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Critiques de Mathieu Larnaudie (50)
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Blockhaus

Un écrivain en panne d'inspiration, débarque à Arromanches dans le Calvados, pour s'isoler dans une villa pour écrire. C'est l'hiver. L'endroit désert garde les souvenirs du grand Débarquement des Alliés en 1944, " « un chapelet de bunkers aplatis, ensablés sur la plage » et dans la mer les traces du port artificiel construit peu aprés le Débarquement. Un paysage de science fiction, que l'écrivain narrateur décrit comme un "amphithéâtre de béton surgi des ondes, démonté, croulant " et dont le spectacle laisse une forte impression. D'où le nom du livre Blockhaus, mais pas que....



Il erre sur le bord de mer désert, observe de sa fenêtre les tribulations d'un poivrot sur la digue, reçoit sa copine le temps d'un week-end , fait la connaissance des tenanciers du bar local, écoute leurs confidences.....bref trois semaines d'un film en noir et blanc, où il observe et noue "une étrange forme d'intimité" avec des personnages qui lui tiendront compagnie même à distance, dans ce décor de cette petite parcelle de Manche d'une imagerie post apocalyptique. Une brèche dans sa Vie, sur fond d'une brèche dans L Histoire, pour finalement retourner à sa propre nuit, "c'est ce que nous faisons tous".





Une très belle prose riche en détails. Un livre insolite, un petit bijou, paru très récemment, juste avant le confinement, donc ne passez pas à côté !
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Notre désir est sans remède

Dans ce bref roman biographique, Mathieu Larnaudie nous conte Frances Farmer, actrice d’Hollywood qui va à la fin des années 1930, telle une comète, connaître l’ivresse du succès en un instant aussi bref que la gueule de bois qui va violemment s’en suivre. Car Frances n’est pas une actrice comme les autres, en ce qu’elle veut sortir des rôles de midinette qu’on lui réserve comme à toutes les jeunes actrices du milieu, en ce qu’elle brille par sa conscience politique, éminemment communiste, qui ne plaît bien sûr pas à l’aube du maccarthysme. Elle est une écorchée vive, bourrée d’alcool et de médicaments en tous genres, qui va, en 1942, suite à une altercation avec un policier aux diverses conséquences tragiques, être considérée comme malade mentale et finir internée pendant dans de nombreuses années dans un institut psychiatrique qui lui fera subir traitement à l’insuline – désormais reconnu comme dangereux -, électrochocs, manque d’hygiène et de soin, viols… Jusqu’à la fin de la descente aux enfers qui signera une « résurrection » pour celle qui se sera rapidement brûlé les ailes sur l’autel du cinéma hollywoodien.



Et cette histoire, l’auteur nous la conte merveilleusement bien, par l’intermédiaire d’une plume qui met parfaitement en valeur le passage brutal, pour Frances, de l’ombre à la lumière, en choisissant de décrire uniquement certaines scènes de son existence, passages clés faisant progressivement basculer le destin de la jeune femme jusqu’à sa déchéance. Frances devient même, au fil du récit, l’incarnation des balbutiements d’une société de l’image qui n’hésite pas à livrer en pâture chaque fait et geste d’un individu célèbre, pour mieux se repaître de cette déchéance dont elle est l’unique responsable. L’actrice n’en est ainsi, que plus touchante, et son histoire, que plus scandaleuse.



Un roman que j’ai donc franchement apprécié, et qui me donne envie de poursuivre ma découverte de Mathieu Larnaudie sous peu.
Lien : https://lartetletreblog.com/..
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Notre désir est sans remède

Envol et déchéance d’une étoile insoumise, consumée dans la lumière et le pouvoir d’Hollywood.



«La lumière n’exauce pas les corps, elle les massacre.

La main de l’éclairagiste qui agrippe la poignée du projecteur et, pour préparer l’entrée dans le champ de l’actrice dont il va illuminer le mouvement, fait pivoter sur son axe la caisse de métal d’où jaillit le faisceau aveuglant, cette main n’est pas moins cruelle que celle du tueur à gages qui pointe une arme à feu ou qui abat une arme blanche, ni moins impitoyable que celle du bourreau qui actionne le courant de la chaise électrique. Elle est l’instrument assermenté d’une loi sauvage : elle livre un être en pâture à notre regard.»



Depuis la naissance d’une nation avec l’épopée de ses pionniers, de la montée en puissance des tycoons et des stars des studios, jusqu’à l’avènement du tube cathodique et du divertissement industrialisé, du bouillonnement intellectuel de New-York des années 30 et 40 aux sunlights impudiques d’Hollywood, Mathieu Larnaudie explore dans ce roman d’une densité rare, en tirant de l’oubli le destin prometteur puis tragique de Frances Farmer, le pouvoir et la violence de l’image, vecteur de l’idéologie américaine à l’assaut du monde.



«En d’autres mots, tant que nous en sommes à ce rapide tableau, à ces hypothèses en abrégé – il n’est pas invraisemblable qu’à l’anonymat de l’homme des foules – celui-là même qui combat dans la Meuse et qui trime dans les fabriques, tour à tour chair à canon et à chaîne tayloriste – réponde précisément l’avènement de la célébrité absolue. Qu’à l’individu indifférencié, noyé dans la masse et les cadences répétitives de la standardisation, fasse pendant la distinction suprême, l’élection mystérieuse, l’apparition de la star hollywoodienne.»



Dès sa première apparition publique sur une scène de Seattle, le contraste est frappant entre l’allure de jeune fille de bonne famille de Frances Farmer – sa robe vichy, sa chevelure blonde et ses pommettes hautes – et sa liberté de ton ainsi que son rire brutal et rauque, le rire d’une femme qui noiera plus tard sa colère dans les amphétamines et le bourbon, et sera internée, maltraitée et déchue, à cause de son tempérament volcanique, et parce qu’elle refusait de se conformer au tracé imposé par les studios.



L’évocation de la vie de Frances Farmer en sept moments par Mathieu Larnaudie, entre lesquels on passe en franchissant des ponts tendus sur le vide des années tues, permettent au lecteur de sonder les gouffres d’une existence et les effets dévastateurs d’une forme d’exposition au pouvoir, comme un pendant à son livre «Les effondrés» (Actes Sud, 2010).

Ces épisodes non chronologiques, où l’on découvre à rebours le parcours de jeunesse de Frances Farmer, jusqu’à la fabrication d’une icône de cinéma, avant de parcourir dans le deuxième versant du livre le terrible parcours de sa déchéance, montrent les failles qui s’ouvrent entre l’être sensible et l’image sur papier glacé de la star hollywoodienne, «dispositif» au service du spectacle et de l’idéologie américaine.



Née à Seattle en 1913, ville alors loin de tout, repérée par les studios, transformée en icône, attirée avec son amant le dramaturge Clifford Odets dans le milieu intellectuel new-yorkais des années 1930 et 1940, si justement dépeint dans «Kafka faisait fureur» d’Anatole Broyard, alors que les tensions entre les écrivains de la côte Est devenus dépendants des dollars d’Hollywood se font jour, Frances Farmer l’insoumise est broyée dans ce mouvement d’uniformisation du divertissement, où quelques silhouettes deviennent stars et aspirations pour tous, symboles d’un nouvel impérialisme culturel américain, faisant écho au superbe «Tristesse de la terre» d’Éric Vuillard.



Sous la plume poétique et incisive de Mathieu Larnaudie, le parcours au crépuscule trop précoce de Frances Farmer ressemble à celui d’une supernova, étoile nouvelle d’une luminosité superbe, en réalité déjà consumée dès sa première apparition dans la lumière de nos écrans.



«Mais déjà l’horizon commence à se défaire et le vent rouge se déploie par vagues successives, cavalerie invisible dont le galop, sur son passage, cogne aux tempes, dévalant depuis les monts, par les canyons, par les boulevards qui sont comme des gorges percées dans le flanc des collines.»



Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2015/09/08/note-de-lecture-bis-notre-desir-est-sans-remede-mathieu-larnaudie/



Mathieu Larnaudie sera le mercredi 9 septembre 2015, en soirée, à la librairie Charybde, en compagnie de Claro et de Mathias Énard. www.charybde.fr



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Boulevard de Yougoslavie

J'ai habité ce quartier une quinzaine d'années dans les années 60-70. J'espérais trouver dans ce livre une monographie historique et sociale du quartier, de ses évolutions, de sa population. Or il n'y a même pas un portrait complet de la zone du Blosne lors de l'écriture du livre. Seulement des touches pointillistes guère éclairantes et aucune peinture d'ensemble. Sur l'évolution du quartier, quelques observations très generales, qu'on peut faire mutatis mutandis pour tous ceux qui ont été édifiés à la même époque. Mais aucun effort de les contextualiser dans le cadre de ce quartier précis sur lequel nous n'appartenons rien. Rien ? Enfin si : le projet de l'auteur a été retoqué et il est vexé. Il n'ose pas traiter les habitants d'imbéciles mais le coeur y est.

Ce qui est dommage, c'est que l'auteur juge aussi inutile de nous présenter son projet. Peut-être ne serions nous pas capables de les apprécier à leur juste valeur. Parce que quand même les conceptions architecturales de l'auteur sont un peu inquiétantes. Il loue Le Corbusier à longueur de pages, allant jusqu'à défendre son fameux projet de rénovation de Paris au début des années 50 : démolition totale de la ville et construction de quelques dizaines de gratte-ciels à la place.

On se dit que finalement les habitants du Blosne ont peut-être eu quelques bonnes raisons de chahuter l'architecte.

Mais l'auteur a trouvé la solution pour retomber sur ses pieds : ce n'est pas son projet qui est mauvais ce sont les habitants du quartier qui ne sont pas les bons. Parce qu'il y a, nous dit-on, deux catégories d'habitants au Blosne : les mauvais, des Blancs petits-bourgeois ; ce sont eux qui ont participé à l'enquête et qui n'ont pas aimé le projet. Par stupidité et égoïsme. Et les bons habitants, les immigrés. Eux, ils auraient peut-être aimé le projet, sait-on jamais ? Mais ils ne sont pas venus donner leur avis. Parce qu'ils n'ont pas osé. A cause des Blancs. Sûrement. En tout cas, si le peuple vote mal, il faut changer de peuple. Après quoi l'architecte part en mission auprès des habitants (les bons, bien sûr) afin de recueillir leur parole. Ça n'a plus rien à voir avec l'urbanisme ni avec la structure et le fonctionnement du quartier. Parce qu'en réalité, cela transparait dans les interviews, ils se foutent complètement des projets de réaménagement.

Donc, finalement, c'est vrai, ils ne sont pas contre. Mais le réaménagement, on en parle à peine. A la place, l'auteur expose ses vues sur la société. Et on a déjà lu ça mille fois. C'est toujours le même tissu d'apitoiements et d'indignations convenus, la même stigmatisation de l'égoïsme de notre société. Bref, pour moi, ça devient très emmerdant. Alors j'ai arrêté ma lecture. Mon lecteur le plus distrait a sans doute déjà compris que l'architecte ne m'est guère sympathique. C'est vrai. Outre ce que je lui ai déjà reproché, il fait preuve d'une belle hypocrisie : l'intraitable disciple de le Corbusier nous révèle que son cabinet se situe dans un immeuble mi-modern style mi-art déco du centre- ville. Selon lui, cet immeuble est immonde, mais si on voulait le démolir, la coalition des conservateurs de tout poil monterait sur les barricades. Mais au fait...qui donc contraint ce malheureux à garder ses bureaux à un endroit qui le fait tant souffrir dans sa pureté architecturale?

Ce sera mon mot de la fin.

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En procès : Une histoire du XXe siècle

Parcourir l’histoire du XXème siècle sous l’angle de procès emblématiques et de leur mise en scène.



Suite ordonnée chronologiquement, les vingt fictions politiques d’«En procès» ébauchent par fragments une histoire du XXème siècle, font entendre les voix du prétoire qui diffèrent de l’histoire officielle, donnent à voir les procès, qu’ils soient huis clos ou spectacle, dont les échos résonnent tout au long du siècle, comme dans le récit de Mathias Énard qui ouvre le recueil, le procès en octobre 1914 de Gavrilo Princip, également évoqué dans son roman «Zone». Terroriste ou héros des nationalistes serbes, Mathias Énard représente Gavrilo Princip au tribunal, au cours d’un mois d’octobre 1914 d’une écrasante douceur malgré la furie toute proche des combats, sous les traits d’un jeune singe laid et effrayé, évitant la peine de mort du fait de son jeune âge (il n’avait que dix-neuf ans en juin 1914) pour être incarcéré dans des conditions qui valaient condamnation à mort à Theresienstadt, ce lieu qui verra tant d’autres prisonniers dépérir entre ses murs quelques décennies plus tard pour avoir été désignés par les nazis comme des Untermensch.



La suite sur mon blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2016/05/01/note-de-lecture-en-proces-collectif/


Lien : https://charybde2.wordpress...
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Notre désir est sans remède

Une histoire qui m'a bouleversée malgré les difficultés à sa lecture. Frances est une jeune fille rebelle, obstinée, et d'une grande beauté, les portes du Hollywood des années 30 s'ouvrent puis c'est Broadway qui l'accueille. Sa carrière est fulgurante mais la destruction de cette étoile plus brutale encore.

L'auteur nous raconte cette femme, ses origines et analyse en quelque sorte son parcours, ses espoirs et ses rêves, l'industrie du cinéma qui broie ses acteurs et actrices. Cette jeune femme, que Samuel Goldwyn prît sous son aile, refusât d'entrer dans le moule de toutes ces starlettes hollywoodiennes et en payât le prix. Ce qui fût le plus atroce dans ce roman biographique est la part réservée à ses internements et aux "soins" qui lui ont été délivré par les psychiatres de l'époque, et l'innommable qu'elle a subit de la part des gardiens. Je n'ose pas parlé de déchéance car finalement c'est son tempérament de feu qui lui valut ce mauvais coup du sort, quand aujourd'hui ce genre de comportement lui permettraient de faire le buzz à son époque lui valurent d'être qualifiée de folle et de subir des électrochocs.

Un texte qui a été très difficile à lire et par moment à comprendre il faut rester attentif à chaque mot, mais dans l'histoire de cette femme et de son parcours résonne l'histoire de la société des années 40 et de l'univers impitoyable du cinéma. L'auteur ne cherche pas à nous expliquer les raisons de la chute de Frances mais plutôt de nous démontrer la force du pouvoir de l'image et son influence sur un esprit libre.

Point d'analyse psychologique ou de dénonciation, juste un hommage à une icône du cinéma des années 30-40. Un roman magnifique.
Lien : http://stemilou.over-blog.co..
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Boulevard de Yougoslavie

Ce livre est venu à ma rencontre par hasard sur l'étagère de ma librairie... La couverture m'avait attirée ainsi que l'éditeur que j'apprécie beaucoup... Et lorsque j'ai lu la quatrième de couverture, je n'avais plus le choix, il fallait que je le lise !

Ce livre est issu d'une résidence de 3 auteurs pendant 4 années dans le quartier du Blosne en ZUP sud de Rennes où j'ai grandi. J'y ai retrouvé les noms de rue, la description du quartier, de ses tours, de ses espaces verts, des regroupements de jeunes, du Triangle qui était ma bouffée d'oxygène avec sa bibliothèque, des relations de voisinage parfois tendues, du multiculturalisme... Quartier que j'ai fuit adulte notamment pour sa misère et sa violence, avant qu'il ne se métamorphose...



En dehors de cette donnée géographique qui m'a nécessairement captivée, ce que j'ai apprécié ce sont les portraits d'habitants, les anecdotes pour essayer de les comprendre au-delà des apparences et des préjugés... Ces morceaux de vie sont contés avec pudeur et bienveillance.

Et pour finir, ce qui m' a le plus interpellé est la réflexion sur la démocratie participative : comment impliquer pleinement les citoyens dans un projet ? Comment constituer un échantillon représentatif de la population ? Comment réussir à donner la parole et faire s'exprimer des personnes dans l'ombre de la société, bâillonnées par la non maîtrise du français et de nos codes culturels ?

Le portrait de l'urbaniste, expert dans son domaine après des années d'études était saisissante : accepter de remettre son travail en cause et son savoir, faire preuve d'écoute et co-construire le projet était vécu par le personnage comme une deconstruction de sa vie et de ses principes.

Une belle lecture qui me suivra longtemps personnellement et professionnellement.
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Strangulation

Dans le Paris du début du XXe siècle, alors que la littérature est en pleine ébullition après la déferlante symboliste et décadente, un jeune homme essaye tant bien que mal de survivre à son ennui. En poste de fonctionnaire à la préfecture de la Seine, Jean essaye de trouver un sens à son existence, accablé par une mélancolie qui n'est pas sans rappeler l'exaspérante et désespérée solitude de Des Esseintes, héros décadent par excellence que Huysmans fera naître sous une plume baroque et profondément ouvragée.

Et pour cause, ce roman de la rentrée littéraire (en poche) se construit comme un hommage à la littérature fin-de-siècle, servi par une imagerie symboliste où les fantômes de Charles Baudelaire et de Rémy de Gourmont ne sont jamais très loin. Mathieu Larnaudie, avec «Strangulation» dresse le portrait romancé d'un poète et écrivain bordelais malheureusement, et injustement, mal connu, à savoir Jean de La Ville de Mirmont.



Partant des points forts de sa biographie officielle, Mathieu Larnaudie réécrit l'existence de ce jeune homme désoeuvré à la lumière des dernières lueurs du décadentisme, sous une plume très ornée (trop ornée!). En effet, le problème se situe ici, dans cet étalage trop baroque et sans charme de la langue qui vient obstruer et saturer le récit. On distingue sans doute ici une volonté de l'auteur de coller aux virevoltes stylistiques et langagières des écrivains fin-de-siècle (doués pour la surenchère verbale), mais ça tombe à plat, sans grande originalité, versant parfois dans le pastiche, qui semble malheureusement involontaire.



Cela étant, ce roman est un vrai plaisir de lecture, et permettra de découvrir ou redécouvrir l'oeuvre de Jean de La Ville de Mirmont.
Lien : http://aucrepusculedesmots.b..
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Notre désir est sans remède

« La lumière n’exauce pas les corps, elle les massacre. La main de l’éclairagiste qui agrippe la poignée du projecteur et, pour préparer l’entrée dans le champ de l’actrice dont il va illuminer le mouvement, fait pivoter sur son axe la caisse de métal d’où jaillit le faisceau aveuglant, cette main n’est pas moins cruelle que celle du tueur à gages qui pointe une arme à feu ou qui abat une arme blanche, ni moins impitoyable que celle du bourreau qui actionne le courant de la chaise électrique. Elle est l’instrument assermenté d’une loi sauvage : elle livre un être en pâture à notre regard».



Ainsi débute le nouvel opus de Mathieu Larnaudie. En quelques lignes, nous avons un résumé de ce qu’il va suivre: une écriture littéraire, voire très littéraire, précise, recherchée, riche à très riche, dense, des phrases longues, complexes, ….



Dans « Notre Désir est sans remède », Mathieu Larnaudie nous dépeint donc l’existence mouvementée et dramatique de Frances Farmer, actrice américaine du XXème siècle. De la gloire à la déchéance, de la lumière à l’ombre, de Hollywood à l’enfermement en hopital psychiatrique, il dresse en 7 parties, découpées en petits chapitres pour dynamiser au maximum la lecture, le portrait romancé d’une femme aussi impertinente qu’insoumise, symbole de l’idéologie américaine, star au destin tragique.



Dans un premier temps, son image séduit le monde du cinéma au point d’en faire une véritable icone.



« Orgueilleuse et résolue, aguicheuse et lointaine, elle demeure sans passé, elle est là et cela doit suffire ; on est prié de s’en contenter. Le mystère qui l’auréole est bravache. Elle sait qu’elle est l’objet des convoitises, le centre des attentions de cette assemblée exclusivement composée d’hommes dont elle attise les regards qu’elle feint de ne pas remarquer, comme s’ils – ces regards – glissaient sur elle, ne la concernaient pas, n’étaient que la rumeur de la concupiscence ordinaire, inévitable, qui lui fait cortège où qu’elle aille et qu’elle a appris à négliger. »



Avant que l’ombre ne prenne le dessus. Cette partie traitant de la

déchéance et la folie, est passionnante. C’est un vrai page-turner en puissance servi par une superbe écriture. Cette réflexion sur le corps jeté en pâture, cette thèse sur le paraitre, la violence du pouvoir de l’image est une vraie réussite.



"La légende dorée n’a pas son envers sombre – on ne sait quelle légende noire qui en serait le récit alternatif et antagonique, une autre histoire plus ou moins secrète, et forcément plus réelle parce que souterraine, honteuse, exsudant le scandale, les blessures et les vices, tout ce qu’il est soi-disant préférable de taire et qui passe donc pour le fond véritable des choses mais qui fait couler bien plus d’encre encore, excite la chronique, éperonne notre désir, attise sans jamais suffire à l’assouvir notre soif de spectacle avec plus de violence que les versions officielles, enchantées."



Mathieu Larnaudie garde toujours une certaine distance vis-à-vis de l’actrice dans son ouvrage, ce qui est fort appréciable.



Malgré un passage à vide en milieu de roman (trop de digressions, des phrases trop longues, une absence de chronologie, une utilisation de mots obscènes dans des phrases poétiques, tout cela m’a laissé sur le bord du chemin pendant un petit moment…), j’ai trouvé la fin magnifique et bouleversante. Quelle cruauté… Là encore, l’écriture de l’auteur sublime cette sensation, même si elle est très exigeante pour le lecteur.



Au final, Notre désir est sans remède est un bon livre qui se lit relativement facilement mais qui demande de l’attention et de la concentration. Il se mérite tellement il est intellectuel (je ne suis pas sûr d’avoir tout compris je l’avoue) et ne plaira donc pas à tout le monde. Pour ma part, je ne regrette pas de l’avoir lu et j’en garderai un bon souvenir.



3/5


Lien : http://alombredunoyer.com/20..
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En procès : Une histoire du XXe siècle

Au-delà du choix judicieux des différents procès, présentés par ordre chronologique, le regard porté par chaque auteur sur l’épisode juridique qu’il rapporte, commente ou reconstruit dans le récit éclaire ou perturbe notre perception de l’événement. Les textes, qui empruntent toutes les formes et tous les genres, du documentaire au montage, de l’analyse journalistique à l’intervention de la littérature et du style gagnent indéniablement en qualité et en intérêt lorsque survient la subjectivité et l’implication de l’auteur, et la somme de ces vingt mises en perspectives trace un pointillé original et passionnant à travers le XXe siècle et offre à voir l’Histoire différemment.
Lien : http://www.undernierlivre.ne..
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Les Effondrés

Voici une fiction comme on en lit peu dans la littérature contemporaine actuelle.Ce roman est un petit chef d'oeuvre parce qu'il fait acte d'une écriture exigeante (vraiment sublime dans sa dimension d'entremêlement et de longueur surprenante des phrases) tout en étant un récit haletant et dérangeant qui est très bien "senti" dans son approche du capitalisme à travers différentes descriptions, tant émotives que linguistiques : sentiments ambivalents, postures hypocrites, actions extrêmes, consciences figées, jargon du milieu alambiqué, bref... l'auteur donne à lire une série de portraits de grands financiers et riches de ce monde qui, lors du crash de 2008, se retrouvent à penser et à agir en désespoir de cause, c'est-à-dire acculés au mur ( sans doute virtuel de Wall Street si bien décrit par Bartleby lui-même quand ce mur existait encore) et, dans un dernier acte - pour certains - exposent leur corps à la mort d'une manière assez particulière. Pour d'autres, politiciens de notre système corrompu, ils s'accommodent de la situation pour s'enfoncer encore plus dans les petits arrangements "entre amis"... vous savez, ceux de l'entente cordiale !

Un roman qui est une belle leçon d'écriture, de pensée et l'oeuvre réelle d'un écrivain qui en est un.

À LIRE ABSOLUMENT (Ed Actes Sud en format poche "Babel").
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Les Effondrés

Subtil "making of" littéraire de l'effondrement des acteurs de la crise dite "des subprimes"...



Publié en 2010, le cinquième ouvrage de Mathieu Larnaudie prend la forme d'une revue enjouée de l'effondrement économique, mais surtout idéologique, d'un monde, celui du capitalisme libéral des années 1978-2008, dans la tourmente de la crise des subprimes - mais aussi d'une chronique de la réaction obstinée de ses thuriféraires pour nier la réalité.



Si le propos est similaire, la forme diffère profondément de celle du - également - très jouissif travail en alexandrins de l'économiste Frédéric Lordon ("D'un retournement l'autre. Comédie sérieuse sur la crise financière. En quatre actes, et en alexandrins", 2011). Mathieu Larnaudie met en scène une terrible galerie de personnages, certains anonymes, d'autres au contraire très connus, et emblématiques, sans toutefois jamais les nommer. Ainsi, au fil des pages, nous assistons aux réactions (abattement, déni, rage, dépression, suicide ou encore impavidité) d'Alan Greenspan (confronté à la commission d'enquête du Congrès sur la crise), de Nicolas Sarkozy (avec ses impressionnantes volte-faces garanties sans sens ajouté), de Marcel Ospel (mis au ban de la "bonne société" suisse pour sa gestion d'UBS), de Richard Madoff, bien entendu, ultime bouc émissaire du système (qui prétend qu'il suffit de "chasser les méchants" pour retrouver tous les illusoires bénéfices de l'égoïsme de la fable des fourmis), et de ses rabatteurs Robert Jaffe ou Thierry Magon de la Villehuchet, ou encore du milliardaire allemand (partiellement ruiné, et allant cacher sa misère relative et sa honte sur les rails d'une ligne de chemin de fer) Adolf Merckle, du patron déchu de Lehman Brothers, le flamboyant Richard S. Fuld, Jr., ou encore, comme une ombre, du carnassier Édouard Stern avant sa tragique sortie de faits divers,...



La longue phrase de Mathieu Larnaudie, parfois difficile à digérer sans reprendre plusieurs fois son souffle, réussit un petit miracle : tout au long de ces portraits en situation, le lecteur aura l'impression d'être à la fois DANS le film (par l'abondance de détails visuels) et DANS le commentaire du DVD, en voix off (par la subtile intrication des commentaires, ajouts, bonus et remarques in petto).



"... un établissement financier et d'assurances belgo-néerlandais qui, avant même que l'ensemble du secteur bancaire n'eût véritablement commencé d'imploser (avant que le séisme ne fut déclaré et identifié, accepté comme tel), avait eu le privilège de préfigurer le chambardement général, d'annoncer, à la manière de ces brusques et ponctuelles variations du champ magnétique local ou de ces légères déformations de la surface du sol qui constituent les signes avant-coureurs du tremblement de terre qui vient, la grande convulsion, de compter parmi les premières sociétés à se déclarer au bord de la faillite, et dont l'État s'était, dès lors, empressé d'empêcher le naufrage, inaugurant ainsi la kyrielle des interventions (la distribution, comme à la criée, de ces enveloppes garnies destinées à garantir la survie - pour éviter la catastrophe, disaient-ils - des entreprises dont tout montrait pourtant que leurs modes de gestion, leurs pratiques - autrement dit, là encore, là comme ailleurs, le réseau des croyances sur lesquelles elles s'étaient, cette gestion et ces pratiques, basées, par quoi elles avaient été induites - étaient les véritables causes de leurs déboires, et qu'une certaine logique (celle du désinvestissement de l'État des affaires privées, péremptoirement prônée par l'école de Chicago, ses maîtres, ses papes, ses évangélistes, ses exécutants, ses ministres, ses petites frappes et ses bras armés, disséminés comme des missionnaires partout dans le monde là où existait ne serait-ce qu'un embryon de marché - c'est-à-dire, précisément, leur propre logique) eût dû conduire à les laisser se débrouiller seules, par leurs propres moyens, s'embourber et déposer le bilan dans leur coin,..."



Un tour de force parfois ardu mais nettement indispensable, tout particulièrement alors que le déni, en 2011-2012, a repris du poil de la bête.

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Boulevard de Yougoslavie

Le formidable roman choral, très intime et très politique, d’une rénovation urbaine contemporaine, et de ce que peut encore, peut-être, le volontarisme intelligent et pragmatique du vivre-ensemble.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/07/13/note-de-lecture-boulevard-de-yougoslavie-arno-bertina-mathieu-larnaudie-oliver-rohe/



Années 2010 : Le Blosne, quartier périphérique de Rennes, la capitale administrative bretonne, issu des années 1960, doit (enfin) être rénové en profondeur, après plusieurs décennies de mesurettes d’accompagnement, tolérables car le design initial et la qualité de la construction d’époque s’étaient révélés solides, à la différence de beaucoup de réalisations urbaines de ces années dites « glorieuses ».



Aux commandes du processus de rénovation en préparation, la mairie de Rennes bien entendu, et le jeune cabinet d’urbanisme et d’architecture local de Youcef Bouras et de son associée : c’est sur eux que s’abat au premier chef la révolte apparente des habitants du quartier lors de la présentation de l’audit qui vient d’être réalisé. En un rétablissement lumineux, l’adjointe chargée du logement propose alors un processus inédit de démocratie participative, en demandant aux administrés de prendre en charge eux-mêmes la conception de la rénovation, avec le soutien technique de l’université de Rennes, soutien payé naturellement par la Mairie.



Pour la lectrice et le lecteur, aux côtés de Youcef Bouras lui-même, spectateur sceptique de ce processus né d’un désaveu qu’il digère particulièrement mal, qui sera pourtant notre principal guide au cœur de ces mois fébriles de réorientation inhabituelle d’un programme « descendant », on trouvera Saïd Layachi, lycéen passionné de cinéma qui arpente volontiers en bicross les moindres recoins qu quartier, Nicole Pierre, dame âgée et membre du club informel des « tricoteuses », aussi discret que souterrainement influent, Nadine Gaulthier, travailleuse sociale, Luis Horacio Rios, psychologue praticien, Leslie Ferrand, jeune universitaire détachée sur le « nouveau » projet, et enfin Ayham Azzam, réfugié syrien fraîchement débarqué sur les bords de la Vilaine et de l’Ille, pour organiser sous nos yeux une fascinante appréhension à facettes de la ville comme quotidien et comme politique.



À partir d’un véritable projet de rénovation urbaine, de l’un de ces exemples d’une politique de la ville trop souvent aléatoire, projet qui n’a rien de fictionnel, en mettant à profit une résidence littéraire au long cours (à l’opposé de la pratique répandue des séjours de un, deux ou trois mois qui prévalent en la matière) et en organisant entre eux trois une sorte de course de relais efficace, Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Oliver Rohe nous offrent, avec ce « Boulevard de Yougoslavie » (du nom de l’une des principales artères quadrillant le quartier du Blosne) publié chez Inculte Dernière Marge en mars 2021, un roman passionnant, une mise en fiction entraînante qui pousse vraiment à la réflexion de fond, à propos de l’urbanisme contemporain dans ce qu’il a de plus vivement politique, et, naturellement, à propos de bien d’autres choses qui en procèdent directement ou indirectement. Mêlant, croisant et fusionnant avec une extraordinaire habileté des thèmes souterrains plus spécifiquement travaillés auparavant par chacun des trois auteurs, déracinement (Oliver Rohe : « Défaut d’origine » en 2003 ou « Terrain vague » en 2005), heurs et malheurs de l’improvisation autogestionnaire (Arno Bertina : « Des châteaux qui brûlent » en 2017) ou détours performatifs de la parole politique (Mathieu Larnaudie : « Acharnement » en 2012 ou « Les jeunes gens » en 2018), notamment, « Boulevard de Yougoslavie » nous force avec une surprenante bienveillance, mais sans jamais relâcher sa pression littéraire et politique, à regarder dans les yeux les conséquences intimes de nos prises de décision passées et présentes, de nos actions et de nos inactions, dès lors qu’il s’agit bien de vies communes et de société opérante, capable de se projeter vers un avenir autre que celui de l’effondrement à déchirures terminales promis par l’aveuglement capitaliste persistant. Et c’est ainsi sans doute, avec une aussi belle médiation par la littérature, que, en paraphrasant la phrase précieuse d’Yves Lacoste, la géographie – dans ses acceptions les plus larges – peut bien servir d’abord à autre chose qu’à faire la guerre.
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Blockhaus

Un admirable travail d’orfèvre qui sculpte dans le texte un pur bijou littéraire !



Tout débute avec le narrateur venu en retraite à Arromanche pour y trouver son « lieu à soi » et amorcer la rédaction d’un roman. C’est dans cet environnement désolé et dépeuplé que le narrateur va saisir l’atmosphère à la fois ordinaire et mystérieuse des lieux. Tout entier offert aux sensations et impressions des paysages et des êtres, il s’en imprègne et nous les restitue dans une écriture minutieuse et poétique, sans se départir d’une facétieuse auto-dérision. Les phrases se déploient alors par touches successives pour composer un morceau d’une parfaite harmonie. Au fil du récit, on croise quelques personnages cocasses et fragiles qui se sont aimantés par on ne sait quel mystère et en toile de fond, le souvenir de la seconde guerre mondiale, de ces fantômes, de ces morts qui sont reliés aux vivants par les blockhaus, masses sombres, solides, immuables face aux mouvements et au ressac de la mer. Tout au long de ce récit tendu, on se laisse happer par le vagabondage de l’esprit du narrateur et on referme ce livre avec une troublante sensation de mélancolie et de ravissement.



Mathieu Larnaudie signe un roman fascinant d’une rare subtilité, à déconfiner immédiatement !
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Blockhaus

Retrouver la possibilité du lien social et de la parole politique au cœur du béton de l’Histoire réputée achevée. Une fabuleuse parabole contemporaine, pas du tout hors saison.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2020/03/24/note-de-lecture-blockhaus-mathieu-larnaudie/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Notre désir est sans remède

En s'inspirant de la vie de Frances Farmer, l'écrivain Mathieu Larnaudie nous fait découvrir les coulisses de Hollywood et dépeint le portrait d'une femme écorchée, scandaleuse et libre.
Lien : http://www.lefigaro.fr/livre..
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Notre désir est sans remède

Frances Farmer est une jeune actrice américaine des années trente. Samuel Goldwyn, un des producteurs phares de l’époque, l’engage dans ses studios qui se développent à grande vitesse. L’actrice débutante et prometteuse va servir de chair à canon pour l’industrie du cinéma naissante…



Ce roman se présente comme une biographie autour de ce personnage dont la vie ne sera pas un long fleuve tranquille. Mathieu Larnaudie concentre une partie de son attention, tel un réalisateur, sur cette femme, détaille ses origines familiales, son parcours. Sa fiction englobe d’autres thématiques comme l’histoire des Etats-Unis, à travers ses émigrés notamment, le rôle de l’art dans la société, le traitement des malades mentaux…



Lors de ma lecture, j’ai été surprise par le fait que l’auteur ne centre pas davantage son propos sur la vie de cette femme. Divers détours narratifs font ressortir les aspérités de la destinée de Frances, pas toujours aisés à comprendre. J’ai souvent eu l’impression de ne pouvoir saisir cette vie de façon claire, comme si l’auteur ne livrait pas tout.



Mathieu Larnaudie procède par paliers successifs pour présenter son héroïne, au point que souvent au cours de la lecture on doute qu’il s’agit d’une biographie. C’est surtout la société qui l’environne qui est mise en valeur, son histoire, ses travers. Le roman dépasse donc l’aspect biographique pour devenir autre chose, un texte réflexif, découpé en sept parties, non chronologiques. Le roman débute par l’apogée de la carrière de Frances, notamment les tournages de films où sa beauté ensorcelait les réalisateurs, pour ensuite progressivement revenir en arrière, jusqu’en 1914, un an avant sa naissance. Lorsque le récit reprend en 1937, c’est le début des malheurs de l’actrice, en proie à diverses drogues. France Farmer sera plus tard internée…



Ce roman ne m’a pas passionnée, moi qui adore suivre des histoires avec de beaux rebondissements et des sentiments qui virevoltent au fil des pages. Mais cela m’a quand même intéressée de lire le parcours de cette femme d’abord portée aux nues avant d’être ensuite rejetée. D’essayer d’analyser les causes de cette chute si paradoxale. L’écriture de l’auteur, remarquable de précision, fine et intelligente, demande de l’attention. Sa fiction se nourrit de visions à mon goût un peu trop intellectuelles, je ne suis pas sûre de tout comprendre mais certaines phrases m’enchantent car elles sonnent juste. Au final, une fiction biographique originale, vraie et dépouillée de psychologie.


Lien : http://blogs.lexpress.fr/les..
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Notre désir est sans remède



Si la rentrée littéraire avec son nombre hallucinant de titres lâchés au coup de pistolet du 20 août vous a fait tourner la tête et que vous soyez passés à côté de ce roman, il est grand temps d'y remédier.



La vie de Frances Farmer racontée par Mathieu Larnaudie se situe à l'extrême opposée du biopic vulgaire bâti sur des anecdotes sulfureuses et voyeuristes. La finesse de l'analyse, la sobriété de l'écriture, l'encrage dans une solide documentation historique constituent les fondations d'un texte magnifique qui rend justice à cette sublime femme qui a eu le tort de refuser d'être juste un "canon de beauté".



Le roman s'ouvre sur l'image de Samuel Goldwyn, sur ce dieu tout puissant qui régit à l'époque la "naissance des stars". Le self-made man dans toute sa splendeur, celui qui a fait braquer le premier la lumière sur Frances Farmer: "I'll make you a star."

Nous ne tarderons pas à découvrir que le monde de papier glacé et ses habitants n'intéressent pas tant que cela la jeune Frances. On la découvre plus ennuyée qu'autre chose lors d'une fête après tournage, tandis qu'autour d'elle la soirée bat son plein:

"Par moments, elle semblait brusquement se rappeler qu'elle était ici en présence de certains personnages dont la moindre appréciation pouvait revêtir une importance cardinale pour sa carrière, et qu'à leurs côtés il lui fallait faire bonne figure, se montrer à son avantage: elle se raidissait un peu, étirait le cou, mettait sa poitrine en valeur, remontait discrètement une bretelle de sa robe qui pourtant n'avait pas glissé, maîtrisait mieux son rire qui devenait alors plus espiègle et moins éclatant, plus affable et moins sardonique, plus enjôleur et moins massif. Bientôt elle oubliait sa vigilence et ses efforts, se laissait porter par le brouhaha ambiant, la circulation des corps dans la pièce, l'alcool et la chaleur, les conversations qui gagnaient en volume sonore au fur et à mesure que les verres et la chaleur."

Mais pour pouvoir continuer à faire ce qu'elle aime, à savoir jouer, il lui faut tenir un rôle de composition en permanence, être autre chose que Fraces Farmer.

Dans le chapitre suivant, Dieu meurt à Seattle - 1931-1924, (car la construction du roman n'est pas chronologique), on découvre le premier fait d'armes de la jeune Frances. Elle a seize ans lorsqu'elle participe à un concours national d'écriture et présente devant une salle horripilée son texte, Dieu meurt. Elle gagne le concours, la haine de toute la communauté et une photo dans le journal local.

"Elle etouffe une envie de rire: ce qu'écrit une lycéenne de seize ans n'est pas si sérieux ni si important qu'il mérite de tels emportements. (...) Les élucubrations d'une gamine, Dieu saura bien s'en remettre; et si vraiment il croit bon de prendre ombrage de si peu, c'est qu'alors il est plus chancelant encore que le texte ne le dit."

On la voit devant le public furibard, tenir tête sobrement, sans fléchir, sans bégayer. C'est l'Amérique des années 1930, bigote et épouvantée par les flammes de l'enfer face à une adolescente qui la défie avec brillance. Nous devinons déjà l'actrice et la femme de tête qui se réveille en elle.

Il y a là une phrase qui m'a marquée et qui peut faire office de prémonition: "Si Dieu était mort, penserait Frances en fin de compte, c'était de s'être laissé portraiturer, et s'était d'être un dieu de narration." Or, qu'est-ce une star si ce n'est être un "dieu de narration"? Fantasmées jusque dans leurs vies privées, les célebrités meurent à la fin de chaque rôle qu'elles interprètent.

En dehors des films, la narration continue grâce aux photographes et aux journalistes: l'une des scènes les plus émouvantes du roman est celle où Frances, arrêtée pour non respect du black-out (l'Amérique a peur de se faire bombarder), conduite en état d'ivresse, et caetera, elle est photographiée de la manière la plus minable qui soit. Elle ne peut plus se défendre.

"... mais le flic tenait bon, ne relâchait son étreinte à aucun moment, si bien que, dans la confusion de ses contorsions de forcenée, dans la furie de cette bataille inepte, la veste de Frances s'ouvrait, sa chemise se fendait, sa jupe remontait, découvrant le haut de ses bas de nylon et de ses cuisses, et que le photographe n'eut pour saisir la scène qu'à se poster à quelques pieds d'elle, à la mettre en joue, à poser même un genou sur la dalle pour mieux viser, à attendre que l'actrice enragée et le colosse qui l'emportait parviennent à son niveau, et à déclencher."



On l'aura compris, Frances Farmer est une femme libre et entend le rester. Pas de revendication ni de message autre que la vie et le jeu. C'est l'amour du jeu qui la pousse sur les planches de Broadway, c'est l'amour du jeu qui lui fait refuser l'image de pacotille à laquelle elle est sans cesse renvoyée à Hollywood. Qui fera dire à sa mère qu'elle ne peut qu'être "mentalement déséquilibrée" et qui lui vaudra cinq années d'hôpital psychiatrique.



Le regard attentif de Mathieu Larnaudie est omniprésent, comme s'il voulait protéger son personnage des affres qui l'accableront. D'ailleurs il est là, jamais très loin, comme la fois où Frances l'adolescente va au cinéma accompagnée par sa mère:

"Abritées chacune sous son parapluie (dans les parages, il pleut à peu près tout le temps), mère et fille viennent prendre leur place dans la file des spectateurs, autrement dit se mêler à nous autres qui, en attendant l'ouverture des portes pour la prochaine séance, tentons comme nous le pouvons de nous protéger de l'averse..."

Grâce à ce regard protecteur, nous nous sentons nous aussi plus proches de cette jeune femme dont le rire rauque raisonnera encore dans nos oreilles même après avoir fini ce roman.

"En d'autres mots - tant que nous en sommes à ce rapide tableau, à ces hypothèses en abrégé - il n'est pas invraisemblable qu'à l'anonymat de l'homme des foules - celui-là même qui combat dans la Meuse et qui trime dans les fabriques, tour à tour chair à canon et chaîne tayloriste - réponde précisément l'avènement de la célebrité absolue. Qu'à l'individu indifférencié, noyé dans la masse et les cadences répétitives de la standardisation, fasse pendant la distinction suprême, l'élection mystérieuse, l'apparition de la star hollywoodienne."



Notre désir est sans remède, Mathieu Larnaudie, Actes Sud 2015


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Acharnement

Ancienne plume d’un ministre, Müller s’est retiré à la campagne. Lui qui rédigeait les discours et accompagnait l’homme politique dans ses déplacements s’est fait évincer. Désormais, il regarde les séries policières à la télé les accompagnant à l’occasion de Chartreuse. Son jardinier peu enclin aux bavardages est la seule personne qu’il voit régulièrement.



J’ai pris mon temps pour lire ce roman car il m’a fallu d’abord m’approprier l’écriture de Mathieu Larnaudie. Une écriture exigeante par le vocabulaire recherché, un style qui accroche l’oeil mais qui demande une attention particulière pour bien saisir toutes les subtilités que l'on peut perdre dans certaines longueurs de phrases. Müller pourrait passer une retraite tranquille mais voilà que des personnes se jettent du viaduc situé au-dessus de son jardin. Cette vague de suicides traccsesurtout son jardinier Marceau et fait causer au village. Quand il était« Speech writer », Müller a été un spectateur de la politique. Meetings, sourires hypocrites et couteaux dans le dos. Celui qui cherchait les phrases exactes décode avec lucidité les rouages des couloirs du monde politique. Si les séries policières l’occupent, il élabore un discours qu’il voudrait parfait.

Avec un regard sans concession et avec une pointe de cynisme, l’auteur décrypte les techniques des politiques, l’emploi de la langue, la valse des mots. Etourdissante, frénétique, une mise en scène du langage qui peut s’avérer tragique.

Malgré des qualités indéniables, je n'ai pas été entièrement conquise.
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Acharnement

Les usages bornés de mots



Des mots accumulés, des phrases écrites pour pallier le vide de propositions politiciennes, des descriptions précises, ciselées de lieux.



Des mots mais pas de bavardage. Un monde de jardins et d’allocutions. Deux mondes de campagnes.



Et des événements non descriptibles, des suicides inexplicables, hors de portée, justement de ces mots.



Un monde pas si étrange que cela, un coin de l’envers du décor du Storytelling.



Mathieu Larnaudie assemble des morceaux de réalités et d’invention, pour le plaisir de la lectrice et du lecteur.



Une véritable histoire, celle de Müller, quelques fois porte-plume, de sa propriété et du viaduc surplombant, de son jardin et nécessairement de son jardinier Marceau.



La force et l’impuissance du langage face à certaines mesquineries ou cynismes sociaux.
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