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Citations de Patrick Modiano (1621)


Pola Hubersen s'était tournée vers moi et elle m'avait demandé d'une voix très douce :
- "Et vous, vous vous intéressez à la danse ?"
J'avais sursauté. Jusque-là, elle ne m'avait pas prêté beaucoup d'attention.
'Oui, je m'y intéresse."
Je cherchais les mots. J'étais si surpris qu'elle m'ait adressé la parole ... Et j'avais toujours eu du mal à répondre aux questions.
La danseuse était venue à mon secours.
"Il s'y intéresse parce qu'il trouve que c'est une discipline. Une discipline qui vous permet de survivre, comme le répète Kniaseff."
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Bien sûr, je n'espérais pas le moindre appui moral de la part de Grabley. Il avait un point commun avec mon père : l'un et l'autre portaient des costumes, des cravates et des chaussures comme tout le monde. Ils parlaient français sans accent, fumaient des cigarettes, buvaient des espressos et mangeaient des huîtres. Mais en leur compagnie, un doute vous prenait et vous aviez envie de les toucher, comme on palpe un tissu, pour vous assurer qu'ils existaient vraiment.
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J'ai préféré marcher plutôt que de rester immobile, à attendre dans le café, et j'ai emprunté une par une les rues avoisinantes et les escaliers à balustres et à réverbères. Plus tard, je suis revenu souvent dans ces parages et chaque fois les escaliers de la rue de l'Alboni me rappelaient le samedi où j'avais marché ici, en l'attendant. C'était en novembre, mais dans mon souvenir, à cause du soleil de ce jour-là, une lumière estivale baigne le quartier. Des taches de soleil sur les trottoirs et de l'ombre sous le viaduc du métro. Un passage étroit et obscur qui était jadis un chemin de campagne monte à travers les immeubles jusqu'à la rue Raynouard. La nuit, à la sortie de la station Passy, les réverbères jettent une lumière pâle sur les feuillages.
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Je lui étais reconnaissant d'avoir pris ce ton aimable car j'avais craint qu'elle ne lui réponde mal. J'éprouvais soudain de la pitié pour Grabley, avec sa moustache blonde et son cabas sur la cheminée, pour mon père qui avait pris la fuite... Aujourd'hui, je revois cette scène de loin. Derrière la vitre d'une fenêtre, dans une lumière étouffée, je distingue un blond d'une cinquantaine d'années en robe de chambre écossaise, une jeune fille en manteau de fourrure et un jeune homme... L'ampoule, sur le pied de lampe, est trop petite et trop faible. Si je remontais le cours du temps et revenais dans cette même pièce, je pourrais changer l'ampoule. Mais sous une lumière franche, tout cela risquerait de se dissiper.
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Pourquoi des gens dont vous ne soupçonniez pas l'existence, que vous croisez une fois et que vous ne reverrez plus, jouent-ils, en coulisse, un rôle important dans votre vie ?
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Ni la danseuse ni Pierre n'appartenaient au passé mais à un présent éternel [...]

lMais non, il n'y avait pas de passé, ni d'étoile morte, ni d'années-lumière qui vous séparent à jamais les uns des autres, mais ce présent éternel.
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Qu’étaient devenus la danseuse et Pierre, et ceux que j’avais croisés à la même époque ? Voilà une question que je me posais souvent depuis près de cinquante ans et qui était restée jusque-là sans réponse. Et, soudain, ce 8 janvier 2023, il me sembla que cela n’avait plus aucune importance. Ni la danseuse ni Pierre n’appartenait au passé mais à un présent éternel.
Je croyais que leur souvenir me venait comme la lumière vous vient d’une étoile morte il y a mille ans, selon les mots d’un poète. Mais non. Il n’y avait pas de passé, ni d’étoile morte, ni d’années-lumière qui vous séparent à jamais les uns des autres, mais ce présent éternel.
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« Elle s’en est sortie comme elle a pu, a ajouté Verzini. Grâce à la danse. Elle s’est donné une discipline. Et j’ai toujours voulu l’aider dans la mesure de mes moyens. »
Il s’était retourné vers la petite table. Il prenait une à une les feuilles des épreuves de The Glass Is Falling étalées là, dans le désordre, et tâchait de les rassembler.
« C’est un peu comme vous. Je suppose que vous travaillez à cette table sur toutes ces feuilles, parce que vous aussi vous avez besoin d’une discipline. »
J’étais étonné de sa clairvoyance. A croire qu’il m’avait vraiment percé à jour.
Je lui dis : « Je prends exemple sur la danseuse. »
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Avait-elle fait une expérience d’ordre mystique sur les conseils de la doctoresse Péraud qui avait été « un soutien pour elle » ? Elle ne m’avait donné aucun autre détail au sujet de cette femme, et j’avais compris très vite qu’elle ne répondrait pas à mes questions et qu’elle pratiquerait aussi bien l’art de se taire que celui de la danse, ces deux arts ayant, à mon avis, des points communs.
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Et pourtant, j’étais persuadé, dès cette époque-là, que la littérature était elle aussi un exercice difficile comme la danse, mis sous une autre forme.
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Elle marchait au hasard. Elle en avait l’habitude et souvent pour de longs trajets, et même après les cours de danse. Décidément, Kniaseff avait raison : il fallait que le corps s’épuise.
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En somme, sa vie antérieure ne l’intéressait plus du tout et elle s’était débarrassée d’elle comme d’une peau morte. Et cela grâce à la danse. Kniaseff avait raison de dire que la danse est une discipline qui vous permet de survivre.
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Beaucoup plus tard, les hasards de la vie m’ont permis d’apprendre d’autres détails sur Verzini et certains clients de La Boîte à Magie, et même sur le père du petit Pierre. J’y reviendrai peut-être en temps voulu. Dans l’immédiat, je voudrais ne pas m’égarer sur des chemins de traverse, mais suivre une route bien droite qui me permettrait d’y voir plus clair. Il faut marcher à pas comptés pour déjouer le désordre et les pièges de la mémoire.
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C’était la période la plus incertaine de ma vie. Je n’étais rien. Jour après jour, j’avais l’impression de flotter dans les rues et de ne pas pouvoir me distinguer de ces trottoirs de ces lumières, au point de devenir invisible. Et pourtant j’avais l’exemple de quelqu’un qui pratiquait un art difficile, « très très difficile », comme le répétait Kniaseff avec son accent russe qi léger qu’il me semblait un accent anglais ou viennois. Et je crois bien que l’exemple de la danseuse, sans que j’en aie eu clairement conscience, m’a incité à modifier peu à peu mon comportement et à sortir de cette incertitude et de ce néant qui étaient les miens.
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Incipit :
Brune ? Non. Plutôt châtain foncé avec des yeux noirs. Elle est la seule dont on pourrait retrouver des photos. Les autres, sauf le petit Pierre, leurs visages se sont estompés avec le temps. D’ailleurs, c’était un temps où l’on prenait moins de photos qu’aujourd’hui.
Et pourtant certains détails demeurent assez présents. Il faudrait en faire une liste. Mais il serait très difficile de suivre l’ordre chronologique. Le temps qui a brouillé les visages a gommé aussi les points de repère. Il reste quelques morceaux d’un puzzle, séparés les uns des autres pour toujours.
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Tu sais, il n'y a rien de mieux que l'amour.
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Quand nous fûmes sur le terre-plein du boulevard de Clichy, il me désigna un immeuble, à côté du Moulin-Rouge, et me dit :

— En d’autres temps, je vous aurais donné rendez-vous chez Graff… Là-bas… Mais ça n’existe plus…

Nous traversâmes le boulevard et prîmes la rue Coustou. Il pressait le pas, en jetant un regard furtif vers les bars glauques du trottoir de gauche, et quand nous fûmes arrivés à la hauteur du grand garage, il courait presque. Il ne s’arrêta qu’au coin de la rue Lepic.

— Excusez-moi, me dit-il, essoufflé, mais cette rue me rappelle de drôles de souvenirs… Excusez-moi…

Il avait vraiment eu peur. Je crois même qu’il tremblait.

— Ça va aller mieux maintenant… Ici, tout va aller bien…

Il souriait en regardant devant lui la montée de la rue Lepic avec les étalages du marché et les magasins d’alimentation bien éclairés.

Nous nous engageâmes dans la rue des Abbesses. Il marchait d’un pas calme et détendu. J’avais envie de lui demander quels « drôles de souvenirs » lui rappelait la rue Coustou mais je n’osais pas être indiscret ni provoquer chez lui cette nervosité qui m’avait étonné. Et tout à coup, avant d’arriver place des Abbesses, il pressa le pas, de nouveau. Je marchais à sa droite. À l’instant où nous traversions la rue Germain-Pilon, je le vis jeter un regard horrifié vers cette rue étroite aux maisons basses et sombres qui descend en pente assez raide jusqu’au boulevard. Il me serra très fort le bras. Il s’agrippait à moi comme s’il voulait s’arracher à la contemplation de cette rue. Je l’entraînai vers l’autre trottoir.

— Merci… Vous savez… c’est très drôle…

Il hésita, au bord de la confidence.

— J’ai… J’ai le vertige chaque fois que je traverse le bout de la rue Germain-Pilon… J’ai… J’ai envie de descendre… C’est plus fort que moi…

— Pourquoi ne descendez-vous pas ?

— Parce que… cette rue Germain-Pilon… Autrefois il y avait… Il y avait un endroit…

Il s’interrompit.

— Oh…, me dit-il avec un sourire évasif. C’est idiot de ma part… Montmartre a tellement changé… Ce serait long à vous expliquer… Vous n’avez pas connu le Montmartre d’avant…
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D'autres, comme lui, juste avant ma naissance, avaient épuisé toutes les peines, pour nous permettre de n'éprouver que de petits chagrins.
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Si l'on pouvait revivre aux mêmes heures, aux mêmes endroits et dans les mêmes circonstances ce qu'on avait déjà vécu, mais le vivre beaucoup mieux que la première fois, sans les erreurs, les accrocs et les temps morts, ce serait comme de recopier au propre un manuscrit couvert de ratures...
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Puis, soudain, elle se met à faire un pas de deux avec lui sur le large trottoir du boulevard Pereire. Puis une autre figure de danse dont je ne sais plus le nom. Puis une autre. Et Pierre la regarde en riant. De mon côté, j'imite la voix de Kniaseff comme je l'ai entendue tant de fois au studio Wacker. (...) "Casse le coude... Casse le coude... Grand jeté... Penché... Déboulé... Battement tendu..."
Pierre rit de plus en plus fort. Et nous reprenons notre marche tous les trois dans la nuit jusqu'à la fin des temps.
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