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Citations de Louis Guilloux (186)


Il ne bougeait pas, s'appliquait à jouer le sommeil. Mais cette bouche crispée comme de colère, cette poitrine qui se soulevait malgré soi, ces mains ouvertes sur la peau de bique, pareilles à celles d'un mort, tout cela n'était pas d'un dormeur, mais d'un homme lucide étouffé par son chagrin. C'était revenu d'un coup comme toujours, comme revient un mal incurable qu'on est las de surveiller, et dont le retour vous saisit presque en plein bonheur, quand on espérait que la trêve serait longue encore. Ça ne finirait donc jamais ! Il avait compté sur une sagesse qui viendrait avec l'âge, comme un bénéfice ou une récompense, comme un équivalent spirituel à la rente que lui servirait l'État, sous le nom de retraite, en reconnaissance de ses bons et loyaux services. Est-ce que le chagrin qui avait désolé sa vie ne prendrait pas un jour congé de lui, afin qu'avant de mourir il ait le temps et la chance d'un regard calme sur lui-même et sur le monde, espérance dont la réalisation, pensait-il, lui ferait accepter la mort qui, autrement, ne serait plus qu'un vol, une escroquerie honteuse ? Mais plus il vieillissait et plus il se disait qu'il faudrait aussi renoncer à cette espérance puisque le chagrin ne démissionnait pas et qu'en ce moment il serrait encore les dents sur sa douleur aussi fort qu'au lendemain de la catastrophe, après tant d'années.
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Je détruis toute idole, et je n’ai pas de Dieu à mettre sur l’autel. Il faut avoir une bien piètre expérience de la vie pour oser croire à de pareilles foutaises. Les paradis humanitaires, les Édens sociologiques, hum ! Qu’il attende seulement d’avoir quarante ans, et d’être fait cocu par la femme aimée. Ensuite, on en reparlera. Ah ! là là. Dans ce monde, chacun se débrouille, chacun y est pour son compte, pour sa peau. Des conquêtes ? Celles qu’on opère soi-même. Oui : être un loup. »
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Certes, Cripure aimait son pays, et cet amour de la patrie était peut-être en lui la chose la moins falsifiée. Mais enfin, cet amour de la patrie, il ne fallait pas le confondre, comme le faisait Babinot, avec l’amour des militaires, ou comme tant d’autres, avec l’amour de la mort. Il ne fallait surtout pas le confondre avec un plat acquiescement au conformisme des autres.
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On s'arrange toujours avec la mort, jamais avec la vie.
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Louis Guilloux
... on s'arrange toujours avec la mort, jamais avec la vie.
( Coco perdu )
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Werner s’était collé au garde-à-vous contre le mur. Le Général s’arrêta.
Un temps.
- Voilà un robuste gaillard, dit-il. Il le toisa des pieds à la tête. Werner ne broncha pas.
- C’est le cuisinier de l’hôpital... un des cuisiniers, mon Général, expliqua M. l’Econome. On nous l’a prêté pour notre petite réunion.
- Un Alsacien, dit Nabucet.
- Tiens, tiens, dit le Général en se grattant le menton. Mais, mon garçon, pourquoi ne vous êtes-vous pas engagé ? Vous venez du camp des prisonniers civils ?
- Oui, mon Général.
- Vous avez des parents en France ?
- Non, mon Général.
- Et... faisiez-vous partie d’une société française quelconque ?
- Aucune, mon Général.
- Est-ce que vos parents étaient français avant 1870 ?
- Oui, mon Général.
- Est-il en mesure de le prouver ?
- Mon Général, dit Bacchiochi, la question s’est posée déjà plusieurs fois. Il a même été convoqué à la Préfecture spécialement à cet effet et son dossier a été examiné.
- Je veux bien le croire, mais dans tout ceci je ne vois pas la raison qui empêcherait ce garçon de rejoindre la Légion Etrangère. Qu’en pensez-vous ? dit-il en s’adressant à Werner.
Werner n’avait pas bougé d’une ligne.
- J’ai deux frères mobilisés en Allemagne, mon Général.
- Ah ! Ah ! Et ils se battent ?
- Oui, mon Général.
- Sur quel front ?
- Je l’ignore, mon Général.
- Bien, bien. Vos scrupules sont respectables. Mais en fin de compte, vos frères sont alsaciens, comme vous. Pourquoi se battent-ils contre nous ? Oui, je sais, la question est très délicate, mais à mon avis, puisque vos frères se battent, jeune homme, je ne vois pas pourquoi vous n’en feriez pas autant. N’est-ce pas évident ? demanda le Général en se tournant vers l’assistance.
Ils opinèrent tous, les uns de la voix, les autres du bonnet seulement.
- Permettez, mon Général, j’ai encore mon père et ma mère.
- Oh ! A votre âge, voyons, vous êtes bien assez grand pour vous passer de leur avis.
Il se décida à reprendre la montée. Werner salua et descendit.
- On ne surveille pas assez ces cas particuliers, conclut le Général. Il faudra suivre cette affaire-là...
« Foutu » pensa Werner.
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Il méprisait les hommes dont il savait les ressources infinies pour faire le mal.
__Oh! disait-il parfois, en souriant, ce n'est pas par bonté que les hommes s'abstiennent de faire le mal !
S'ils n'écoutaient que leur coeur !
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Je doute qu’aucun amour vaille celui des pauvres. Le nôtre était un amour religieux. Nous savions(...) que cet amour-là n’était possible qu’à l’intérieur d’une certaine catégorie, qu’il n’était propre qu’à de certains êtres, vivant dans des conditions définies : les nôtres. Et qu’au-delà de nos frontières, il perdait non seulement sa vertu, mais devenait incompréhensible et honni.

(...) Oui, nous savions, et peut-être même était-ce ce que nous savions le mieux, que cet amour tirait sa plus grande force du fait qu’ailleurs nous n’étions pas aimés.
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Tant qu'il avait cru mépriser le monde, comme il avait été fort ! Mais le monde se vengeait. Cripure mesurait aujourd'hui combien il lui avait été facile de se poser en adversaire. Désormais, cette attitude n'avait plus aucun sens. L'aventure humaine échouerait dans la douleur, dans le sang. Et lui, qui avait toujours prétendu, comme à une noblesse, vivre retranché des hommes et les mépriser, il découvrait que le mépris n'était plus possible, excepté le mépris de soi.
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- Oui, dit Faurel, les temps sont bien changés. Que dit-on ici de la guerre ?
- N’est-ce pas, vue d’ici, la guerre n’est qu’un conte. Un conte sanglant, mais un conte.
Le député ferma les yeux, en haussant les épaules, résigné et méprisant.
- Triste psychologie, dit-il
- Biologie, dit Cripure, en se forçant à rire.
- Quand ça va si mal !
- Vraiment ?
- Oh ! quand on pourra tout dire...
« Bah ! pensa Cripure, connaîtrait-on jamais les dessous de la guerre ? Saurait-on jamais le détail de cette immense saloperie ? » Il ne le désirait peut-être pas. Non seulement il aimait à être dupe, mais il voulait l’être avec mystère.
- Que penser d‘une humanité entièrement occupée à se détruire ?
- Il est probable qu’elle ne mérite pas mieux.
Cela fit rire Cripure, cette fois franchement. Devant une telle pensée il se retrouvait chez lui.
- L’homme n’était pas nécessaire, dit-il.
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Ce qui nous a perdus, c'est d'avoir cru un homme. Ne croyons qu'à nous-mêmes...
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- Es-tu syndiqué ?
Si l'autre répondait que non, il lui expliquait :
- Qu'est-ce que tu feras tout seul ? Les bourgeois sont plus malins que toi. Ils te roulent. Mais si tous les compagnons veulent se sentir un peu les coudes...
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La question n'est pas de savoir quel est le sens de cette vie. La seule question, c'est de savoir : que pouvons-nous faire de cette vie ?
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- Tu n'as plus de respect.
Il faillit répondre que ce n'était pas une raison parce qu'elle était sa mère pour qu'il respectât en elle ce qu'il haïssait chez les autres.
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Assurément, M. Nabucet était de tous les professeurs le plus délicat et le plus fin, le plus cultivé – après Cripure toutefois – le plus poli, le plus « vieille France » comme il disait lui-même de lui-même. C’était au point que si, au lycée, on avait enseigné les belles manières, comme cela se faisait, disait-on, dans les établissements religieux, c’était à M. Nabucet que la ville entière, spontanément, eût voulu voir confier cette charge. Et n’eût-il enseigné à ses élèves que la bonne façon de saluer, que c’eût été déjà un grand pas de fait ! On était d’autant plus touché par la manière dont il vous saluait que, d’abord, il avait paru ne pas vous voir, absorbé par quelque pensée profonde, ou, par exemple, par la contemplation de la lumière. Mais comme le premier temps du salut savait compenser cette distraction ! Quel remords dans le regard, quelle vivacité dans le geste de porter la main à son chapeau, quelle lenteur onctueuse et quelle grâce à l’ôter en inclinant la tête ! Est-ce que tout cela pouvait s’enseigner ? Est-ce qu’il n’y avait pas là quelque chose comme un vrai talent ?
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Il lui arrivait, comme à tant d'autres, une aventure à laquelle il n'était pas préparé : il était au spectacle, commodément installé dans un fauteuil, et voilà qu'on le priait durement de vider son siège, de grimper en scène, d'y traîner avec lui sa femme et son fils. Il n'avait pas prévu cela. Naïvement, jusqu'au 2 août 1914, il avait pris la vie pour un conte. On exigeait aujourd'hui, fouet en main, qu'il prît au jeu une part active, sans même lui demander s'il avait /au moins/ appris un petit bout de rôle, s'il savait en quoi consistait le scénario dans son ensemble et au bénéfice de qui était monté ce gala ? Mais il ne savait rien. Il voyait seulement qu'il ne s'agissait plus de spectacle du tout, que la comédie tournait au drame — au vrai drame — que la balle était une vraie balle, l'épée vraiment teintée de sang, le mort un vrai mort.
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Dans sa plus grande douleur, tant qu’il avait été jeune, quelque chose de sourd en lui avait toujours conservé l’espoir que tout se recommencerait. On lui redonnerait des cartes : il surveillerait mieux son jeu. « On vit comme si on avait une vie pour apprendre », murmura-t-il, en se laissant tomber dans son fauteuil.
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- Allons ! Allons ! Allons ! Vous ne me comprenez pas. Vous n’êtes pourtant pas bégueule, voyons, avec une petite figure comme ça, des yeux comme ça. Hein ? Comment est-il, le petit bon ami ? Un brun, hein, c’est un brun ?
La petite se recula jusqu’au pied de l’escalier.
- Oh, le mauvais caractère ! Allons, c’est bien, mademoiselle. Montrez-moi le chemin, puisque vous dédaignez mes conseils. Montez !
Pour qu’en la suivant, il la pince comme l’autre fois ? Elle ne bougea pas.
- Montrez-moi le chemin.
Elle s’élança, courut d’une traite jusqu’au premier étage où se trouvait le cabinet de Babinot et frappa à la porte comme on crie au feu.
Cela se fit si vite que Nabucet eut à peine le temps d’apercevoir un petit bout de mollet.
« C’est une gourde, se dit-il, étonnante pour une fille de l’Assistance Publique. » Il se demandait où celle-ci avait appris à être si farouche ? Pas dans les fermes où elle avait été élevée, tout de même !
Il prépara un regard « terrible » pour l’instant où il allait la croiser dans l’escalier, un regard qui voudrait dire qu’elle n’avait pas à faire la mijaurée dans sa situation. Qu’est-ce qu’ils lui donnaient, les Babinot ? Trente francs par mois ?
Mais la rusée lui échappa. Dès que Babinot eut ouvert la porte, au lieu de redescendre, elle grimpa au second.
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Tous les enfants ont eu leurs songes bercés des plus beaux contes de fées. Comme les fées ne coûtent rien, qu'elles sont à tout le monde et partout, comme Dieu, on peut bien croire que, même au fond de la plus grande pauvreté, elles ne nous trahissaient pas.
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Si l’on avait pu rêver que les bœufs aient jamais vécu en société à l’image des hommes, et qu’eût germé, dans leur cervelle de bœufs, l’idée de construire une église à leur image de bœufs, cette bâtisse opaque eût fourni un merveilleux exemple d’architecture bovine, sur quoi la sagacité des petits archéologues bovins eût pu s’exercer. (...) Or, ce bœuf, il n’y avait pas si longtemps qu’il était là. Les plus vieilles gens de la ville se souvenaient d’avoir connu à sa place un cimetière. Un beau jour, le bœuf était arrivé dans le cimetière, il s’y était rué, grattant la terre de ses sabots et faisant sauter les morts. Plus de cimetière. Mais les morts s’étaient vengés : ils avaient aussitôt transformé les maisons qui entouraient la place en tombeaux et c’est là qu’ils demeuraient depuis sous des déguisements divers. On pouvait sonner à leurs portes : ils ne se montraient jamais sans masques. Généralement, ils étaient très convenablement vêtus, ils avaient même des apparences de vivants, mais un œil un peu exercé pouvait aisément déceler la supercherie : c’étaient bel et bien des morts à qui l’on avait affaire, et malgré toutes les précautions dont ils s’entouraient, allant jusqu’à se faire décorer et « fabriquer » des enfants pour mieux cacher leur jeu, jusqu’à devenir quelque chose dans la cité, les uns professeurs ou médecins, les autres employés de banque ou commis d’enregistrement, ou même soldats, et ils étaient partis pour la guerre, ce qui était pousser un peu loin la plaisanterie, ils étaient quand même bel et bien des morts, des fantômes. Cripure s’en doutait, étant un peu du bâtiment et par ailleurs assez intime avec le Cloporte qui devait tenir par ici ses quartiers. Or, sans qu’il y eût à cela la moindre ironie, cette place toute grise, de pierre, de terre, de ciel, avec ses grandes façades grises et camuses et ses grises préméditations, et sur les toits les grises fenêtres des mansardes comme des guérites, cette place était donc ce qu’on appelait le cœur de la ville. Bœufgorod. Cloportgorod. Mortgorod. Un cœur de pierre, un cœur de bœuf, un cœur de mort. Jamais cette vérité n’était aussi bien apparue à Cripure qu’aujourd’hui où il était confronté avec l’animal qu’ils avaient l’audace de désigner par les noms en apparence les plus nobles et qui n’était rien d’autre, sous ces titres menteurs, qu’une volonté toujours négatrice. Non. Le bœuf disait toujours non. Le bœuf et toute sa charmante petite famille de préfectures et de casernes, de lycées et de banques, etc., le bœuf disait toujours non, jamais oui. Le regard de Cripure erra longtemps comme s’il eût cherché à pénétrer plus avant les énigmes autour de lui posées. « Pas une pierre qui n’appelle une bombe ! » murmura-t-il. « Et il y a des cœurs qui sont lourds comme des bombes », acheva-t-il rêveusement. Il regrettait les terroristes, dont il n’aurait pas été. Dont il n’avait pas été.
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