tu as beaucoup travaillé, le jardin n'existait plus, abandonné depuis des dizaines d'années, juste quelques mètres carrés de chiendent de chardon et d'orties cernés par la profusion des arbustes plantés par les oiseaux, aubépines aux longs couteaux pointus pics à glace dirigés vers tes yeux, prunelliers encastrés les uns dans les autres, églantiers et ronces entortillés autour des troncs, dégringolant du ciel, t'enfonçant des épines dans la tête, "ecce homo", tu t'échines tu t'esquintes tu frappes et coupes et creuses et arraches et scies et brûles et déchiquettes pendant des jours et des jours, t'écroulant sur le dos dans la terre mise au jour, la sueur ruisselle traçant des lignes noires dans la poussière qui recouvre ta poitrine, ton coeur cogne ton coeur cogne, la sueur tombe dans la terre sur le corps des fourmis, tes muscles sont brûlants,
ta mémoire est percée comme un carton de tir à la carabine, tu baisses la tête pour éviter les cailloux qui volent vers toi, tu recules à toute vitesse, tu détales comme un lapin, tu sautes au-dessus d'un large fossé en projetant les bras devant toi, tu t'aplatis dans les graminées, tu éternues encore une fois, tu n'es pas une vache, ton estomac est simple, tu ne rumines pas, ton corps est trop petit pour qu'on installe à l'intérieur une panse ou rumen un bonnet un feuillet une caillette, tu veux devenir un oiseau un merle noir qui siffle mélodieusement à tout moment de la journée mais tu ne pourras jamais faire entrer ton gros cerveau dans une si petite tête, tu ne peux pas vivre sous la terre, tu ne veux pas vivre sous la terre, tu ne veux pas vivre sous la terre, tu ne veux pas devenir un gros ver blanc, une larve qui se nourrit d'épluchures pourries.
tu te souviens de ce petit sachet de graines, tu le compares à la montagne de racines nourricières entassées dans un coin de la cave à légumes, tu acceptes la grâce, tu acceptes l'ignorance