubaine et espagnole".

Quand il est interrogé sur cette double nationalité il répond qu'il a une double citoyenneté : espagnole et cubaine mais qu'il n'a qu'une nationalité et elle est cubaine.

Leornado Padura vit à Cuba.

" Clara fouilla dans son sac, sortit les clés, ouvrit la porte et entra dans la maison où l'accueillirent la solitude, le silence et ses souvenirs. La coquille de Clara. "
Lien : https://auventdesmots.wordpr..
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