Fuir l'Eden, c'est une histoire à hauteur de l'adolescence.
Olivier Dorchamps nous invite ici dans un roman social, sombre et lumineux.
Le personnage principal s'appelle Adam, il est anglais, a dix-sept ans. Il habite dans la banlieue de Londres, dans un immeuble de conception brutaliste devenu un monument historique classé, l'Eden, baptisé ainsi de manière cynique car on est bien loin ici de l'idée qu'on peut se faire d'un paradis.
Une violence extrême s'y déroule, violence dans l'architecture, violence dans l'âpreté d'un présent sans futur, violence de gangs... C'est une violence qui s'est même immiscé jusqu'à l'intérieur de l'appartement où vit Adam, seul avec sa soeur Lauren qui a cinq ans de moins que lui et son père qu'il nomme désormais l'autre, depuis que sa mère est partie, ne supportant plus les coups répétés du père lorsqu'il rentrait le soir, ivre et la battait... Un jour, ne supportant plus cette violence, leur mère est partie en Espagne, peut-être avec un autre homme, abandonnant sa famille vers un autre horizon...
Adam est sans doute devenu ainsi un père de substitution pour sa petite soeur Lauren, - une mère de substitution aussi, réinventant une sorte d'amour maternel pour pallier l'abandon, car l'autre n'existe plus sur le plan affectif, tandis que leur mère ne reviendra peut-être pas tout de suite... L'autre n'existe que par son alcoolisme et sa violence... Désormais c'est Adam qui prend des coups, protégeant sa soeur, pour qu'elle puisse survivre coûte que coûte...
Ce qui se passe dans le paysage quotidien d'Adam est d'une brutalité inouïe.
De l'autre côté de la voie ferrée tout près, règne un monde étrange, étranger, une vie qui lui paraît totalement inaccessible.
C'est le récit d'une enfance qui dit l'innocence piétinée à coups de poing.
On pourrait se dire que c'est un univers sans ciel, sans espoir, on pourrait se demander où Adam puise sa force pour tenir debout, mais cette histoire est peuplée aussi d'amitiés très fortes. Ben, Pat, des voyous, des petites frappes, mais aussi Claire femme devenue aveugle ayant perdu ses êtres chers dans un attentat de l'IRA, qui prend Adam sous son aile tandis que celui-ci vient régulièrement lui lire des romans d'aventures. C'est d'ailleurs cette femme qui représente pour lui dès le départ du récit ce trait d'union, cette passerelle avec le monde qui se tient de l'autre côté de la voie ferrée...
Ici l'amour est une quête. Adam trouve le sac à main d'une jeune fille sur le quai de la gare de Clapham Junction, qui délimite les deux territoires, le quartier pauvre où réside Adam et l'autre versant, qui semble quant à lui ressembler au vrai Eden. Adam a vu la fille qui a abandonné son sac devant lui, il se saisit de ce sac. À partir de cet instant, c'est une quête qui va animer le jeune garçon, une quête où peu à peu se révèle en lui dans cette innocence encore présente un sentiment amoureux, l'image d'une jeune fille de son âge qui a fui devant lui, peut-être par peur qu'il lui vole son sac à main, l'agresse. Elle est d'un autre monde, celui de l'autre côté de la voie ferrée.
Dans cette quête, la jeune fille devient un prénom, devient une lumière pour Adam qui vient vers elle avec sa fragilité, devient un chemin... Elle devient Eva...
L'amour est tout le temps présent, l'amour devenu idéal dans l'image fugitive de cette jeune femme, des bribes d'amour qu'il découvre cocassement par le poignet solidaire et généreux d'une coiffeuse, l'amour filial auprès de sa soeur, l'autre qui fut son père qu'il aima et qui n'est plus qu'une brute, une épave, sa mère qui apporta tant d'amour et qui elle non plus n'est plus là, les a abandonnés pour un autre paysage, oui l'amour est là traversant de part en part ce texte sobre, l'irradiant de ce désir de lumière.
Si ce récit est étreint par le désespoir, il ne fait jamais sombrer le lecteur dans la sensiblerie.
Dans ce roman social avec le brexit en toile de fond, j'ai forcément pensé aux films de
Ken Loach...
J'ai aimé cette écriture à la fois sobre, fluide, terriblement humaine.
Dans ce récit construit avec de belles ellipses, il y a l'expression d'une difficulté à imaginer un ailleurs, un futur social autre que celui de ce quartier. Pourtant, l'espoir se terre dans les marges de ces pages, tient le texte, le fait vibrer.
Allez savoir pourquoi, j'ai eu envie de pleurer à deux endroits. Sur le bord d'un quai de gare, - pas celui auquel vous pensez -, et puis tout à la fin du roman, quittant Adam et son destin tout en devenir... Ce roman est bouleversant d'humanité.
Fuir l'Eden oui, mais surtout ne pas fuir ce récit qui vaut tant le détour.