Un langage poétique sombre, lucide, fulgurant, qui s'exile de lui-même, s'exorcise, éclate et tente de raréfier l'oxygène pour nous mener, haletants, en ses rives escarpées, vers un regard ouvert, alerté, enfin silencieux.
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J’entends…
J’entends que la hache a fleuri,
j’entends que le lieu n’est pas nommable,
j’entends que le pain qui le regarde
guérit le pendu,
le pain que la femme a cuit pour lui,
j’entends qu’ils disent de la vie
qu’elle est le seul havre et recours.
Ich höre, die Axt hat geblüht,
ich höre, der Ort ist nicht nennbar,
ich höre, das Brot, das ihn ansieht,
heilt den Erhängten,
das Brot, das ihm die Frau buk,
ich höre, sie nennen das Leben
die einzige Zuflucht.
***
Blanc et lumière
Dunes en croissant, innombrables.
Dans le sillage, mille fois : toi
Toi et le bras
avec lequel j'ai grandi nu vers toi, perdu
.
Les Rayons. Ils nous soufflent en abondance.
Nous portons l'apparence, la douleur et le nom.
Sait
ce qui nous émeut,
sans poids, ce que nous échangeons.
Blanc et lumière : laissez-le vagabonder.
Loin, près de la lune, comme nous. Ils construisent.
Ils construisent la falaise
sur laquelle le vagabond se brise,
ils recueillent de
l'écume légère et des vagues poussiéreuses.
L'errance, l'écrêtage agitant.
Il
fait signe à ses fronts ,
qui nous ont été prêtés pour
réflexion.
Les fronts.
On y roule avec eux.
Front.
Es-tu en train de dormir actuellement?
Dormir.
Le moulin marin marche,
blanc comme la glace et inouï,
à nos yeux.
C'est la version de Herzzeit ; celle, postérieure, de Sprachgitter (Fischer, 1959) est légèrement différente (en passant, on retrouve une vieille connaissance, "Meermühle", comme dans Le Menhir) :
Dunes en croissant, innombrables.
Dans le sillage, mille fois : toi
Toi et le bras
avec lequel j'ai grandi nu vers toi, perdu
.
Les Rayons. Ils nous soufflent en abondance.
Nous portons l'apparence, la douleur et le nom.
Sait
ce qui nous émeut,
sans poids,
ce que nous échangeons.
Blanc et clair :
laissez-le vagabonder.
Loin, près de la lune, comme nous. Ils construisent.
Ils construisent la falaise où
les pauses errantes,
ils construisent
plus loin :
avec de la mousse légère et une vague poussiéreuse.
L'errance, l'écrêtage agitant.
Il
fait signe à ses fronts ,
les fronts qui nous ont été prêtés
pour la réflexion.
Les fronts.
On y roule avec eux.
Front.
Es-tu en train de dormir actuellement?
Dormir.
Le moulin marin marche,
blanc comme la glace et inouï,
à nos yeux.
Blanc et léger
Dunes-faucilles, innombrables.
A l'abri du vent, multipliée : toi.
Toi et le bras
avec lequel je croissais nu vers toi,
Perdue.
Les rayons, leur souffle nous amoncelle.
Nous portons l'éclat, la douleur et le nom.
Blanc,
ce qui bouge en nous,
sans poids,
ce que nous échangeons.
Blanc et léger :
qu'il voyage.
Les lointains, proches de la lune comme nous. Ils bâtissent.
Ils bâtissent l'écueil, où
brise ce qui voyage,
ils bâtissent
encore :
d'écume lumineuse et flot poudroyant.
Ce qui voyage, appelant depuis l'écueil.
Ce sont les fronts
qu'il appelle,
ces fronts qu'on nous a prêtés
pour qu'il y ait reflet.
Les fronts.
Avec eux nous roulons là-bas.
Rivages de fronts.
Dors-tu ?
Dors.
Moulin-de-mer tourne,
clair-gel, inentendu,
dans nos yeux.
FLEUR
La pierre.
La pierre dans l'air, celle que je suivais.
Ton oeil, aussi aveugle que la pierre.
Nous étions
mains,
nous vidions les ténèbres, découvrant
le mot qui gravissait l'été :
fleur.
Fleur - un mot d'aveugle.
Ton oeil et mon oeil :
ils pourvoient
à l'eau.
Croissance.
Le coeur, paroi après paroi,
se forme.
Encore un mot comme celui-là, et les marteaux
bondissent dans l'air libre.
https://www.youtube.com/watch?v=8Qx2lMaMsl8
En bas
Rapatrié dans l’oubli,
le dialogue convivial de nos
yeux lents.
Rapatrié syllabe après syllabe, réparti
sur les dés aveugles le jour, vers quoi
se tend la main du joueur, grande,
dans l’éveil.
Et le trop de mes paroles :
déposé sur le petit
cristal dans le fardeau de ton silence.
Voix, rayures
dans la face verte de l’eau.
Quand le martin-pêcheur plonge,
la seconde grésille :
ce qui était à tes côtés
sur chacune des rives,
pénètre
fauché dans une autre image.
*
Voix venues du chemin d’orties
viens sur les mains jusqu’à nous.
Quand on est seul avec la lampe,
on n’a que la main pour y lire.
Chaque mois, un grand nom de la littérature contemporaine est invité par la BnF, le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture. L'écrivain Stefan Hertmans est à l'honneur de cette nouvelle séance.
Rencontre animée par Cécile Bidault, productrice chez France Culture
QUI EST STEFAN HERTMANS ?
Stefan Hertmans, né à Gand en 1951, a publié plusieurs recueils de poésie, des essais et des romans. Son oeuvre poétique a été récompensée par le prix triennal de la Communauté flamande. Son roman Guerre et Térébenthine, traduit dans vingt-quatre langues, a été nommé pour le Man Booker International Prize. Il a publié tous ses romans aux éditions Gallimard, dont Une ascension en janvier 2022. Dans la collection « Arcades » paraît également en mai 2022 Poétique du silence, un volume regroupant quatre essais de Stefan Hertmans sur la modernité poétique dans ses rapports au langage et au mutisme, concentré de ses réflexions sur les oeuvres de Hölderlin, de Paul Celan et De W.G. Sebald notamment.
En savoir plus sur les masterclasses littéraires : https://www.bnf.fr/fr/agenda/masterclasses-en-lisant-en-ecrivant
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