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Critiques de Leonardo Sciascia (168)
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Todo modo

“Todo Modo” est un livre extraordinaire, d'une ironie et d'une subtilité rare sur le monde pourrie de la Politique en amalgame avec celui de la Religion, ici en l'occurrence celle de l'Eglise catholique italienne, se référant particulièrement à une des périodes les plus pourries de l'Histoire du pays , les années 70. Dominé par la crise du parti Démocrate chrétien au pouvoir, le pays est sous l'hégémonie du catholicisme . le grand Sciascia passe au vitriol toute la faune politique et religieuse de l'époque . Leur faisant endosser les lunettes du Diable ( référence au tableau de Rutilio Manetti, "Saint Antoine d'Abate tenté par le démon " accroché à l'Ermitage Zafer où se passe l'histoire ), il donne l'image terrible de leur vision de la pourriture où elles se sont immergées , apaisant leur conscience ( si elles en ont une déjà ...) à travers le dicton , “ Ce qui ne se sait pas, n'existe pas “.

L'histoire à première vue est simple. Un peintre à succès très connu et riche, ne sachant que trop faire de sa vie, au hasard d'une ballade en voiture se retrouve devant un ermitage, l'Ermitage Zafer. Sa curiosité l'y pousse à s'informer sur ce lieu d'isolement et de spiritualité à l'apparence d'un hôtel. Y étant arrivé à un moment propice il va se retrouver avec un groupe assez particulier venu y faire un séjour de retrait spirituel. du prêtre de la réception lisant « Linus* » , au directeur, le prêtre Don Gaetano, l'ambassadeur du Diable sur place, des cinq jeunes et jolies femmes qui prennent des bains de soleil en bikinis et présentes pour aider à la méditation du groupe en visite, aux illustres visiteurs ( Ministres, hommes d'affaires, religieux éminents ) du groupe en retraite, on va se retrouver dans l'Inferno de Dante. Et comme nous sommes chez Sciascia, une histoire sans meurtres n'existant pas, ceux-ci vont défiler en commençant par celui d'un éminent notable durant une cérémonie religieuse.....

Un faux polar, où le grand Sciascia, à travers des citations de Pascal, Voltaire, La Rochefoucauld....et de nombreuses allégories comme celle du titre « Todo Modo » se référant aux paroles du jésuite Ignazio Moyola, “ par tous les moyens “, afin de trouver la volonté divine, ici employées avec une ironie extrême, dénonce la dégradation des coutumes et valeurs politiques et morales de son pays.

Un livre à portée universelle, foisonnant de références à la peinture, à la littérature et la philosophie , aux détails subtilement liées à l'histoire. La fin d'une extrême finesse est une surprise ..... la vérité est tellement évidente...quand la pourriture est partout personne n'y échappe, alors trouver un coupable n'a plus grand sens.....(N'ayez aucune crainte, je ne vous dévoile rien 😊).

Un véritable bijou littéraire, et si vous n'avez encore rien lu de Sciascia plus que jamais l'occasion d'aborder l'univers de ce très grand écrivain qui n'a jamais eu froid aux yeux pour critiquer les nombreux maux qui ont ravagé et continue à ravager la politique et la société de son pays depuis des décennies.



« La vraie nature étant perdue tout devient sa nature. Comme, le véritable bien étant perdu tout devient son véritable bien » Pascal ( Pensées )



*Linus est une BD tout âge.
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Todo modo

J'ai véritablement pris beaucoup de plaisir à ce Todo Modo de Leonardo Sciascia, un auteur que je découvrais, sur les conseils d'une très ancienne amie italienne, et vers lequel je retournerai très volontiers un de ces jours.



Un style, une légèreté, beaucoup de finesse et d'ironie en font un grand esthète, quant à la forme ; seulement quand j'utilise le terme esthète, il ne faut pas s'imaginer une quelconque tendance lyrique mais plutôt une élégance dans les dialogues et dans la façon de dévoiler les pensées et la psychologie de ses personnages, qui confine à de l'art sculptural, dans l'acception la plus haute et cristalline. Il faut dire que le personnage de Don Gaetano, qui est le pilier sur lequel repose l'édifice de la narration, se prête admirablement bien à cette élévation tant stylistique que mystique.



Peut-être, avant toute chose, est-il bon de soulever un peu le voile qui drape cet étrange titre, Todo Modo, que le traducteur n'a pas pris le risque de traduire, et pour cause, puisque ce n'est pas de l'italien, et que déjà en italien, il est intrigant.



D'après les recherches que j'ai pu effectuer, car le roman, dans la version dont je dispose ne donne pas les clefs de l'énigme, ces deux mots seraient en fait de l'espagnol et représenterait le début d'une maxime d'Ignace de Loyola, fondateur de l'ordre des Jésuites et formulée ainsi : « Todo modo para buscar la voluntad divina. », ce qui signifie à peu près mot à mot et dans mon espagnol approximatif : « Tous les moyens pour trouver la volonté divine. »



Je suis un peu plus en peine pour vous évoquer le fond de l'ouvrage, notamment par cette fin surprenante, qui m'empêche d'affirmer avec certitude le sens qu'a souhaité lui donner l'auteur. D'aucuns diront que c'est plutôt bon signe quand un livre n'a pas une signification univoque et qu'il s'avère résistant tout en étant intéressant — et d'une certaine façon c'est mon cas.



Certes, mais c'est terriblement déroutant de demeurer dans cette incertitude, au risque même d'être passée à côté du morceau de choix, à côté du message qui a véritablement guidé l'auteur dans la composition de son roman. Je vais donc vous livrer, sous toutes réserves, ce que j'en ai compris ainsi qu'un petit synopsis.



Pour moi, Todo Modo traite de la causalité, du pourquoi les choses adviennent telles qu'elles sont et de la futilité de toute recherche de la compréhension de ces causes. Les choses adviennent, point. Il faut en prendre acte, ni plus ni moins. Certains y voient des points communs avec le destin et le parcours de l'éminent personnage de la politique italienne Aldo Moro. (Je ne suis pas assez calée sur l'histoire récente de l'Italie pour me prononcer là-dessus.)



Car la vie, si j'ai bien compris le message de Leonardo Sciascia, toute la vie est dénuée de signification, absurde, au sens qu'elle n'a pas de direction, elle est seulement douée d'un début et d'une fin. Espace limité au sein duquel elle est le théâtre d'un certain nombre d'événements sur lesquels elle a plus ou moins de prise, mais dans tous les cas, c'est sans importance car la vie en elle-même ne signifie rien, sauf à la définir par la négative, qu'elle est le contraire de la mort, laquelle mort ne signifie rien non plus, sauf à borner la vie. Bref, que la vie est une suite de causalités dont le sens nous échappe.



Je suis bien d'accord avec vous que mon explication semble très confuse, mais c'est la seule qui me soit venue pour exprimer ce que je ressens de l'oeuvre. Peut-être est-il grand temps que je ne vous parle plus que du synopsis.



Un peintre célèbre (dont il n'est jamais fait mention du nom) est notre narrateur et nous guide en un étrange endroit, dans l'Italie contemporaine (le roman fut publié en 1974). Errant à l'aventure, ce peintre arrive dans un ermitage isolé (oui, c'est un peu pléonastique) qui est également, et c'est plus surprenant, un gros hôtel très moderne muni d'un parking d'une taille considérable qui atteste que le lieu et parfois pris d'assaut par d'importants groupes.



Que fait-on dans ce lieu ? Des stages de spiritualité. À qui sont-ils destinés ? À de très grosses légumes, du genre ministres, directeurs de banque, etc. Pourquoi cet isolement périodique ? Parce que justement, à l'abri des regards indiscrets, se trament des conspirations machiavéliques, des arnaques majeures, des complots inavouables, mais aussi et surtout, que ces messieurs haut perchés viennent trouver ici-bas quelques pulpeuses jouvencelles dont il ne serait pas trop bon de faire la publicité.



Le grand ordonnateur de l'établissement, celui par qui tous les réseaux d'informations passent mais duquel aucun de ressort car il est muet comme une tombe, le sombre et mystique Don Gaetano. Personnage d'une intelligence et d'une culture fulgurante, doublées d'une sagacité et d'une vivacité à percer à jour ses interlocuteurs qui en font un redoutable orateur, qui sait magnifiquement diriger son monde vers ses volontés.

L'homme en sait toujours beaucoup plus qu'il n'en dit et nimbe de mystère tant ses dires que ses attitudes.



Notre peintre s'amuse de cette mascarade où les gros ministres font mumuse à faire les bons samaritains tout en rejoignant, dans la foulée des exercices spirituels, leurs maîtresses dans les alcôves situés aux étages de l'hôtel. Tout va pour le mieux jusqu'à ce que l'un de ses personnages soit froidement abattu lors d'une de ses cérémonies nocturnes. Stupeur dans l'établissement, tout le monde est potentiellement coupable et l'histoire prend un tour de huis clos à la Agatha Christie.



Quand tout à coup, BING ! un autre meurtre, puis BANG ! un autre encore. Tout cela a un parfum de Brigades Rouges à plein nez, mais je crois vous en avoir beaucoup dit, à vous maintenant de dénouer tout cela...



Somme toute, un très bon petit roman, bien écrit, avec une fin surprenante et indécise, cependant, comme de coutume, il me reste à vous rappeler que tout ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Le jour de la chouette

Lu en V.O.



C’è livre écrit au début des années cinquante se présente comme un roman policier, tout y est : un assassinat, un tueur, un enquêteur qui essaie de résoudre l’affaire.

Mais c’est surtout une dénonciation frontale du pouvoir de la mafia dont l’existence à l’époque était largement niée.

Nous suivons l’enquête menée par un capitaine originaire de Parme. Dès les premiers instants, la fameuse omertà, la loi du silence, se met en place : la victime a été tuée alors qu’elle montait dans un bus rempli de passagers mais plutôt que de devoir témoigner, tous les occupants quittent le bus avant l’arrivée des autorités, et conducteur et contrôleur ne se rappellent de rien..

Est dénoncé évidemment la violence s’appliquant à tous ceux qui ne respectent pas les règles de la mafia , ses tentatives pour intimider tout témoin et la collusion de l’organisation avec certains politiciens.



Le style est fluide et sans fioritures.



Le roman eut un retentissement énorme en Italie, et a réveillé les consciences sur ce fléau hélas encore bien actuel aujourd’hui.

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Le Conseil d'Egypte

Un tres bon cru de Sciascia. Un roman historique, avec l'accent sur "roman". De la pure fiction, donc quelque chose de tres different de "Mort de l'inquisiteur", ou Sciascia s'etait essaye a romancer et donner vie a de vrais documents d'archives. Mais son esprit caustique y apparait de facon tout aussi virulente et c'est peut-etre encore plus subversif vu que c'est plus agreable a lire.





J'ai l'impression qu'on a l'habitude de cataloguer Sciascia comme auteur de romans policiers. Moi je prefere l'apparenter a un espace plutot qu'a un genre litteraire: la Sicile. Et la il est bien entoure: Lampedusa, Pirandello, Camilleri… Et quant a sa position envers la societe de son temps (ou du notre, une seule generation nous separant de sa mort) je souscris a un signalement lu je ne sais plus ou: un voltairien a la cour de la Cosa Nostra.





Ici il nous promene dans la Palerme de la fin du 18e siècle. Un abbe falsifie un manuscript arabe, une vie du Prophete sans interet particulier, et le transforme en une ancienne histoire de la Sicile maure. Ca fait beaucoup de bruit et lui vaut beaucoup d'honneurs. Il pousse alors la supercherie et invente de toutes pieces un nouveau manuscript, intitule "L'archive d'Egypte" (ou "Le conseil d'Egypte", le titre du livre changeant selon les pays et les differentes editions), qui prouverait que les terres que possedent les nobles du cru auraient ete expropriees illegalement. C'est la panique dans la haute societe sicilienne, d'ores et déjà ebranlee par les ambitions renovatrices de la monarchie napolitaine, qui regne alors sur l'ile. Pour comble, surgit alors un avocat saoul des idees des lumieres (des francais qui foutent la merde partout), qui tente une revolution – ratee.







On percoit la, sous la trame historico-policiere, quelques themes recurrents dans l'oeuvre de Sciascia: la critique du pouvoir absolu, du fanatisme, la reflexion sur les structures sociales et l'origine du "mal sicilien", l'opposition constante entre forces modernisatrices et conservatrices. Mais Sciascia ne fait pas dans l'indoctrination. Il permet une lecture ouverte a toutes les interpretations. Sa reflexion permet la notre. L'abbe imposteur (un humaniste de genie, en fait), est-il un vulgaire delinquant ou un revolutionnaire subversif? Et a l'oppose, l'avocat qui tente un coup d'etat, n'est-il pas une girouette, se laissant porter par des modes passageres? Comme ce livre est avant tout un roman, c'est avec grand plaisir que nous suivons le regard ironique, lucide, desabuse et malgre tout bienveillant, que l'auteur jette sur la nature et les contradictions des hommes.





Sciascia est un mage, un enchanteur. Ce livre a du piquant. Lecture recommandee donc.





P.S. Apres avoir poste ce billet, j'ai lu ceux d'autres babeliotes. Je n'en ai apprecie aucun. Je n'aime pas les membres qui ont moins de critiques appreciees que de critiques qu'ils ont eux postees. Pourquoi lire ceux qui ne lisent pas les autres? Pourquoi apprecier leurs ecrits? Babelio est un lieu d'echanges. On peut verifier ce que veut dire echange dans tout dictionnaire.

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Le jour de la chouette

Le roman du Sicilien Leonardo Sciascia (1921-1989) fit grand bruit à sa parution en 1961 et il est aujourd'hui un classique. Il propose une immersion dans le milieu de la mafia qui gangrène toute la société sicilienne de l'époque. Ce n'est pas un roman policier banal. C'est à la fois le récit d'une enquête policière sur un crime de la mafia conduite par un jeune officier des carabiniers, originaire de Parme mais aussi et surtout le récit du sabotage puis du déni de celle-ci. Parallèlement à l'enquête rondement et clairement menée par le capitaine Bellodi et son équipe de carabiniers locaux, on est témoin de mystérieuses conversations trouées de points de suspensions entre personnages non identifiés dont on devine qu'ils sont très haut-placés et liés les uns aux autres. L'enquêteur est plein de bonne volonté, de sagesse et de ruse et il croit fondamentalement en la justice. Mais que peut faire la chouette en plein jour ?
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Le jour de la chouette

Froidement, un homme est abattu alors qu'il monte dans un tramway.On est en Sicile , au début des années 60, et l'enquête ne s'annonce pas simple dans ce coin d'Italie encore marqué par le fascisme , où pointe une organisation encore confidentielle aux yeux du grand public, la mafia.



Cette lecture fut une belle découverte. L'auteur mène très astucieusement sa barque et son enquête policière n'est pas là pour nous tenir en haleine mais bien pour fustiger un système ou encore pour immerger le lecteur dans cette Sicile rurale qui bascule sous le poids de la menace mafiosa.

Confier l'enquête à un Parmesan ne doit pas non plus être un choix innocent , sans doute voulu pour accentuer le contraste Nord Sud dans un pays où la latitude a une grande importance.

L'auteur compare la montée en puissance de la mafia à la ligne de pousse des palmiers. Inexorablement , celle ci gagne 500 mètres vers le nord chaque année.C'est imperceptible mais personne n'y peut rien.Et une fois réalisée, il n'y a pas de retour en arrière.

Le face à face entre policiers et truands est très fort, servi par des dialogues où chacun est sur de son fait,l'auteur expliquant en fin d'ouvrage comment il a construit son roman et les garde fous qu'il a mis. il revient d'ailleurs sur le contexte très particulier que l'Italie impose à ses écrivains , metteurs en scène .



Une bien belle découverte d'un auteur dont le nom m'a été soufflé par la lecture alléchante d'une chronique récente .
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Todo modo

Quel bonheur de retrouver Sciascia et sa petite voix. Là, son narrateur est un peintre connu, intelligent, cultivé, ce qui lui autorise une vacherie toutes les demi-pages. Du coup, c’est plus de la lecture, c’est la poilade permanente.



Bon, pas tout à fait à ce point là en fait. Au milieu de ce polar dévoyé, il y a un temps pour assassiner les élites italiennes de l’époque (les années 70, apogée de la Démocratie Chrétienne, une main sur le bréviaire et l'autre sur les picaillons reçus de la mafia devenue affairiste) et un temps pour des débats théologiques.



Parce qu’une bonne part de l’ouvrage est constituée des échanges entre le peintre, laïc militant, et un drôle de prélat fort charismatique. Avec probablement une profession de foi de Sciascia via ses protagonistes : la religion a au moins l’avantage d’avoir inspiré des œuvres d’art fabuleuses, que ce soit en peinture ou en littérature.



Et donc, pas tant une pochade qu’il en a l’air. Même si ça reste sa principale facette et le grand plaisir de sa lecture.



(Et attention, encore une quatrième de couv’ qui raconte l’intrigue jusqu’à… citer la dernière phrase ! Triste record.)
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L'affaire Moro

De mes jeunes années où je lisais et traduisais l'italien comme s'il se fût agi du français, il me reste les souvenirs de quelques belles et grandes oeuvres et la rencontre d'auteurs marquants.

Parmi ces auteurs, Leonardo Sciascia occupe une place de premier plan.

De lui, j'ai dévoré - Le contexte -, - Le jour de la chouette -, - la disparition de Majorana -, - Les poignardeurs - et - L'affaire Moro -.

Cette "affaire" m'a bouleversé. J'avais vingt-cinq ans lorsque le Président du conseil de la Démocratie Chrétienne a été "prélevé" par un commando des Brigades Rouges au sortir de son domicile le 16 mars 1978 au matin.



Son chauffeur et les quatre gardes de son escorte ont été froidement abattus par les ravisseurs qui ont pris la fuite et séquestré pendant cinquante cinq jours Aldo Moro.

Comme tous mes contemporains européens de l'époque, j'ai suivi à la radio et à la télé le déroulement des faits, et dans ma mémoire s'est imprimée à jamais l'image terrible du pauvre corps recroquevillé de l'illustre otage, retrouvé criblé de douze balles dans la poitrine, enfermé dans le coffre d'une Renault 4L stationnée Via Caetani... à mi-chemin entre le siège national de la DC et celui du PC... le 9 mai 1978.

Entre le premier jour de son enlèvement et les jours qui suivirent, jusqu'à celui de l'horrible issue, des tas de questions ont germé dans mon esprit, dans celui de mes proches et de mes amis.

Le temps passant, le nombre de ces questions sans réponse(s) s'est accru, et lorsque Sciascia a écrit son essai-étude-analyse-enquête... je l'ai acheté et lu dans sa langue d'origine.

Ce livre m'avait ému, et plus de trente-cinq ans après sa parution, j'ai eu envie de le relire... cette fois en français.

L'émotion est intacte.

L'atmosphère de ces "années de plomb" qu'a connu l'Italie est toujours vivace... comme saigne encore le souvenir de la trahison, de la lâcheté, de l'hypocrisie, du mensonge, de l'abandon des noms de ceux qui lâchèrent et sacrifièrent Moro.

Parmi ces noms, on peut se souvenir d'un Andreotti, d'un Cossiga, d'un Craxi, d'un Paul VI, d'un Zaccagnini, d'un Piccoli, d'un Taviani et de beaucoup d'autres...

Ce qui émeut outre la démonstration par Sciascia de l'otage abandonné par les "siens", c'est l'impuissance absolue, le dénuement total de l'homme de pouvoir devenu, le temps d'un "prélèvement", une victime déchue, un être isolé, humilié et par ses bourreaux et par ses "amis" et par les médias et par une partie du popolo italiano "sous influence".

Cet homme qui côtoyait les grands de ce monde en est soudain extirpé, ostracisé, indexé, pour devenir une brebis galeuse voire un bouc émissaire.

Durant ses cinquante-cinq jours de captivité, Aldo Moro a écrit une centaine de lettres.

Toutes ne sont pas connues.

Parmi celles qui le sont, Sciascia cite les plus "célèbres" et les décortique pour en trouver le sens "caché", "crypté"... ou "dicté".

Avec Berlinguer, Moro était en train de réaliser ce qu'on appelle "le compromis historique"... un gouvernement d'union entre la DC et les communistes.

Ce rapprochement, cette alliance, cette union ne faisaient pas que des heureux, tant en Italie qu'à l'étranger ( en particulier en URSS et aux USA ).

Il déstabilisait aussi les Brigades Rouges.

Alors, Moro a-t-il été victime d'un complot ? ( mot à la mode aujourd'hui... mais qui dans son cas l'était déjà en 1978 )

Voici ce qu'en dit Philippe Foro historien, auteur lui aussi d'une - Affaire Moro -.

"Mais le président de la Démocratie chrétienne s'était aussi fait de nombreux adversaires parmi ceux qui condamnaient sa politique de +compromis historique+ avec le PCI, au sein de l'OTAN, des services secrets italiens, dans le monde politique...", précise l'universitaire.

Parmi les historiens et les témoins de l'époque, nombreux sont ceux qui estiment que tout n'a pas été fait pour retrouver Aldo Moro et le libérer. Et que l'Etat italien a fait le choix de le "sacrifier".

Certaines théories avancent ainsi l'hypothèse d'un rôle actif de l'URSS et des Etats-Unis, qui voyaient d'un mauvais oeil une alliance entre démocrates-chrétiens et communistes, en pleine Guerre froide.

"Pour les Etats-Unis, le poids du parti communiste dans le pays le plus important de la Méditerranée était inacceptable et les Soviétiques aussi voyaient une menace dans le +compromis historique+, dira dans une interview, en 2014, Ferdinando Imposimato, le juge qui instruisit le dossier Aldo Moro.

Décédée en 2010, Eleonora, la veuve d'Aldo Moro, n'a jamais pardonné aux dirigeants de la DC, parti se réclamant des valeurs chrétiennes mais qui avait refusé de sauver une vie au nom de la raison d'Etat.

Dans une lettre adressée le 8 avril 1978 à son épouse, Aldo Moro écrira: "Mon sang retombera sur eux".

Alors que l'Italie, pour la énième fois, peine à trouver une majorité pour gouverner après les législatives, le ministre de la Culture Dario Franceschini a évoqué mercredi la mémoire d'Aldo Moro, rappelant "qu'il avait convaincu les deux vainqueurs des élections, qui n'avait pourtant pas la majorité, à soutenir le gouvernement". Et que "ce qui valait pour les leaders d'hier vaut pour ceux d'aujourd'hui" afin de réécrire une bonne fois pour toutes les règles d'un système politique qui ne parvient pas à garantir la stabilité, a expliqué M. Franceschini (PD, centre-gauche)."

Quoi qu'il en ait été, - L'affaire Moro - est un tournant majeur dans l'histoire de l'Italie du XXème siècle, et continue de hanter celle du XXIème siècle.

Rien, je dis bien rien ne permet de penser qu'il y ait eu une envie réelle, traduite par des actes, de retrouver et de libérer l'otage de sa "prison du peuple".

Au contraire !

L'ouvrage de Sciascia, grand intellectuel, grand écrivain, a le mérite d'avoir été écrit sept ans après les faits.

Depuis... le mystère reste entier ou presque. Mais lire ce livre, c'est avoir envie d'en lire d'autres sur ce sujet.

Car Moro, comme tous les hommes injustement sacrifiés sur l'autel de "la raison d'État"... doit continuer à vivre dans nos consciences.

Nous le lui devons comme nous le devons à tous ceux dont on n'a pas le droit de dire qu'ils sont morts pour rien lorsque c'est tout le contraire qui a broyé leur existence.

Un livre relu avec plaisir et émotion.

"Il est néanmoins établi que le gouvernement italien, conseillé par des fonctionnaires américains, a délibérément fait échouer les négociations. Dans un documentaire d'Emmanuel Amara réalisé pour France 5, Les Derniers Jours d'Aldo Moro (2006), Steve Pieczenik, un ancien négociateur en chef américain16 ayant travaillé sous les ordres des secrétaires d'État Henry Kissinger, Cyrus Vance et James Baker, raconte comment il a participé au court-circuitage des négociations afin qu'elles n'aboutissent pas, avec comme recours éventuel de « sacrifier Aldo Moro pour maintenir la stabilité politique en Italie ». « J'ai instrumentalisé les Brigades rouges pour tuer Moro », ajoute-t-il. Un peu plus tard, dans le même documentaire, Francesco Cossiga, ministre de l'Intérieur de l'époque, confirme cette version des faits17. C'est aussi la conclusion à laquelle était arrivé le journaliste d'investigation américain Webster G. Tarpley en 1978. Ces conclusions sont également corroborées par les témoignages du député et secrétaire d'État italien Elio Rosati, très proche collaborateur et ami d'Aldo Moro."





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Le Conseil d'Egypte

Drôle de bouquin.

Ça commence de façon gaie, primesautière, avec cette histoire fabuleuse et authentique d'un faussaire Sicilien, un moine du XVIIIe siècle qui a fabriqué et traduit un faux ouvrage datant de l’occupation musulmane en Sicile. À une époque où les idées des Lumières sont arrivées jusqu'en Sicile, créant sympathies et réaction au sein de l’aristocratie locale. Évidemment, Leonardo Sciascia en rajoute, s'amuse, nous amuse.

Et puis, en chemin, ça se perd et ça devient dur et amer. Comme si le côté tragique de la Sicile rattrapait cette belle histoire et l'entraînait du côté obscur. C’est probablement l’intention de l’auteur. Mais j’ai trouvé que ce désenchantement atteignait aussi le lecteur, et rend finalement le livre un peu décevant.

Reste que la première partie vaut largement cinq étoiles, et comme le tout est relativement court, ça en fait une lecture très recommandable.
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Le contexte

Si on commence à trucider des magistrats (presque en série), c'est que l'heure est grave, même à un endroit où règne une organisation appelée Mafia et où les excès de violence sont plus fréquents que chez nous - Grazie a Dio ! le ministre de la sécurité charge l'inspecteur Amerigo Rogas de mettre illico presto fin à ce carnage insolite, tout en spécifiant qu'il ne s'agit pas de se montrer trop pointilleux sur les méthodes employées, pourvu qu'à travers la magistrature le régime ne soit pas éclaboussé.



Les cinéphiles parmi vous ont probablement vu le film que le régisseur Francesco Rossi a tiré de ce livre, sous le titre "Cadavres exquis", en 1976, avec Lino Ventura dans le rôle de l'inspecteur Rogas, avec à ses côtés Marcel Bozzuffi et étrangement l'acteur suédois Max von Sydow, immortel depuis sa performance dans "Le Septième sceau" d'Ingmar Bergman.



Attention ! "Le contexte" est beaucoup plus qu'un vulgaire polar, son auteur, Leonardo Sciascia, beaucoup plus qu'un scribouillard de romans noirs et le contexte se réfère à la période qualifiée de "les années de plomb". Trois raisons donc de ne pas vous contenter uniquement du film, malgré la prestation admirable de Lino Ventura.



Car :

1) Cet ouvrage est avant tout une analyse des moeurs politiques et par extension une étude de société.

2) L'auteur, Leonardo Sciascia (1921-1989), était un essayiste, écrivain, journaliste et homme politique d'origine sicilienne.

3) Les années de plomb désignent la période de violence, après 1968, provenant des groupes d'extrême gauche et droite, surtout en Allemagne avec la Fraction armée rouge ("Rote Armee Fraktion" ou RAF) ou le groupe Baader-Meinhof et en Italie les Brigades rouges ("Brigate Rosse") avec comme point culminant l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro, ancien Premier ministre et président du parti Démocratie chrétienne, en 1978.



Ce qui ne veut pas dire qu'on a à faire à un essai rasoir, puisque après tout, en très peu de temps, un procureur et 4 juges sont brutalement abattus d'un coup de revolver en plein coeur et qu'Amerigo Rogas mène bel et bien son enquête, quand bien même selon sa façon personnelle, assurément peu orthodoxe.

Notre inspecteur est persuadé que cette mini-hécatombe porte le signe de la vengeance et se met à éplucher les dossiers du tribunal pour trouver la personne qui pourrait avoir des motifs pour se venger contre ces magistrats. Lorsqu'un 6ème magistrat est assassiné à Rome cependant, en haut-lieu on le rappelle à l'ordre, lui faisant comprendre qu'il perd son temps et qu'il ferait mieux de concentrer ses recherches sur les groupes d'extrême gauche.



Qui a raison ? À vous de le découvrir, chers amis lecteurs, en lisant ce bref roman de Leonardo Scascia, de seulement 133 pages.



Leonardo Sciascia est un homme pour qui j'ai eu beaucoup de respect. Lorsqu'il était membre du Parlement européen (de1979 à 1983), j'ai eu la bonne chance d'avoir 3 ou 4 "bavardages" avec lui et j'ai été impressionné par sa vaste culture : surtout sa connaissance de la littérature classique française était particulièrement étendue. Aussi dans "Le contexte", il ne peut s'empêcher de se référer à Montaigne, Pascal et Stendhal. Poète à ses heures, dans cet ouvrage vous trouverez également un poème de lui de 4 pages. Tel que j'ai pu l'observer, c'était un homme ouvert, pondéré et d'un calme qui faisait penser au flegme britannique. Un Méridional qui choisissait ces mots avec soin, sans gestuelle. Je dois admettre que j'utilisais plus mes mains pour m'expliquer que ce grand Sicilien.



Toute sa vie, il a été fort préoccupé des moeurs politiques et de la violence dans son pays et son île. Pas étonnant, dès lors, qu'il ait siégé dans la commission d'enquête parlementaire sur l'assassinat d'Aldo Moro. Ses inquiétudes se retrouvent aussi reflétées dans beaucoup de ses oeuvres. Cela est notamment le cas de "Actes relatifs à la mort de Raymond Roussel", "À chacun son dû" et bien sûr " L'Affaire Moro".



Comme grand admirateur de la littérature française, il a insisté pour que sur son tombeau soit gravée une phrase de Villiers de l'Isle-Adam : "Nous nous souviendrons de cette planète".



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La mer couleur de vin

La Sicile est une ile fascinante,beni des Dieux pour sa richesse,ses paysages, sa cuisine, son passé archéologique,mais confrontée à un grand dilemne, celui de la mafia, qui gère méme les petits affaires de la vie courante.

Dans ce recueil de treize récits,écrits entre 1959-1972, à l'exception d'un (Processo per violenza), Sciascia ,l'enfant du pays raconte avec sa prose magique,maniant l'ironie a l'extrême ,son ile et ses personnages,alternant les genres,faits divers,policier,récit historique..L'imposture des pouvoirs établis: la mafia, l'église, les partis clientélistes,les intérêts privés, sont au coeur de ces nouvelles.

Une controverse truculente entre un syndicaliste communiste et sa femme profondément catho (La rimozione/L'enlèvement ) / discussion encore plus truculente entre deux mafiosos,l'un devant se présenter devant le juge ,l'autre lui apprend dans le dictionnaire ,les différentes définitions du mot "mafia",afin qu'il puisse se défendre(La filologia) / des paysans qui se saignent à mort pour se payer leurs traversées pour "Nuovaiorche" et se retrouve à.....(Il lungo viaggio)/ un voyage en train d'un ingénieur de Rome a Agrigento, avec une famille avec deux bambins gâtés ,mal élevés ,dont l'un fait le sel du récit (La mer couleur de vin)...je ne vais pas tous les résumer,Sciascia est un conteur hors-pair, ces récits sont un grand bonheur de lecture,j'ai adoré! Pour qui ne connait pas encore son œuvre un excellent livre pour s'initier!
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La tante d'Amérique

Je découvre Leonardo Sciascia, le grand écrivain sicilien (1921-1989) avec ce récit.

La tante d'Amérique est l'une des quatre nouvelles du recueil Les oncles de Sicile paru en 1960. Tous les récits ont pour toile de fond les grands problèmes sociaux et politiques de la Sicile de 1848 à 1948. Les « oncles » sont des incarnations du pouvoir.

Eté 1943. le narrateur est un jeune garçon dégourdi qui vit dans une bourgade sicilienne. Avec son copain Filippo ils attendent avec impatience Les Américains. Pour se consoler des fausses arrivées, ils vont à la campagne par les chemins de chèvres que ne bloquent pas les miliciens. Ils maraudent des amandes et des prunelles encore acides et les donnent aux soldats. En échange, ils reçoivent des cigarettes de troupe qu'ils revendent aux hommes du village. L'oncle du petit est complètement accro, il fume de tout y compris le foin des artichauts. le petit fixe le prix, demande un acompte et dépense tout illico pour que son oncle ne récupère pas les piécettes sous le lit. Avec l'argent, il va au cinéma avec Filippo et crache depuis le poulailler sur certains adultes. le père de Filippo est menuisier, il a été socialiste, on le convoque souvent à la caserne et on le garde quelques jours. C'est pour cette raison que Filippo crache sur les « salauds » et attend les Américains. le petit narrateur lui a une tante en Amérique. La soeur de sa mère. Elle tient un store à Brucchilin rempli à ras bord de bonnes choses, de vêtements, de morceaux de viande et tout…



L'écriture de Sciascia est colorée, plaisante, pleine de verve, d'ironie légère et d'émotion. Elle raconte à travers les yeux d'un enfant le vécu d'un peuple et les enjeux politiques. La famille de Filippo est engagée, celle du narrateur est prudente, fasciste par habitude ou par peur des communistes. L'oncle est le seul qui soit fasciste par conviction. le petit découvrira l'Amérique généreuse et travailleuse à travers Toni, un soldat d'origine calabraise ; puis la fameuse tante, émigrée à Brucchilin depuis 1919 ; puis la fille délurée de cette dernière. Il est question en arrière-plan d'un épisode historique que j'ignorais. A la libération, on discuta sérieusement d'un possible rattachement de la Sicile aux États-Unis, ce qui arrangeait les militaires et la mafia. Mais un des indépendantistes les plus connus, Giuliano, en collusion avec la mafia, fut l'auteur de plusieurs attentats et le projet d'un 49ème état sicilien fut abandonné. Cependant les Américains essayèrent d'influer sur les votes siciliens. Dans la nouvelle, les lettres des cousins d'Amérique incitent à ne pas voter communiste sous peine de ne plus recevoir de colis.

C'est sûr, je lirai d'autres Sciascia.

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Petites chroniques

La 4ème de couverture signée de l'auteur donne une idée précise de ce recueil dans lequel le lecteur éprouvera du plaisir à se perdre.

« Les petits faits vrais du passé, ceux que les chroniqueurs relatent avec imprécision ou réticence, et que négligent les historiens, ouvrent parfois dans mon temps, dans mes journées, quelque chose qui s'apparente à des vacances. Je veux dire qu'ils deviennent repos et divertissement, comme la lecture d'un livre d'aventures ou d'un policier… »

10 contes dont le dernier, Borges l'inexistant attire l'attention.

La nouvelle fait référence à l'article de la revue argentine Cabildo, affirmant que Borges n'existe pas et serait une invention de plusieurs auteurs dont Bioy Casares et Manuel Mujica Lainez.

Le non voyant de Buenos Aires qualifié de « théologien athée » qui fait « confluer la théologie dans l'esthétique » qui affirme « ce n'est pas Dieu qui a créé le monde : ce sont les livres qui le créent. » ; qui « fait de l'Ajar sans le savoir »

Quel plaisir de lire, pour les fans irréductibles de l'Argentin, des concepts tels que « le point de soudure de la circularité borgesienne » ou encore « la nouvelle de l'inexistence de Borges est une invention qui se situe dans l'ordre des inventions de Borges »

Qu'importe au fond que Borges existe ou pas, dès lors que je peux lire ses livres ?

La 4ème de couverture est l'incipit de la nouvelle Mata Hari à Palerme, autre curiosité du recueil.

La question se pose de savoir pourquoi la danseuse incarnée à l'écran par Greta Garbo, après s'être produit à Paris aux Folies Bergères se retrouve au Trianon de Palerme où elle monte sur scène deux fois par jour.

Ce que retient Sciascia, ce sont les articles trompeurs et bourrés d'erreur de la presse locale. On retiendra que « le public l'a longuement applaudie (…) » et dès la deuxième représentation « (…) l'art de la belle danseuse sera mieux compris et apprécié dans toutes ses finesses. »

Le lien entre Borges et Mata Hari est évident, peu importe qu'ils existent ou non ; si je peux lire de l'un les ouvrages et de l'autre lire dans la presse que « Puccini en est un fervent admirateur… »

A suivre….

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Actes relatifs à la mort de Raymond Roussel

Leonardo Sciascia (1921-1989) l'auteur du Jour de la Chouette a écrit ce petit ouvrage inclassable en 1971.

Au matin du 14 juillet 1933, le corps sans vie de l'écrivain Raymond Roussel, 56 ans, est découvert à Palerme dans la chambre 224 du Grand Hôtel et des Palmes, où il logeait depuis plus d'un mois. L'enquête ne dure pas plus d'une journée et conclut à une mort naturelle par intoxication : “que M. Rous­sel de nature neu­ras­thé­nique s'était sui­cidé par excès de bar­bi­tu­riques dans la nuit du 13 au 14 juillet”. En 1971, Leonardo Sciascia décide de rouvrir le dossier. Il épluche scrupuleusement tous les rapports officiels et pointe les incohérences , les manques, les témoignages douteux du personnel et des proches, la disparitions du chauffeur (sans doute son amant). Il dresse la liste impressionnante de touts les médicaments qu'il ingurgitait. Sciascia écarte, de manière surprenante, la thèse du suicide.« Ce soir-là, Roussel ne voulait pas mourir ; il voulait, pensons-nous, uniquement dormir. » Est-ce un accident ou l'a-t-on aidé à mourir ? A qui profite sa mort ?



Ce qui est sûr c'est que l'enquête a été bâclée. Nous sommes à l'apogée du fascisme. Ils n'ont que faire d'un dandy homosexuel excentrique, idôlatré par les surréalistes parisiens. La mort de Roussel n'en déplaise aux Rousseliens, est sordide. Il est mort seul dans une chambre d'hôtel, tandis que deux célébrations festives avaient lieu, l'une en l'honneur de Santa Rosalia à Palerme et l'autre dans toute l'Italie pour célébrer la traversée de l'Atlantique de Balbo. Sans compter évidemment l'anniversaire de la prise de la Bastille. Roussel rêvait de gloire littéraire et il est mort seul. Pendant près de quarante ans, nombre d'idolâtres ce sont penchés sur son oeuvre culte, mais l'homme a été oublié. L'écriture minutieuse et la tenacité de Sciascia sont le plus bel hommage qu'on pouvait rendre à Raymond Roussel. Roussel écrivait des histoires à double sens (Lire la Doublure disponible sur Wikisource) : on lit une histoire très simple et on s'aperçoit qu'il y en a une autre sous-jacente. Sciascia a fait la même chose avec l'enquête officielle. Il fait apparaître une autre réalité possible en filigranes. Il écarte la thèse simple du suicide, malgré des évidences, pour entrouvrir une autre possibilité, plus complexe.

En fait cette chronique judiciaire finit où commencerait un roman policier. Mais Sciascia évite de dire ce qui aurait pu se passer si ces pistes avaient été scrupuleusement suivies par la police. C'est au lecteur de le faire.
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La mer couleur de vin

«  Le premier dictionnaire sicilien , en 1868 dit qu’en Toscane le mot MAFFIA signifie misère « La vraie misère est de se croire un homme supérieur par la seule force brute , qui ne démontre qu’une grande sauvagerie , et de n’être donc qu’un grand imbécile . » Cela te plait ? » .



«  Je vous laisse tomber , puisque toi et ceux qui pensent comme toi, vous avez la science du portefeuille , du fusil à deux coups et des automobiles bourrées de dynamite » .

Deux extraits significatifs d’une des treize nouvelles —— récits écrits entre 1959 et 1972, celle- ci nommée «  Philologie » ,une sorte de discussion philosophique sur l’origine du mot mafia goûteuse et des plus intéressantes , révélatrice , récits nous dit l’auteur qui , «  entre le premier et le dernier, se dessine une ligne circulaire qui n’est pas celle du chien. qui se mord la queue » .



À travers une prose éblouissante aux accents cyniques, ironiques , parfois drôles , le lecteur découvre l’humour féroce de l’auteur, au cœur de cette île chaude , aux paysages splendides , confrontée à cette mafia qui lui fait de l’ombre :

L’histoire de monsieur l’ingénieur : «  La mer couleur de vin », qui se rendait pour la première fois en Sicile, il voyage auprès de Luigi et Emanuele , les parents de deux enfants mal élevés : Lulu et Nené le plus petit .

Sur le point de se quitter les salutations durèrent longtemps …..subir cette famille et les quitter avec regret …..

«  Qui est rassasié ne croit pas ceux qui ont faim » .

Ou encore cette nouvelle la plus drôle : la discussion animée entre un syndicaliste communiste et son épouse toute dévouée au catholicisme …



Le mirage d’un voyage organisé par un passeur sans aucun scrupule, il monnaie très cher ses services afin d’organiser un voyage en Amérique…

Ou «  L’examen » dont la conclusion décrit le sauvetage d’une candidate à l’émigration vers la Suisse , organisée par mr Blaser , par son fiancé …

Je ne peux les décrire toutes , ma critique serait trop longue .



L’auteur balaie nombre de thèmes qui lui sont chers : dénonciation de la mafia, de la corruption , poids de la société et des traditions siciliennes , préjugés , importance incroyable de la religion, exploitation de la main d’œuvre immigrée en proie à l’exil et à la pauvreté !

Il décrit avec talent le cœur battant de La Sicile et ses facettes les plus significatives , se révèle un grand témoin pertinent , convaincant de la réalité de cette île ensoleillée.

Il maîtrise parfaitement l’art délicat de la nouvelle .

Lu avec beaucoup de plaisir .

Oui, des histoires ironiques plaisantes , significatives, maîtrisées , témoins de cette Sicile si mystérieuse au fond !

Merci Idil !

«  Mais la vie tourmentée , opprimée ,

De ce Grand Homme infortuné,

Trouvait le réconfort de furtives tendresses ,

Le malheureux abandonnait son cœur à l’espérance ,

Un feu le consumait en l’exaltant ,

Son soupir était celui d’un homme ,

Dont la douleur est l’aiment

Quand le console une larme d’amour ,

Une céleste pitié , un cœur gentil ,

Eléonora….

Poème sur Le Tasse extrait de la nouvelle : Réversibilité .p17 .

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Todo modo

Erudit, élégant, sagace, spirituel que souhaiter de plus d'un écrivain ? Qu'il remue mon cerveau reptilien, lâche mon vieux cortex et me raconte une histoire. Sciasia plaque ses formules brillantes dans la bouche de tous ses protagonistes. Il les fait dialoguer sur des questions hautement morales, philosophiques et sociales avec un goût du paradoxe qui garantit à ses vues, vieilles de quarante ans, de rester jeunes et fraîches. Mais comme il me prend pour ce que je suis, sagace comme il est, il se dit « je sens qu'il décroche, vite (tout est relatif, après 80 pages) faut que je lui narre quelque chose à mon lecteur adoré ». Comme quoi par exemple ? Allez un machin surnaturel genre démoniaque ou euh un truc qui marche à tous les coups, par exemple une enquête sur un meurtre ! Génial ! Il m'inflige une version Z d'Agatha Christie, - "Si on avait continué à rester tous ici, dit le procureur chargé de l'enquête, ça aurait fini comme dans le roman d'Agatha Christie: tous tués l'un après l'autre (p.180)" -, un whodunnit où se croisent des personnages aux contours flousailleux , alors même qu'aucun des caractères ne m'importe - à lui non plus d'ailleurs, sauf le narrateur, évidemment - et que lui-même se fout complètement de cette enquête qu'il raconte avec un sens du suspense digne de Rudolf Carnap* . Des meurtres en carton, un corniaud d'enquêteur, des indices et des déductions de Cluedo, tout ça pour avoir droit à la prochaine saillie subtile de Sciascia. le livre, malgré sa pagination faible, devient interminable.



*Rudolf Carnap est l'auteur de "Logique inductive et probabilité", "Testabilité et signification" ou encore de "Signification et nécessité".

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A chacun son dû

J'ai peu lu finalement, les grands auteurs italiens. de Sciascia, j'avais bien aimé les nouvelles de « La mer couleur de vin ». J'avais beaucoup apprécié les adaptations cinéma de ses romans par Francesco Rosi ou Elio Petri. Mais « A chacun son dû » restait une découverte tant littéraire que cinéma. J'ai tout de suite été plongé dans les turpitudes des habitants d'un village de Sicile. Imaginant parfaitement Gian Maria Volonté dans le rôle principal. Sous la forme d'une intrigue policière, l'auteur nous montre les dévoiements, la méchanceté, les rancunes tenaces des notables du village mais également de toute la classe politique italienne de droite comme de gauche, au vu et au su de tout le monde. L'Église et la maffia viennent s'y superposer. On n'a aucune difficulté à s'identifier au pauvre professeur Laurana qui essai de mener sa propre enquête personnelle. Sciascia dénonce, sous un style ironique et cynique plus qu'humoristique toute cette gabegie. Pour moi cette intrigue, bien que située dans le contexte des années 60, trouve certainement un écho dans la politique italienne actuelle et reste donc parfaitement d'actualité. A redécouvrir.
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Une histoire simple

c’est la Première fois que je lis un livre de cet auteur.

Ce livre a été traduit par Mario Fusco. Encore une fois , je veux sonder les possibilités qui restent à la justice. Le coup de fil arriva à 21h37, le soir du 18 Mars, la veille de la fête rutilante et sonore que la ville consacrait à saint Joseph.
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Le jour de la chouette

Quel beau montage !

Et nécessaire... (Question politique ; de vie ou de mort)

Tout est suggéré, en même temps tout est clair et net, bien ciselé

Le roman policier, à ce niveau de manipulation, c'est du théâtre ; une scène pour nous faire voir ce qui se trame malgré nous (ou à partir de nous) dans le discours silencieux de la peur

C'est également un concentré de langage cinématographique où la mafia est montrée pour ce qu'elle est, une organisation ; c'est-à-dire quelque chose se rapportant essentiellement au mystère, dans son existence même

Avec grand style et sans fioritures, l'auteur laisse entendre au lecteur ce que cela veut dire d'attirance suspecte et de danger véritable pour chaque témoin, chaque participant, chaque acteur du drame qui se joue sous nos yeux
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Oeil de chèvre

C'est toute la Sicile qui défile au cours des entrées de ce dictionnaire des expressions siciliennes. Une Sicile oubliée dont on découvre des traditions ancestrales, souvent très imagées. Parfois ces locutions sont uniquement employées dans certaines localités, comme celle de Racalmuto, village de Sciascia. C'est aussi toute son enfance que l'écrivain expose au lecteur à travers ses recherches étymologiques. Lorque l'on commence la lecture, on est tout d'abord un peu surpris de ce choix alphabétique mais, en le parcourant, on s'immerge vraiment dans ce milieu paysan de la Sicile profonde, aussi bien que pourrait le faire un roman. Chaque locution est explicitée en détail et replacée dans son contexte. On n'est finalement pas très loin des nouvelles de « La mer couleur de vin ».

Je connais très peu cette région de l'Italie, n'y ayant fait qu'un bref passage, dans les années 80, une brève nuit dans l'attente du ferry pour la Tunisie le lendemain matin à l'aube. Pourtant j'en garde un souvenir fugace. C'était à Trapani à l'extrême pointe occidentale de l'île. Attablé à une terrasse du petit hôtel le soir de mon arrivée, dans une ambiance quasiment nord-africaine, au bout du bout de l’Italie. Ce petit port avait une allure complètement différente de l'Italie du Nord d'où je venais. Et, à travers le texte de Sciascia, où l'on trouve plusieurs références à Pirandello, me revient en tête un souvenir de mon passage lié aux « Nouvelles pour une année », interprétées par Vittorio Gassman et sa troupe lors d'un spectacle. Je retrouvais, ce soir là à Trapani tout cet univers sicilien un peu suranné, comme quelque chose d’irréel, tout comme la traversée du détroit de Messine en train dans le ferry que l'on retrouve dans « La mer couleur de vin ». J'ai toujours beaucoup de difficulté à ne pas lier un livre à un contexte, un souvenir. Comme Pirandello, Sciascia nous immerge dans son univers sicilien, d'où l'on a parfois du mal à s'extirper. Un livre que je conseille à tous les amateurs d'Italie et de littérature italienne.
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