Citations de Patrick Modiano (1621)
Il faudrait lui expliquer tout, depuis le début. Mais voilà la plus grande difficulté : il n’y avait rien à expliquer. Depuis le début, ce n’était qu’une question d’ambiance et de décor…
Est-ce que nous avons le droit de juger ceux que nous aimons? Si nous les aimons, c'est bien pour quelque chose, et ce quelque chose nous défend de les juger. (p.159)
Depuis ma jeunesse - et même mon enfance - je n'avais fait que marcher, et toujours dans les mêmes rues, si bien que le temps était devenu transparent. (pp.151-152)
Je plaignais ceux qui devaient inscrire sur leurs agendas de multiples rendez-vous, dont certains deux mois à l'avance. Tout était réglé pour eux et ils n'attendraient jamais personne. Ils ne sauraient jamais que le temps palpite, se dilate, puis redevient étale, et peu à peu vous donne cette sensation de vacances et d'infini que d'autres cherchent dans la drogue, mais que moi je trouvais tout simplement dans l'attente. (p.106)
Il me semble aujourd'hui que je vivais une autre vie à l'intérieur de ma vie quotidienne. Ou, plus exactement, que cette autre vie était reliée à celle assez terne de tous les jours et lui donnait une phosphorescence et un mystère qu'elle n'avait pas en réalité. (p.25)
Les dimanches, surtout en fin d'après-midi, et si vous êtes seul, ouvrent une brèche dans le temps. Il suffit de s'y glisser. (p.14)
Elle marchait la mallette à la main, et c'était comme si elle allait partir en voyage. Elle n'avait même pas besoin de partir en voyage. D'ici une heure, elle serait au studio Wacker et commencerait ses exercices sous les ordres de Boris Kniaseff, et cela valait mieux que tous les voyages du monde.
Je croyais que leur souvenir me venait comme la lumière vous vient d'une étoile morte il y a mille ans, selon les mots d'un poète. Mais non. Il n'y avait pas de passé, ni d'étoile morte, ni d'années-lumière qui vous séparent à jamais les uns des autres, mais ce présent éternel.
Etais-je bien sûr d'avoir rencontré ce fantôme ? Ou bien s'agissait-il d'un rêve que j'avais fait la veille de cette rencontre et que je laissait persister pendant le journée, pour oublier le présent ? (p.95)
Aucun d’entre eux ne pénétrait dans le café dans le café où nous étions, comme si celui-ci appartenait encore à un autre temps qui le préservait de cette foule.
Il faut marcher à pas comptés pour déjouer le désordre et les pièges de la mémoire.
Je tente aujourd'hui de recenser tous les visages que j'ai vus sous le porche et dans le salon - sans pouvoir identifier la plupart d'entre eux. Tant pis. Si je mettais un nom sur cette dizaine de visages qui défilent dans mon souvenir, je gênerais quelques personnes encore vivantes aujourd'hui. Elles se rappelleraient qu'elles avaient de mauvaises fréquentations.
Des visages joufflus, de petites bouches dures. Leurs yeux vous fixaient toujours de manière sournoise. Les mains épaisses et, par contraste, une façon de parler précieuse, un vocabulaire qu'ils s'efforçaient de rendre distingué.
Voilà qu'un instant du passé s'incruste dans la mémoire comme un éclat de lumière qui vous parvient d'une étoile que l'on croit morte depuis longtemps.
La danse est le plus fort des alcools.
La danse est une discipline qui vous permet de survivre.
Au théâtre des Champs-Élysées, les répétitions du Train des Roses se poursuivaient avec Georges Starass. Elle n'avait jamais été attachée à un partenaire d'un lien aussi fort et aussi étrange, et jamais éprouvé à ce point cette tension du corps, comme chauffé à blanc par la danse. Elle savait que ce lien ne durerait pas. Quand les répétitions et le spectacle seraient finis, la vie les entraînerait l'un et l'autre sur des chemins différents.
Kniaseff avait raison de dire que la danse est une discipline qui vous permet de survivre.
"Je supprime des phrases et des adjectifs. Je rajoute des paragraphes. Je dois aussi écrire deux chapitres supplémentaires. C'est une sorte d'exercice, un peu comme toi quand tu fais des exercices à la barre."
Cette comparaison ne semblait pas la convaincre. Et j'avais un peu honte de comparer ce travail de correcteur aux exercices que je l'avais souvent vue faire au studio Wacker. Et pourtant, j'étais persuadé, dès cette époque-là, que la littérature était elle aussi un exercice difficile comme la danse, mais sous une autre forme.
Je finissais par croire à un lien entre ces lectures mystiques et les exercices interminables de danse que je la voyais pratiquer au studio Wacker, tous ces gestes douloureux pour que le corps puisse sortir peu à peu de sa gangue et atteindre enfin cette région de béatitude et d'extase décrite dans les livres prêtés par la doctoresse Péraud.