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EAN : 9782246423638
144 pages
Grasset (16/01/2008)
3.77/5   22 notes
Résumé :
En 1978, Aldo Moro, président de la Démocratie Chrétienne, parti qui tient l’Italie d’une main de maître depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est enlevé à Rome et retrouvé assassiné cinquante-cinq jours plus tard dans le coffre d’une automobile. Cet événement suivi au jour le jour par les informations du monde entier a bouleversé l’Italie, l’Europe et le monde. Que voulaient les Brigades Rouges qui avaient enlevé Moro ? Quelle « spirale infernale » de terr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
De mes jeunes années où je lisais et traduisais l'italien comme s'il se fût agi du français, il me reste les souvenirs de quelques belles et grandes oeuvres et la rencontre d'auteurs marquants.
Parmi ces auteurs, Leonardo Sciascia occupe une place de premier plan.
De lui, j'ai dévoré - le contexte -, - le jour de la chouette -, - la disparition de Majorana -, - Les poignardeurs - et - L'affaire Moro -.
Cette "affaire" m'a bouleversé. J'avais vingt-cinq ans lorsque le Président du conseil de la Démocratie Chrétienne a été "prélevé" par un commando des Brigades Rouges au sortir de son domicile le 16 mars 1978 au matin.

Son chauffeur et les quatre gardes de son escorte ont été froidement abattus par les ravisseurs qui ont pris la fuite et séquestré pendant cinquante cinq jours Aldo Moro.
Comme tous mes contemporains européens de l'époque, j'ai suivi à la radio et à la télé le déroulement des faits, et dans ma mémoire s'est imprimée à jamais l'image terrible du pauvre corps recroquevillé de l'illustre otage, retrouvé criblé de douze balles dans la poitrine, enfermé dans le coffre d'une Renault 4L stationnée Via Caetani... à mi-chemin entre le siège national de la DC et celui du PC... le 9 mai 1978.
Entre le premier jour de son enlèvement et les jours qui suivirent, jusqu'à celui de l'horrible issue, des tas de questions ont germé dans mon esprit, dans celui de mes proches et de mes amis.
Le temps passant, le nombre de ces questions sans réponse(s) s'est accru, et lorsque Sciascia a écrit son essai-étude-analyse-enquête... je l'ai acheté et lu dans sa langue d'origine.
Ce livre m'avait ému, et plus de trente-cinq ans après sa parution, j'ai eu envie de le relire... cette fois en français.
L'émotion est intacte.
L'atmosphère de ces "années de plomb" qu'a connu l'Italie est toujours vivace... comme saigne encore le souvenir de la trahison, de la lâcheté, de l'hypocrisie, du mensonge, de l'abandon des noms de ceux qui lâchèrent et sacrifièrent Moro.
Parmi ces noms, on peut se souvenir d'un Andreotti, d'un Cossiga, d'un Craxi, d'un Paul VI, d'un Zaccagnini, d'un Piccoli, d'un Taviani et de beaucoup d'autres...
Ce qui émeut outre la démonstration par Sciascia de l'otage abandonné par les "siens", c'est l'impuissance absolue, le dénuement total de l'homme de pouvoir devenu, le temps d'un "prélèvement", une victime déchue, un être isolé, humilié et par ses bourreaux et par ses "amis" et par les médias et par une partie du popolo italiano "sous influence".
Cet homme qui côtoyait les grands de ce monde en est soudain extirpé, ostracisé, indexé, pour devenir une brebis galeuse voire un bouc émissaire.
Durant ses cinquante-cinq jours de captivité, Aldo Moro a écrit une centaine de lettres.
Toutes ne sont pas connues.
Parmi celles qui le sont, Sciascia cite les plus "célèbres" et les décortique pour en trouver le sens "caché", "crypté"... ou "dicté".
Avec Berlinguer, Moro était en train de réaliser ce qu'on appelle "le compromis historique"... un gouvernement d'union entre la DC et les communistes.
Ce rapprochement, cette alliance, cette union ne faisaient pas que des heureux, tant en Italie qu'à l'étranger ( en particulier en URSS et aux USA ).
Il déstabilisait aussi les Brigades Rouges.
Alors, Moro a-t-il été victime d'un complot ? ( mot à la mode aujourd'hui... mais qui dans son cas l'était déjà en 1978 )
Voici ce qu'en dit Philippe Foro historien, auteur lui aussi d'une - Affaire Moro -.
"Mais le président de la Démocratie chrétienne s'était aussi fait de nombreux adversaires parmi ceux qui condamnaient sa politique de +compromis historique+ avec le PCI, au sein de l'OTAN, des services secrets italiens, dans le monde politique...", précise l'universitaire.
Parmi les historiens et les témoins de l'époque, nombreux sont ceux qui estiment que tout n'a pas été fait pour retrouver Aldo Moro et le libérer. Et que l'Etat italien a fait le choix de le "sacrifier".
Certaines théories avancent ainsi l'hypothèse d'un rôle actif de l'URSS et des Etats-Unis, qui voyaient d'un mauvais oeil une alliance entre démocrates-chrétiens et communistes, en pleine Guerre froide.
"Pour les Etats-Unis, le poids du parti communiste dans le pays le plus important de la Méditerranée était inacceptable et les Soviétiques aussi voyaient une menace dans le +compromis historique+, dira dans une interview, en 2014, Ferdinando Imposimato, le juge qui instruisit le dossier Aldo Moro.
Décédée en 2010, Eleonora, la veuve d'Aldo Moro, n'a jamais pardonné aux dirigeants de la DC, parti se réclamant des valeurs chrétiennes mais qui avait refusé de sauver une vie au nom de la raison d'Etat.
Dans une lettre adressée le 8 avril 1978 à son épouse, Aldo Moro écrira: "Mon sang retombera sur eux".
Alors que l'Italie, pour la énième fois, peine à trouver une majorité pour gouverner après les législatives, le ministre de la Culture Dario Franceschini a évoqué mercredi la mémoire d'Aldo Moro, rappelant "qu'il avait convaincu les deux vainqueurs des élections, qui n'avait pourtant pas la majorité, à soutenir le gouvernement". Et que "ce qui valait pour les leaders d'hier vaut pour ceux d'aujourd'hui" afin de réécrire une bonne fois pour toutes les règles d'un système politique qui ne parvient pas à garantir la stabilité, a expliqué M. Franceschini (PD, centre-gauche)."
Quoi qu'il en ait été, - L'affaire Moro - est un tournant majeur dans l'histoire de l'Italie du XXème siècle, et continue de hanter celle du XXIème siècle.
Rien, je dis bien rien ne permet de penser qu'il y ait eu une envie réelle, traduite par des actes, de retrouver et de libérer l'otage de sa "prison du peuple".
Au contraire !
L'ouvrage de Sciascia, grand intellectuel, grand écrivain, a le mérite d'avoir été écrit sept ans après les faits.
Depuis... le mystère reste entier ou presque. Mais lire ce livre, c'est avoir envie d'en lire d'autres sur ce sujet.
Car Moro, comme tous les hommes injustement sacrifiés sur l'autel de "la raison d'État"... doit continuer à vivre dans nos consciences.
Nous le lui devons comme nous le devons à tous ceux dont on n'a pas le droit de dire qu'ils sont morts pour rien lorsque c'est tout le contraire qui a broyé leur existence.
Un livre relu avec plaisir et émotion.
"Il est néanmoins établi que le gouvernement italien, conseillé par des fonctionnaires américains, a délibérément fait échouer les négociations. Dans un documentaire d'Emmanuel Amara réalisé pour France 5, Les Derniers Jours d'Aldo Moro (2006), Steve Pieczenik, un ancien négociateur en chef américain16 ayant travaillé sous les ordres des secrétaires d'État Henry Kissinger, Cyrus Vance et James Baker, raconte comment il a participé au court-circuitage des négociations afin qu'elles n'aboutissent pas, avec comme recours éventuel de « sacrifier Aldo Moro pour maintenir la stabilité politique en Italie ». « J'ai instrumentalisé les Brigades rouges pour tuer Moro », ajoute-t-il. Un peu plus tard, dans le même documentaire, Francesco Cossiga, ministre de l'Intérieur de l'époque, confirme cette version des faits17. C'est aussi la conclusion à laquelle était arrivé le journaliste d'investigation américain Webster G. Tarpley en 1978. Ces conclusions sont également corroborées par les témoignages du député et secrétaire d'État italien Elio Rosati, très proche collaborateur et ami d'Aldo Moro."


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Cette étude traite des circonstances politiques qui permirent l'assassinat en mai 1978 d'Aldo Moro, président des Démocrates Chrétiens, par les Brigades Rouges.
Aldo Moro tenta de mettre en oeuvre le projet de rapprochement de son parti de centre gauche avec le Parti Communiste Italien, qui lui essayait de s'affranchir de l'emprise du Kremlin.
Ce projet dut mécontenter certains de ses "amis" politiques, tant le communisme était en grande détestation, ainsi que les administrations Carter et Brejnev. Les Brigades, elles, y voyaient probablement un renforcement de leur "ennemi bourgeois" par un Parti de gauche tiède à leur gré, le PCI, qui affaiblirait le poids de l'extrême gauche en Italie, et peut-être internationalement.
Aldo Moro fut enlevé le 16 mars 1978 alors qu'il se rendait au Conseil, les cinq membres de son service d'ordre furent abattus dans un attentat étonnant de précision et de professionnalisme ( c'est pourquoi certains accréditèrent le thèse d'une participation de la CIA, qui n'est pas évoquée ici).
Malgré les appels à effectuer un échange de prisonniers lancé par Moro depuis sa "prison populaire", la Démocratie-Chrétienne refusa de négocier, aux noms de la dignité et des grands principes de l'Etat, pourtant si souvent bafoués auparavant. Plus grave, elle chercha à discréditer la demande de l'otage en invoquant la pression irrésistible exercée sur lui par ses geôliers et, entre les lignes, sa peur, bien légitime, mais un peu lâche. Moro, lui, dans ses lettres adressées aux ministres et membres du parti démocrate, affirma avec force que les Brigades ne l'avaient pas soumis à un lavage de cerveau, et que la continuité de sa pensée politique demeurait : il rappela, à titre d'exemple, avoir participé à l'accord passé avec que les groupes palestiniens afin qu'ils puissent transiter par le territoire italien en échange de l'engagement à ne pas accomplir d'attentats sur son sol.
Comme on sait, le dénouement ne fut pas heureux et perturba durablement la vie politique italienne.
Leonardo Sciascia nous livre là un essai hybride à mi-chemin du livre historique et de l'essai littéraire, ce qui est un peu désorientant. Il évoque Pasolini, et surtout Borges dans des pages magistrales mais un rien ésotériques qui sembleraient pouvoir nuire à la rigueur de la démonstration. Heureusement il n'en est rien : la qualité littéraire n'enlève rien à la précision de l'analyse.

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Aldo Moro est un homme politique italien qui fut plusieurs fois président du Conseil des Ministres dans les années '60. Il fut assassiné le 9 mai 1978 par les Brigades rouges qui l'ont d'abord enlevé et séquestré avant de proposer une négociation avec le gouvernement italien : la libération de 13 prisonniers. Pourquoi, est-ce que Moro était estimé comme un danger par ces dernières ? Tout simplement parce que Moro était non seulement un politicien dangereux pour les Brigades mais aussi parce qu'il a réussi à semer le trouble chez ses geôliers.
Leonardo Sciascia se propose ici, dans ce roman historique, ou politique comme vous voulez, de se livrer à une contre-enquête à cette mystérieuse affaire qui souleva bien des polémiques en Italie. Ce livre fit d'ailleurs scandale lors de sa parution puisque Sciascia prenait ouvertement partie et ne mâchait pas ses mots, tout en s'appuyant sur des arguments et des faits avérés. Il accuse le gouvernement italien de l'époque de n'avoir pas pris au sérieux l'échange qui était proposé par les kidnappeurs de Moro. Selon lui, celui-ci aurait pu et aurait dû être sauvé.
Ce livre, bien que largement engagé, ne se lit pas du tout comme un livre de politique mais vraiment comme un roman. L'écriture est agréable et l'intrigue passionnante, d(autant plus que le lecteur sait que c'est vrai. À découvrir !
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L'enlèvement et l'assassinat en 1978 de l'homme politique Aldo Moro par les Brigades Rouges ont marqué en Italie le paroxysme des années de plomb. Et traumatisé l'Italie. Dans ce texte trop littéraire pour être une contre-enquête, Sciascia reprend les pièces du dossier, et pointe les responsabilités qui selon lui ne font pas de doute. Evénement charnière de la politique italienne, la mort d'Aldo Moro résonne encore, et interpelle la classe politique italienne. Comment un gouvernement démocratique laisse venir à lui la gangrène. Je place volontiers ce texte aux côtés de Dario Franceschini, qui lui est un homme politique, s'aventure sur le terrain de la littérature. La politique en Italie nourrit aussi les imaginaires.
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Leonardo Sciascia, le grand romancier sicilien, quitte avec cet ouvrage, le domaine de la fiction pour celui de la réalité : l'enlèvement, puis l'assassinat, en 1978, à Rome, de Aldo Moro, l'un des hommes politiques les plus importants d'Italie.
Pour rédiger son ouvrage, Sciascia utilise un matériau authentique mais très particulier : ces lettres que les Brigades Rouges permirent à Aldo Moro d'envoyer à sa famille, comme aux plus hauts dirigeants de l'Etat, dont il espérait le soutien.
Aldo Moro plaide avec force dans ces lettres pour un échange de prisonniers qui lui aurait permis de retrouver la liberté. Il ne sera jamais entendu, et la "ligne de la fermeté" sera obstinément opposée à ses suppliques, aussi bien par l'Etat italien que par le Pape Paul VI.
Du fond de sa cellule, Aldo Moro réalise très vite, en lisant les journaux que lui apportent ses ravisseurs, la signification de cette politique. Et ce sont les membres de son propre parti politique, la Démocratie-Chrétienne, dont il était le Président, qui le conduisent à une mort certaine.
Dans cette tragédie, aux allures de Passion biblique, Aldo Moro se heurte à de nombreux Ponce Pilate, qu'il connait bien, dont il pensait être un proche, et qui le sacrifient cyniquement, au nom de principes abstraits (l'autorité de l'Etat par exemple) ou de considérations de relations internationales dans lesquelles la politique menée par Aldo Moro, d'alliance avec le Parti Communiste italien, constituait une hérésie.
Au moment de son exécution, Aldo Moro aurait pu également prononcer ces dernières paroles (adressées à une multitude) : pourquoi m'as-tu abandonné ?
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Qu'est-ce, en quoi consiste le pessimisme méridional? À voir chaque chose, chaque idée, chaque illusion - même les idées et les illusions qui semblent mener le monde - filer vers la mort. Tout file vers la mort: sauf la pensée de la mort, l'idée de la mort. «Plus qu'une pensée, la pensée de la mort est la pensée même.» Elle pénètre toute chose, comme le sirocco: dans les pays du sirocco.
Dans les maisons patriciennes de Sicile existait, ingénieusement inventée au XVIIIe siècle, je crois, une chambre du sirocco: dans laquelle se réfugier, les jours où le sirocco soufflait. Mais une chambre où se réfugier, où se défendre de la pensée de la mort?
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Dans " L'affaire Moro " , les assassins évidents sont les brigades rouges . Mais Sciascia veut montrer qu'il y a un double assassin et que la classe politique italienne n'est pas seulement la complice des brigades rouges , mais qu'elle est bel et bien le premier meurtrier de Moro . D'après lui , la recherche de la vérité ne peut être confiée à l'état , falsificateur par nature .
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Vidéo de Leonardo Sciascia
Le 1.10.2022, Hubert Prolongeau présentait “Actes relatifs à la mort de Raymond Roussel” de Leonardo Sciascia dans “Mauvais Genres” (France Culture).
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