Maurice Rheims
Jacques CHANCEL s'entretient avec
Maurice RHEIMS, commissaire-priseur : son métier de commissaire-priseur qu'il a abandonné depuis six ans, préfère écrire. Ses
origines, sa formation. Explique ce qu'est le beau, le goût et l'émotion qu'il engendre. le côté féminin des objets. le pouvoir corrupteur de l'argent. Fait le
portrait du collectionneur ; les différentes sortes de collections et...
Les noces du beau et de l'utile
Toute ma carrière de commissaire- priseur, je l'ai passée à mesurer la beauté à cette aune. Le vendeur attendait de moi que je transforme son objet en bel et bon argent utilidable à d'autres fins, tandis que l'acheteur était disposé à employer de l'argent pour le métamorpher en objet.J'étais l'alchimiste de ce perpétuel va-et- vient entre le beau et ce qu"on appelle les disponibilités, artisan d'un alliage où entraient le désir, le calcul, la subjectivité de l'esthétique et la réalité des finances.
Tel portrait familial peut bien trôner des siècles durant sur le mur d'un salon, n'ayant d'autre emploi que d'être regardé, pareil à la Belle au bois dormant, il suffit qu'un héritier décroche le tableau et qu'il trouve oreneur aux enchères pour qu'il remplisse son offre d'utilité, converti en sous qui serviront, qui sait, à acquérir une autre oeuvre d'art.
( Folio, 1999, p.238)
Longtemps encore,… la friperie demeurera une des marchandises les plus estimées jusqu’à l’apparition des grands « métiers industriels » - il en coûtait plus de temps et d’argent pour tisser une simple tenture propre à séparer deux pièces que d’élever un mur en brique ; quant au velours et au brocart, ils étaient sans prix : ces robes hiératiques somptueuses dont sont vêtus les modèles royaux peints par Porbus ou par Antonio Moro représentaient, à l’époque, l’équivalent d’une ferme ; à ce point que, même dans les familles aristocratiques, il était fréquent de porter, une vie entière, le même vêtement.
Catherine put constater que l'un et l'autre égarés dans les méandres de cette fête nocturne se retrouvaient ce matin, la tête au pied du lit. Le tissu léger, chatouillait le bout de l'orteil; Catherine en saisit un coin, le tira vers elle .Ainsi apparut un panneau peint, de la largeur du lit et haut de quelques soixante centimètres.
-Le voilà donc, ce grand aïleul ! Catherine tout en conversant, s'était emparée de sa robe de chambre. Pendant un long moment, assise à croupetons sur le matelas, elle demeura l'œil fixé sur le côté gauche de la composition.
L’Art, autant que son demi-frère le Beau, aime que l’on prononce son nom. Mais tente-t-on de l’épeler que, dès la première lettre, il dresse l’oreille ; à la seconde, il affirme que la tête lui tourne ; articulez la troisième, il s’insurge arguant tel le saint mot d’Elohim qu’il ne doit être proféré par personne.
Trois lettres semblables à des initiales : la première pour Amour, la suivante pour Rêverie, la dernière pour Transcendance – qui, rassemblées, s’offrent alors à chacun de nous au gré de notre sensibilité, de notre goût, un peu comme des images pieuses, sinon qu’en place de nous promettre des béatitudes, ces choses belles, sans avoir pour autant le pouvoir de rendre nos vie moins éphémères, contribuent au moins à affûter notre sens du beau.
De la sorte, se jouant des temps, des chronologies, l’Art n’aurait alors d’autre but que de calmer les angoisses de ceux qui redoutent que tout finalement ne soit que chaos.
Différencier le curieux du collectionneur, autant prétendre analyser ce qui distingue le funambule d'avec le banquier !
Doit-on porter le pantalon de flanelle avec un revers, et à la cheville, la bonne mesure est-elle de dix-huit ou de vingt et un centimètres. Ce pantalon qu'elle retire soigneusement, le pli sur le dos du fauteuil sous prétexte que la flanelle ne résiste guerre à plus de soixante-dix repassages.
Pendant un moment César regarda sa fille.
"Tu es belle!
-Mes longs orteils aussi ?
-Je les avais oubliés.
-Longtemps, j'ai essayé de les cacher, jusqu'à ce que je m'aperçoive que, contrairement à ce qui paraîtrait logique, des messieurs ont paru trouver là un de ces arguments sexuels...
Petonner: " la grosse dame s'était mise à petonner des petits pas en tortillant une regrettable croupe." (Jean Lorrain, L'Aryenne, P;198)
Dérivé de peton, marcher à petits pas, trottiner.
Que l'artiste arbore un chandail à col roulé tombant sur un pantalon maculé de peinture et usé jusqu'à la corde, qu'il porte une barbe de cinq jours, qu'il meure de faim, dans l'incapacité de vendre une toile, ou que, malgré des revenus substantiels, il continue à vive dans l'antre miséreux qu'il occupe depuis sa jeunesse, que sexagénaire il choisisse ses compagnes parmi des mineures porteuse de nattes : voilà qui n'étonnera personne. Mais s'avise-t-il d'être rasé de près, de s'habiller sobrement, de rouler dans une voiture de série, d'être un bon père de famille, de marier sa fille à Saint-Ferdinand-des-Ternes, on jugera que pareil mode de vie n'est qu'un moyen particulièrement insolite de se singulariser. Un artiste qui ne mène pas une vie d'artiste ! Suspect !
Est-ce parce qu’ils eurent bien du mal à vivre, aucun « impressionniste », aucun « pointilliste » ne tirera scène ou effet de la mort ; la lumière –leur raison d’être – n’aime caresser que des visages et des paysages emplis de vie. De même les cubistes, les expressionnistes ou, plus tard, les différents informalistes ne traiteront de semblables sujets sinon Picasso : en bon Malaguène, il a peur de la mort : tout de même, fasciné par elle, il peint des « vanités » : un crâne sur deux tibias, mais, histoire de tourner le tout en dérision, il remplace les os de la jambe par une paire de poireaux !
Le romancier sait qu’il faut prendre ses distances à l’égard du réel ; le romancier réaliste sait qu’il faut les prendre courtes, qu’il est une distance du réel au-delà de laquelle aucun roman n’est valable.