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Critiques de Lyonel Trouillot (300)
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La belle amour humaine

Thomas est guide touristique à Haïti. Dans sa voiture, il sillonne Port au Prince et se dirige vers Anse-à-Fôleur, un village côtier, avec à l'arrière Anaïse, une métisse à moitié endormie qui n'écoute pas tout de son discours sur son île, ses habitants, ce qui les éloigne et ce qui les rapproche des métropolitains, sur la vie, sur le passé, cette nuit où les deux maisons jumelles du colonel et de l'homme d'affaires, le grand-père d'Anaïse, ont brûlé dans un mystérieux incendie. Bercée par ses paroles inspirées, Anaïse roule vers l'inconnu, vers la vie de son père disparu, vers des découvertes qu'elle laisse venir à elle, consciente qu'elle est étrangère et que tout ne lui sera pas dû...



Lire les premières pages, d'une somptueuse écriture, c'est risquer de se laisser happer par une langue envoûtante, poétique, qui décrit avec rythme la cacophonie de Port-au-Prince et puis qui nous emporte dans des récits et des réflexions captivants.



Enumération, répétition, évocations très sensitives, tout porte à faire du texte un ensemble vivant, mouvant, fascinant. En tout cas pour moi.

Après l'émerveillement littéral des descriptions initiales, s'ouvre le roman, le récit qui se dessine au travers du quasi-monologue de Thomas le guide. Une histoire vieille de dizaines d'années. Une histoire d'incendie, de mort, de disparition, d'amour aussi. Une histoire avec deux personnages qui ont vécu à Anse-à-Fôleur, deux hommes que tout opposait et qui se sont lié d'amitié. Deux hommes hautains, supérieurs, inhumains.

Que vient faire Anaïse au coeur de ce pays si pauvre, si différent de sa ville lumière à elle, de son confort, de ses préoccupations matérielles de jeune femme occidentale ? C'est elle enfin, dans les derniers chapitres du roman, qui nous le livre. Retrouver un père qu'elle n'a pas connu. Mais finalement, il y a d'autres choses qu'elle n'a pas connu qu'elle peut trouver. Surtout ne pas exiger des gens la précision du souvenir.

Une sensibilité pleine d'humilité. Une renaissance.

Difficile de raconter ce livre qui se vit, qui s'absorbe, qui nous absorbe le temps de belles pages poétiques.

Que dire sinon que ce roman est à savourer d'urgence ?
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Antoine des Gommiers

Le ressenti est purement personnel mais je n'ai pas pris de plaisir à le lecture de cet ouvrage. Le décorum (personnages, situations) donne l'effet d'une répétition à l'infini. Quant au langage "créolisé", répété aussi jusqu'à satiété, il atteint et dépasse largement les limites du supportable en terme l'agréabilité, de désuétude et d'exotisme.
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Parabole du failli

Un très beau livre sur le deuil et le pouvoir de la poésie !



Lyonel Trouillot nous offre un roman où la poésie, la colère contre le monde, la souffrance, la joie, l'amour se côtoient. le narrateur vient d'apprendre que l'un de ses plus proches amis est tombé d'un immeuble. Suicide ? Maladresse ? L'auteur joue de ce flou et nous livre un personnage entier, passionné de poésie, de théâtre, qui voulait défier le monde et qui avait une rage en lui face à certains sujets.



La langue est aussi le personnage principal de ce roman. On est face à une vague de mots, de citations, de tirades. La plume de l'auteur est belle et juste.



On découvre des personnages hauts en couleurs qui tentent de mener leur vie tranquillement en oubliant la pauvreté, les coups durs et en se serrant les coudes, en riant aux scénettes de ce vrai troubadour. Les personnages sont attachants, on regrette de les quitter. On regrette la mort de ce jeune comédien, poète...



L'auteur nous livre un Haïti pauvre, où la misère est la compagne des habitants de ces quartiers populaires mais aussi un Haïti, riche de sa langue, de son humanité.


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Ne m'appelle pas Capitaine

Aude, aspirante journaliste de 20 ans, décide d'enquêter sur un quartier défavorisé de Port au Prince, ville qu'elle avait l'impression de connaitre puisqu'elle y est née. Seulement, elle, elle connait les beaux quartiers parce qu'elle est blanche et riche. Là, elle découvre la misère, la pauvreté et la rancoeur. Elle arrivera cependant à entrer dans le coeur des gens, dont le vieil homme surnommé Capitaine qui va peu à peu se livrer. Un très joli roman qui se dévore!
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Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne..

Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours

Ecrit par Marc Ossorguine dans La Cause Littéraire .

Haïti terre francophone ? Pour les élites peut-être. Sûrement même. Mais Haïti terre créole. D'abord, sans doute. La langue d'un pays ne saurait être seulement celle de son colonisateur, de quelque langue qu'il fût. Cette anthologie bilingue est donc double découverte pour nous, lecteurs francophones ignorants de la créativité créole : celle d'un langage et celle d'une langue.

Langage de la poésie qui résiste à toutes les catastrophes, à toutes les ignominies, qui sait gronder, rire, bercer, pleurer, aimer, admirer, accuser et plus encore. Sans doute pourrait-on dire cela de beaucoup de poésie, de beaucoup de poètes. Oui, sans doute, sauf qu'ici il semble que chacun soit poète en cette île étonnante. le poète et romancier Makenzy Orcel nous le confirmait lors d'une rencontre, en Haïti, tout le monde peut écrire de la poésie, et la publier, généralement de qualité. Tout le monde ne fera pas carrière dans le monde des lettres, mais chacune, chacun peut s'y essayer. En créole ou en français.

En Créole haïtien faut-il préciser. Car c'est aussi à une découverte de la langue que nous invite cette édition bilingue. C'est que l'image du créole comme un bricolage linguistique qui n'a pas le statut de langue, auquel on reconnaît tout juste une cohérence et un statut un peu supérieur au sabir ou au pidgin, a la peau dure. A tel point que « créole » reste un mot commun qui désigne plus un sympathique et pittoresque bricolage, pas vraiment sérieux, qu'une langue pouvant prétendre à une noblesse historico-culturelle, comme le français, par exemple. Même si la créolité a été hautement revendiquée par intellectuels et grands auteurs, les créoles sont encore trop perçus comme des dérives, pour ne pas dire des dégénérescences de la langue de la « mère patrie », celle du colonisateur qui fut aussi « trafiquant de bois d'ébène », comme l'on disait pudiquement.

En naviguant entre les deux textes, on peut découvrir le sens (du côté de la sensibilité autant que de la signification) des raccourcis et des images du créole. On peut aussi saisir l'immense écart entre les deux langues et mesurer que les traces que l'on peut trouver ici ou là, une fois que l'on peut comparer les deux textes, sont devenues tout autre chose que des traces. Depuis la chute de la dictature, le Créole se libère et écrit le passé autant que l'avenir de l'île et ce n'est pas pour rien que cette anthologie s'ouvre à partir de l'année 1986.



DISCOURS

Une myriade de discours

Défile devant mes yeux

Ma vie c'est ce qui s'écrit

Qui balance des coups de stylo

Sur le cahier de l'avenir

LAPAWOLI

Yon dividad lapawoli

Vi m s on ekritasyon

K ap voye kout plim

Sou kaye lavni (Josaphat Large)



Plusieurs des auteurs rassemblés ici n'écrivent pas que de la poésie, n'écrivent pas qu'en créole. Certains noms nous sont même relativement familiers, tels Lyonel Trouillot ou James Noël. Si vous avez cette curiosité et avez déjà eu entre les mains d'autres anthologies haïtiennes, les noms de René Philoctète, de Frankétienne ou de George Castera vous seront peut-être un peu familiers, ou celui de Kettly Mars, romancière déjà publiée au Mercure de France. Grâce à quelques éditeurs attentifs (Mercure de France, Zulma, Vents d'ailleurs), vous aurez aussi pu déjà croiser les écritures de Bonel Auguste ou d'Evelyne Trouillot, mais pour la plupart vous serez fort probablement tels des explorateurs abordant des pages et des écritures inconnues. Des voix qui crient la douleur des ouragans et des trahisons (Le pauvre Droitdelhomme est mort / le pauvre Droitdelhomme est enterré / Dwadelòm mouri / Dwadelòm entere), la fuite impossible vers le pays dont on ne revient pas et le retour tout aussi impossible vers une terre d'origine perdue dans l'histoire, mais qui chantent aussi la vie, ses couleurs et sa saveur en dépit de tout. Sur les montagnes d'immondices et de ruines où repoussent des villes improbables, malgré les charniers de l'histoire ouverts par les hommes et comblés par les cataclysmes, il y a des démarches qui sont de la danse, des pieds dont la beauté émerveille et des rires qui sont comme des oiseaux.



le même oiseau-voyage

renouvelle chaque fois

la promesse de ses ailes

dans ton rire qui ne finit pas

menm zwazo vwayaj la

vin renouvle promès zèl li

nan ri w ki pa janm fini

Le même oiseau / Menm zwazo a (Lyonel Trouillot)



Plus qu'à un voyage exotique, c'est à une véritable rencontre du monde que nous sommes ici invités. Laissez-vous guider par les lucioles de la poésie et de la langue, entre colère et rêve, à la croisée des langues et des voix, au-delà des mots.



L'encre des plumes

Ne sait pas lire

Elle ignore

Combien de lucioles

Doivent voler dans tes mains

Pour donner des couleurs aux rêves

Lank plim

Pa konn li

Pa konn

Konbyen koukouj

Ki voltije nan men w

Pou bay rèv koulé

Amour et encre / Lanmou lank (Lovely Fifi)



Marc Ossorguine


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Kannjawou

Au Kannnjawou, un bar dont le nom signifie fête et partage, la population expatriée de Port-au-Prince fait la fête sous le regard désabusé des habitants pauvres du quartier. Parmi eux un club des 5 désenchanté composé du narrateur et de 4 amis d’enfance oscille entre l’espoir de vivre un jour dans un pays libre et allant de l’avant et un constat amer : Haïti subit depuis des dizaines d’années l’ingérence de puissances militaires ou humanitaires qui laisse peu d’options aux habitants.

Pendant ce temps le petit peuple de Port-au-Prince souffre, vivote et meurt dans l’anonymat et l’indifférence.

Une lecture intéressante mais pleine de mélancolie et d’amertume…

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Kannjawou

"Le "Kannjawou". C'est un beau nom qui veut dire une grosse fête. Mais la rue de l'Enterrement n'y est pas invitée. Les fêtes des riches sont payantes. Que les pauvres s'en approchent, il suffit de monter les prix pour les décourager."



Kannjawou en créole signifie donc grosse fête, partage. C'est dans le récit le nom d'un bar-restaurant que fréquentent des Blancs, autrement dit les expatriés, les riches. C'est exactement tout l'inverse des personnages principaux de l'intrigue. Deux sœurs, Joëlle et Sophonie, Popol, Wodné et le narrateur, dit le scribe vivent eux rue de l'Enterrement au bout de laquelle se trouve le cimetière, là où il y a autant de vivants que de morts, un des quartiers pauvres de Haiti. Seule Sophonie, la plus âgée de la fratrie, a le droit d'entrer au Kannjawou en qualité de serveuse.



"Aujourd'hui, je végète sur mon bord de trottoir en jouant au philosophe. Mais demain, qui serai-je ? Et comment , comme tout le monde, habiterai-je en même temps la vérité et le mensonge, la force et la lâcheté? Quel soi-même on finit par être au bout de quel parcours ?"



Le narrateur, le plus jeune du clan des 5, nous explique au travers de courtes chroniques la vie de chacun, leurs évolutions, les souffrances et autres difficultés de la vie. On y découvre man Jeanne, sage féminin, doyenne et philosophe, la mémoire du quartier et son pissat de chat tombant du haut de son balcon ; le petit professeur, fils de notaire, avec ses livres, son écoute, son hospitalité, son béguin pour Joëlle et qui préférera mourir chez lui au milieu du bucher de ses livres. Les messages sont forts et marquants.



"Dans son enfance, il lisait pour tromper l'ennui. Moi, souvent pour tromper la faim. La vérité est que, fils de rien ou fils de notaire, on a besoin de beaucoup de phrases et de personnages pour constituer dans sa tête une sorte de territoire rempli de caches et de refuges. N'en déplaise à Wodné qui déteste que les gens bougent, nos têtes sont pleines de voyages."



Les récits des journaux du narrateur, courte œuvre pour ne pas oublier, pour transmettre et informer, sont divisés en deux parties.



La première sert à présenter les personnages et le triste contexte.



"Chaque homme ayant rêvé rédige le temps du rêve son journal d'un fou. J'arrête ici le mien. Au moment où je décide de fermer mon carnet, dans la rue les enfants crient."



"J'ai vingt-quatre ans et je suis vieux. je ne ris plus autant qu'avant. Nous de l'ancienne bande des cinq, rions très peu. Que sommes-nous ? Zombies ou voleurs de cercueils ? Promesse ou échec? C'est bien d'avoir peur. N'est-ce pas Joëlle? Sur mon bord de trottoir, au pied du balcon de man Jeanne, je regarde la nuit tomber, triste, sale, sur la rue de l'Enterrement"



La seconde est encore plus mélancolique avec les départs, les décès, les suicides...



"Mais parfois ceux qui survivent n'ont pas les moyens de se souvenir. Survivre peut-être un travail à plein temps qui consomme toute leur énergie. Quand tu ne sais comment tu vas finir le jour, il n'y a pas dans ta vie ni hier, ni demain, ni rêve, ni mémoire. Ce peut-être pour cela qu'il y a moins de monde dans les cortèges. Occupés à ne pas mourir, les vivants n'ont plus le temps d'accompagner les morts."



On est aussi bouleversé qu'enchanté par ce que l'on lit. Mêlant chants, pleurs, cris, horreurs et appels à l'aide, l'écriture de Lyonel Trouillot est somptueuse. Les rimes sont nombreuses. Douceur, poésie, beauté mais surtout grande fluidité sont les mots qui viennent à l'esprit lorsqu'on tourne les pages. Ils mélangent de longues phrases, envoutantes et chantantes, avec des coups de poignards acerbes symbolisant la rudesse, la dureté et la violence de l'Occupation du pays. Cette sécheresse du style apparait dans de nombreux chapitres. Elle témoigne merveilleusement de la difficulté et de l'absence d'espoir, parfois même du désespoir, mais aussi du besoin de rêver et d'espérer...Elle souligne enfin la violence (alcool, prostitution, abandon de soi), mélancolie et la tristesse des personnages au moment de la fin de leur petit groupe. On ne peut qu'adhérer à cette magnifique syntaxe.



"Tu dis toi même que qui meurt en une saison triste emporte dans sa tombe une tristesse éternelle qui se mêle à la terre, la salit, la dé fait et rend son coeur stérile"



Les chapitres sont en majorité courts et se lisent très rapidement. J'ai pour ma part fait durer pour savourer un maximum (4h de lecture environ pour 200 pages). J'étais présent dans la rue de l'Enterrement au milieu des protagonistes.



"Tu sais comment on devient militant? Faut commencer par être humain. Et un humain, ça parle des autres en s'excusant."



Au final, c'est une belle et poétique déclaration, sorte de dissertation philosophique, que je ne peux que conseiller sur Haïti, pays sans vie sous l'Occupation. Chapeau M. Trouillot!



"Un pays occupé est une terre sans vie"



4,5/5




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Parabole du failli

Il était une fois un garçon qui tombe. Loin de chez lui, loin d’Haïti. Il était une fois deux bons amis, pauvres déshérités de cette île abandonnée, qui viennent de perdre un ami, leur Ami, homme au cœur d’or qui n’a jamais été dégouté par eux, dormant sur la même paillasse qu’eux au cœur du « bateau » qui recueille leurs rêves. Artiste accompli dans la bonne société, magicien pour les enfants pauvres du quartier, il n’a pourtant pas réussi à combler la dichotomie entre art et laideur du monde, magie et réalité de la misère. Il a donc choisi la tangente qui s’offre à tous. Il a donc sauté par la fenêtre d’un immeuble parisien, loin de tout et de tous ceux qui l’ont connu.



« Une personne se tient au bord de la falaise. Nous parle. Personne ne l’entend. Elle tombe. C’est alors seulement que le cri, dont il ne reste que l’écho, nous intéresse, par besoin d’exégèse. »



Parabole du failli est la longue complainte de ses deux amis qui tentent de comprendre, qui se font dépositaire de sa mémoire, de ce que fut sa vie. Qui retrouvent un manuscrit, au titre éponyme de ce roman, dédié à une femme. Parabole du failli consignera aussi leur recherche de la mystérieuse inconnue qui est la dédicataire de ce texte étonnant, exigeant, magique.



Un texte qui est aussi un beau cri d’amitié, envers un homme qu’ils ne comprenaient pourtant pas toujours « Mais c’était ça Pedro, tu allais vers les autres plus vite que les autres. Et quand on choisit un ami, on choisit aussi ses faiblesses. L’Estropié et moi nous sommes adaptés à ton rythme [...] Ici, nous t’aurions rattrapé avant que ton corps touche le sol. Ici, on a appris à amortir les chutes. Et puis, où t’aurais trouvé un immeuble de douze étages ! »



Alternant récit et citations de ce fameux manuscrit, le roman de Lyonel Trouillot confirme sa stature de grand auteur francophone (A lire aussi et surtout : La Belle amour humaine). Maniant la langue française plus étonnamment que la plupart des auteurs de ce même pays, lui rendant sa richesse et sa beauté, émaillée d’un créole ayant déformé certaines de nos expressions (ce qui lui donne une petite saveur en plus !), Trouillot redonne ses lettres de noblesse à la littérature francophone, à travers un roman poétique d’une rare force. Difficile à décortiquer, son style invite simplement au rêve, au voyage, au goût des mots. Tout en racontant, dans une sorte de mise en abyme, les affres que peuvent connaître les poètes, confrontés à la réalité du monde. Et peuplé de phrases qui nous restent dans la tête, lancinantes.



« J’ai marché si longtemps à côté de moi-même, en peau de lièvre ou de lézard. »
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Parabole du failli

Que sait-on de la nuit de ses proches, de leurs failles ?



Le narrateur, qui écrit dans la rubrique nécrologie d’un quotidien de Port-au-Prince, et son ami l’Estropié, ont perdu leur ami le plus proche. Pedro s’est jeté du douzième étage d’un immeuble alors que, jeune comédien, il était en tournée à l’étranger.

Et pourtant … Pedro venait d’un milieu plus aisé qu’eux, dont il s’était détaché après le décès de sa mère, à cause d’un père destructeur qui le destinait aux affaires et méprisait la poésie. Et pourtant … Pedro se livrait plus qu’eux, il leur racontait son enfance, souvent – pensaient-ils – égoïstement car il avait été plus favorisé, et livrait son passé tandis qu’eux le taisaient. Et ces trois-là s’en sortaient, ils partageaient le même toit, dans le «quartier pourri de Saint Antoine», à Port-au-Prince, au milieu d’un océan de misère.



Malheureux, le narrateur, qui doit rédiger la rubrique nécrologique pour la disparition de son ami, ne sait que dire sur seulement trois colonnes. Déchiré entre rage et tristesse, il revient sur la vie de Pedro, son enfance, son amour des mots et de la poésie, les femmes qu’il a voulu séduire, et puis la rencontre avec Madame Armand, veuve usurière au cœur enterré à l’intérieur d’une montagne de chair.



«Tu étais ça pour nous : un porteur génial des mots des autres, les semant à tout vent, aux M., aux E., dans des salons où l’on jouait aux démocrates-esthètes-raffinés tout en ayant pactisé avec toutes les dictatures, l’armée, le capital, la corruption organisée. Devant n’importe quel public paresseux et inattentif. À tomber amoureux de filles qui ne t’aimeraient pas, et le désespoir te conduisait dans des lieux pourris.»



Pedro, comme un seigneur pauvre, déclamait chaque jour les poèmes des autres, créait des spectacles pour les enfants des rues, mais après son décès, ils découvrent qu’il écrivait, la nuit, des textes dans un recueil intitulé Parabole du failli.

«Tu nous parlais souvent des choses de ton enfance, mais tu nous avais caché ces textes que tu écrivais dans la nuit.»



Et ce récit est bien une parabole puissante, sur l’impuissance de l’écriture, malgré sa beauté, face à la détresse et à la misère sociale, pas seulement un hommage mais une lancinante question – écrit pour Lyonel Trouillot après le décès, en novembre 1997, de son ami le comédien haïtien Karl Marcel Casséus à Paris.



«Ils vous ont fait payer le pain le ciel la terre l’eau le sommeil et la misère de votre vie.»
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La belle amour humaine

LYONEL TROUILLOT



Dès les premières pages de ce roman, la question est posée : « Ai-je fait un bel usage de ma présence au monde ? Si la réponse est non, ce sera trop tard pour vous plaindre comme pour changer. »

Anaïse, jeune touriste accompagné de son guide Thomas, entreprend de visiter un petit village côtier nommé Anse-à-Fôleur, dans l’île d’Haïti .Elle désirer recueillir des informations sur le sort de Robert Montes, son grand-père et accessoirement du colonel Pierre André Pierre, ami de son grand-père.



C’est un roman à plusieurs voix, dont celle de Thomas, le guide, n’est pas la moins significative .Ce dernier restitue ainsi avec force ironie et dérision les contours d’un certain tourisme de masse, peu porté vers la compréhension réelle des lieux visités par ses pratiquants : « La colère me gagne quelquefois quand je pense à ceux qui ne peuvent pas bouger et à ceux qui arrivent ici en clamant qu’ils sont venus « matérialiser leurs fantasmes »

« Là-bas, je suis un peu un touriste qui profite gratuitement de leur disponibilité. Je fais comme mes clients, je prends sans donner et j’en ai honte. »





L’histoire d’Haïti, celle de la dictature, celle des rapports engendrés par l’esclavage est évoquée très clairement au travers des récits concernant Robert Montès et Pierre André Pierre .On y perçoit le rôle respectifs de ces deux personnages dans cette histoire .Il est cruel, implacable : « Costaud et habile au corps à corps, il avait consacré sa jeunesse à casser la gueule aux grimauds (désigne un individu de type afro-caribéen à la peau claire) et aux mulâtres .Par principe. Pour l’exemple ».

Au-delà de la simple dénonciation des comportements de nos contemporains , Lyonel Trouillot nous invite à nous repositionner , à nous demander quelles sont les véritables voies d’accès au bonheur. Tout d’abord, la maîtrise des mots : « Justin en conclut que dans la distribution inégale des richesses qui règne sur le monde, le partage inéquitable des mots n’est pas le moindre mal. » Constat encourageant pour ceux dont c’est la raison d’être.



Hommage à la vie et à la réussite de notre présence au monde, Le bel amour humain nous suggère l’issue possible : « Alors, n’attendez pas. Les circonstances de la mort n’offrent pas de clé pour comprendre .La mort ne nous appartient pas, puisqu’elle nous précède .Mais la vie… »

La belle amour humaine, du bel ouvrage à recommander pour mieux configurer sa propre présence au monde


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Parabole du failli

Avant toute chose, que ce soit dit : j'ai un coup de foudre absolu pour le style de Lyonel Trouillot. Pour la musique qui se dégage de ses mots qui se répondent, se font écho, qui semblent s'écouter et se répondre au sein d'un même monologue. Des mots de rien qui sonnent grand, des mots de Grands qui disent la vie, des mots qui s'envolent avant de rebondir sur le mur des gros mots de l'existence : Liberté, Amour, Révolte.



Dans ce court roman, le narrateur et son ami apprennent à la radio la mort de Pedro. Le texte se fait alors requiem pour celui qui, il y a peu de temps encore, habitait de sa verve unique l'espace désormais vide du troisième matelas à même le sol de leur petit appartement qu'ils aiment à appeler "le bâteau ivre".



Comédien formidable, il colorait la vie du quartier des mots des autres, tout en noyant une mélancolie sans fond dans la beauté de la poésie. A-t-il fini par prendre l'eau malgré tout ou sa chute de douze étages n'est-elle qu'un accident ?



Retraçant ses gestes autant que ses maux, le narrateur nous entraîne dans le sillage de celui que l'on pleure sans laisser couler ses larmes. À la fois vivant pour toujours et mort depuis longtemps. Le connaître c'est partir à la rencontre de la vie du quartier où il avait fini par se sentir chez lui. Autour, des trajectoires tout aussi abîmées que la sienne, sûrement beaucoup plus, mais nous ne sommes pas égaux face à ce que l'on peut supporter.



Si les mots et les souvenirs ne suffisent pas pour dire adieu à un ami, nous apprendront qu'on peut trouver du soutien dans les pauses suspendues aux virgules, les silences qui respirent dans les points, et entre eux, dans les les images protéiformes que nous insuffle la poésie.
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Tu aurais pu vivre encore un peu...

"Tu aurais pu vivre encore un peu..." est un livre cadeau qui a tout pour me plaire : un dessin d'Ernest Pignon Ernest sur la couverture représentant le visage de Jean Ferrat et des textes de Lyonel Trouillot rendant hommage à un autre grand artiste engagé pour le dixième anniversaire de sa mort.

Il faut dire que tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes qui écoutaient les disques de Jean Ferrat le dimanche matin. La voix grave et chaude de cet auteur-compositeur-interprète de la chanson française a bercé mon enfance alors j'ai encore dans la tête les paroles de ses chansons. Cela tombe bien car c'est à partir des textes chantés que Lyonel Trouillot et Ernest Pignon Ernest ont construit cette promenade poétique adressée à Jean Ferrat.

C'est donc avec un grand plaisir que j'ai retrouvé "la femme est l'avenir de l'homme", "tout se perd et rien ne vous touche" ou "un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront" et bien d'autres mots qui dégagent une grande émotion...

Ferrat est un chanteur qui parle de poètes qu'on assassine et d'injustices sociales mais aussi d'amour ainsi qu'un homme lucide qui a su voir venir toutes les régressions et pourtant qui a su chanter l'espoir.

Je ne me lasse pas de ce magnifique album.





Challenge Riquiqui 2021

Challenge ABC 2021-2022

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Bicentenaire

Ce court roman dédié « à celles et ceux qui sont descendus dans la rue » à Haïti dans les mois qui ont précédés la chute d’Aristide au printemps 2004. Il s’appelle Bicentenaire, parce que le 1er janvier 2004 se commémorait le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti et que l’année 2004 était donc celle du bicentenaire. Ce très court roman m’a happée, en grande partie grâce aux choix narratifs de l’auteur pour nous raconter cette journée, ou plutôt ces quelques heures que va vivre l’étudiant, rarement nommé (il s’appelle Lucien). L’étudiant se rend à une manifestation dont il sait qu’elle risque fort de mal finir. Le narrateur s’efface régulièrement pour nous plonger dans les pensées de l’étudiant ou d’une personne à laquelle il pense ou qu’il rencontre. Quand le narrateur reprend la main, c’est pour mieux rythmer la descente de la colline et la traversée de la ville pour arriver au centre. A travers ces personnages nous découvrons les différents points de vue et avant même que la violence physique se déchaîne, toute la violence de ces divergences de points de vue,de ces divergences sociales, toute la misère, le fatalisme, les espoirs, les désillusions, la brutalité policière sont présents en très peu de pages et c’est puissant, rythmé par les incantations de la mère de l’étudiant, qui reviennent comme une litanie « Ernestine Saint-Hilaire, moi Noire, ... ».
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Parabole du failli

J’ai retrouvé dans PARABOLE DU FAILLI l’écriture sensible de LYONEL TROUILLOT que j’avais découverte d’un autre de ses romans : LA BELLE AMOUR HUMAINE

Et pourtant, je n’ai pas réussi à finir ce livre. Sans doute parce que je ne me suis pas senti impliqué dans l’histoire, non pas qu’Haïti ne m’intéresse pas, au contraire, mais parce que le narrateur s’adresse ici dans ce roman à un autre personnage du roman, son ami qui s’est suicidé. Les échanges, certes, très poétiques, n’impliquent pas le lecteur que j’étais. Je suis resté spectateur du récit.

L’écriture est belle, ces vies haïtiennes touchantes mais je n’ai pas su apprécier leur évocation.

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Bicentenaire

D'une écriture à la fois brutale et poétique, la manifestation de 2004 en Haïti et sa répression.



Publié en 2004, le quatrième roman du Haïtien Lyonel Trouillot réussissait une éblouissante synthèse de sa matière intimiste et psychologisante (dans le bon sens du terme !), mais non dénuée de subtile critique sociale et historique, telle qu'elle s'exprimait dans "Thérèse en mille morceaux" (2000), et de son écriture davantage politisée tout en demeurant curieusement poétique, dont "Rue des Pas-Perdus" (2002) offrait un émouvant et terrifiant exemple.



"Bicentenaire" s'attache à la préparation de la grande manifestation étudiante du 1er janvier 2004, bicentenaire de l'indépendance de la "République noire", et à la préparation aussi minutieuse, par le régime Aristide (dont on oublie trop souvent en France, où les pendules se sont souvent arrêtées avec le duvaliérisme, puis remises en route cahin-caha au moment du séisme de 2010 et de ses suites, à quel point son échec fut accompagné, tout au long, d'une rare férocité policière), de la répression planifiée, passant par la location de bandes de voyous à l'utile agressivité pour noyer dans le sang les étudiants petits-bourgeois voulant croire un peu trop à la démocratie.



Une mère, paysanne âgée et devenue aveugle, et ses deux enfants, l'aîné étudiant, intelligent, cultivé, conscient de certaines réalités et de certains risques, mais décidé à défiler coûte que coûte, et le cadet, terreur du quartier, voyou et trafiquant, mettant sa foi dans son "gun", avertissant à demi-mot son frère de ce qui va se passer...



La langue de Lyonel Trouillot est presque unique, et opère de manière presque magique lorsqu'elle est confrontée à la violence prosaïque de ce "sujet". Sa précision, sa poésie, sa légèreté habile pour voltiger entre les registres lexicaux mis en œuvre, fait tout particulièrement merveille dans ce "Bicentenaire".



La réalité d'Haïti, ses effrayantes complexités servant aussi d'excuse, comme les attachantes passions qui "continuent à y croire", ne s'expriment sans doute nulle part aussi profondément que dans l'écriture de ce grand poète en prose.
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La belle amour humaine

Ce roman est comme un grand monologue dans lequel Thomas, un chauffeur de taxi, parle à Anaïse, venue à Haïti sur les traces de son grand-père. Il s'adresse à elle alors qu'ils vont à Anse-à-Fôleur, un village isolé pour retrouver l'oncle de Thomas qui a connu le grand-père et le père d'Anaïse.



Dans ce village, il y a bien longtemps, deux hommes, le grand-père d'Anaïse et son ami le Colonel, ont tenté de s imposer mais ont fini par disparaitre dans l'incendie de leurs maisons.



En parlant de cette époque à la jeune femme, Thomas raconte la vie du village avant, pendant et après la venue de ces hommes. Il raconte même plus, il raconte la vie. Il parle du monde au sens large. Il y a toute une réflexion sur la modernité, la nature, la simplicité de la vie, le tourisme...



Au-delà de la recherche d'une certaine vérité sur le passé, il y a toute une étude du monde qu'est Anse-à-Fôleur.



"Ma vraie ville c'est ici. J'y suis né et je connais ses bruits par cœur. Ses recoins. Ses désastres. Mais là-bas c'est ma ville aussi. Enfin, mon village. J'y ait planté mes rêves. Et la terre qui t'appartient c'est celle où tu plantes tes rêves. Celle que tu aimerais léguer à tes enfants. [...] Là-bas, dans le lieudit d'Anse-à-Fôleur où tu souhaites que je te conduise, c'est peu de monde, quelques copains, une poignée de vivants qui s'appellent par leurs prénoms et ne cultivent pas le vacarme. Les enfants y ramassent encore des coquillages, les portent à leurs oreilles et la mer y chante quelque chanson secrète, sans déranger les autres..." (P 22-23)



C'est très difficile de parler de ce roman car plus qu'une histoire, c'est tout une atmosphère qui domine. J'ai aimé le style plein de poésie, j'ai aimé les images, les sensations qui se sont dégagées de cette lecture.



J'ai dégusté ce roman qui ne ressemble à rien de ce que j'ai lu, comme un grand poème, comme un essai sur la vie. C'est un vrai petit bijou.



Je pense que je lirai à nouveau cet auteur, c'est une belle plume!
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La belle amour humaine

Dans un taxi qui la conduit de l’aéroport à un village de la côte haïtienne, Anaïse se laisse guider par Thomas, son chauffeur. La jeune femme est pleine d’une absence de mémoire, pleine d’incompréhensions. Elle part sur les terres de son grand-père, Robert Montès, un puissant homme d’affaires, et de son acolyte, le colonel Pierre André Pierre. Il y a déjà bien longtemps, les deux hommes ont disparu la même nuit dans l’incendie de leurs maisons, les Belles Jumelles. Anaïse veut aussi comprendre ce qui a poussé son père, mort depuis des années, à quitter ce village de pêcheurs. Elle espère que le vieux peintre Frantz Jacob pourra lui donner des réponses. Mais Thomas la met en garde : « Ce n’est pas sûr qu’il puisse te faire écouter la voix qui manque à ton enfance. » (p. 31)

Thomas est plus qu’un simple chauffeur de taxi, plus qu’un simple guide. Dans un long monologue, il ouvre le chemin vers la réalité simple d’Anse-à-Fôleur : là-bas, les gens donneront plus qu’ils n’ont, mais ils ne remuent pas le passé. Sur un trajet qui semble ne jamais finir, Thomas fait les questions et les réponses, il encourage et il imagine. Il attend d’Anaïse qu’elle se confie, mais il lui laisse le loisir de s’ouvrir à son heure. Thomas donne les réponses qu’Anaïse attendait du village, simplement parce que ces réponses n’ont pas d’importance, ce ne sont pas elles qui combleront le vide qu’Anaïse porte en elle. Le mystère de son grand-père est rapidement résolu : il lui suffit de savoir que l’homme d’affaires et son ami colonel étaient des hommes mauvais, « rien, mis à part la cruauté, ne pouvait justifier l’amitié qui lia jusque dans la mort le colonel Pierre André Pierre et l’homme d’affaires Robert Montès. » (p. 86) Ce qu’Anaïse trouve à Anse-à-Fôleur, c’est davantage qu’un roman familial, c’est un vadémécum, presqu’une panacée.

Dans le village d’Anse-à-Fôleur, les gens vivent de bonheur et de simplicité, selon la loi de Justin, un législateur bénévole qui n’impose pas ses règles. « Là-bas, à vivre de mer et d’arc-en-ciel, les couleurs souvent leur suffisent. » (p. 16) Les habitants s’appliquent à être heureux là où ils sont et avec ce qu’ils ont. « Le bonheur n’est-il pas le seul mérite naturel auquel tout humain a le droit d’aspirer ? » (p. 147) Et surtout, ils s’appliquent à mener une vie juste et utile. À la question « Ai-je fait un bel usage de ma présence au monde ? » (p. 24), les habitants d’Anse-à-Fôleur sont fiers de répondre par l’affirmative. Cet usage n’est pas celui du pouvoir ou de la richesse, ni celui de l’orgueil ou des gloires. Le bon usage d’une présence au monde permet de se présenter devant la mort sans regret ni culpabilité. La mort-même n’est pas à craindre : « la mort ne nous appartient pas, puisqu’elle nous précède. Mais la vie… » (p. 24) Le bon usage d’une présence au monde, selon l’oncle de Thomas, c’est enfin « la belle amour humaine » : « Mon oncle a une thèse. […] Il l’appelle : la belle amour humaine. Selon lui, chacun y tient sa place. Et il ne faut pas demander à quelqu’un d’y occuper la place d’un autre. » (p. 42)

D’ordinaire réservé au pluriel du mot « amour », l’usage du féminin dans le titre du roman a quelque chose de barbare pour tout inconditionnel de la grammaire. Mais ce féminin, en dehors de toute considération de genre, introduit une dissonance sublimement poétique. Comment ne pas comprendre que l’amour ne peut être qu’humaine, qu’il ne peut pas être humain ? Cela ne s’explique pas et c’est tout le talent de Lyonel Trouillot d’en faire une évidence. L’exotique Haïti se profile sans s’imposer, elle est le cadre d’une prise de conscience, d’une connaissance de soi. Si voyage initiatique il y a, il est modeste : Anaïse ne se révolutionne pas, elle s’équilibre. Tout le roman, au fil du monologue de Thomas et de la brève réponse d’Anaïse, déploie une langue riche et chantante et se fait porteur d’une voix caribéenne légendaire et mystique.


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La belle amour humaine

« La belle amour humaine » Lyonel Trouillot (Actes Sud 160p)

Haïti. Thomas, chauffeur de taxi et guide pour touristes, conduit Anaïse, jeune occidentale juste débarquée de l'aéroport pour se rendre sur les traces de sa famille paternelle dans une bourgade côtière, à des heures de voiture de la capitale. Elle n'a guère connu son père, né dans ce village avant de s'exiler tout jeune vers un pays plus riche, puis de disparaitre ensuite quand elle avait trois ans. Remontant sa trace, elle espère aussi comprendre ce qui est arrivé à son grand-père inconnu, décédé depuis des années dans ce coin perdu dans des circonstances très troubles. Ce voyage en taxi est l'occasion d'un très long monologue (les 4/5ème du livre) du chauffeur. Thomas parle, parle, il lui raconte ce village, ces gens, ce pays où règne une pauvreté endémique, produit d'une corruption invraisemblable et de la brutalité sans limite d'une police tortionnaire ; les tontons macoutes de Papa et Bébé Doc sont visiblement toujours là et aussi nuisibles. Pourtant c'est dit « comme ça », sur un ton ostensiblement neutre, sans révolte affichée, juste comme une réalité, et cette apparente distance est particulièrement saisissante. Ce qui est plus marqué, c'est une joie de vivre et une solidarité communautaire entre pauvres qui existent malgré la misère. En contrepoint on saisit aussi dans cette culture un autre rapport à la vie et à la mort, à ce qui est essentiel ou négligeable, aux liens entre les gens. Et aussi une critique acide d'une forme de tourisme occidental parfois hautain et méprisant.

Mais petit à petit, dans les mots de Thomas, l'ombre d'un drame ancien se dessine. Il faudra qu'Anaïse arrive à bon port pour commencer à en démêler les fils.

Le ton est loin de tout misérabilisme ou de toute plainte. Et la langue est sublime, vivante, colorée, chatoyante, poétique. C'est un livre magnifique de la littérature francophone, avec tout ce qu'elle peut apporter à la langue française. Lyonel Trouillot, une très belle première rencontre, à renouveler.

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La belle amour humaine

Toujours aussi charmée par l'écriture de Lyonel Trouillot.



Ce court roman se passe à Haïti où nous suivons deux personnages, un guide local et une jeune femme en quête de ses racines. La première partie correspond à un monologue incroyable du guide, avec sa verve tel un slam, son regard critique et lucide sur les touristes étrangers qui viennent sur son île, son amour pour les locaux. La jeune femme est quant à elle venue pour en savoir plus sur son père qu'elle n'a pas connu. Et en apprend plus sur son grand-père et son ami qui sont tous les deux décédés dans un incendie.



Un très beau récit !
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Kannjawou

Chronique d’un quartier populaire dans un Haïti occupé et dépossédé de son avenir.



«Un pays occupé est une terre sans vie.»



Depuis son bout de trottoir d’un quartier populaire d’une ville haïtienne, le narrateur de «Kannjawou» regarde et témoigne, sous forme de chronique des gens et des lieux, de la violence de l’exclusion sociale et de l’érosion des espoirs, dans un pays occupé et contrôlé par les forces militaires américaines et les organisations internationales depuis tant d’années. La rue de l’Enterrement qui se termine au grand cimetière où il loge, un «quartier habité par autant de morts que de vivants», apparaît comme un lieu aussi réel que symbolique du poids de cette occupation interminable et du cloisonnement social, qui minent tout espoir d’un projet collectif d’avenir.



«Dans le groupe, je suis le petit dernier. Et le scribe. Man Jeanne m’encourage. Écris la rage, le temps qui passe, les petites choses, le pays, la vie des morts et des vivants qui habitent la rue de l’Enterrement. Écris, petit. J’écris. Je note. Mais ce n’est pas avec les mots qu’on chassera les soldats et qu’on fera venir l’eau courante. Hier, ils ont encore attaqué des manifestants avec des balles en caoutchouc et des lacrymogènes. Peut-être qu’un jour c’est eux qui nous chasseront.»



La voix du narrateur donne vie à une galerie de personnages issus de classes défavorisées – une bande d’amis d’enfance, devenus jeunes adultes, qui tentent de se battre pour plus de justice sociale, avec peu de moyens et surtout peu d’espoir. Autour de Wodné, révolté embourbé dans une pensée radicale, en proie à un ressentiment qui s’est transformé en haine, de Popol, le frère du narrateur, dont le silence trahit peut-être déjà la résignation, autour de personnages féminins magnétiques, et soumis à des pressions économiques et sociales écrasantes, Joëlle et Sophonie, il y a aussi man Jeanne, doyenne de la rue de l’Enterrement et mémoire du quartier, des joies passées, des famines et de la première Occupation, et le petit professeur, intellectuel plus âgé originaire d’un quartier un peu plus haut placé, dans cette ville où la géographie reflète les inégalités, poussées à l’extrême, entre riches et pauvres.



Ce qui relie ces personnages c’est le pouvoir des mots, qu’ils ont eu la chance de découvrir très tôt, qui les protège, leur permet de questionner et de décrire le monde, dans une société où littérature et parole politique semblent intimement liées, mais qui souligne aussi leur impuissance à transformer ce monde.



«Je sais aussi que, depuis l’enfance, tous mes pas me ramènent au bord du trottoir, devant la maison de man Jeanne. Mon lieu de méditation où, sentinelle des pas perdus, je passe mon temps à cogiter sur la logique des parcours. Sentinelle des pas perdus. C’est le petit professeur qui m’appelle ainsi. Pourtant il est comme moi, avec trente ans de plus. Ou je suis comme lui, avec trente ans de moins. Sentinelle des pas perdus. Sans pouvoir rien y changer, nous passons beaucoup de temps à deviser sur les itinéraires. Et le soir, nous nous posons des questions qui restent sans réponse. Quel chemin de misère et de nécessité a emprunté un garçon né dans un village du Sri-Lanka ou dans un bidonville de Montevideo pour se retrouver ici, dans une île de la Caraïbe, à tirer sur des étudiants, détrousser les paysannes, obéir aux ordres d’un commandant qui ne parle pas forcément la même langue que lui ? Quel usage est fait de la part de sa solde qu’il envoie dans son pays à une mère ou à une épouse ?»



Kannjawou évoque l’idée d’une grande fête, cette fête dont rêve un des personnages à la fin de sa vie, une fête rêvée et dans cesse ajournée, dans une terre d’Haïti où les lieux et les choses comme les espoirs sont bancals et dégradés, à cause de cette occupation qui ne dit pas son nom, des inégalités de richesse et du cloisonnement social.

Mot lui-même détourné, par un occupant s’est approprié le pouvoir et les joies, Kannjawou est le nom du bar à la mode où travaille Sophonie, un bar fréquenté par les experts et les consultants, cette élite en perpétuel transit qui, tels les enfants gâtés d’un monstre avide, secondée par la bourgeoisie et les technocrates locaux, décide du sort d’un pays sans vraiment le connaître, avant de s’envoler ailleurs pour une nouvelle mission.



Comment être soi-même quand on est occupé ? Comment avoir des désirs et un corps collectif et souverain, comment faire la fête quand on est soumis à la pauvreté et à l’arbitraire ?



«Peut-être n’y a-t-il rien de pire que d’atteindre l’âge adulte dans une ville occupée. Tout ce qu’on fait renvoie à cette réalité. L’amitié a besoin d’un fond de dignité, quelque chose comme une cause commune. Nous avons perdu ce bien commun, toujours virtuel, qui s’appelle l’avenir. Nous sommes dans un présent dont nous ne sommes pas les maîtres. Chaque uniforme, chaque démarche administrative que nous devons entreprendre, chaque bulletin de nouvelles, tout nous rappelle à notre condition de subalternes.»



En s’inscrivant directement dans l’actualité pour son dixième roman, à paraître en janvier 2016 aux éditions Actes Sud, Lyonel Trouillot prouve, une fois de plus, avec un souffle rageur puissamment poétique, évocateur du «Meursault contre-enquête» de Kamel Daoud, qu’il a le pouvoir de posséder la vérité de son pays, selon l’expression de René Philoctète.



Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2015/12/23/note-de-lecture-kannjawou-lyonel-trouillot/



Nous aurons l'immense joie d'accueillir Lyonel Trouillot le 12 janvier prochain en soirée à la librairie Charybde, 129 rue de Charenton, Paris 12ème, pour la parution de Kannjawou.

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