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Critiques de Lyonel Trouillot (300)
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La belle amour humaine

C’est du pur Trouillot. Je veux dire avec sa belle écriture poétique propre à lui. Cette fois, il dénonce le comportement du touriste nanti. Il y a ceux qui ne cessent de râler parce que le confort n’y est pas et il y a ceux qui trouvent que la pauvreté fait pittoresque.

Un guide haïtien emmène une jeune femme vers un village perdu en bord de mer. Celle-ci espère découvrir pourquoi les propriétaires des villas 'les Belles Jumelles' sont morts incendiés dans leurs maisons, réduits à deux tas de cendres. L’une était habitée par un colonel à la retraite, l’autre par un homme d'affaires, son grand-père. Et pourquoi le fils a-t-il disparu dans le même temps ?

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La belle amour humaine

Lyonel Trouillot, une des grandes plumes haïtiennes contemporaines, nous emmène sur son île, à la découverte de la vie d'une communauté d'habitants, à travers l'histoire de la rencontre improbable de deux personnes provenant de mondes différents : Anaïse, une jeune occidentale vient à la recherche de ses origines paternelles et Thomas, haïtien, lui sert de guide et de chauffeur. Pendant ce trajet assez long, de la capitale où Anaïse a débarqué jusqu'au petit village côtier de Anse-à-Fôleur, on entend d'abord la voix de Thomas qui raconte le village, "une poignée de vivants", son atmosphère, les villas jumelles du grand-père Robert Montès et de son acolyte Pierre André Pierre, colonel à la retraite ; il se demande si la belle jeune femme a raison de vouloir savoir ce qui est arrivé à son grand-père puis à son père.

Qu'est-ce que la vérité ? Est-ce important de la connaître ? La connaît-on vraiment jamais ? Voilà les questions que pose Thomas, et il a sa propre façon de répondre.

Anaïse a écrit à l'oncle de Thomas et elle est attendue ; "Mais mon oncle pense que tu es spéciale, que ce que tu cherches au fond, plus qu'une origine, ce pourrait être un idéal. Que la vraie question que tu te poses, en passant par de longs chemins, c'est celle qu'il avait faite à l'enquêteur : quel usage faut-il faire de sa présence au monde ? C'est pour cela qu'il m'a demandé de fixer avec toi les détails du voyage."

Puis s'élève la voix d'Anaïse ; a-t-elle compris ce que Thomas a dit ? Et repartira-t-elle avec ce qu'elle était venue chercher ?

Une belle écriture, imagée et pleine de bon sens donne à cette fable philosophique et poétique écrite par un conteur génial, une merveilleuse et passionnante humanité. C'est de la très belle littérature !
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Parabole du failli

Toute mort est un scandale mais que dire d'un suicide ? Dans Parabole du Failli, Lyonel Trouillot s'adresse à un défunt mais compose surtout un hymne à la vie. Et à la poésie, à la richesse des déclassés, même si on ne peut parfois rien contre leur désespoir. Le monologue de l'écrivain haïtien s'aventure hors des sentiers battus du roman. Son approche n'est pas simple d'ailleurs et il faut accepter d'entrer dans sa prose, sinueuse et intime. Trouillot évoque évidemment une ville qui lui est chère, Port-au-Prince, une cité dont les princes sont en haillons, et un pays qui n'en finit pas de souffrir. Parabole du failli gagnerait à être écouté plutôt que lu, ses mots mériteraient d'être scandés sur une scène car ils expriment la colère, la nostalgie de ce qui aurait pu être, l'humour et la résistance à l'indifférence. Avec un élan vital qui est à l'opposé du renoncement.
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Parabole du failli



« Comment faire la chronique d’un cri ? » Le narrateur, en charge de la nécrologie dans un journal haïtien, est chargé de l’éloge d’une célébrité locale, un comédien, fils de bonne famille, qui a fait carrière à Paris et qui s’est jeté du douzième étage d’un immeuble alors qu’il commençait à connaître le succès. Ce n’est déjà pas facile, mais le chroniqueur était un ami proche du suicidé. Avec un troisième comparse, l’Estropié, ils vivaient dans un petit appartement en guise bateau ivre, entre révolte et poésie. Alors, malgré la distance, il s’agit de comprendre et, à travers celui qui est parti, se comprendre soi-même. Pour parvenir à une notice ampoulée comme les demandent les journaux, il faudra longuement revenir sur le passé, évoquer les failles qui se sont creusées, petit à petit, pour finir par constituer un gouffre. « Un corps qui plonge dans le sol n’est plus un corps à l’arrivée. Un homme qui tombe de si haut est une défaite sans visage, un mort sans traits, une défigure, et il ne reste rien à montrer. »

Ce qu’il faudra dire avant d’écrire, ce sont « toutes ces choses que nous ne t’avons pas dites », reconstituer le passé qui explique le présent. Ce qu’il faudra montrer, c’est Port-au-Prince, tel qu’il est et tel qu’on le rêvait. Ce sont ces personnages trop révoltés, trop résignés ou trop contents de leur sort. Et parfois, tout cela ensemble. L’art de Lyonel Trouillot réside d’abord dans l’évocation de ces personnages à la fois ordinaires et déchirés par des rêves impossibles. Pedro, bien sûr, le suicidé, capable de monter sur une estrade improvisée pour maintenir, une nuit durant, une ville en haleine en inventant la saga d’un héros de pacotille, de séduire l'infirmière d’un hôpital psychiatrique en lui récitant de la poésie, de louer la boîte d’un cireur de chaussures et d’exercer le métier toute la journée avant de lui remettre la recette le soir. On ne peut jouer ainsi sa vie sans être fils de bonne famille, imprégné de culture et révolté contre l’hypocrisie sociale.

Tout autour de lui, des personnages que le romancier parvient à croquer en quelques mots, en une expression ou une anecdote. Personnages principaux, comme madame Armand, l’usurière obèse, « grosse fondation toujours assise à la fenêtre du premier étage de sa grande maison jaune ». Personnages secondaires, comme cette poétesse du dimanche, « rentière dans le civil », qui reçoit des amis pour lire « un petit Musset par-ci, un petit Hugo par-là ». Un mot parfois suffit, comme pour l’Estropié, que l’on n’appelle que l’Estropié, et son père, que l’on n’appelle que Méchant.

Derrière le personnage de Pedro, l’auteur ne cache pas qu’il s’est inspiré du comédien Karl Marcel Casséus, mort en 1997 « dans des circonstances tragiques ». Mais il n’entend pas raconter sa vie, ni sa mort. L’avertissement donne un ton d’hommage à ce récit qui tient de l’évocation plus que de la narration. Inlassablement, il revient sur ce jour où l’on a appris la mort de Pedro. Ce qui pourrait finir par lasser fait partie du projet romanesque même : « Pas un soir depuis ta mort où tu n’es revenu mourir dans notre chambre », finit-il par écrire. La narration reprend du souffle lorsque l’on retrouve, chez madame Armand, un cahier de poèmes du disparu, une « Parabole du failli » qui donne son titre au roman et qui va rythmer le récit. L’hommage officiel devient possible, en contrechant grotesque de ces poèmes à fleur de peau.

Mais si ce long hommage nous retient, c’est d’abord par la langue somptueuse de Lyonel Trouillot, au rythme ample, aux images justes, à la poésie discrète, une langue qui joue avec les mots créoles, les néologismes, les associations inattendues. Et s’il nous concerne, c’est parce que la fêlure qu’il parvient à définir dans le personnage de Pedro est aussi celle du narrateur, et la nôtre : ce décalage entre la réalité et la poésie que l’on ne pourra jamais combler. Le narrateur aurait pu se marier avec Josette, qui n’est pas moins jolie qu’une autre. Mais « son défaut, c’est d’être réelle », quand il continue à projeter autour de lui des êtres impossibles. Nous sommes bêtes, conclut-il, « bêtes, parce que ce n’est pas seulement entre le mot et le silence que nous n’avons pas su choisir, c’est surtout entre l’ombre et le destinataire. » Si tous les lecteurs sont destinataires de ce superbe livre, c’est parce que Lyonel Trouillot a su parler à leur ombre.

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Les enfants des héros

«Il devait être midi quand nous avons commencé à courir. »



Colin, petit garçon de constitution faible, et sa sœur ainée Mariéla s’enfuient du bidonville. Pendant trois jours d’une fuite circulaire, racontée par le monologue du petit frère, ils cherchent à fuir ou bien à surmonter la mort de leur père Corazón, qu’ils ont laissé étendu sur le sol, crâne ouvert.



Le père alcoolique et brutal se rêvait champion de boxe. Véritable raté, il maintenait ses rêves en vie avec l’aide du rhum, ou étouffait leur mort en battant constamment sa femme Joséphine, devenue transparente à force de recevoir des coups. Heureusement pour Colin, il y a Mariéla la grande sœur, la préférée du père : personnage merveilleux, elle est déterminée, protectrice de Colin face à la violence du père, forte femme, du haut de ses seize ans, refusant de ressembler à une mère-victime qui accepte en silence les coups de l’homme qu’elle aime, et enfin vengeresse, se sentant trahie quand elle découvre enfin la faiblesse de Corazón.



Lyonel Trouillot fait naître des dizaines personnages de la voix d’un enfant. Magicien du flot des mots, tel le mouvement des enfants qui s’enfuient, il invente une langue capable de tout dire, qui rassemble le passé, le présent et l’avenir ensemble. Dans un environnement misérable et violent, ses mots abolissent la frontière entre poésie et prose, ils donnent vie à des voix singulières - ici avec Colin, comme dans les inoubliables «Thérèse en mille morceaux» ou «Rue des pas perdus».

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Rue des pas-perdus

Publié pour la première fois en 1996, ce récit à trois voix nous conte une nuit d’horreur, une nuit qui englobe toute la succession des dictatures et des massacres perpétrés dans l’île d’Haïti depuis les Duvalier, et même dans les racines de ce qui les précédât, avec l’évocation de l’occupation américaine jusqu’en 1934.

La première voix est celle d’une vieille femme, qui fut putain, madone, mère, grand-mère, et qui depuis vingt ans est tenancière de bordel, recueillant des filles fatiguées de porter des seaux d’eau sur la tête ; et puis la voix d’un homme, et l’évocation de son histoire d’amour naissante, au milieu du chaos ; et enfin celle d’un chauffeur de taxi victime des milices armées, qui dans la nuit de l’horreur perd sa voiture, sa jambe et sans doute sa raison.



Dans ces mots sont inscrits toute la violence de la misère et de la répression, l’éruption de la haine qui croît plus vite que tout, l’horreur des journalistes qui viennent renifler l’odeur des massacres, l’averse rouge sang, couleur traditionnelle sur l’ile d’Haïti, «vingt-sept mille kilomètres carrés de haine et de désolation», et «le bleu des attentes de pain, d’océan et de rêves».



«Il faudrait désormais nous taire sur nos vérités. Quand le salut naît du silence, c’est la preuve que l’homme a vieilli. Nous avons vieilli en une nuit.»



Lyonel Trouillot qui a passé son adolescence aux Etats-Unis, a choisi de revenir vivre à Port-au-Prince et de ne pas se taire, dénonçant dans ses livres la misère, l’injustice et la haine. L’empilement et la profusion de ses mots, en un chant poétique, témoigne de l’insensé, et de l’insoutenable.



«De la gueule du canon tonnait une horrible musique concrète, des morceaux de chair s’accrochaient aux murs, les corps qu’on empilait dans les camions prenaient des formes nouvelles, une épaule arrachée faisait bretelle avec un crâne, pour la première fois sans doute des étrangers se rencontraient, se serraient passionnément, dis-moi qui tu hantes, amitiés post-mortem, agonie partagée comme s’ils avaient vécu ensemble, au fait, monsieur, il y a bien longtemps que plus personne ne vit avec personne, comment vivre avec quelqu’un quand on ne sait même plus ce que c’est que la vie, la peur va faire ses courses, elle se lève à toute heure, à midi dans les yeux des chiens, au sud des aubes pâles couleur de papier d’emballage, tenez-le d’une vieille pute, monsieur, les gens ne vivent plus ensemble.»

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La belle amour humaine

Haïti. Anaïse, une jeune femme étrangère, se fait conduire depuis la capitale jusqu'au village de pêcheurs lointain d'Anse à Fôleur, où son grand-père Robert Montès, un homme d'affaires retraité, a trouvé la mort mystérieusement, vingt ans plus tôt, dans l'incendie inexpliqué de sa maison, sinistre qui a dévasté en même temps celle jumelle du colonel Pierre André Pierre, un militaire prédateur et sans scrupules, son meilleur ami. La jeune femme veut comprendre les origines de sa famille, aller sur les traces de son père, un adolescent révolté et timide, qui a quitté le village après ce drame n'ayant pourtant guère ému la population locale.

Son chauffeur, le narrateur, lui parle, lui explique son île, sa misère, son humanité, les regards bornés des touristes, lui fait le portrait de ces deux disparus si peu regrettés, symboles des maux qui accablent le pays, de la violence, de l'impunité, du chantage et des richesses mal acquises. Il lui dresse un tableau sobre de la simplicité tranquille de la vie de ses amis villageois, de leur hospitalité, de leur densité humaine, de leur sens de la justice et de la beauté : la seule question qui vaille n'est-elle pas : "quel usage doit-on faire de sa présence au monde ?"

Thomas, le chauffeur, et Anaïse arrivent au village pour assister à la mort paisible de l'oncle du narrateur, un peintre qui lui a toujours tenu lieu de père. Ce deuil est l'occasion d'une fête collective où s'exprime "la belle amour humaine" au milieu des chants et des danses.

Anaïse, prenant à son tour la parole, comprendra le mystère de sa famille, et reviendra peut-être vers son pays moderne et sans âme, porteuse d'une richesse insoupçonnée, offerte par les habitants de l'Anse à Fôleur, qui ne possèdent rien d'autre que le miracle quotidien de leur existence.

Une écriture simple et poétique à la fois, un livre qui n'ignore rien des drames du pays le plus pauvre de la planète, mais rien non plus de ses richesses immatérielles, une poignante mélancolie qui étreint le lecteur. Un beau texte.
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La belle amour humaine

Dans La belle amour humaine, un personnage a l'habitude, lors d'une première rencontre, de s'adresser ainsi à son interlocuteur : "De quoi parlions-nous ?" Comme une invitation à poursuivre une conversation en dépassant les présentations d'usage. Le roman de Lyonel Trouillot est composé d'un premier monologue assez long, d'un second plus bref et, enfin, de la narration d'une veillée mortuaire aux accents poétiques. L'écrivain haïtien raconte son pays avec une ironie tranchante, son dénuement, sa solidarité, son humanité. Mais aussi, de façon subtile, ses hiérarchies sociales et le racisme larvé, mulâtres face aux noirs ébène, qui, avec la corruption, gangrènent la société haïtienne depuis des lustres. Et puis, Trouillot s'en prend aux touristes, ces visiteurs bardés de certitudes, qui s'apitoient ou rudoient, mais ne comprennent strictement rien aux valeurs de cette nation. Quant aux deux figures du passé qui "surplombent" le livre, celles d'un colonel et d'un homme d'affaires, qui "prennent tout et ne laissent rien aux autres que des restes, quand il reste des restes", ils sont comme le symbole de tous ceux qui ont dirigé Haïti, dictateurs sans vergogne, et qui ont fait son malheur. "Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?", telle est l'interrogation qui revient à plusieurs reprises dans La belle amour humaine. Il n'y a pas plus de réponse à cette question qu'à cette quête d'identité de la jeune femme qui, dans le roman, cherche où sont plantées ses racines. La langue élastique et insolente de Trouillot s'entortille autour de l'âme haïtienne comme un serpent. Bien beau livre, en vérité.
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La belle amour humaine

Deux hommes, deux salauds, vont brûler dans leur maison d’Anse-à-Fôleur à Haïti, l’un d’eux est le grand-père d’Anaïse qui part à la recherche de ses racines et cherche à comprendre pourquoi son père a rompu avec son propre père. Dans cette quête sous forme d’enquête Lyonel Trouillot pose la question « quel usage faut-il faire de notre présence au monde ? » et malgré une lecture attentive je n’ai pas trouvé de pistes de réponse, ni d’endroit où chercher. Si chaque phrase de ce livre mérite d’être soulignée tant son intensité est forte, la dramaturgie du roman n’a pas vraiment pris pour moi. Je reste donc mi-frustrée parce que j’ai aimé l’écriture, j'y ai puisé des citations qui ont du sens mais suis passée à côté de l’histoire et de son éventuelle profondeur.
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Yanvalou pour Charlie

Nous sommes en Haïti ; le livre s'ouvre sur le personnage de Mathurin D. Saint-Fort, jeune avocat de trente ans, ambitieux, cynique, lucide. Inquiet aussi, sans doute, de trouver sa place, puis de garder sa place.

Cette place c'est celle qu'il s'est faite, dans le monde des riches et des puissants, à raison d'un oubli, d'un reniement complet de ce qu'il fut, du lieu où il a grandi, des ses racines, de son nom.

La vie de Mathurin va pourtant basculer à l'arrivée du second personnage : Charlie. Un jeune gosse paumé, venu du même village que Mathurin, et qui, au nom des valeurs ancestrales, au nom de la fidélité à des amitiés communes va exiger de Mathurin qu'il l'héberge et surtout qu'il l'écoute.

Mathurin repart en arrière, retrouve ce qu'il a voulu ensevelir ; paie son tribut au passé.



"Se tenait debout devant moi un garçon sale que je voyais pour la première fois, une curiosité venue d'un autre monde, et j'entendais ses silences. J'entrais dans sa tête et je disais ses mots. Je me suis mis à transpirer malgré la climatisation. Pris d'effroi. Comme là-bas, au village, il y a longtemps, quand j'ai rencontré la mort pour la première fois et que j'ai passé trois nuits à attendre qu'elle vienne me chercher. Là-bas, le village, mon père, les vieux joueurs de bésigue, Anne, le petit cimetière. Ce crétin de Charlie, avec sa vie de chien et son histoire de fou, était venu ouvrir la porte du retour."



Le livre est construit à partir de quatre voix successives, qui viennent dire la même histoire : celle de gosses perdus, coincés dans ce pays embourbé, obligés de grandir trop vite, et de payer trop cher leur impossibilité de vivre.



J'ai particulièrement aimé ce livre. Pour ce qu'il dit de la jeunesse haïtienne, pour les envolées poétiques qui émaillent le récit, pour l'humanité que Trouillot revendique.
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Yanvalou pour Charlie

Plongée au coeur du dénuement et de la désespérance...

A Port-au-Prince, Mathurin, le brillant avocat qui a réussi "sans passé et sans état d'âme", connaîtra une sorte de rédemption après l'entrée en scène de Charlie dans son quotidien : Charlie va ranimer en lui le souvenir de l'enfance douloureuse qu'il a occultée en quittant son village natal.

De la ville moderne et superficielle avec son lot d'ambitieux et de combinards aux petits villages reculés, en passant par les bidonvilles de Port-au-Prince, la crasse et la misère, l'auteur dévoile un coin d'Haïti et dénonce en vrac l'injustice de l'ordre mondial, les mirages du modèle américain, la peur du pauvre, l'aveuglement, l'illusion humanitaire...

Mais peut-être la conscience collective de chacun peut-elle être réveillée par Charlie ?

Roman/conte choral divisé en quatre parties, chaque fois portés par un nouvel intervenant, le style s'adapte à chaque intervenant et se fait tour à tour léger, cynique, pathétique ou sombre, voire dérangeant....
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Ne m'appelle pas Capitaine

« Ne m’appelle pas Capitaine » Lyonel Trouillot (Actes Sud 140p)

Un roman coup de poing. Haïti : Aude, une jeune fille de « bonne famille », gosse de riche qui vit en vase clos dans son monde, n’ayant jamais mis les pieds dans un des faubourgs pauvres de Port-au-Prince, s’ennuie dans son univers familial et amical aussi aisé que futile. Pour ses cours de «journalisme par correspondance» (! une occupation comme une autre), elle choisit de faire le portrait d’un quartier en déshérence, par le biais d’un de ses habitants, vieil homme apparemment rustre, mais porteur d’une mémoire de toute une frange de la population locale. Aude va nouer des liens avec un jeune garçon de ce faubourg qui va l’introduire dans ce monde, et au fil des rencontres avec le vieux «capitaine», elle va prendre conscience d’un univers de pauvreté endémique, de la dictature d’un pouvoir tortionnaire, de la corruption, la misère effarante qui engendre les déchainements d’agressivité… Le vieil homme lève peu à peu le voile sur un pan de son histoire intime, bouleversée par une rencontre qui a laissé une trace indélébile.

C’est un portrait sans concession d’un monde de riches qui vivent sur le dos d’une population misérable sans lui accorder un regard. C’est la lumière crue sur les dégâts qu’engendre la misère extrême, et sur la soif de solidarité qui persiste encore ici ou là, malgré tout. C'est la révolte, nécessaire, qui se cherche une voie. C’est aussi une histoire d’apprivoisements mutuels. C’est un beau, très beau roman, écrit d’une plume ciselée, qui détaille avec finesse les ressorts des comportements humains, qu’on ne lâche pas avant de l’avoir terminé. Comment ne pas vibrer et frémir avec et pour ce peuple haïtien, toujours prisonnier de la surexploitation ?

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L'amour avant que j'oublie

Rarement je lis des romans où je me dis à chaque chapitre : que c'est beau, que c'est bien écrit ! Celui-ci en est un.

L'intrigue est assez simple : Un écrivain connu, lors d'un colloque sur la littérature, aperçoit dans le public une jolie jeune fille qui le trouble, qu'il n'ose pas aborder. Alors il lui écrit ce livre, une façon très détournée et atypique de se livrer, de parler de son rapport à l'amour. Un récit de souvenirs, du temps où il n'était pas encore écrivain, et où il s'essayait à la poésie pour séduire les jeunes filles. Cette période particulière de sa vie où il habitait dans une pension dans laquelle vivaient trois « ainés », Raoul, L'Etranger, l'Historien. Et c'est leur vie que va raconter celui qu'ils avaient déjà nommé « L'Ecrivain ». Trois vies à la fois simples et peu banales, trois personnes qui ont choisi de se retirer du tumulte et de l'agitation, trois destins d'anti-héros, qui l'ont inspiré, et profondément marqué. Et nous tout autant par l'occasion.

J'aime à croire que ce récit est autobiographique. Je ne sais pas du tout si c'est le cas, mais j'aimerais que cela le soit, que ces trois hommes aient existé. La tendresse et le respect que Lyonel Trouillot leur manifeste sont si touchants.

Par des phrases tantôt très courtes, tantôt qui font un paragraphe entier, Lyonel Trouillot nous captive et jamais ne nous perd. C'est un conteur admirable.

Un roman magnifique, vraiment.

Je suis par contre dubitative sur la couverture, qui n'a absolument rien à voir avec l'ambiance intimiste et secrète du roman.
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Antoine des Gommiers

¨Dans les bidonvilles de Port au Prince, appelés corridors, vivent Antoinette et ses deux fils, Franky et Ti Tony. Elle leur parle sans cesse d'Antoine des Gommiers, leur ascendant, un sage, un devin qu'elle leur donne en exemple. Tout oppose les 2 frères. Franky, asthmatique aime les mots, les figures de style et écrit l'histoire, réelle ou sublimée, d'Antoine de Gommiers. Ti Tony, terre à terre et débrouillard, trouve dans son quotidien de quoi assurer la subsistance de la famille. C'est lui qui raconte les baffes qu'il reçoit de sa mère, son amitié avec le chef de bande, le lien avec son frère, les conditions de vie à Haïti.

Le roman présente 2 récits : celui de Ti-Tony, simple et réaliste et, en italiques, le texte de Franky , qui imagine dans une prose poétique l'histoire d'Antoine des Gommiers.

Roman d'autant plus intéressant qu'Haïti a fait encore la une de l'actualité avec l'assassinat du président en juillet et le tremblement de terre en août.
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Tu aurais pu vivre encore un peu...

Ce livre est un hommage d’amis . L’ami proche Pignon-Ernest qui enlumine l’ouvrage de ses magnifiques portraits de ceux qui irriguèrent l’œuvre de Ferrat , l’ami lointain Lyonel Trouillot qui en réalise le texte ,tissé de citations et de références aux poètes aimés et à la richesse des thèmes . S’y ajoute la magnifique mise en page des Editions Bruno Doucey dont les graphismes magnifient l’ensemble. .Si , comme moi, la voix tendre et révoltée de Ferrat fut et reste une compagne de vie vous aimerez ce livre et y ajouterez votre lecture en témoignage d’amitié à un artiste « qui aurait pu vivre encore un peu » et poser encore le baume de son chant sur nos blessures.
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Antoine des Gommiers

Au sein de la Librairie Actes Sud, on me vante la plume de Lyonel Trouillot, notamment avec sa dernière production, Antoine des Gommiers. J’avouais ma méconnaissance de l’existence de cet auteur. Je corrige ça rapidement. Faut dire que la couverture me plaît beaucoup.



Je ne serais pas aussi dithyrambique que certains lecteurs mais j’ai bien aimé cette histoire. J’ai entendu parler de réalisme magique mais je ne suis pas sûr que ce soit le terme approprié. La légende de l’ancêtre Antoine des Gommiers tient de la légende, avec son corollaire d’exagération et d’idéalisation mais là n’est pas le coeur du roman. Quoi que. Pourquoi ne pas appliquer à nos vies les enchantements qu’on donne au passé? je pose la question.



Ce qui est bien vrai, c’est que Lyonel Trouillot nous fait naviguer dans son histoire d’une façon qui semble anarchique mais qui pourtant ne nous laisse jamais sur le bord du chemin. Touchant et fluide, l’auteur nous mène où il veut. Son style, entre faits et idées, réflexions s’équilibrent parfaitement.



Je dois dire que j’aime ces ambiances d’une autre époque, celles des gamins de quartier qui jouaient dans les rues resserrées, de la promiscuité qu’impose la pauvreté, aussi bien dans la maison qu’avec le voisinage. C’est dans cet Haïti que nous plonge Lyonel Trouillot, un Haïti dangereux où certaines personnes deviennent des figures de quartier, bienveillantes ou malfaisantes. Qui influent sur les vies des autres. Un directeur d’école comme un caïd. Les légendes de chacun, personnelles, des « petits », des miséreux qui, je trouve, sont aussi fortes que les légendes de tous.
Lien : http://livrepoche.fr/antoine..
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Dictionnaire de la rature

Un ouvrage impertinent et drôle pour se débarrasser des mots trop encombrants.



Paru en Janvier 2015 dans la collection Un endroit où aller d’Actes Sud, ce petit «Dictionnaire de la rature» est une arme de résistance jubilatoire qui s’emploie à raturer des mots de la langue, par colère, par instinct ou par fantaisie, des mots dont l’utilisation annihile la pensée ou réduit le réel à sa caricature, des mots mesquins marqués par la petitesse du jugement, ou des mots dont la musique choque l’oreille, tout simplement.



Usant d’un esprit impertinent et subversif qui évoque des textes d’Yves Pagès comme «Portraits crachés» ou «Petites natures mortes au travail», le jeu de cet étonnant dictionnaire, qui vise à soustraire des mots à la langue plutôt qu’à en ajouter, aborde de très nombreux registres, et se révèle au fil de la lecture facilement contagieux. La rature est par moments joyeuse, pour supprimer les vocables qui reflètent les codes moraux ou les idiosyncrasies des familles bourgeoises, les mots de l’amour si mal employés, les mots poseurs de certains individus qui se prétendent auteurs, et elle se fait par moments nettement plus rageuse, pour les mots réactionnaires, ceux des populismes et des certitudes, les mots des tenants du libéralisme et de tous ceux qui se croient en surplomb d’une partie de l’humanité, en vertu de leur origine, de leur richesse ou de leurs croyances religieuses.



«Beau-frère

Accessoire conjugal à usage multiple de la sœur et de l’épouse, le beau-frère est employé à des tâches discrètes, le plus souvent inutiles mais présumées essentielles sur le moment. Bien entraîné, il sait griller une saucisse, ouvrir le vin, chercher un mouchoir ou un téléphone dans la voiture, se souvenir d’un acteur français et faire passer les chips. Comme le sac de la sœur, se pose et ne s’assoit pas. Il n’est pas censé émettre d’opinion, sous peine de contradiction immédiate – sinon sur les derniers résultats des championnats de football. Son effacement anticipe celui du mot qui le désigne.»



«Décomplexé

Qualité de ce qui est à la fois auto-complaisant, malhonnête et obscurantiste. Peut se dire d’un assassin ou d’une tendance politique. Equivalent dans le langage courant : « Je suis comme ça. » De manière très décomplexée, on peut ne pas aimer « les Noirs », « les Juifs » ou « les Arabes », les pauvres, les archipels ou les continents.»



Le lecteur peut ne pas être d’accord, et il est invité à son tour par les auteurs à entrer dans le jeu, et à utiliser l’arme pour débarrasser la langue de ses propres mots-scories.



«Con

1. Organe du corps féminin qu’on n’a pas appris à choisir.

2. Organe du corps social de génération spontanée. Le con partage avec le Je la faculté d’être toujours un Autre. Dans la mesure où l’autopsie reste muette sur la localisation, la composition chimique et d’éventuelles métastases, il faut espérer que la rature du mot réduira la fréquence de la chose.»



Et puisque ce petit vocable de trois lettres est ici proposé à la rature, rappelons que Georges Brassens avait déjà évoqué sa nécessaire disparition en chanson dans "Le blason".



Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2016/01/04/note-de-lecture-dictionnaire-de-la-rature-lyonel-trouillot-alain-sancerni-genevieve-de-maupeou/



Pour acheter ce livre a la librairie Charybde, sur place ou par correspondance, c'est ici :

http://www.charybde.fr/collectif/dictionnaire-de-la-rature
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Dictionnaire de la rature

Quels sont les mots français qu'il faudrait raturer? Ce dictionnaire en propose quelques-uns, de ces mots qu'on utilise à tort, à travers et à mauvais escient, de ces mots qu'on ferait mieux de tracer, tant ils ont perdu leur sens. Bien sûr, le lecteur a ses propres têtes de Turc parmi les mots, et il se trouve surpris de ne pas y trouver "croissance", "sondages (selon les)" ou encore "bonheur (que du)". C'est que les ratures toujours sont personnelles, c'est que le langage, pour rester vivant, doit être maltraité par tous ceux qui le parlent, qu'il doit se raturer sans cesse et raturer ses propres ratures. L'entreprise (ce mot d'ailleurs mériterait quelques ratures) est nécessaire. Au lecteur (peut-être aussi à raturer) de la poursuivre.
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L'amour avant que j'oublie

Ce roman de Lyonel Trouillot est un jeu de portes ouvertes, de portes fermées. J’aime son univers qui semble hermétique au premier abord. Il nécessite un effort de la part du lecteur. Rien n’est donné facilement. On est déséquilibré. On doute de sa bonne compréhension des choses, avant d’arriver à former une image dans son esprit, par petites touches, des trois inspirateurs de l’histoire : l’Étranger, l’Historien et Raoul. Le premier est un être d’histoires et de contes; le second s’est trompé de vie; le troisième est dans l’action et la prédiction. Par leur entremise, le narrateur dépeint son chemin intérieur. La distance qui le sépare de l’amour se résorbe dans l’écriture.



De l’évanescence des êtres et des choses, Lyonel Trouillot finit par tirer un roman d’initiation poétique qui peut se relire plusieurs fois tant il recèle de détours et d’évocations.
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La belle amour humaine

" Il faut croire qu'il est des lieux qui restent en toi, qui t'habitent pour toujours, une fois que tu y a mis les pieds."



Une fois de plus, les Éditions Actes Sud ont réussi à me séduire grâce à la plume poétique de Lyonel Trouillot. Quel magnifique récit que celui de Thomas, guide, chauffeur de taxi et "aide-au -bonheur". il explique avec toute la sincérité des habitants de Anse-à-Fôleur, la vie des grands-parents et du père de cette jeune fille qui arrive de la ville.



L'histoire des deux hommes, un colonel à la retraite violent et un homme d'affaires véreux (le grand-père de la jeune fille), exprime bien que ces deux êtres représentaient une erreur en ce territoire de gentillesse. Ils ne pouvaient pas se fondre dans le paysage. Leurs maisons jumelles ne s'intégraient pas dans ce village de pêcheurs.



Qui a donc incendié leurs maisons? Justin, ce philosophe qui crée des lois visant à faire régner le bonheur, la femme de l'homme d'affaires qui, trompée se réfugie dans la lecture, le fils taciturne qui a jeté à la mer les cadeaux de son parrain, le colonel, ou cette charmante Solène qui court et danse dans la forêt?



"Mensonge ou vérité, tout ce que je te dis sur leur mort, ça change quoi au fond des choses?"



Thomas décrit si bien la différence entre la vie de son village et les habitudes des gens de la ville qui viennent ici pour le soleil et le pouvoir. La description d'une famille qui descend de l'avion et utilise son taxi permet à l'auteur de faire passer son avis sur les touristes.



Après le récit de Thomas, Anaïse, la jeune fille de la ville lui répond avec ses mots et son rythme urbain. Mais elle, elle est venue chercher autre chose. Elle regarde, elle écoute et sait comparer ce qu'elle perçoit et ce qu'on lui a appris à l'école.



" Je viens d'une ville de lumières inventées qui trichent avec la nuit à coups de lampadaires, de néons et de phares."



Elle découvre cette joie de vivre jusque dans l'accompagnement de la mort, cette hospitalité et ce partage.



C'est un poème, un conte, une allégorie sur le vrai sens de la vie, un texte magnifique que je vous conseille.
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