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Citations de Pierre-François Souyri (20)


L'essentiel de la documentation que nous avons sur la circulation des biens produits dans l'archipel renseigne sur une économie fondée sur le paiement de taxes et d'impôts. Aux individus masculins âgés de plus de 16 ans, l'Etat confiait 2400 mètres carrés de terre, et aux femmes, les deux tiers des rizières. Cet "octroi", dans un contexte où depuis la naissance du régime des codes les textes proclament que le sol appartient à l'Etat, rend redevable d'impôts la majorité de la population, payables principalement en riz ou en corvées. S'ajoutait également une taxe particulière sur les productions et les tissus propres aux différentes régions. Sur ces derniers était accroché un "mokkan" (document sur bois) portant le nom et l'adresse du contrôleur fiscal, ainsi que sur la quantité de marchandise.

Pour un Européen, pour qui Antiquité et cité sont deux notions qui vont souvent de pair, le Japon antique peut paraître bien singulier. En effet, si la capitale est indubitablement une ville, elle est la seule (hormis le port situé à l'endroit de l'actuelle Hakata, à Kyûshû) qui constitue une petite agglomération. En l'absence de réseau urbain, donc, et avec une seule ville pour un territoire si vaste, on pourrait même douter de la réalité d'un Etat japonais allant de Kyûshû jusqu'aux actuelles Akita et Sendai, dans le Nord-Est. Pourtant, grâce aux mokkan, il est possible de comprendre la réalité de la centralisation de ce système, par les flux des différentes productions, des provinces vers la capitale.

pp.346-347, Le Japon des capitales, fin VII°-VIII°s.
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Avec la toute fin du VII°s, l'âge des premières capitales, et surtout le VIII°s, la documentation écrite franchit un cap qualitatif et quantitatif avec les "mokkan", les chroniques officielles, mais aussi les premières oeuvres littéraires. Parmi ces dernières, le Man.yôshû, qui peut être traduit littéralement par "Recueil des dix mille feuilles (d'arbre)", mais dont le sens serait plutôt "Recueil de dix mille poèmes", les oeuvres littéraires étant souvent comparées à des feuillages.

Avec le Kaifûsô ("Anthologie de la nostalgie") daté de 751 (première compilation japonaise connue de poèmes en chinois), c'est l'une des plus anciennes anthologies poétiques. Sa compilation date probablement des années 760 et la plus ancienne version qui nous est parvenue de ce texte est un manuscrit du XI°s. Le Man.yôshû est le premier recueil de poèmes japonais waka qui célèbre l'expression de sentiments amoureux. L'anthologie regroupe environ 4500 poèmes, pour la plupart de haute tenue littéraire, dont les plus anciens datent sans doute de la première moitié du VII°s. On attribue la compilation de l'ouvrage à Ôtomo no Yakamochi (718-75), un fonctionnaire de la cour impériale, lui-même grand poète. Cet ouvrage est considéré comme un chef-d'oeuvre de la littérature ancienne.

p. 316
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Dans les premières sources chinoises évoquant l'archipel, il est question d'un peuple, celui des Wa (Wo en chinois). Wo/Wa était une manière péjorative de désigner certaines populations barbares. A l'époque archaïque des grandes tombes, les rois désignent le pays qu'ils dirigent sous le nom de Yamato, du nom de la région du Kinai où se trouvaient les bases géographiques des lignées des souverains. Mais les Chinois continuaient de parler des Wa. Dans les documents diplomatiques officiels, les sinogrammes se lisant Wa étaient lus Yamato dans l'archipel. Au sinogramme Wa signifiant les barbares fut substitué dans l'archipel le caractère Wa signifiant la paix ou l'harmonie, et on y adjoignit un autre idéogramme signifiant grand, si bien que Yamato pouvait se comprendre comme "le pays de la grande harmonie." Mais avec l'établissement des Codes et la montée en puissance de la monarchie dans l'archipel, l'appellation traditionnelle chinoise résonnait comme une injure et n'était plus acceptable. C'est pourquoi sous Tenmu (672-686), le nom officiel du pays fut modifié et devint Nihon, le Japon ou "pays du soleil levant".

Nihon ou Nippon ("soleil levant") n'est ni un nom d'ethnie ni un nom de lieu. Il signifie la direction de l'est, là où le soleil se lève. Le nom du pays est donc bien associé à des croyances liées à un culte solaire. Cette dénomination officielle se situe dans un rapport évident à la Chine qu'on fait semblant de prendre pour "le pays du soleil couchant", mais dont on sait très bien qu'elle est "l'empire du Milieu" ! ...

En fait, au cours de l'histoire, les habitants de l'archipel n'ont que très peu désigné leur propre pays sous le terme de Japon qui était surtout une appellation à destination des étrangers, et tout particulièrement des Chinois. Nihon, en chinois Riben (prononcé "jeubenne"), ou Ribenguo ("pays du soleil levant"), a donné naissance à diverses désignations en langues occidentales, depuis le Cipango (ou Xipangu) de Marco Polo jusqu'au Japao des Portugais. Le terme de Japon est donc d'origine chinoise et non japonaise.

Dans l'archipel, on parlait plus volontiers de "honpô" ("ce pays-ci") et de "hôjin" ("les gens d'ici") pour désigner les Japonais. On évoquait aussi "honchô" ("cette cour impériale-ci"). Ce n'est qu'avec l'ouverture de l'archipel dans la seconde moitié du XIX°s que le mot de Nihon pour désigner le pays est passé dans l'usage courant. En 1889, avec la constitution moderne, l'appellation officielle du pays devient "empire du Grand Japon". Depuis l'après-guerre et la fin de son empire en Asie orientale, le pays se désigne plus modestement sous le nom de Japon.

p. 271
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Ninja (ou shinobimomo) signifie gens "cachés ou personnes "endurantes", le terme dérivant d'un verbe, shinobu, qui peut signifier soit "se dissimuler", soit "supporter, souffrir". A l'origine, il s'agit de gens qui pratiquent des formes d'ascèse dans les montagnes et développent des techniques de combat particulières, fondées sur l'endurance et la dissimulation.(...)
Discrets et efficaces, les ninja n'étaient guère aimés ni par le peuple qui les redoutait, ni par les guerriers qui les méprisaient. Ils deviendront l'objet au XXè siècle d'un engouement dans le roman historique d'abord, puis dans le cinéma et la bande dessinée qui les transformeront en "Robin des bois", bien loin de ce que fut leur condition réelle.
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Le moment de la mort devient ainsi l'occasion de manifester sa dignité, sa renommée, sa réputation posthume. Mieux vaut la mettre en scène. De là vient cette obsession de la mort honorable esthétisée qui imprègne la culture guerrière de l'honneur. Le suicide au moment de la défaite est la dernière carte que peut jouer un samouraï vaincu.
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Noritsuna, qui a tué par traîtrise, est salué [dans Le Dit des Heiké] pour sa bravoure, tandis que Munemori, qui craint pour sa vie, est décrié.

IV. La conscience du mérite chez les guerriers, p. 60
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Le Bushidô ,la Voie du guerrier , (le mot même date de cette époque ) , théorisa la nécessaire loyauté à son suzerain. Celle-ci était pourtant loin d'être passée dans les mœurs .
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D’une certaine façon, l’histoire de l’archipel japonais au cours de la période de transition de la fin du XIXe du début du XXe siècle, qui correspond à peu près à l’époque Meiji (1868-1912), peut être perçue comme un moment de l’expansion territoriale des « grandes puissances » correspondant à une nouvelle poussée de la mondialisation. Et le mouvement interne de la société japonaise relève sans doute des conséquences directes de la connexion accélérée du Japon au reste du monde à partir des années 1850. Celle-ci s’est opérée dans le cadre d’une logique qui n’est pas neutre, sur la base d’un rapport de forces, que de nombreux historiens japonais expriment en évoquant, à propos du Japon des années 1850-1900, un « sentiment d’urgence », une « conscience de crise » qui obligèrent à des recompositions politiques ou à des réaménagements sociaux rapides au cours de la période. La modernité japonaise a été représentée, ou s’est longtemps elle-même représentée, tant l’idée semblait forte, « comme rattrapant, imitant, traduisant, s’opposant à, dépassant ou renversant la modernité occidentale », mais cette dernière restait la seule valable, l’incarnation même de la Modernité avec une majuscule. On prenait l’histoire de l’Europe, on considérait tout ce qui a été un succès au Japon comme en Europe, le reste représentant des « mauvais choix ». L’historiographie japonaise au XXe siècle, toutes tendances confondues, a en effet longtemps cherché à penser l’écart qui séparait le Japon du modèle, faisant, consciemment ou pas, du « comparatisme eurocentré », de la lack history, montrant tout ce qui avait fait défaut, ce qui avait « manqué ». La vision européenne de la modernité, y compris celle provenant des interrogations comparatives de Weber sur les succès européens et les retards chinois, imprégnait les discours japonais, au point que certains y voient présente comme une « colonisation spirituelle de l’intérieur » qui aurait pollué leur imaginaire historique pendant plus d’un siècle.
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Kuwahara Yasui, pilote kamikaze, raconte une scène évocatrice qui a lieu en janvier 1945. Le capitaine réunit ses hommes pour leur proposer de participer à des missions sans retour.

- Ceux d'entre vous qui ne veulent pas donner leur vie pour notre empire du Grand Japon n'y seront pas forcés. Qu'ils lèvent la main, ceux qui ne se sentent pas capables d'accepter cet honneur... Maintenant...

On n'entend plus que le bruit de la pluie... L'atmosphère parait étouffante : il me semble que la mort nous dévisage l'un après l'autre, avec ironie. Puis hésitante, timide, se lève une main. Une autre suit, puis une autre... Cinq, six en tout...

Ah, c'est ainsi ! Le capitaine Tsubaki fixe les hommes qui ont levé la main. Nous savons donc exactement ce que valez, continue-t-il. Voici six hommes qui reconnaissent ouvertement leur manque de loyauté, en se retournant vers ceux qui n'ont pas fait un geste. Six hommes qui manquent complètement d'honneur, de courage. Eh bien, puisqu'il en est ainsi, ils feront partie du premier groupe d'attaque des kamikazes.
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A propos de Tomoe Gozen, femme samouraï:

"D'une force et d'une adresse rares à l'arc, que ce fût à cheval, que ce fût à pied, le sabre à la main, c'était une guerrière capable d'affronter démons ou dieux et qui seule valait mille hommes." (Dit des Heiké)
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La notion de l'honneur qui émergea alors au sein d'un groupe social perçu comme très agressif a pu apparaître à ses débuts comme une forme de « contre-culture ». Le courage et la gloire des guerriers étaient certes objets d'admiration, mais la violence, voire la sauvagerie, qui les animait inspirait aussi le dégoût. Aristocrates et gens du peuple méprisaient les samourais.
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L'omniprésence du bouddhisme.
Pas plus que le Moyen Age occidental ne serait ce qu'il fut sans l’Église et le christianisme, le Moyen Age japonais est inséparable du bouddhisme. Grâce aux pratiques idiosyncrasiques qui permettent au bouddhisme d'intégrer les cultes populaires aux divinités locales, l'univers du shintô est englobé par le bouddhisme. Les écoles Tendai et Shingon, à la pointe de cette évolution, mettent au point des constructions théologiques complexes pour assure cette assimilation. Il en va de même avec la théorie sankyô itchi ron, selon laquelle bouddhisme, shintô et confucianisme font partie d'un ensemble, et selon laquelle les enseignements de Confucius constituent une des voies du bouddhisme. Les cinq vertus cardinales du confucianisme sont assimilées aux cinq commandements du bouddhisme. De même, la pratique de la poésie, souvent dénoncée comme une manie qui détourne de la pratique bouddhique, est désormais présentée comme un moyen d'accéder à la sérénité. La poésie religieuse devient un véritable genre, notamment dans le Zen. Le bouddhisme fonctionne ainsi comme une machine à intégrer les différentes pratiques culturelles et systèmes religieux en un tout présenté comme cohérent.
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Le temps des famines et des révoltes.
Tous les témoignages montrent que la misère dans les campagnes ne cesse de s'accroître entre le début du XVIII° et le milieu du XIX°. Cette pauvreté reste en grande partie le fruit d'un système qui fait peser l'impôt principal sur le travail agricole. La charge fiscale dont s'acquitte la paysannerie ne cesse de s'alourdir. Le principe de base d'une rente s'établissant à 50 % de la récolte n'est que rarement appliqué et les taux de prélèvement sont plus souvent de l'ordre de 60 à 80 %. Cette rente foncière est d'autant plus insupportable aux paysans qu'elle s'accompagne de décisions arbitraires prises au niveau des prévôts et autres responsables de la fiscalité, qu'on accuse volontiers de rapacité, de malhonnêteté ou de corruption.
La paysannerie est ainsi confrontée en permanence à la peur de la misère dans une économie d'échanges encore très fragile. Les mauvaises récoltes déclenchent des phénomènes inflationnistes sur les produits agricoles de consommation courante notamment le riz, à l'origine de disettes et parfois de famines. La mémoire collective se souvient des "trois grandes famines". Celle de 1732, du temps du shôgun Yoshimune, dans le Japon de l'ouest touche plus de 2 millions de personnes.
Dans ces conditions, les misérables sont réduits à des actes extrêmes comme vendre leurs enfants (les filles surtout) ou pratiquent l'infanticide des nourrissons (connu sous le nom de mabiki, "désherbage"). Parfois, les paysans abandonnent les champs et désertent les villages. Et de plus en plus souvent ils se révoltent. Le phénomène prend de l'ampleur et connaît des pics dans les années 1780, 1830 et 1860.
Malgré leur violence, ces mouvements de protestation ne contestent jamais l'ordre en place. Ils pointent les dysfonctionnements du système idéologique confucianiste dominant, mais gardent leur foi dans la capacité des puissants à exercer leur bienveillance à leur égard.
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L'historiographie japonaise a longtemps considéré que la crise finale du régime d'Edo commençait à partir de 1853, à l'arrivée des canonnières de l'amiral Perry. L'expression bakumatsu ("fin du shogunat") désigne en effet les années 1853-1867 et fait de l'arrivée des américains le signal de la fin. Aujourd'hui, les historiens sont plus réservés sur cette interprétation longtemps dominante qui fit de l'arrivée des étrangers (la "pression extérieure") le facteur déterminant et quasi unique de la chute du système. La tendance serait aujourd'hui à remonter jusqu'à la crise de Tempô et de considérer les trente dernières années du régime comme un long processus de dégradation politique et sociale marquée par une triple séquence : une première court des années 1830 jusqu'au début des années 1840, dominée par la crise sociale et un contexte international de plus en plus incertain ; une deuxième, du début des années 1840 à la fin des années 50, dominée par les chocs liés successivement à la guerre sino-britannique de l'opium, puis l'arrivée des bateaux occidentaux dans l'archipel ; enfin les dix dernières années du régime où les crises - sociale, économique et politique - se muent en une crise nationale...
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Mais si les samouraïs ne combattent pas pour la gloire de Dieu, quelles sont donc leurs motivations ? Dans le Dit des Heiké, on voit bien que la plupart se battent pour ce qu'on peut désigner de manière concise comme "la renommée" (kômyô).
Se faire connaître, telle est leur ambition.
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sur l'ensemble des campagnes auxquelles ont participé les kamikazes, le taux d'appareils ayant provoqué des dégâts est de 14,3 %. On est donc loin des calculs de l'état-major japonais, qui espérait que chaque appareil pourrait couler un navire important.
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Quelques survivants errant dans la jungle à moitié fous et coupés de tout contact avec le monde seront encore découvert jusque dans les années 1970...
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Pourtant personne au Japon n'évoque des kamikazes en référence aux attentats du 11 septembre ou à ceux du Moyen-Orient. L'expression consacrée en japonais est jibaku et renvoie à l'idée de se faire "exploser soi-même". On ne peut ici évoquer une quelconque particularité japonaise car, en coréen ou en chinois, c'est la même expression qui est utilisée.
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"Monsieur le journaliste, le Japon est foutu s'il fait tuer des pilotes d'élite comme moi. Je suis parfaitement capable d'envoyer une 50 (une bombe de 500 kg) et non de 250 comme prévu sur le pont d'envol d'un porte-avions sans avoir à m'écraser dessus ! Je n'y vais pas pour l'Empereur, ni pour l'Empire du Japon. Moi, j'y vais pour celle que j'aime le plus au monde, pour ma femme. Je n'y peut rien, ce sont les ordres. Si le Japon perd, ma femme risque de se faire violer par les Amerloques. C'est pour la protéger que je vais mourir. Mourir pour sa bien-aimée... Alors ce n'est pas superbe ça ?"
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Presque tous les idéogrammes chinois peuvent être lus en langue japonaise de deux manières au moins: la manière sino-japonaise ("à la chinoise") et la manière proprement japonaise. Shinpu est composé de deux idéogrammes, shin pour dieux, divinités et pu ou fu pour vent. Shin peut aussi se prononcer kami et pu ou fu peut se prononcer kaze. Cette double lecture peut parfois correspondre à un niveau de langage plus recherché, le sino-japonais étant plus abstrait que le japonais. Shinpü est donc la lecture sino-japonaise plus littéraire de kamikaze.
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