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Critiques de Paolo Rumiz (156)
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Aux frontières de l'Europe

Comme Dominique, je vais chercher de toutes mes forces, à vous faire lire «Aux frontières de l'Europe» , ce n'est pas par hasard que j'ai mis 5 coquillages au livre de Paolo Rumiz , il fait parti des livres que je n'oublierai pas et que j'ai traîné partout pendant 15 jours.



J'ai retenu mon envie de le dévorer à toute vitesse car je ne voulais pas le finir, je l'ai dégusté tout doucement.





Ce voyage à travers l'Europe d'aujourd'hui me semble le complément indispensable au voyage historique de Geert Mark «Voyage d'un Européen à travers le XX° siècle».



Il s'agit, ici, d'un état actuel d'un lieu bien particulier de l'Europe et qui , sans doute, prévoit un peu notre avenir .





Je rappelle le projet de Paolo Rumiz : voyager le long des frontières de la communauté européenne avec la Russie et les pays qui ne font pas partie de cette communauté.



Il voyage le plus possible avec le train ou les bus locaux , il est donc au cœur des populations.





Il a la chance d'être accompagnée d'une Monika qui parle le Russe et le Polonais.

Au passage , Monika est photographe et j'aurais aimé voir les photos de cette femme qui sait si bien se faire accepter de tout le monde .



Si quelqu'un sait où on peut voir ses photos qu'on me le dise.





La langue est absolument merveilleuse , un peu précieuse par moment et j'ai dû plusieurs fois ouvrir mon dictionnaire pour vérifier le sens de mots que je connais plus ou moins sans jamais les utiliser (Aèdes, marmoréen, thaumaturge, hiératisme....).

Je pense qu'en italien ce sont des mots plus communément utilisés (heureux peuple!) et j ai constaté encore une fois que cette langue est agréable même traduite en français.





Mais la langue ce n'est pas que la qualité de style, c'est aussi la capacité faite naître des images dans l'imaginaire du lecteur.





Vous n'oublierez pas la chaleur avec laquelle nos deux voyageurs sont, parfois, reçus dans les endroits les plus reculés et aussi la violence de certaines villes.



Il raconte un passage à tabac qui m'a fait peur et a produit chez moi le même effets que des images les plus violentes du cinéma.





La scène de la fouille par les policiers polonais du train venant de Russie est extraordinaire de drôlerie et on peut facilement se la représenter.



On rit souvent et on aime l'humanité , car Paolo Rumiz aime les hommes même quand ils sont écrasés méprisés , dans les pires conditions ils arrivent à vivre grâce à l'humour et la chaleur humaine.



Si ce n'est pas un livre sur le passé , on y lit quand même les traces que les deux horreurs du XX° siècle ont laissé dans ces régions: la disparition de la population juive et les déplacements de populations pour en contrôler d'autres.







Pauvres Russes qui vivent en Estonie , sont-ils vraiment responsables de la folie impérialiste de Staline?







J' ai bien aimé aussi qu'il connaisse Ryszard Kapuscinski, autre auteur que j'ai découvert grâce à Dominique , je suis une inconditionnelle d’Ébène. Il y a une communauté de regard entre ces deux auteurs. Avec un côtelatin chez paolo Rumiz qui fait une grande partie de son charme, surtout quand il se confronte à la réserve de sgens du grans nord.





À lire et relire , parce qu' un livre qui charme qui fait réfléchir et qui fait aussi,comprendre le plaisir du voyage.



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Aux frontières de l'Europe

En 2008, l’écrivain-voyageur triestin Paolo Rumiz part avec sa compagne Monika, photographe, sur les traces des frontières d’une Europe où le traité de Schengen a supprimé bon nombre d’entre elles. Il parcourt ainsi, en utilisant autant que possible les transports publics (trains, cars…), des régions (Carélie, Podolie…) dont les noms ont disparu des cartes, à la rencontre de minorités ethniques et religieuses oubliées.



C’est à une véritable exploration que nous convie Paolo Rumiz dans Aux frontières de l’Europe. Ce récit se base en effet sur les notes prises durant le voyage réalisé par l’auteur dans des régions oubliées des touristes, en employant les moyens de transport de la population locale. Il nous fait rencontrer, au fil de son « parcours en zigzag », aussi bien des pêcheurs de crabes géants que des étudiants en médecine ukrainiens. Son ouvrage s’affirme ainsi, page après page, comme un beau récit authentique, un plaidoyer pour la défense des braves gens et du plaisir des rencontres, même s’il n'est pas dénué de longueurs.

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Le fil sans fin

" Tiens, une pelote blanche, toute sale, oubliée sous un platane. Le signe de mon voyage, d’un fil déroulé par-dessus les fleuves, les montagnes, les villages et les plaines. Un fil sans fin qui surmonte les distances et noue des relations en franchissant les murs, les barbelés, les frontières. Qu’ont-ils fait d’autre, les moines de Benoît, que de planter des lieux de prière et de labeur dans les espaces les plus incultes d’Europe pour tisser ensuite entre eux un solide réseau de fils ? Revoici, derrière la laine, le monde pastoral et paysan d’où tout est né au VIe siècle après Jésus-Christ, dans une identité "



Paolo Rumiz nous propose cette fois, de suivre le fil de son chemin, ce fil invisible qu'il tisse de monastères en monastères, ce fil qui les relie les uns aux autres.

14 étapes, chiffre choisi au hasard ? Qui dit 14 pense aux 14 stations du chemin de croix.

Mais, c'est dans un tout autre voyage que nous suivons l'auteur. Un voyage au travers d'une Europe des monastères, une Europe des sens, dont voici les 14 destinations

Le bonheur du périmètre, Praglia, Vénétie ;

Houblon et encens, Sankt Ottilien, Allemagne ;

La patience de la pelote, Viboldone, Lombardie ;

Le trille de Dieu, Muri-Gries, Tyrol du Sud ;

La machine à lumière, Marienberg, Tyrol du Sud ;

La pharmacie de l’âme, Saint-Gall, Suisse ;

Piano et murmures, Cîteaux, France ;

Le démon de midi, Saint-Wandrille, France ;

Hirondelles et alambics, Orval, Belgique ;

La Wunderkammer, Altötting, Allemagne ;

Un prélude à l’Om, Niederalteich, Allemagne ;

La horde et les steppes, Pannonhalma, Hongrie ;

La Symphonie, Camerino, Marches ;

Le fil infini, San Giorgio Maggiore, Vénétie.



Le voyage est un changement, et a toujours été porteur d'un profond processus de purification intérieure. Un chemin de l'âme qui en élargissant le périmètre de la connaissance nous aide à dépasser nos limites.



Et donc, tel un nouveau Prométhée qui défie les interdits imposés par les Dieux afin de donner aux hommes une lueur de connaissance, Paolo Rumiz se met en route et, partant des Apennins, traverse Amatrice et les lieux du tremblement de terre du 24 août 2016, à la rencontre de ces villes devenues et restées fantômes - " éventrées, béantes de manière obscène sur l’intimité des demeures. " - et arrivé à Norcia, il se retrouve face à la statue de Saint Benoît : "Ce fut alors que je vis la statue, illuminée a giorno au centre de la place. Elle représentait un homme à la barbe vénérable et à l’ample robe de moine, qui levait son bras droit comme pour indiquer quelque chose à mi-chemin entre le ciel et la terre. Elle était intacte au milieu de la destruction et l’on pouvait lire : « Saint Benoît, patron de l’Europe ». J’en eus le cœur serré. Jusqu’alors, je n’avais pas pensé un seul instant au saint et à son rapport avec Norcia – Nursie pour les Français –, avec le tremblement de terre, avec la terre nourricière du continent auquel j’appartenais. Que disait-il, ce saint qui nous bénissait, au milieu des débris de tout un monde ? "

Que représentait ce saint bénisseur, abandonné parmi les décombres du monde ? s'interroge Rumiz , devant la statue située au centre de la place.



Et c'est là que l'auteur, dans une sorte d'épiphanie, dans le sens d'une manifestation sensible d’une présence divine à l’humanité , se rend compte de l'énorme portée de l'œuvre bénédictine capable de sauver l'Europe tout en relançant la civilisation, alors que ce territoire était, à ce moment-là, en équilibre comme au bord d'un gouffre, dans un monde qui a survécu la chute de l'Empire romain et donc en proie à la peur et dévastée par de violents raids barbares. "les semences de la reconstruction avaient été plantées au plus mauvais moment qui fût pour notre monde, dans un Occident caractérisé par la violence, les migrations massives, les guerres, l’anarchie, la ruine urbaine, les banqueroutes. Quelque chose qui ressemblait vaguement à ce que nous connaissons aujourd’hui.c



Et désormais - réfléchit Rumiz - cette même Europe avait replongé dans le Moyen Âge et, pour retrouver ses racines spirituelles, il lui fallait repasser encore une fois par une saison de ruines

« Si Benoît avait réussi à reconstruire l'Europe malgré les décombres, il fallait faire revivre le souvenir de cet équilibre si laborieusement retrouvé » – écrit Rumiz – « parce que l'Europe renaquit trois fois de ces montagnes : d'abord avec Rome, puis avec le monachisme et enfin avec la Renaissance ; le temps était donc venu de retrouver ce formidable élan de reconstruction ».



Avec cette pensée en tête, une mission, presque une magnifique obsession, Rumiz commence son long voyage pour retrouver « le fil » de la spiritualité perdue, se déroulant le long d'un chemin qui relie les monastères bénédictins ; des espaces où la haute politique est toujours en vigueur, entendue comme une sage gestion des relations humaines ; une politique fondée sur des valeurs fortes, capable de combattre le langage de la peur, de parler aux autres, de redonner espoir aux plus petits et de redécouvrir ce qu’est et ce qui fait une communauté.



Un long cheminement spirituel dans lequel, tout en allant de l'Italie à l'Europe dans des territoires totalement différents les uns des autres en termes de langue, de culture et de traditions, Rumiz retrouve quelques socles communs à tous les monastères visités : l'accueil, l'écoute de l'autre, la solidarité , respect de la nature, espoir ; mais aussi la consécration pour la Règle, la discipline, les temps de prière, les rituels, l'importance de la Culture et du Savoir.



Et il est merveilleux de se laisser emporter par la lecture de ces pages et de se retrouver dans ces lieux sacrés, encore immergés dans une nature primaire ; des espaces où le vent « peigne les champs », et où la terre est « travaillée » de telle manière qu'il est presque impossible de distinguer entre le travail de la nature et celui de l'homme. Où rien n'est désinvolte, et où tout a été choisi dans le but de rendre la vie de l'homme douce tout en préservant la nature, dans un parfait équilibre entre l'eau et la terre. On se perd dans la magie de la vie qui se révèle dans les forêts et les potagers, dans le chant joyeux des moineaux et des rossignols, parmi les chênes et les acacias, dans l'immensité du ciel étoilé.



Et comme en proie à un enchantement, nous suivons les pérégrinations de notre « guide » et lisons, ravis, ses écrits dont l'empreinte est une pure poésie capable d'envoûter le lecteur, ainsi que la musique du joueur de flûte de Hamelin.

« Le vieux monastère dort dans les brumes hivernales, navire ancré dans la plaine devant le dernier des monts Euganéens. Au-delà des murailles du périmètre, un coq chante le lever du jour, comme s’il fouillait l’obscurité de son bec, et son chant pénètre dans le labyrinthe des cloîtres, dans les cryptes, les magasins, la bibliothèque. Il fait froid. Je suis un long couloir, jusqu’au moment où le bruit de pas des moines se rendant à l’office des matines rompt le silence."



Une musique à laquelle la vie intérieure des abbayes fait office de contralto, composée d'« autres sons » comme les laudes, les vêpres et les complies, les chaussons des moines, les chants grégoriens amplifiés par l'acoustique savante des églises ; tout un monde où le "silence spirituel" et la présence du "sacré" alternent avec les savoir-faire manuels quotidiens et ancestraux.



Une véritable « arche » où résonne le bruit sourd de la houe qui s'enfonce dans la terre, tandis qu'à l'abri de hautes fenêtres des mains maigres se consacrent à la restauration de précieux manuscrits ; il y a ceux qui surveillent le vin dans les barriques tandis que d'autres sélectionnent les herbes médicinales, ceux qui se consacrent à l'étude de la liturgie tandis que d'autres préparent les ruches pour le printemps prochain ou s'occupent de recevoir les invités. Et nous nous sentons presque saisis par une poussée soudaine, par le désir de fermer le livre et de partir, nous aussi, vers ces mondes pour pouvoir vivre cette expérience, retrouver nous-mêmes, notre âme, notre spiritualité perdue.



"À Viboldone, le sacré, que l’on pourrait croire annihilé à force d’être cerné par la machine de la consommation, vous foudroie dès que l’on pénètre dans la nef médiévale couverte de fresques de l’époque de Giotto. On est à bord d’un canot de sauvetage, on se sent accueilli" écrit Rumiz -

"Mais qu'est-ce que la vie, après tout, sinon un long fil de laine qui traverse les mers, les fleuves, les montagnes et les frontières ?" – demande, et nous demande, l'auteur marchant d'abbaye en abbaye à la recherche du fil blanc de la route.



La culture dominante actuelle ridiculise la dimension spirituelle en éteignant notre boussole intérieure et en emportant nos repères ; et c'est encore Rumiz qui nous rappelle "s’il y a une chose que nous avons perdue, c’est l’écoute. Nous sommes seuls, nous avons peur."[...] la peur, ça suffit comme ça, et aussi la politique fondée sur la peur, parce que c’est là que l’agressivité a ses racines.



Dans le Tyrol, l'auteur retrouve "Byzance, mais sans sa raideur hiératique, le mysticisme oriental préchrétien, l’ascétisme de Pythagore, la vocation judaïque des Esséniens, la spiritualité platonique, la solitude érémitique des prophètes Élie et Jean-Baptiste, le désert des ermites coptes. Autant de choses qui nous viennent d’Orient. Le temple de Jérusalem regardait dans cette direction, puis les chrétiens imitèrent les juifs, et dans les églises ils substituèrent la direction est-ouest à la direction nord-sud des principaux édifices de l’Empire romain. Ils le firent même si bien qu’aujourd’hui, pour dire « chercher la direction », nous utilisons le verbe « s’orienter ». Mais il est paradoxal de constater que cette merveille n’est restée intacte que parce qu’à l’époque baroque, les murs furent blanchis à la chaux et l’endroit dégradé au rang de colombarium ou fosse commune pour les cercueils des moines. Face à un pareil massacre, on se demande si la perception magique du sacré n’est pas morte au XVIIe siècle et si la foi n’a pas été remplacée tout bonnement par la théâtralité."



L' écrivain nous raconte quelle fut la grandeur des bénédictins d'avoir compris la dimension plurielle de notre monde ; réalisant que le christianisme occidental ne se développerait qu'à travers les différences, qu'elles soient culturelles, politiques, juridiques ou linguistiques.

Et c'est précisément cette pensée éclairée qui a donné naissance à un impressionnant réseau d'abbayes économiquement autosuffisantes mais étroitement communicantes. Un système qui a changé l'Europe et civilisé ses espaces les plus sauvages.



« L' Europe » – poursuit Rumiz – « est avant tout un espace millénaire de migrations et il est temps de crier haut et fort combien notre union représente un obstacle fort à l'absolutisme, aux mafias, aux intégrismes et aux économies de vol qui pillent la planète. Se séparer serait donc une pure folie. C'est justement le fait que nous ayons été le terminus des peuples migrants qui doit nous pousser à dénouer d'autres écheveaux en tendant d'autres fils, dans un geste d'amour et de désobéissance civile ».



Après la lecture de ce livre, empli d'exhortations, de poésie, de vie primaire, de règles et de spiritualité, il nous semble que nous avons fait un long parcours de « formation » en compagnie de l'auteur ; un chemin au bout duquel la régénération fait son chemin, tandis que nous entendons encore les échos des voyageurs rencontrés en chemin, la voix calme du Père Anselme qui nous parle de la beauté de la création, le chant des rossignols, la parfum de pain chaud et ce profond sentiment de paix; et en même temps nous sommes envahis par la perplexité à l'idée de devoir abandonner ces pages.



Et si vous vouliez une autre démonstration sur cette quête de sens, à chacun d'y voir sa définition, voici un passage des plus poétiques :

"Vent, murmure, grondement, litanie, voilà ce qui rend votre voyage unique. Voilà la pelote qui renoue les fils et relie Jérusalem à mes monastères. Je ferme les yeux pour mieux écouter. Voici le haut plateau d’Anatolie, la nuit qui tombe, la contrée qui se tait, les portails du ciel immense qui s’ouvrent en grand. Je sens que la perception du sacré se dilate et rappelle d’autres sons. Le lent goutte‑à-goutte dans le silence des souterrains de la Biblioteca Ambrosiana à Milan, où prie un Charles Borromée magnifiquement vêtu, tout seul dans l’obscurité, devant un sépulcre. Le cri des hirondelles sur le Tigre, avec vue sur la Mésopotamie constellée de lumières. Les laudes vespérales des moines sur l’île de San Giorgio à Venise, une voix qui cherche l’Orient et s’éteint dans la lagune.

Je réentends tout. La cloche de Saint-Marc, qui appelle les muezzins de Constantinople. Le chœur des Ukrainiennes, des Russes et des Roumaines en Italie, réunies dans la crypte de San Nicola, tandis que des escadrilles d’hirondelles emplissent de cris le ciel de Bari dans une lumière aveuglante. Les lamentations de la gaida macédonienne, qui vous appelle comme à la bataille, ouvrent la route aux amanedes, chansons déchirantes d’une Grèce perdue, d’Éphèse et de Smyrne. Et puis l’orage sur le mont Athos…, le chant des Thraces après le sacrifice du taureau, la danse des hommes étreignant les icônes, l’invocation d’un Konstantinos, saint, guerrier, empereur. Le tonnerre planétaire des minarets, à l’heure de la prière du soir, à Istanbul ; une vague arrivant de l’Asie annihile le chant des Grecs, à qui il est interdit de sonner les cloches."



Mais c'est précisément lorsque nous atteignons la dernière ligne que le désir de recommencer prend le dessus, nous amenant à retracer les étapes de ce voyage pour nous replonger dans ce monde, réabsorber ses principes et ses idéaux, les faire nôtres et les transmettre à les autres.
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Le fil sans fin

J'apprécie beaucoup les écrits de Paolo Rumiz, la richesse de son propos et la beauté de certaines de ses descriptions de paysages. Je partage ses inquiétudes et son questionnement quant à l'avenir de l'Europe et au comportement que les gouvernements ont adopté face à l'immigration. Il est bienvenu de rappeler à ses compatriotes combien, parmi eux, ont survécu grâce à l'émigration de leurs ancêtres. De même je partage son opinion lorsqu'il dénonce la remontée des patriotismes revanchards et le discours d'une majorité de politiciens incitant au repli sur soi et à la haine de "l'autre".

Je ne le suis plus du tout dans sa quête mystique au sein des communautés religieuses bénédictines, et de l'idéalisation forcenée qu'il met en œuvre pour chercher notre salut commun dans le modèle monacal. Il s'agit là d'une vision bien édulcorée du comportement qu'ont eu nombre de ces religieux au cours de notre histoire. Les discours "haineux" n'ont pas toujours été laïcs loin de là. Il semble qu'à un moment de son raisonnement il est touché par une pointe de lucidité lorsqu'il dresse le portrait d'un prêtre hongrois. Mais quelques pages plus loin, la grande envolée lyrique sur les bienfaits du christianisme repart.

Bref, je conserve de nombreuses valeurs communes avec Rumiz. Grâce à ses écrits, je me dis qu'on peut être un homme de Droite (plus par dépit à l'encontre de la Gauche italienne il me semble que par adhésion réelle aux valeurs du libéralisme) et présenter des points de vue intéressants et non caricaturaux. Mais je ne le suivrai en aucun cas dans ce que j'appellerai son délire mystique. L'avenir de l'homme n'est certainement pas à chercher du côté des "valeurs" du christianisme ; l'église a trop souvent été du côté des Exploiteurs et les discours de regret, teinté d'écologisme, du Pape ne suffisent pas à blanchir le linceul d'une histoire maculée d'obscurantisme et de taches de sang. Sans rancune, tant certaines descriptions de ce livre sont belles et revigorantes.
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La légende des montagnes qui naviguent

Entrer dans cette légende c’est l’impression d’avoir effectué plusieurs longueurs, sans jamais en avoir eu l’expérience, mais probablement ressentir le même essoufflement – du moins cérébral tant il faut être vigilant dans sa tête pour ne pas rater les moult détails sur les parois des chapitres – et la même sensation de grandeur, de découverte, d’esthétique, une fois gravi les 560 pages. Ce qui reste, néanmoins, c’est cette avalanche migratoire de l’espace méditerranéen, du Fernand Braudel en capitaine de vaisseau montagnard.



De la Croatie à l’Italie, Paolo Rumiz nous entraîne sur un chemin de 8000 kilomètres en naviguant sur deux immenses chaines de montagnes européennes, les Alpes et ses huit pays hôtes, puis les Apennins qui traversent pratiquement toute l’Italie, couvrant plus de quinze régions de la péninsule. A pied, à vélo, en voiture mais pas à cheval, il traverse les massifs, longe les cols et, surtout, entre en communion avec non seulement la nature mais ceux qui la peuplent, animaux comme humains, humains qui en certains endroits deviennent presque une espèce en voie de disparition, les jeunes quittant ces hauteurs sauvages pour les villes où travail il y a.



Je vous fais grâce de tous les lieux cités, de tous les noms des monts et sommets qui peuplent cette Europe de roc et de granit pour vous plonger – ou plutôt grimper – à travers un périple qui éloigne du monde pour en retrouver un autre, celui des pierres qui façonnent les hommes même si ces derniers ont trop tendance à vouloir prendre le dessus. L’auteur voyageur ne fait pas que passer, il scrute, interroge et pose lui-même des petites pierres en forme de mots sur les errances d’une construction pharaonique qui n’élève que des pyramides à l’encontre de la sauvegarde de la nature, sans pour autant dénigrer la race humaine qui porte une mémoire collective. Car il va en rencontrer des « bibliothèques sur pattes » pour évoquer le passé, la résistance, les prouesses humaines face au dépouillement des conditions matérielles ; ces héros anonymes qui perpétuent une histoire au-delà des cimes. Si, hélas, la jeunesse est trop oubliée, le baroudeur montagnard n’omet pas de souligner le rôle indispensable des réfugiés qui apportent une main tendue pour s’occuper des anciens.



Quant aux autres espèces terrestres, elles sont encore là, à circuler en se moquant des frontières tels les loups, ce fameux loup italien qui a jour devint français. Ours, renards, marmottes, tous ont leur place sur versants et alpages, mais plus ou moins bien accueillis. Pourtant, un peu d’ensauvagement, dans le bon sens du terme, permettrait peut-être de continuer à naviguer sur les crêtes de l’humanité.
Lien : https://squirelito.blogspot...
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Le phare, voyage immobile

[Titre d'origine : « Il Ciclope »]



Trois semaines de voyage immobile sur une île méditerranéenne inhabitée dont l'identité restera soigneusement occultée, dominée par un phare imposant, avec pour seule compagnie les gardiens – une relève se produit durant le séjour de l'auteur – beaucoup plus taciturnes qu'on eût pu l'attendre, un âne borgne et incapable de braire, une poule esseulée baptisée Cassandre, quelques matous sauvages et plusieurs milliers de goélands loin d'être toujours sympathiques... Le phare, c'est un catalyseur de pensées errantes, pourtant, les références littéraires ou savantes sont rares dans ces pages ; « Les archipels de l'âme sont infiniment plus mystérieux et compliqués que les vrais. » (p. 42), pourtant, jamais l'écrivain-voyageur ne cède à une introspection précieuse et de mauvais aloi ; les 26 courts chapitres identifiés sans exception par un seul lexème (sans article) indiquent de pures observations, des descriptions immédiates ou celles de souvenirs induits, dont la minutie des images ne contredit en rien la « perception pélagique du monde » (cit. passim) qui caractérise cet ouvrage et, en général, Paolo Rumiz.

À chercher un élément dynamique dans le récit, l'unique moteur de l'action, on le trouvera sans difficulté dans l'alternance des vents. Les vents, porteurs de mythes, et quelques orages apocalyptiques affectent non seulement les métamorphoses des paysages, mais ils déterminent surtout les situations dramatiques, de sorte que leurs noms pourraient aussi intituler quasiment chaque chapitre – il en est ainsi pour deux d'entre eux : « Tramontane » et « Sirocco » - ce qui aurait sans doute pour conséquence d'ancrer davantage le livre dans la catégorie des récits marins, au détriment de l'aspect « archipélagique » qu'il possède en réalité.

À ce propos, je suis désolé que le titre de l'édition française du livre soit tellement plus explicatif que celui d'origine, de manière absolument contraire à l'intitulé des chapitres, et à l'esprit du livre tout entier.
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Comme des chevaux qui dorment debout

Nous tous, et Rumiz, auteur de Trieste le premier, sommes entourés (peut-être un peu « soûlés ») par les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale : en Europe, chacun le fait de son côté – Verdun et la Somme par ici, le Piave par là, les Dardanelles ailleurs... Mais il y a un front largement oublié : celui de l'Est, de cette région trans-carpatienne, aujourd'hui parcourue par la frontière entre la Pologne et l'Ukraine, où s'affrontèrent l'Empire austro-hongrois et l'Empire allemand contre la Russie, dès août 1914. Pourquoi oublié, par qui ? Par l'Allemagne, trop occupée à son mea culpa de la Seconde guerre pour se rappeler de Tannenberg, par la Russie (notamment soviétique) qui a passé des bulldozers sur ses propres cimetières militaires pré-révolutionnaires, par l'Autriche, sortie lilliputienne justement de l'affrontement avec la plus grosse armée du monde, et bien que celle-ci se soit retirée en 1917... et aussi par l'Italie. L'Italie est entrée en guerre contre la Triple-Alliance en 1915, mais les Italiens de Trieste, de Trente, de Vénétie-Julienne et d'Istrie, plus de cent mille hommes au total, sujets du Kaiser-König, avaient été envoyés sur ce front en 1914 – et 600 seulement, à l'instar de Scipio Slataper, avaient déserté pour se joindre aux troupes du Royaume tricolore. Parmi les autres, dont la plupart ne sont pas revenus, le grand-père maternel de Rumiz. Et il ne fait pas bon rappeler ces Italiens de loyauté douteuse, « Italiens à l'uniforme erroné », maltraités, humiliés, ridiculisés, envoyés au casse-pipe par la hiérarchie militaire magyare pendant le conflit, de même que les Croates, Slovènes, Bosniaques, etc., et priés de se faire oublier par le Royaume d'Italie, une fois la guerre terminée, lequel refusa même de recevoir de Vienne la liste des décédés au combat.

Depuis son sol karstique natal, depuis Redipuglia et autres hauts lieux des célébrations, Rumiz entend les voix des compagnons d'infortune de son grand-père, qui l'engagent à partir en voyage sur ce front oublié, pour leur rendre justice et mémoire. Un voyage, c'est ce que Rumiz sait faire ; en train, et à l'écoute des voix des tombés au champ d'honneur. Il en résultera trois déplacements : par Vienne jusqu'à Przemyśl, par Budapest jusqu'à Lvov-Lemberg, par Sarajevo jusqu'à Belgrade – toujours accompagné par quelques guides-historiens-connaisseurs, toujours attentif au milieu traversé, aux rencontres, à la bonne chair et bonnes boissons locales, et surtout alerte à dresser des passerelles avec l'actualité...

Je saute aux conclusions : l'historiographie (ici surtout italienne relative au Risorgimento, au nationalisme de l'Unité nationale) est souvent grossièrement mensongère ; il existe partout dans ces pays traversés une nostalgie d'empire, notamment nostalgie austro-hongroise, qui est souvent (mal) identifiée à l'Union Européenne ; la Guerre de 14, pulsion suicidaire de l'Europe, entièrement évitable, probablement inutile, aurait pu créer un esprit européen, unir les fronts dans la conscience d'une identité et d'un abus uniques, mais elle ne l'a pas fait ; la Guerre de 39-45 présente une continuité absolue avec celle de 14-18, et pas principalement par l'esprit revanchard d'un Hitler contre la France, mais surtout compte tenu du Front Est, justement, en particulier de l'impossibilité pour l'URSS de supporter le traité de Brest-Litovsk, laquelle se révèle dès février 1919 par la guerre soviéto-polonaise ; surtout, et c'est ma découverte la plus intéressante, la Grande Guerre a été une secousse sismique sur la faille de laquelle, très exactement, continuent d'éclater la plupart des conflits d'aujourd'hui : de ceux de l'ex-Yougoslavie (1991 et depuis), en passant par le Moyen-Orient (bien évidemment), mais aussi celui dont Rumiz est le témoin direct et instantané, les événements ukrainiens de 2014 (révoltes anti-Ianoukovitch sur la Place de Maïdan). L'Union Européenne semble ne rien vouloir comprendre, lorsqu'elle tisse des théorèmes géopolitiques compliqués, lorsqu'elle ferme un œil ou les deux sur la corruption du pouvoir dans ces nouveaux États post-communistes, sur laquelle on transige pour faciliter les affaires. Lorsque les peuples concernés s'alertent, l'on acquiesce à, voire l'on promeut l'usage du faux levier de l'ethnicisation, selon une recette qui a fait ses preuves en Yougoslavie...

Sous le prétexte de cette rhétorique mensongère et criminelle du retour des identités, il y a moins d'Europe aujourd'hui qu'en 1914, et même qu'en 1918. Il suffit, pour cela, de mesurer les difficultés de Rumiz à se déplacer en train depuis Trieste. Cette UE qui déçoit, qui est la seule à ne pas acheminer d'aide humanitaire à la Serbie lors des inondations de juin 2014, provoque ou entretient une nostalgie d'empire qui, si elle est notoire à Trieste, est délétère lorsqu'elle se traduit en délitement du sens du collectif et de la citoyenneté : à Barcelone autant qu'en Belgique ou en Italie du Nord ou au Royaume-Uni, il ne s'agit pas que d'une soudaine arriération mentale des Hongrois, des Polonais, des Ukrainiens, ou de ces retors de Balkaniques ! Et de conclure que les hommes dans les tranchés, eux, au moins, savaient rire...



Ce livre est une tentative de dialogue avec les morts. Il est compréhensible que le dialogue soit moins factuel et plus proche d'un monologue que dans d'autres ouvrages de l'auteur ; le lecteur le paye par beaucoup, beaucoup de redites, par un style « rumizien » poussé plus loin que jamais dans la prose poétique – les hendécasyllabes sont presque constants, pas seulement dans le titre de l'ouvrage et de nombreux de ses chapitres, ils sont assumés par la typographie, surtout en début des phrases « restituées » aux morts : l'auteur en a « plein la bouche », car la poésie, c'est notoire, est le moyen de communiquer avec les trépassés... Les descriptions géographiques rendent l'ouvrage décidément un journal de route et non un essai d'Histoire ; pourtant l'auteur a la tentation de n'exprimer ses pensées propres que sur elle et sur la politique actuelle... Une certaine familiarité avec l'historiographie italienne ainsi que la capacité avérée à lire le dialecte de Trieste, qui est très abondamment utilisé, sont des prérequis pour affronter cette lecture.
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La légende des montagnes qui naviguent

Sous ce très beau titre en hendécasyllabe, le journaliste et écrivain-voyageur Paolo Rumiz, mitteleuropéen de Trieste, nous livre un périple de huit mille kilomètres tout au long des montagnes italiennes : des Alpes parcourues d'est (Istrie) en ouest (arrière-pays niçois), ainsi que des Apennins, de la Ligurie jusqu'au bout de la Calabre.

Peut-on concevoir une identité de l'Italie, pays aux si longues côtes maritimes, à travers ses reliefs uniquement ? C'est la gageure de la démarche. Et il s'avère que cette identité existe : c'est une identité de préservation et de résistance ; contre les plaines et vallées et leur productivisme et consumérisme, contre la bétonisation et les dégradations notamment hydrauliques qu'elle entraîne, contre les autoroutes, lignes ferroviaires à grande vitesse, centres commerciaux, et autres siphons du modèle économique dominant qui aspirent les ressources humaines et naturelles en désertifiant les montagnes, contre les politiques publiques qui mènent une guerre culturelle et économique, depuis les années 1950, visant à disqualifier, à saboter, à affamer l'agriculture et les élevages montagnards. Ces résistants, qui en vérité n'ont jamais cessé de l'être depuis les Ligures et les Samnites, jusqu'aux antifascistes, en passant par les fuyards protestants ou juifs de tous temps, ces brigands n'ont comme unique arme que leur obstination de montagnards, que la parcimonie de la vie la plus frugale qui soit, que la puissance de la mémoire de leurs contes, de leurs mythes, de leurs joutes poétiques ou des paroles de leurs chants, parfois inscrite jusque dans les toponymes et dans le génie des lieux qui renferment de nombreuses influences païennes. Ainsi les Apennins résonnent-ils encore partout des exploits d'Hannibal avec ses éléphants. Et bien sûr, en parlant de bêtes, l'on ne saurait négliger les sagas et les présences des ours et des loups.

Rumiz voyage en lenteur : souvent à vélo ou à pied dans les Alpes, à bord d'une Fiat Topolino de 1953 dans les Apennins. Il se sert comme viatique ou comme talisman d'une grande carte géographique littéralement recouverte d'une myriade de post-it contenant l'indication des lieux à voir et des personnes à y rencontrer : est-ce à dire que le voyage est parfaitement organisé, qu'aucune improvisation n'est admise ? Rien n'est moins sûr. Par contre, une fois déployé devant ses rencontres, ce parchemin de jeu de piste (partiellement reproduit dans les premières pages du livre) assure au voyageur un effet charmeur indéniable... Tout comme la voiture qui, elle aussi, est un instrument de captation de sympathie et de récits. Et voilà donc de quoi se compose l'ouvrage : plus que de paysages ou de descriptions, de réflexions ou d'états d'esprits du voyageur (qui peuvent parfois lasser pour peu qu'il soit immodeste, comme il arrive souvent...), il contient des traces narratives de la foultitude d'habitants anonymes ou célèbres que l'auteur a tout fait pour rencontrer, pour faire parler, pour écouter afin d'en distiller la mémoire, l'esprit, les ressentiments, les espoirs, les contes, les airs, les façons de parler (jusque dans les dialectes).

Une invite au voyage que ce livre, certes, mais aussi, à travers cet univers que ne représente ni n'est représenté par la télé berlusconisée, par le modèle économique et social qui ne l'est pas moins, un témoignage que l'utopie n'est peut-être pas un non-lieu, mais juste parfois un endroit qui se trouve derrière une côte un peu raide, au détour d'un chemin que n'indiquent plus les panneaux de signalisation routière ni les GPS, un lieu existant, au moins pour quelque temps encore...
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Aux frontières de l'Europe

Paolo Rumiz est un journaliste italien qui ne voyage pas sans appliquer de thèmes à ses pérégrinations. Dire qu'il en fait des reportages serait un peu réducteur. Il se livre à une véritable étude sociologique des échantillons de population qu'il rencontre. Géographie, histoire, économie, culture, religion, tout enrichit son propos et témoigne d'une bonne culture. C'est bien documenté et relaté avec un style direct très expressif non dénué d'émotions inspirées par son sens du contact humain.



Pour trouver une frontière digne de ce nom en Europe, avec ce que cela comporte de barrières, de postes de douane et de contrôles, il faut aller justement aux confins de cette vieille Europe. Ses frontières internes ayant été balayées par la "grande tempête finale du mercantilisme". Elles sont devenues désormais aussi virtuelles que les transactions sont dématérialisées. Mais elles peuvent être aussi parfois occultées. Et ressurgiront-elles un jour pour tracer dans la douleur leurs sinuosités sur le pourtour de communautés en mal d'indépendance ? Qui sait ? Paolo Rumiz le prophétise en traversant l'Ukraine en 2008, alors que le conflit interne de ce pays n'a pas encore fait ses premières victimes. Sept ans plus tard.



Dire qu'une frontière administrative est une ligne artificielle qui méprise les affinités culturelles, religieuses ou ethniques, voire familiale, est un lieu commun. Il suffit d'observer les frontières africaines tracées à la règle pour s'en convaincre. Une frontière est la conséquence d'un curieux mélange de pulsions impérialistes et d'un protectionnisme farouche. Elle porte en elle le germe des rancoeurs et convoitises issues du seul fait de son existence. Son tracé contemporain est souvent le résultat d'un passé tumultueux. Qui peut dire si elle est stabilisée à jamais quand des nationalismes voient le jour à contre courant de la mondialisation. Paolo Rumiz analyse l'incidence de cette délimitation arbitraire dans la vie de ceux qui la côtoient, la franchissent tous les jours. Lorsqu'elle elle veut bien s'ouvrir.



De la Baltique à la Mer Noire, Paolo Rumiz a cheminé autour de la frontière séparant l'Europe de l'ex monde soviétique en compagnie de Monika Bulaj qui lui servait d'interprète. Cette frontière n'est pas seulement une séparation physique entre états. Elle trace son chemin entre le passé et le présent, le profane et le sacré, l'orient et l'occident, l'indigence et l'abondance. C'est son côté virtuel qui excite les convoitises. C'est autour d'elle que les mafias, qui ont toujours un temps d'avance, ont pris de vitesse toutes les tentatives de régulation des échanges.



Mais il est une chose qu'une frontière ne sépare jamais définitivement, ce sont les affinités culturelles, de ceux qui, au gré de ses tracasseries administratives, la traversent pour se retrouver dans leur communauté de pensée, leurs rites et traditions, leur langue.

Aux frontières de l'Europe est un ouvrage très descriptif, tant des lieux que des personnes rencontrées. Il y a de l'enrichissement culturel à la clé. Je me suis quand même parois laissé assoupir au rythme du tacatac du train sur les rails. Mais c'est globalement intéressant.

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Le phare, voyage immobile

Partir pour trois sur un bout de terre minuscule, observer le monde à distance, laisser affluer les pensées et les souvenirs liés à ce voyage nourri par différentes rencontres et conversations avec des marins avertis et érudits, des amoureux de la mer, par des lectures de textes classiques, mythologiques : quelle belle aventure et quel beau texte ! Paolo Rumiz retrouve sur cette île habitée par les seuls gardiens du phare, un âne, une poule et des milliers d'oiseaux, "le sens de la limite, cette chose qu'on nous cache et qui pourrait nous sauver du désastre". La force des vents, le mugissement des flots, l'observation des éléments fait de ce lieu préservé et caché, un endroit unique ou le savoir ancestral est préservé, restitué. Le temps y est élastique et démultiplié, sans connexion web. Seule la radio relie les hommes au continent. Ici on communique par l'échange à table, autour d'un verre, fraternellement, le bavardage y est inexistant, la parole précieuse.
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La légende des montagnes qui naviguent

Paolo Rumiz, né en 1947 à Trieste, est un journaliste et écrivain voyageur italien. Envoyé spécial au journal Il Piccolo de Trieste, puis à la rédaction de La Repubblica, il couvre en 1986 les événements de la zone balkanique. Pendant la dissolution de la Yougoslavie, il suit en première ligne le conflit de la Croatie puis celui de Bosnie-Herzégovine. En novembre 2001 il est à Islamabad puis à Kaboul, pour couvrir l'attaque des Etats-Unis en Afghanistan. En tant qu'écrivain voyageur, Paolo Rumiz a parcouru de nombreux pays, notamment le long des frontières de la communauté européenne. La Légende des montagnes qui naviguent, est son nouvel ouvrage.

Un périple de huit mille kilomètres, de la baie de Kvarner en Croatie jusqu’au Capo Sud italien, Paolo Ruiz chevauche les deux grands ensembles montagneux de l’Europe, Alpes et Apennins, passant par les Balkans, la France, la Suisse et bien sûr l’Italie. Parti de la mer, il arrive à la mer. Un voyage qui s’étale entre 2003 et 2006, empruntant divers modes de locomotion mais on retiendra particulièrement sa voiture, une Fiat 500 (la Topolino).

Un récit particulièrement dense qu’on s’étonne de voir condenser dans si peu de pages finalement. L’écrivain aime les gens, tout son voyage n’est fait que de rencontres avec des personnages, quelques uns connus (comme Jörg Haider (1950-2008) le politique populiste autrichien) mais le plus souvent des inconnus extraordinaires, paysans, bergers, écrivains, artisans, vieillards… tous, porteurs d’une philosophie de vie et mémoire encore vivante du passé proche. Conséquence directe, si vous n’avez qu’un livre en main, celui-ci recèle mille histoires ébouriffantes et passionnantes.

Impossible de résumer la diversité des sujets abordés car l’auteur, cultivé, sait marier avec une facilité déconcertante, l’Histoire et les petites histoires locales, la géographie, l’écologie comme l’économie, la politique et les sciences sociales, la philosophie… que sais-je encore ? Il y a donc des reconstitutions historiques, des ours et des loups, Ötzi la fameuse momie décongelée, les migrants et les frontières disparues, des régions dépenaillées et d’autres où tout est réglé comme des horloges.

De ce long voyage, se dessine en creux, une Europe partagée : un vieux continent coincé entre la modernité qui se retranche derrière l’économie et son bras armé le commerce, et de l’autre cette Europe chargée de nostalgie et de bon sens, celle des traditions qui ne faisaient qu’un de l’homme et de la terre. Le combat semble inégal mais n’interdit pas la résistance de certains.

Les premières pages m’ont paru un peu difficiles mais bien vite, l’écriture parfaite de Paolo Rumiz vous embarque (« dans un silence venteux de marmotte » superbe autant que mystérieux, non ?) dans un inoubliable périple.

Une lecture chaudement recommandée !

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La légende des montagnes qui naviguent

E la montagna va…

Dans le prologue de son périple de 8 000 kilomètres à travers l’arc alpin et les Apennins effectué entre 2003 et 2006, à pied, en vélo, en train, en Fiat Topolino et en zigzag, Paolo Rumiz, journaliste au quotidien romain La Repubblica, présente son voyage dans les grandes lignes, apéritif goûteux avant le plat roboratif qui s’ensuit sur plus de 400 pages. Dès l’entame, l’écrivain convoque quelques grands noms de la littérature voyageuse, Patrick Leigh Fermor, Nicolas Bouvier et parle de son sentiment montagnard conforté par les rencontres avec Gaston Rébuffat et Georges Livanos, tous deux alpinistes, comme lui, du bord de mer et hantés par le vent. Puis le voyage géographique débute (non sans allusion à l’incipit du roman d’Italo Calvino) avec la recherche du départ des Alpes qui n’est mentionné dans aucun guide. Peut-être est-ce l’endroit nommé Vrata, en Croatie, dans les Alpes dinariques que l’auteur atteint après une rude montée ? Identifier le col éponyme relève du jeu de piste et, de détour en tangente, Paolo Rumiz ricoche dans Vrata sur un flot d’incertitude. Personne ne sait lui répondre précisément. Qu’importe ! L’histoire est ensuite convoquée de vive-voix, à travers la mémoire du dernier témoin de la Grande Guerre, décédé depuis, à l’âge de cent-dix ans, bien « obligé de déménager » en fin de compte, selon ses propres dires. Quand, une autre fois, en vélo, Paolo Rumiz remonte le long de l’Isonzo, ce fleuve d’émeraude, il en profite pour narrer les aventures vagabondes de l’ourse Vida, parcourant des milliers de kilomètres en quatre mois à la barbe de tous ses surveillants patentés, zoologues, gardes-chasses et consorts, faisant fi des autoroutes et autres barrières létales. Les histoires amusantes, émouvantes, surprenantes, captivantes vont s’égrener au fil de trajectoires géographiques souvent absconses pour le lecteur francophone qui navigue dans le texte à l’estime, ignorant autant la toponymie, l’histoire et les territoires traversés. Les rencontres étonnent, Jörg Haider, l’homme de fer, Ötzi, l’homme du Similaun ; elles enthousiasment quand l’auteur retrouve le grand écrivain Mario Rigoni Stern, sur le haut plateau d’Asagio. S’épanouissent alors la mémoire, les mots, la vie et un supplément d’âme. Neuf pages de bonheur défilent, impossibles à résumer tant tout cela coule d’une source vivifiante, murmurant des secrets d’humus et d’éternité. Comme si cela ne suffisait pas, Paolo Rumiz va rencontrer le grand écrivain et journaliste polonais Ryszard Kapuściński (1932-2007) peu de temps avant son décès, petit homme d’aspect banal d’une force de caractère inouïe, grand reporter approchant les brasiers humains avec empathie, humilité et clairvoyance.

Au mitan du livre, Rumiz tourne la page des Alpes et ouvre son récit sur les Apennins, dans une traversée de Ligurie en Calabre, en Fiat Topolino millésimée 1953. L’auteur croise les lieux, les mémoires, les histoires et délivre un message de résistance à la mondialisation connectée, égoïste et suicidaire. Les mondes de Rumiz sont en sursis, déjà nimbés d’oubli, sombrant dans les replis d’ombre des montagnes désertifiées, pulsant d’infimes éclats d’une lumière magnifique dans le vide sidéral des nuits étoilées.
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Appia

Appia est pour Paolo Rumiz l'occasion de réfléchir au rapport des Italiens à leur passé. Dès les premières lignes, on sent le regret et la déploration. En effet, Paolo Rumiz ne comprend pas comment les Italiens ont pu laisser disparaître ainsi leur passé, car la Via Appia n'a pas du tout été conservée, et la difficulté de ce voyage, qu'il entreprend avec plusieurs compagnons, réside dans cet abandon de la voie mythique à toutes les exploitations contemporaines : le basolato, ce dallage en basalte, est pillé par les particuliers, les pierres des temples, comme à Terracina, perdues dans le paysage qui n'honore pas l'âme antique des choses ("L'Antiquité est une gêne." ; "En Italie, ceux qui étudient l'Antiquité sont mis au ban de la société.") On comprend bien, en lisant Paolo Rumiz, qu'aucune politique de préservation du passé n'est menée dans ce pays. Il dit à ce propos que tout est misé sur le Colisée ("Le Colisée, c'est Hollywood."), mais que le reste peut bien retourner à l'abandon.



(...)
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On dirait que l'aube n'arrivera jamais

« On dirait que l’aube n’arrivera jamais » Paolo Rumiz (Arthaud 200p)

Voici une série de chroniques quotidiennes de deux à quatre pages chacune, publiées dans un grand journal italien, un carnet de confinement à chaud, ou plutôt, comme le dit Rumiz, un cahier de non-voyage depuis la ville de Trieste où l’auteur est cloîtré pour cause de Covid. On retrouve ici le ton pamphlétaire du journaliste, ses saines colères contre la stupidité, contre les replis sur soi et les peurs de l’autre, ses emportements si bienvenus contre l’incurie des gouvernements, italien d’abord, mais aussi européens ou d’ailleurs, son dégoût des nationalismes rétrogrades. Toutes choses déjà bien explicites dans « La légende des montagnes qui naviguent » sorti en 2017, mais illustrées ici sous l’angle des conséquences de la pandémie. Alors oui, c’est dans l’ensemble une lecture qui fait du bien, c’est par exemple intéressant de lire quelques éclats sur la situation en France vue depuis l’autre côté des Alpes. Et il y a également dans ces pages de beaux moments de générosité, Rumiz sait cultiver ses amitiés, et nous en faire part. Il nous offre de belles bouffées d’oxygène, ses espoirs dans la jeunesse qui doit se (nous) réinventer un avenir sont touchants.

C’est donc sans doute un livre utile et intéressant, mais la limite de cet exercice, d’une telle écriture dans l’urgence quotidienne, ce sont les répétitions, les ressassements qui donnent au bout d’un moment une impression de rabâchage, qui entachent la posture de « vieux sage » dans laquelle on sent que Rumiz aimerait bien se trouver.

L’autre réserve dépasse ce seul livre et l’auteur lui-même. Elle concerne la multiplicité des chroniques en tous genres, des journaux de confinement publiés partout, cette accumulation qui fait un peu déversoir de colères certes si souvent fondées contre les gestions de la pandémie, les mensonges et les incuries, et toutes les injustices les plus criantes que la situation met encore plus en évidence. « Nous avons le devoir de nous montrer pessimistes, d’imaginer le pire des scénarios, afin de mieux préparer nos défenses » écrit-il. Sa dernière chronique est datée du 1er mai… Et maintenant ? Je n’apprécie guère Houellebecq (je ne parle pas de l’écrivain, que je n’ai pas lu, mais - et ceci explique peut-être cela - de l’homme public tel qu’il se vend), mais lorsqu’on lui a posé la question obligée de la période : « Comment voyez-vous le monde d’après ? » il a répondu, « Comme le monde d’avant, mais en pire… » Je crains tellement que la suite lui donne raison, malgré tous les cris de colère qu’on peut lire un peu partout.

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Aux frontières de l'Europe

Paolo Rumiz nous convie à un voyage à l'itinéraire original, en vertical depuis la toundra arctique du nord de la Finlande jusqu'à Odessa au bord de la mer Noire, sur une ligne virtuelle que Rumiz considère comme la frontière de l'Europe occidentale face au monde russe. Ce qui est assez remarquable, c'est que ce voyage de 6000 kilomètres a été réalisé en seulement 33 jours en utilisant autant que faire se peut les moyens de transport en commun (bus et train). Remarquable car Paolo Rumiz et son accompagnatrice Monika rencontrent durant leur voyage des tas de personnes qui ont généralement beaucoup de choses à raconter. Le livre rend compte de ces rencontres souvent très émouvantes quand il s'agit de personnes humbles et courageuses pour lesquelles la vie n'est pas facile.





Ce sont ces rencontres qui font la richesse du voyage de Paolo Rumiz. Au-delà de l'état d'esprit du voyageur, qui fait surgir l'imprévu, trois conditions permettent que ces rencontres adviennent : la possibilité de communiquer en russe grâce à Monika, qui est polonaise, et sert de traductrice, le fait de voyager léger et le fait de ne pas voyager dans la bulle que serait sa propre voiture. En somme, l'inverse du célèbre voyage de Nicolas Bouvier relaté dans l'excellent ‘Usage du monde' mais celui-ci, parti deux ans, avait du temps devant lui.





Le récit de Rumiz met en lumière la complexité de la façade orientale de l'Europe avec son caractère multiethnique, même s'il a tendance à s'effacer avec le temps et les déplacements de population, et ses multiples bouleversements historiques nés des guerres et des affrontements entre empires. Il exhume de l'histoire de vieilles régions comme la Courlande, la Polésie, la Ruthénie ou la Bucovine, souvent réparties sur plusieurs pays actuels ou des communautés maltraitées comme les vieux-croyants orthodoxes réfugies au fond de l'Estonie ou les Samis du grand nord. Rumiz nous emmène dans des contrées, pas si éloignées de chez nous, mais bien peu connues comme la Biélorussie, dernier pays communiste d'Europe, ou le Grand Nord russe. Son récit est un hommage à l'hospitalité, à la générosité et à la chaleur des peuples slaves, et aussi à l'apport de la culture juive à ces régions, présence juive aujourd'hui fort réduite.





Revers de la médaille, le livre de Rumiz est trop souvent nostalgique et prompt à critiquer une mondialisation bien peu définie ou les règlements de l'Union Européenne. J'accepte bien volontiers que l'on critique la société occidentale, qui n'est certainement pas exempte de reproches, notamment dans ses aspects mercantiles. Mais j'ai été dérangé par ce que j'ai cru sentir de nostalgie de l'Empire austro-hongrois ou de l'époque des vraies frontières, celles des fils barbelés de l'Europe communiste.



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Aux frontières de l'Europe

L’Europe dans le sens de la longueur.

Le récit de voyage de Paolo Rumiz aurait pu s’intituler « L’Europe à la verticale » à la place de sa traduction française évasive et plus accrocheuse « Aux frontières de l’Europe ». Le journaliste transalpin a sobrement titré : « La frontiera orientale dell’Europa ». Le voyage débute en juin 2008 dans les immensités d’eau, de neige et de forêts de la lointaine Borée, entre Finlande et Russie. La compagne de l’auteur, Monika, Polonaise russophone, écrivaine et photographe fait partie de la virée ferroviaire et routière longue de 6 000 kilomètres, depuis la ville finlandaise de Rovaniemi jusqu’à l’ukrainienne et portuaire Odessa, soit de la mer de Barents dans l’océan Arctique à la mer Noire jouxtant la Méditerranée. Depuis la création de l’espace Shengen en 2007 et l’ouverture des frontières des 26 pays membres, Paolo Rumiz, Triestin juché à la porte de la Mitteleuropa, maintenant que les barrières semblaient avoir été abolies et le rideau de fer déchiré, a jugé bon de partir à la rencontre des hommes, de leur histoire et des paysages dans ces terres du milieu si mal cernées, nébuleuses, évanescentes, meurtries et délaissées. Le voyage en zigzag, du nord au sud, traverse d’étonnantes contrées, aborde des fleuves longs et méandreux, la péninsule de Kola au nord de la Russie, la Carélie aux confins de la Finlande, la Courlande en Lettonie, le Niemen, le Dniestr, la Podolie, les Carpates ainsi qu’un chapelet de villes et de villages, Mourmansk, Petersbourg, Vilnius, Kaliningrad, Varsovie, Lviv, Odessa. Grâce à Monika, interprète empathique, Paolo Rumiz fait des rencontres magnifiques, atteint des lieux magnétiques, transcende son voyage pour frôler l’âme des hommes et les fantômes du passé. Les génocides et les exodes ont vidés du paysage des communautés vivantes et vibrantes à l’instar des Ashkénases. Demeurent les souvenirs et les églises mais les charmes ont été définitivement rompus. Quand les lieux exhalent une beauté émouvante, le journaliste sait poser ses mots avec un liant poétique, émaillant ses observations avec des qualificatifs évocateurs et riches, esquissant des tableaux impressionnistes se déroulant au fond de la lanterne magique de sa mémoire. Le lecteur découvre un monde totalement ignoré, devine un passé exaltant et mystérieux à l’image de l’épopée des maîtres bûcherons et des charpentiers scandinaves, suppose une nouvelle frontière fichée au cœur des hommes gangrené par l’enrichissement mafieux, l’inculture et la xénophobie.
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Le phare, voyage immobile

un livre trop court à mon gout ! je pensais y retrouver une ambiance comme dans la cabane de Tesson … mais nous en sommes loin ! trop de longueur parfois et puis cette déception de ne pas en savoir plus sur le lieu du phare !
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Le phare, voyage immobile

Partir trois semaines sur une île perdue en Méditerranée, que l'on atteint après deux jours et demi de navigation,mais pas n'importe laquelle. Paolo Rumiz nous invite dans son voyage sur une île surmontée d'un phare. Sur son rocher retranché, à l'abri de la technologie et de ses vices (web, téléphone), il nous fait partager ses histoires, les tempêtes, la vie des gardiens de phare sur ce havre de paix minuscule d'un kilomètre de long sur deux cents mètres de large. L'auteur est un nostalgique du temps des cartes avant que celles-ci ne soient destituées lentement mais sûrement par le GPS. Il nous livre un récit plein de poésie rythmé à la cadence des vents. C'est aussi un bel hymne à la simplicité et au retour à la nature.
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Aux frontières de l'Europe

Paolo RUMIZ : Aux frontières de l’Europe – folio – 335p

Aux frontières de l’Europe m’a accompagnée pendant notre tour de Bulgarie, je l’avais choisi parce que nous partions aux confins de l’Europe (ou tout au moins de la Communauté européenne), continuant cette exploration de cette Europe de l’Est, commencée en Hongrie, Roumanie, et les pays baltes. Echo d’un voyage similaire ?

C’est un ouvrage à ranger, dans une bibliothèque idéale où les livres seraient classés par affinités entre Patrick Leigh Fermor et Primo Levi, non loin de Balkans-transfert de Maspero. Relation d’un voyage de 6000km de la Laponie à Odessa sur la « fermeture éclair »de l’Europe, la nouvelle frontière, frontière de l’espace Schengen…

Paolo Rumiz est de Trieste, l’histoire de Trieste est aussi une histoire de frontières, limite entre l’empire austro-hongrois où il note que sa grand-mère avant 1918, sans passeport se rendait en train jusque dans les Carpates : une journée de train, de Trieste à la Transylvanie. Trieste à la limite de la Slovénie, maintenant membre de l’Union Européenne, mais dans un temps pas si lointain, Yougoslave, derrière le « rideau de fer ». C’est d’ailleurs au cours du démantèlement de ce poste frontière que le voyage « Aux frontières de l’Europe » s’est décidé.

Plus que paysages ou de monuments, Rumiz note ses rencontres : « Ce voyage à l’est a été un bain d’humanité. Cette fois, plus que jamais, ce voyage ce n’est pas moi qui l’ai fait, mais les personnes que j’ai rencontrées. C’est même un peu comme s’il s’était fait tout seul. Peut-être a-t-il fonctionné parce que je suis parti sans savoir grand-chose, peut-être les voyages qui réussissent le mieux sont-ils ceux qu’on n’a pas le temps de préparer. Ceux qu’on affronte sans aucun fatras livresque… » Là, je ne suis pas d’accord ! Rumiz était plus que prêt à ses rencontres, d’abord avec une connaissance de la langue russe, lingua franca dans cette région, et toute cette culture slave qui lui a permis de trouver une langue commune avec tous ces inconnus.

Voyage de rencontres, voyage de mémoire, de ces empires démantelés : « partout je trouvais les épaves des frontières mouvantes d’anciens empires – russe, allemand, turc et austro-hongrois abandonnées là comme des blocs erratiques des Préalpes…. »

Voyage de recherche des absents aussi, des soldats triestins ayant combattu entre 1914 et 1917 dans l’armée autrichienne, de ceux qui sont allés sur le front de l’est derrière les armées nazies, de ceux qui sont rentrés des camps….Et cette grande absence qui plane encore avec des images de Chagall, de la Lituanie, la Galice, l’Ukraine, de Vilna à Minsk, de la communauté juive…

Rumiz raconte les frontières actuelles ou perdues. Dans l’arrière pays, il ne s’attarde pas. Nous ne saurons rien de son passage à saint Petersbourg, peu sur Vilna, en Lettonie il rencontre des Russes et ne pousse pas jusqu’à Riga. En revanche il est fasciné par Kaliningrad, l’enclave russe dans l’Europe de Schengen. Pour les visites de Grodno, il n’y aura qu’un service à la Synagogue chorale et au cimetière juif, un regard vers les églises des Polonais catholiques et orthodoxe. Rumiz ne fait pas de tourisme !

Il n’est pas insensible aux paysages, ses pages sur le Grand Nord sont très dépaysantes. Sensible à la compagnie de l’eau : « L’Occident n’a pas perdu que le temps qui lui coule entre les doigts, mais aussi la compagnie rassurante de l’eau. Elle ne murmure plus, ne tonne plus, ne berce plus. La « tubocratie » l’a vaincue sur toute la ligne. Alors qu’ici le chant du premier élément me suit et m’invite ; le Boug, La Vistule, la Bérésina, le Dniestr…. »

Voyage finalement si différent de ceux que nous faisons, recherchant une Europe commune à tous, sans frontières, avec la carte d’identité pour tout passeport !












Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Appia

Tel le Petit Poucet les écrivains "marcheurs" laissent sur leurs chemins non pas des petits cailloux mais de réelles pépites : on peut légitimement penser récemment à Sylvain Tesson et son  "Sur les chemins noirs ", Jean Christophe Rufin et son "Immortelle Randonnée", entre autres.....



Et voici Paolo Rumiz et son livre sobrement intitulé "Appia"

Pour citer Robert McFarlane : " Il existe entre l'écriture et la marche une alliance presque aussi ancienne que la littérature : pas de randonnée sans histoire, pas de chemin qui ne raconte quelque chose. "

Et cela ne date pas d'hier la preuve, en 35 av. J.-C.:

Nous avons quitté Rome, la grande ville, Héliodore et moi ; Héliodore, le plus habile et le plus savant, sans contredit, des rhéteurs de la Grèce. Aricie, à notre première étape, offrait une hospitalité médiocre ; on va, de là, au marché d'Appius, qui est une espèce de halle où foisonne la pire espèce de bateliers, dans les plus horribles tavernes. Nous avons mis deux jours à faire un chemin qu'un voyageur ordinaire eût fait volontiers d'une seule traite. Pour des nonchalants tels que nous, la voie Appienne est la meilleure. Une eau saumâtre eut bientôt découragé la faim que j'avais ; donc je laissai crier mon estomac et mes compagnons dîner à leur bon plaisir, mais sans moi."

(Satires d'Horace - Livre I Satire V)



Tout comme Horace ou comme l'archéologue Antonio Cederna à qui ce livre est dédié, Paolo Rumiz a recherché ce qui reste de la voie Appienne, l'a parcouru et en a parlé, et en a critiqué l'état actuel, en en affronté les vicissitudes, pour nous livrer ce récit d'une riche beauté et les richesses si belles qu'il a rencontrées.



"Un monument unique à sauver religieusement intact, pour son histoire et ses légendes, pour ses ruines et ses arbres, pour la campagne et pour le paysage, pour la vue, la solitude, le silence, pour sa lumière, ses levers et couchers de soleil ".

Les paroles d'Antonio Cederna font revivre la passion qui a conduit Paolo Rumiz, Riccardo Carnovalini, Alessandro Scillitani et Irene Zambon à vivre, pas à pas, l'ancienne voie Appienne, oubliée au cours de siècles, en état de délabrement et d'abandon.



De l'aventure qui a duré 29 jours et 611 kilomètres de marche à l'été 2015, 2327 ans après le début de la construction du Regina Viarum, en est sorti ce livre, dans lequel l'auteur gravé des paroles « narrabondes », mélange de narration et de vagabondage,

Dans les replis de l'histoire, à la recherche de l'itinéraire authentique du regina viarum - la voie Appienne - Paolo Rumiz et ses compagnons de voyage font une descente dans l'Italie la plus profonde. Parmi les entrailles d'un pays qui avec ses mille clochers recèle d'infinies beautés et autant de méfaits : comme il le dit dans cet incipit dédié à Antonio Cederna :



" Grande ombre, écoute-nous, protège

ce chemin qui commence à présent

et bénis nos souliers que voici.

Tu as voué ta vie entière à la déesse

mère et reine de toutes les routes

et par l’indignation de tes écrits

tu as défendu son prestige et ses monuments

contre l’arrogance des promoteurs immobiliers,

du clergé, des clans de brigands,

alors accepte maintenant d’être notre

phare, pilote et dieu tutélaire.

Comme nous, tu étais fils des brumes

du Septentrion et toi aussi, comme nous,

tu as souvent cherché les terres du soleil :

maintenant suis-nous à la recherche

de cette voie directrice millénaire.

En ton nom, Antonio, fils des Cederna,

nous parlerons de méfaits et de merveilles

et en ton nom toujours nous tremperons

en égales mesures notre plume vagabonde

dans le noir encrier de la rage

et dans celui du divin enchantement,

refusant les stériles anathèmes.

Protégés par ton regard bienveillant

nous franchirons monts et plaines

pour faire l’inventaire des histoires

et des gens trouvés en chemin

sur cette route antique entre trois mers."



Le groupe a suivi la ligne parfaite de la voie Appienne, défiant les clôtures et les rocades, traversant des parcs archéologiques semi-désertiques et des richesses souvent méprisées. Vingt-neuf jours d'aventures et de rencontres (certaines excellentes !), de dialogues intenses, d'échanges. Dans un balancement d'humeurs dicté par la rue avec ses trésors et ses horreurs, avec son humanité colorée, tantôt généreuse, tantôt bornée et arrogante.



L'Appia c'est aussi des villes. De Rome à Brindisi l'auteur croise de multiples pays où un pays multiple au passé glorieux et à la modernité controversée. Chacun d'eux a son caractère, ses couleurs, une empreinte que le narrateur restitue avec une pointe de mélancolie. Tous sont unis par la marginalité par rapport à Rome, la capitale qui engloutit toutes les ressources (financements, intérêts, recherche). Terracina, Maddaloni, Venosa, Gravina, Oria et bien d'autres. La moitié de l'Italie défile sous les yeux du lecteur, entre statues de Padre Pio et éoliennes, et semble voyager parmi les hommes et les peuples. Pour des étapes qui sont aussi des esquisses du quotidien, un repas partagé et bien mérité, de la réflexion. Entre ces parcs archéologiques à ciel ouvert et ces décharges qui sentent bon la mafia.



C'est un livre de voyage et de découverte.

C'est un livre à travers lequel l'auteur essaie de nous faire prendre conscience à tous que l'Italie n'est pas seulement le Colisée, mais une myriade de coffres précieux dispersés sur tout le territoire.

C'est un livre se se décompose en 3 parties comme les 3 éléments, 3 origines, 3 sources de l'histoire, 3 composantes d'un paysage.

La pierre De Rome à Capua Vetere

Le vent De Capua Vetere à Venosa

Le blé De Venosa à Brindisi

C'est un livre de dénonciation des ravages commis sur le vernis de ces trésors par ceux qui au contraire auraient dû les garder et les protéger. Découvrir l'Appia pouce par pouce, c'est s'immerger dans la profonde réalité de l'Italie

Ce voyage est une gigantesque métaphore de la situation italienne d'aujourd'hui : il appartiendra à chacun de nous de recevoir le message social que Rumiz a introduit dans les pages de ce livre.



Un parcours qui repose exclusivement sur un acte rebelle, celui de marcher :

"Les yeux fermés, j'entends la danse de onze syllabes de notre départ. Il révèle que le nôtre est un travail patient, pour les chirurgiens et les scribes. Le contraire de "errance", l'errance sans but des romantiques anglo-saxons. Ils avaient la tête dans les nuages, nous sommes collés au sol".



La recherche de la route est une véritable obsession.

Tout est rendu plus difficile par l'imbrication du monde contemporain qui avec des routes asphaltées, des autoroutes, des voies ferrées, des quartiers en expansion, des industries mais aussi avec des clôtures et des appropriations abusives, autant de "vols" qui ont fait disparaître l'ancienne Voie Appienne sur de très longs tronçons.

Et tout cela rend l'acte de marcher difficile, obligeant Rumiz et ses compagnons à faire de forts détours pour contourner les obstacles insurmontables de la modernité.



La dernière partie est la plus intimiste dans laquelle l'auteur remercie....ses pieds.....

" Et de cela, je vous remercie, mes chers pieds. Vous m’avez enseigné que je ne dois pas me contenter de sentiers tarabiscotés, construits pour dribbler les obstacles, les dévastations et les hontes, mais les affronter tous en face pour dénoncer les appropriations illégitimes et les méfaits. La force des chemins, c’est qu’on les fait tout seuls, sans avoir besoin d’autorisations venues d’en haut. Une fois tracés, ils réveillent les lieux qu’ils traversent. Ils les modifient en les améliorant. Ils peuvent même inverser le rapport déplorable qu’ont les Italiens avec leur géographie.

Dans les années 1970, Compostelle n’était rien du tout. Maintenant, il y vient des deux cent mille personnes par an. L’Appia peut faire beaucoup mieux. "



Espérons que l'avenir lui donnera raison......



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