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Citations de Paul Celan (386)


J’AI ENTENDU DIRE



J’ai entendu dire : il y a
dans l’eau une pierre et un cercle
et au-dessus de l’eau un mot
qui met le cercle autour de la pierre.
J’ai vu mon peuplier descendre à l’eau,
j’ai vu son bras aller s’accrocher dans la profondeur,
j’ai vu ses racines supplier le ciel que vienne une nuit.
Je n’ai pas couru derrière lui,
j’ai seulement ramassé par terre la miette
qui de ton œil a la forme et noblesse,
j’ai ôté à ton cou la chaîne des formules
et j’en ai ourlé la table où la miette se trouvait maintenant.
Et je n’ai pas revu mon peuplier.


/Traduction : Jean-Pierre Lefebvre
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Tremble aux feuilles qui brillent blanches dans les tenèbres.
Ma mère jamais n'eut les cheveux blancs.
L'Ukraine est verte comme les dents- de- lion.
Ma mère si blonde n'est pas rentrée.
Nuage de pluie, tu hésites là, aux puits?
Ma mère si douce pleure pour tous.
Étoile ronde, tu enroule la traîne d'or.
Ma mère avait au coeur une blessure de plomb.
Porte de chêne, qui t'a soulevée hors des gonds?
Ma mère si tendre ne peut pas venir.

( La mère de Paul Celan est morte en camp d'internement, sans doute d'une balle dans la tête.. .)
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D'emblée le monde de la poésie germanophone prend connaissance de l'avènement d'un poète de premier plan, d'emblée aussi, la "Todesfuge", qui occupe à elle seule la deuxième des quatre sections du volume, concentre-t-elle l'attention des lecteurs, même si, comme Wolfgang Emmerich le note avec raison, son succès repose sur une équivoque : là où Celan visait à une représentation critique du génocide dont la régularité rythmique de son poème reflétait la cruauté "mécanique", les lecteurs allemands ne voulurent entendre que la musique "transfiguratrice" d'une "passion" qui leur permettait d'oublier la responsabilité politique du régime hitlérien.
Présentation - Paul Celan, de John E. Jackson
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L’intimité

C’est bien avant le soir
qu’entre chez toi celui qui a échangé le salut avec l’obscurité.
Et bien avant le jour
qu’il s’éveille
et attise avant de partir un sommeil,
un sommeil résonnant de pas :
tu l’entends traverser à grandes enjambées les lointains
et lances au loin là-bas ton âme.
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Aucun tâtonnement désancré (« Kein ankerloses Tasten »)

Aucun tâtonnement désancré ne gêne ta main,
Et la nostalgie dispersée dans la nuit porte la détresse
Des prières, mains jointes, tremblant devant le rouge carmin
De tes traits, obscurément tendus dans la tristesse.

Tes soupirs hésitants retiennent ton visage sur
La pente de leur élévation en forme de sarments ;
Et aux soupirs consternés il offre doucement
Une sollicitude mécheuse devant les rêves d’azur.

Ils s’échappent pourtant de leur radieux répit
Et le pourpre souvent les entoure d’un habit
De voyage et d’errance, d’océan sans grève.

Tu ne rattraperas celui qui fuit la trêve,
Là où sont les fourrés et l’essaim, abrupts et sublimes –
Car tu es le repos, mère, lueur dans l’abîme.
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PRÈS DU GRÊLON, dans la
quenouille de maïs
charbonnée, au pays,
obéissant aux tardives, aux dures
étoiles de novembre :
     
noués dans le fil du coeur les
dialogues des vers de terre – ;
     
corde tendue qui fait
vibrer ton texte-flèche,
Sagittaire.
     
8 novembre 1963
     
-
BEIM HAGELKORN, im
brandigen Mais-
kolben, daheim,
den späten, den harten
Novembersternen gehorsam :
     
in den Herzfaden die
Gespräche der Würmer geknüpft – ;
     
eine Sehne, von der
deine Pfeilschrift schwirrt,
Schütze.
     
(pp. 30-31)
     
*
BEIM HAGELKORN
Le maïs, ou « blé de turquie », se sème en avril-mai et se récolte tard à partir de septembre jusqu’en novembre. Après les récoltes, on trouve sur le sol des épis brûlés par un champignon, atteints par le « charbon » ou la « rouille », abandonnés. Le grêlon est un cristal, une sorte de perle. Le pays du poète est chez les abandonnés-brûlés du côté du poème, du cristal de souffle qui témoigne. Les vers qui rongent ces restes dans la métaphore transcendent celle-ci, ce sont aussi les vers du poème : ils dialoguent avec ces restes et se tressent dans le cordon qui tend l’arc du sagittaire, le signe astral (22 novembre-20 décembre) de Paul Celan, et fait vibrer les flèches-poèmes qu’il décoche d’une manière particulière, cordiale si l’on veut. Gehorsam (obéissant, plus qu’un comportement d’obéissance ponctuel, désigne une attitude générale ainsi qu’une sorte d’appartenance docile (via gehören). Herzfaden (« fil du coeur ») : allusion peut-être au nom du fil rouge que, pendant la dictature nazie, on attachait sur la chemise des élèves de l’école juive de Königsberg, le dernier vendredi qui précédait leur départ en exil, symbole du lien qui continuerait de les unir malgré leur séparation… Annotations de Jean-Pierre Lefebvre (pp. 202-203).
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Ainsi je soutiens, pétrifié, le
Lointain, où je t'emmenais.
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De ma main l'automne grignote sa feuille : nous sommes amis.
Nous écalons le temps hors des noix et l'instruisons à marcher :
le temps rentre dans l'écale.

Dimanche au miroir,
on dort dans le rêve,
la bouche parle vrai.

Mon œil descend jusqu'au sexe de l'aimée :
nous nous regardons
nous nous disons des paroles obscures,
nous nous aimons comme pavot et mémoire,
nous dormons comme le vin dans les conques,
comme la mer dans le rayon de sang de la lune.

Nous sommes à la fenêtre enlacés, ils nous regardent de la rue :
il est temps que l'on sache !
Il est temps que la pierre consente à fleurir,
qu'au désarroi batte un cœur.
Il est temps qu'il soit temps.

Il est temps.
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NOUS LES SURCREUSÉS, esseulés
dans le sous-sol gelé.
Chaque vallée suspendue charrie un cil
vers l'empreinte des yeux,
et son noyau
de pierre.

WIR ÜBERTIEFTEN, geeinsamt
in der Gefrornis.
Jedes Hängetal karrt eine Wimper
an den Augenabdruck
und seinen Steinkern
heran.
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AUJOURD'HUI ET DEMAIN

Ainsi je soutiens, pétrifié, le
lointain, où je t'emmenais.

Lavés
d'une pluie de sable les deux
trous à la limite inférieure du front.
A scruter,
tu y trouves l'ombre.

Battu
de marteaux soulevés en silence,
l'endroit
où l'oeil-aile m'a frôlé.

Derrière,
creusée dans le mur,
la marche où le souvenir est accroupi.

Ici
se distille, avec le don des nuits,
une voix
dans laquelle tu puises à boire.
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Sept heures de nuit, sept ans de veille :
tu joues avec des haches,
couché dans l'ombre de cadavres dressés
- ô les arbres que tu n'abats pas ! -,
le faste des choses tues à la tête,
la vétille des mots aux pieds,
couché, tu joues avec des haches -
et comme elles enfin tu étincelles.
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Le Menhir


Gris de pierre
qui grandit là.

Silhouette grise, toi qui n’as
pas d’yeux, regard de pierre, avec lequel
la terre devant nous a surgi, humaine,
sur des chemins de bruyère obscure, ou blanche,
le soir, face
a toi, gouffre du ciel.

Du concubiné, brouetté jusqu’ici, s’abîmait
par-delà le dos du cœur. Moulin
de mer moulait.

Claire ailée tu pendais tôt matin
entre pierre et genêt,
petite phalène.

Noires, couleur
de phylactère *, ainsi étiez-vous,
gousses, vous
aussi en prière.


//Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre

* Lanières de cuir sombre que l’on enroule autour de front et du bras gauche pour la prière du matin, dans la religion juive traditionnelle.
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Un soir que le soleil, pas lui seulement, avait sombré ... (p.9)
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TOI AVEC LA FRONDE LANCE-TÉNÈBRES,
toi avec la pierre :

il est Au-delà-du-soir,
je luis derrière moi-même.
Viens donc me redescendre,
ne plaisante plus
avec nous.

DU MIT DER FINSTERZWILLE,
du mit dem Stein :

Es ist Überabend,
ich leuchte hinter mit selbst,
Hol mich runter,
mach mit uns
Ernst.
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FIGURE DOUBLE

Fais que ton œil dans la chambre soit une bougie,
ton regard une mèche,
fais-moi assez aveugle
pour l’allumer.

Non,
Fais qu’autre chose soit.

Avance devant ta maison,
harnache ton songe pie,
fais parler son sabot
à la neige que tu as soufflée
du faîtage de mon âme.

p.85
Extraits, DE SEUIL EN SEUIL (VON SCHWELLE ZU SCHWELLE), Gallimard 1998
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Fugue de mort

Lait noir de l’aube nous le buvons le soir
le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons dans le ciel une tombe là on n’est pas serré
Un homme habite la maison lui joue avec les serpents il écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne tes cheveux d’or Margarete
écrit ces mots s’avance sur le seuil et les étoiles tressaillent il siffle ses grands chiens il siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre une tombe
il nous commande allons jouez pour qu’on danse

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
Un homme habite la maison lui joue avec les serpents il écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne tes cheveux d’or Margarete
Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel une tombe là on n’est pas serré

Il crie enfoncez plus vos bêches dans la terre vous autres et vous chantez jouez
il attrape le fer à sa ceinture il le brandit, ses yeux sont bleus
enfoncez plus les bêches vous autres et vous jouez encore pour qu’on danse

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
te buvons à midi et le matin nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
un homme habite la maison tes cheveux d’or Margarete
tes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpents

Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d’Allemagne
il crie plus sombres les archets et votre fumée montera vers le ciel
vous aurez votre tombe alors dans les nuages là on n’est pas serré

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
te buvons à midi la mort est un maître d’Allemagne
nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons
la mort est un maître d’Allemagne son œil est bleu
il te touche d’une balle de plomb il ne te manque pas
un homme habite la maison tes cheveux d’or Margarete

Il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le ciel
il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagne

tes cheveux d’or Margarete
tes cheveux cendre Sulamith


Todesfuge


Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends
wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts
wir trinken und trinken
wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng
Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt
der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete
er schreibt es und tritt vor das Haus und es blitzen die Sterne er pfeift seine Rüden herbei er pfeift seine Juden hervor läßt schaufeln ein Grab in der Erde
er befiehlt uns spielt aub nun zum Tanz

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich morgens und mittags wir trinken dich abends
wir trinken und trinken
Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt
der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete
Dein aschenes Haar Sulamith wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng

Er ruft stecht tiefer ins Erdreich ihr einen ihr andern singet und spielt er greift nach dem Eisen im Gurt er schwingts seine Augen sind blau stecht tiefer die Spaten ihr einen ihr andern spielt weiter zum Tanz auf

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich mittags und morgens
wir trinken dich abends
wir trinken und trinken
ein Mann wohnt im Haus
dein goldenes Haar Margarete dein aschenes Haar Sulamith er spielt mit den Schlangen

Er ruft spielt süßer den Tod der Tod ist ein Meister aus Deutschland
er ruft streicht dunkler die Geigen dann steigt ihr als Rauch in die Luft
dann habt ihr ein Grab in den Wolken da liegt man nicht eng

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Deutschland
wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken
der Tod ist ein Meister aus Deutschland sein Auge ist blau
er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau
ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete

er hetzt seine Rüden auf uns er schenkt uns ein Grab in der Luft
er spielt mit den Schlangen und träumet der Tod ist ein Meister aus Deutschland

dein goldenes Haar Margarete
dein aschenes Haar Sulamith
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DANS LA LANIERE DE PRIERE BLANCHE - le
Seigneur de cette heure
était
une créature d'hiver, c'est
pour lui plaire
qu'est arrivé ce qui est arrivé -
ma bouche en grimpant s'est accroché avec les dents, une fois encore,
quand elle t'a cherchée, toi, trace de fumée,
là-haut,
silhouette de femme,
toi en voyage vers mes
pensées de feu dans le gravier noir
au-delà des mots de fission à travers
lesquels je t'ai vue marcher, haut
perchée sur tes jambes avec
ton opiniâtre tête aux lèvres
lourdes
sur le corps
tenu vivant par mes
mains
mortellement précises.

Dis à tes
doigts qui t'accompagnent
jusque dans les gouffres, combien
je t'ai connue, combien je t'ai
poussée loin dans les profondeurs, où
mon rêve le plus amer
a de coeur couché avec toi, dans le lit
de mon inarrachable nom.
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[…] Peut-être la poésie, comme l’art, va-t-elle, avec un Je qui s’est oublié, vers ce domaine étrange et étranger, et là –mais où ? en quel lieu ? avec quoi ? comme quoi ? –se dégage ?
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Voix, rayures
dans la face verte de l’eau.
Quand le martin-pêcheur plonge,
la seconde grésille :

ce qui était à tes côtés
sur chacune des rives,
pénètre
fauché dans une autre image.

*

Voix venues du chemin d’orties

viens sur les mains jusqu’à nous.
Quand on est seul avec la lampe,
on n’a que la main pour y lire.
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LE MOT D'ALLER-A-LA-PROFONDEUR,
celui que nous avons lu.
Les années, les mots depuis.
C'est toujours bien de nous.

Tu sais, l'espace est infini,
tu sais, tu n'as pas à voler,
tu sais, ce qui s'est inscrit dans ton oeil
approfondit pour nous la profondeur.
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