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Jacques de Pressac (Traducteur)Mario Fusco (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070425303
272 pages
Gallimard (21/06/2003)
3.57/5   38 notes
Résumé :

Le Conseil d'Egypte retrace l'histoire d'une incroyable imposture à la cour de Palerme en 1783. Le vice-roi de Sicile est alors pris entre deux feux : d'un côté la noblesse tente d'assurer la pérennité de ses privilèges et de l'autre de jeunes libéraux souhaitent voir triompher leurs aspirations égalitaires. Entre les mille intrigues, calculs, trahisons qui secouent la cour, il en est une étonnante: celle que f... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Un tres bon cru de Sciascia. Un roman historique, avec l'accent sur "roman". de la pure fiction, donc quelque chose de tres different de "Mort de l'inquisiteur", ou Sciascia s'etait essaye a romancer et donner vie a de vrais documents d'archives. Mais son esprit caustique y apparait de facon tout aussi virulente et c'est peut-etre encore plus subversif vu que c'est plus agreable a lire.


J'ai l'impression qu'on a l'habitude de cataloguer Sciascia comme auteur de romans policiers. Moi je prefere l'apparenter a un espace plutot qu'a un genre litteraire: la Sicile. Et la il est bien entoure: Lampedusa, Pirandello, Camilleri… Et quant a sa position envers la societe de son temps (ou du notre, une seule generation nous separant de sa mort) je souscris a un signalement lu je ne sais plus ou: un voltairien a la cour de la Cosa Nostra.


Ici il nous promene dans la Palerme de la fin du 18e siècle. Un abbe falsifie un manuscript arabe, une vie du Prophete sans interet particulier, et le transforme en une ancienne histoire de la Sicile maure. Ca fait beaucoup de bruit et lui vaut beaucoup d'honneurs. Il pousse alors la supercherie et invente de toutes pieces un nouveau manuscript, intitule "L'archive d'Egypte" (ou "Le conseil d'Egypte", le titre du livre changeant selon les pays et les differentes editions), qui prouverait que les terres que possedent les nobles du cru auraient ete expropriees illegalement. C'est la panique dans la haute societe sicilienne, d'ores et déjà ebranlee par les ambitions renovatrices de la monarchie napolitaine, qui regne alors sur l'ile. Pour comble, surgit alors un avocat saoul des idees des lumieres (des francais qui foutent la merde partout), qui tente une revolution – ratee.



On percoit la, sous la trame historico-policiere, quelques themes recurrents dans l'oeuvre de Sciascia: la critique du pouvoir absolu, du fanatisme, la reflexion sur les structures sociales et l'origine du "mal sicilien", l'opposition constante entre forces modernisatrices et conservatrices. Mais Sciascia ne fait pas dans l'indoctrination. Il permet une lecture ouverte a toutes les interpretations. Sa reflexion permet la notre. L'abbe imposteur (un humaniste de genie, en fait), est-il un vulgaire delinquant ou un revolutionnaire subversif? Et a l'oppose, l'avocat qui tente un coup d'etat, n'est-il pas une girouette, se laissant porter par des modes passageres? Comme ce livre est avant tout un roman, c'est avec grand plaisir que nous suivons le regard ironique, lucide, desabuse et malgre tout bienveillant, que l'auteur jette sur la nature et les contradictions des hommes.


Sciascia est un mage, un enchanteur. Ce livre a du piquant. Lecture recommandee donc.


P.S. Apres avoir poste ce billet, j'ai lu ceux d'autres babeliotes. Je n'en ai apprecie aucun. Je n'aime pas les membres qui ont moins de critiques appreciees que de critiques qu'ils ont eux postees. Pourquoi lire ceux qui ne lisent pas les autres? Pourquoi apprecier leurs ecrits? Babelio est un lieu d'echanges. On peut verifier ce que veut dire echange dans tout dictionnaire.
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Drôle de bouquin.
Ça commence de façon gaie, primesautière, avec cette histoire fabuleuse et authentique d'un faussaire Sicilien, un moine du XVIIIe siècle qui a fabriqué et traduit un faux ouvrage datant de l'occupation musulmane en Sicile. À une époque où les idées des Lumières sont arrivées jusqu'en Sicile, créant sympathies et réaction au sein de l'aristocratie locale. Évidemment, Leonardo Sciascia en rajoute, s'amuse, nous amuse.
Et puis, en chemin, ça se perd et ça devient dur et amer. Comme si le côté tragique de la Sicile rattrapait cette belle histoire et l'entraînait du côté obscur. C'est probablement l'intention de l'auteur. Mais j'ai trouvé que ce désenchantement atteignait aussi le lecteur, et rend finalement le livre un peu décevant.
Reste que la première partie vaut largement cinq étoiles, et comme le tout est relativement court, ça en fait une lecture très recommandable.
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Palerme, à la fin du 18ème siècle. Tandis que les idées de liberté et d'égalité traversent l'Europe des Lumieres, la Sicile connaît une agitation tant sociale qu'intellectuelle. En effet, dans le couvent de San Martino, un vieux manuscrit arabe a été retrouvé. Mgr Airoldi prend les services du chanoine Vella, un religieux maltais qui vit de numérologie, pour le traduire. Sentant qu'il tient là une occasion d'être bien vu par le pouvoir royal, et donc d'être, éventuellement, pourvu d'une abbaye, Vella va faire oeuvre tant de création que d'imposture. le code de San Martino est en réalité une vie de Mahomet ; Vella en fait une histoire de la Sicile. Porté par son succès, il imagine le Conseil d'Egypte. Ce récit, fait supposément par les Arabes démis de leur mainmise sur l'île par les Normands, démontre la vacuité des prétentions de la noblesse et l'originelle toute-puissance royale. le livre agite fortement la société aristocratique sicilienne mais, sous la vice-royauté de Caracciolo, personne n'ose alors élever haut la voix.

Si la deuxième partie, très courte, est consacrée à une lettre de Vella au roi Ferdinand, la troisième prend pour personnage principal l'avocat Di Blasi. En effet, Vella, une fois son oeuvre terminée, retourne à son confort qu'il a cherché et obtenu. Di Blasi, donc, se retrouve bientôt au centre d'un complot visant à instaurer un régime républicain égalitaire. En cela, le Conseil d'Egypte représente une justification des abus de la noblesse sicilienne. Di Blasi est cependant bientôt arrêté. Avec un nouveau vice-roi, favorable à l'aristocratie, le vent a clairement tourné. Les sirènes égalitaires venues de la Révolution francaise se heurtent à l'hermétisme de la société sicilienne. Il faut dire que les idées françaises ont contre elles le souvenir des Angevins au Moyen Âge. Et tandis que Di Blasi est affreusement torturé et condamné à mort, chacun se démarque ostensiblement de Vella et de di Blasi.

Roman historique, le Conseil d'Egypte ne l'est pas seulement. C'est aussi une étude de moeurs : celle de la noblesse sicilienne, un peu comme ce qu'a fait Tommasi di Lampedusa dans le Guépard. Dans ce contexte d'Europe des Lumières, on voit s'affronter les forces libérales et les forces conservatrices, partisanes d'un immobilisme séculaire.

Il y a là aussi, de la part de Sciascia, une réflexion sur L Histoire et sur la façon dont on l'écrit. Si le Conseil d'Egypte suscite tant d'attentes et, finalement, tant de haine (le sort réservé à Di Blasi révèle la peur du camp aristocratique), c'est bien que le pouvoir des nobles est une fiction. L'Histoire porte en elle le statut de vérité qui justifie cette fiction sociale du pouvoir. Mais, en tant qu'écrit de la main de l'homme, L Histoire ne peut endosser cette fonction. Paradoxalement, c'est bien la fiction, ici, qui dicte le jeu : fiction sociale du pouvoir nobiliaire qui a pourtant une réalité matérielle et sociétale ; fiction littéraire du Conseil de Sicile et du Conseil d'Egypte qui légitime puis brise net la révolution de di Blasi. Peut-être plus encore que la fiction, c'est la notion d'imposture qui est interrogée ici. Chacun des personnages porte en lui une imposture : celle du copieur pour Vella, celle de l'autorité morale pour Airoldi, celle de l'autorité politique pour le vice-roi Caracciolo, celle du bon goût, de l'honneur, de la vertu pour tous ces messieurs et mesdames de la cour palermitaine. Et si l'on tremble de dégoût face au sort réservé au pauvre Di Blasi, ne doit-on pas reconnaître en lui l'imposteur de l'égalité ? Car, s'en faisant le chantre, il entraîne avec, et surtout derrière lui, puisqu'il est le meneur, d'autres gentilshommes dans sa chute.

On aurait tort cependant de faire du roman de Sciascia une oeuvre purement universaliste. Fondamentalement, c'est de sa Sicile dont parle l'auteur. Il en dresse une histoire pessimiste. L'île est gangrénée par les possessions foncières d'une caste et nul, de l'extérieur, ne peut l'aider. Quant à ceux de l'intérieur, qui voudraient faire suivre à la Sicile un autre chemin, ils sont bien vite condamnés. Sciascia n'écrit donc pas seulement sur le pouvoir, sur la légitimation de celui-ci, sur la capacité de l'homme à mettre par écrit ce qui fonde le pouvoir ; il peint aussi le sombre tableau de la nature profonde de son pays.
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Le Conseil d'Égypte commence avec l'humble Don Giuseppe Vella appelé à ses fonctions lorsque l'ambassadeur du Maroc à Naples fait naufrage en Sicile sur le chemin du retour, en 1782. Il est le seul qui parle un peu l'arabe – en fait pas vraiment bien, mais c'est un dissimulateur né. Vella agit comme traducteur et guide et il propose ses services lorsque l'ambassadeur est consulté au sujet d'un texte arabe dans un monastère local. L'ambassadeur passe rapidement "Simplement une vie du Prophète. Une parmi tant d'autres", mais Vella ne traduit pas, il affirme que l'ambassadeur a reconnu un codex rare qui traite de la conquête arabe de la Sicile.
Après le départ de l'ambassadeur, Vella s'assure un nouveau poste agréable, et une maison qui l'est tout autant. Mais, comme l'explique un expert il est à la fois non crédible et crédible: 'comment un tel homme peut-il fabriquer à partir de rien toute une période historique que , moi, je suis compétent pour vérifier ? [...] Vella connaît l'arabe. Et je vous dirai encore une chose : il ne connaît que l'arabe ; dans notre propre langue, il ne peut même pas composer une lettre.'
Mais il est assez d'intelligent et prêt à travailler pour établir/inventer une traduction convaincante - une oeuvre entièrement nouvelle, : "avec beaucoup d'habileté et d'art, le Codex arabe de San Martino avait été entièrement corrompu". Et tous sont plus que disposés à se laisser convaincre par la fraude.
Profitant de son succès, Vella a de plus grandes ambitions : faire un conseil d'Égypte à partir d'un autre manuscrit arabe, pour faire suite à ce Conseil de Sicile.
Des doutes subsistent et refont surface. Vella se débrouille bien lorsqu'il affronte l'un de ceux qui sont appelés à inspecter son travail.
Vella est l'anti-héros comique du roman, mais une autre figure joue également un rôle de premier plan, l'avocat Di Blasi. C'est celui-ci qui résume le mieux non seulement les torrents d'invention de Vella, mais aussi la situation sicilienne alors que la Révolution française est aux portes du pays.
Et voila notre Sciascia qui rebondit sur son propre roman: chaque société produit le type particulier d'imposture qui lui convient le mieux. Notre société est une escroquerie, une plaisanterie, une escroquerie judiciaire, littéraire, humaine, oui, humaine aussi, car elle est une escroquerie dans son essence même. Notre société produit, tout simplement et naturellement, une escroquerie à rebours.
le Conseil d'Égypte passe du sournois et parfois largement comique – les bouffonneries de Vella sont très amusantes – au destin plutôt plus sombre auquel Di Blasi est finalement confronté. L'histoire se déplace parfois de manière intermittente et peut sembler encombrée d'une confusion de noms (aucune importance : Vella ne prend même jamais la peine d'apprendre le nom de l'ambassadeur, il se contente de lui en en attribuer un après coup).
Lire Sciascia, c'est remobiliser – de façon aussi distrayante que profonde – nos capacités d'écoeurement et d'indignation.
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Il existe plusieurs sortes d'impostures. Certaines riment avec créativité, imagination, sourire. D'autres, au contraire, charrient leur lot de souffrance, d'aliénation, de tragédie.
La tromperie qui consiste à inventer un splendide document historique trouble les esprits, mais, dans le fond, elle engendre beauté, imagination et contemplation. Ainsi, dans le « Conseil d'Egypte », roman de Leonardo Sciascia, l'Abbé Vella fabrique un manuscrit antique et le calligraphie dans un arabe ancien de son cru. Ce récit égratigne la légitimité des barons siciliens qui, en des temps reculés, se seraient lestement appropriés de quelques terres. Cette supercherie jette un froid sur la comédie sociale et mondaine, agaçant les égos des uns et dérangeant les intérêts des autres. Cependant rien de vital ou de pathologique n'est en jeu dans cette histoire de plagiat.
Par contre, l'autre imposture, dont traite ce roman, prend la forme d'un complot ourdi par Di Blasi, un grand avocat qui lutte pour la République dans ce Royaume de Sicile et qui entraîne à leur perte ses compagnons de combat. L'imposture vient de l'erreur, de l'illusion, de la mystification de ce en quoi on croit, de la supériorité du système de valeurs accordée à la fable politique à laquelle s'accrochait ce jacobin, désormais honni des nobles qui hier le reconnaissaient comme l'un des leurs.
L'ordre public est attaqué par l'acte de terrorisme que l'avocat Di Blasi avait planifié et raté de justesse. Mais, soudain, au fond du cachot, et en pensant à ses complices d'infortune horriblement torturés eux-aussi à cause de lui, c'est l'ordre de la vie tout court qui s'effondre. Son héroïsme est ravalé à une perte de conscience et de sens. La douleur de l'imposture vient des conséquences auxquelles son idéalisme justicier ne l'avait pas préparé. Di Blasi souffre du malheur qu'il a infligé à ceux qui ont partagé sa cause.
Pourtant, en forme de conclusion de ce beau livre, l'écrivain nous signifie que, plus tard, beaucoup plus tard, d'autres prendront finalement sa suite, à la fois pour chasser définitivement les rois de Sicile comme pour torturer savamment et à grande échelle des innocents plus au Nord de l'Europe.

© Patricia JARNIER- Tous droits réservés- 26 janvier 2013
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Le chant de ces marins qui dans leurs récits d'ivrognes ouvraient le monde comme un éventail : ils lui avaient révélé l'aventure immense et variée que les pays offrent à l'homme le plus misérable, et que c'est dans le continuel changement que réside pour le malheureux l'unique possibilité de cueillir les joies de la vie.
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En effet, expliquait l'avocat Di Blasi, toute société engendre le type d'imposture qui, pour ainsi dire, lui sied.
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Seules les choses imaginées sont belles et même le souvenir est imagination...
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Vidéo de Leonardo Sciascia
Le 1.10.2022, Hubert Prolongeau présentait “Actes relatifs à la mort de Raymond Roussel” de Leonardo Sciascia dans “Mauvais Genres” (France Culture).
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