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Citations de Pierre Guyotat (74)


Ma recherche de l’absolu aboutit à ceci que j’en espère toujours de plus absolu encore. Tous les absolus créés par l’homme, auxquels j’ai souscrit, sont dépouillés par moi de leur valeur d’absolu en regard d’autres qui ne nous sont pas encore connus.
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Après la clinique, c'est l'entrée dans la dépression douce, la guérison lente : la récompense de cette traversée de la mort, c'est, au lieu du palais enchanté que l'on croit avoir gagné à la sueur de son sang mort, un monde désenchanté, sans relief ni couleur notables, des regards ternes qui ne vous voient plus, des voix toujours adressées à d'autres que vous qui revenez de trop loin, une obligation quotidienne à survivre, un cœur qui ne fait passer que du sang, et du sang qui ne chauffe plus. Il faut attendre. S'appliquer à se nourrir, à dormir, à se laver, à se vêtir, à marcher...
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Le paysan adolescent s'agenouille au bord de la flaque de sangs mêlés, l'épaule appuyée au rideau de fer de la boucherie ; sa main fouille dans la poubelle entre les chairs déchiquetées, prend un coeur de chevreau transpercé, le porte à la bouche ; les chauves-souris, prises dans la chambre froide, s'agrippent aux quartiers suspendus ; le paysan, mâchant le coeur de chevreau, entre dans le bordel des femmes ; la maquerelle le prend entre ses bras, elle le pousse vers l'escalier, il s'accroupit, découvre les pots, lape la gelée (...)
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Pierre Guyotat
A propos de sa réanimation (entretien France Culture 2010)
Témoignage de ce territoire entre vie et mort :

C'est terrible, vous êtes écartelé, quand vous sortez de là, vous êtes damné, vous avez encore un aspect humain, presque rien ne reste. Vous avez envie de partir, vous ne pouvez plus dire "je" et pourtant il faut revenir et tout reprendre. Il faut replonger là-dedans, dans l'affect, alors que vous êtes dans un monde qui risque de devenir agréable, détaché...
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Comment un médecin même savant pourrait-il comprendre que mon épuisement ne procède que d’une torture d’ordre artistique ?
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Ce que je ressens comme une liberté nouvelle c’est la perte de mon poids. La beauté de l’hiver, sa lumière, l’éclat, le scintillement de la neige et de la glace (le spectacle prévu pour décembre à Chaillot) me font comme un corps glorieux.
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Ou bien, c’est la fusion avec le monde, ma disparition dans tout ce qui me touche, que je vois, et dans tout ce que je ne vois pas encore. Sans doute ne puis-je alors supporter de n’être qu’un seul moi, devant tous ces autres moi et d’être immobile malgré l’effervescence de mes sens, d’être immobile dans cet espace où l’on saute, s’élance, s’envole…
Plutôt mourir (comme peut « mourir » un enfant) que de ne pas être multiple, voire multiple jusqu’à l’infini.
Quelle douleur aussi de ne pouvoir se partager, être, soi, partagé, comme un festin par tout ce qu’on désire manger, par toutes les sensations, par tous les êtres : cette dépouille déchiquetée de petit animal par terre c’est moi… si ce pouvait être moi !
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Un débat entre littérature et vie, oui, peut-être, mais pas entre ce que moi j’écris et la vie ; parce que c’est la vie, ce que je fais.
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Quelle douleur aussi de ne pouvoir se partager, être, soi, partagé, comme un festin par tout ce qu’on désire manger, par toutes les sensations, par tous les êtres : cette dépouille déchiquetée de petit animal par terre c’est moi… si ce pouvait être moi !
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C’est dans les moments d’inattention que souvent le pire m’est advenu.
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[La veille de son anesthésie générale]
« Malgré mon enjouement –la douleur ou l’avant-douleur provoque toujours en moi une euphorie de verbe et d’empathie-, d’être ainsi marqué, même aux jambes, pris entre l’âge avancé des onze patients et l’obscurité carrelée, vétuste, du lieu dans lequel je vois et sens aussi les espaces du passé : infirmerie de collège, boiseries d’hospice, en quelque sorte mon commencement dans la collectivité humain, j’éprouve –mais à partir de quel « je » déjà ?- et tais à mes proches une sensation, dont j’attends que l’opération me délivre, d’inexistence entre deux vieilleries, de dépouillement, d’échec, d’abandon par la Lumière, d’humiliation froide, d’oubli.
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Ces crises, l’état de grande dépression ne les connaît plus, et si la mémoire en revient au corps épuisé et au restant d’esprit que l’on est, elles apparaissent comme des phases de bonheur inaccessibles désormais.
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Que des proches me regardent avec les mêmes yeux qu’hier me fait mal (mais qu’importe, il faut avancer) : c’est l’idée même d’infinitude qui y est atteinte.
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Qui me frappe ? De quelle autorité ? […] Je n’en éprouve aucune colère. Seuls mes os réclament justice ; je suis ainsi fait que ce n’est jamais « moi » qui suis insulté, battu, repoussé, mais, dans ma personne, quelque chose du dessus, une réalité organique, solidaire ou une solidarité historique, voire métaphysique : je ne me suis toujours ressenti, pensé, qu’en tant que médium, intermédiaire, messager. Et l’on m’a toujours beaucoup aimé comme tel, celui qui apporte la lumière ou celui qui la rétablit dans le cœur de l’autre.
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Je ne suis bien que lorsque je ne suis que ce qui est nécessaire pour être l’autre.

Du peu que je suis en train de devenir - et ce peu, mangé ici -, mon besoin – la raison mène alors le cœur – d’entrer dans le moi de celui surtout auquel la parole est adressée et qui peut toucher un secret de sa vie, la hantise, alors, ici et partout, que l’autre soit blessé, même infimement, me tire l’âme, de l’âme enfin, de la volonté pure. De l’âme à cru la vie.

De cette fin d’été date la fin de mon être affectif, la disparition de toute blessure d’amour-propre, de tout ce qui fait le tourment, le plaisir de la vie dite privée. L’autre, quel qu’il soit, devient mon seul souci.
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J'ai appris qu'il nous faut connaître intimement une humiliation et un doute profonds ; sinon, nous vivons sans avoir fait l'expérience ou ressenti quoi que ce soit.
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Mais une fin d'après-midi, sur la terrasse qui se vide de ses voix et de ses pas, en bas, une amie et moi écoutons un bouvreuil chantant sous le couvert des feuilles. Ce chant si léger, trébuchant, fragile, par moment si bas, si ténu qu'il paraît venir de l'au-delà, c'est celui que je cherche à composer avant la dépression, et que je n'ai pas voulu interrompre par le voyage. Ce chant interdit maintenant, inaccessible. Le mot "bouvreuil" lui-même, dans sa rondeur pulmonaire, avec le tremblement du "r" et du "il", ce plaisir, ces mots me sont interdits : d'un jugement supérieur à la morale, à l'Art. "Inaccessibles". Des lois "physiques" m'en écartent. Aisance des oiseaux, quel supplice quand la dépression vous retire du monde : la non-dépression, c'est les pieds ailés, quels que soient les obstacles.
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Tout ce que je fais, je le fais pour me débarrasser de la sexualité ; je n'en veux pas, je veux évacuer ça ; ça prendra le temps qu'il faudra, ça prendra même tout mon temps. On peut lire "Progénitures" comme un cri de révolte maximum contre le sexe. Plus on l'évacue, plus il y en a ; (...) Cette obligation à la sexualité qu'il y a en l'homme, c'est une des tâches les plus terribles de l'homme, à mon avis, contrairement à ce qu'on dit, bien entendu. C'est une hantise, une obsession. Enfin moi je l'ai dit, là-dessus je ne fais pas le malin. Je pense que c'est vraiment l'une des tâches les plus monstrueuses que le "Créateur" ait imposé à sa créature.
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J’ai 40 ans depuis le mois de Janvier, un âge que, dans l’adolescence, j’ai décidé de ne pas dépasser.
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Entre deux manèges, contre un jardin abandonné, une baraque de planches, de tôles, de peaux ; dedans, un étal de boucher [...] où est attachée une fille nue, excepté une sorte de pagne décoloré entre les cuisses : suspendu au-dessus de la fille, un écriteau:
-- Elle a deux sexes.
Tout le jour, les hommes, des poissonniers, des maçons, des mécanos, viennent soulever le pagne, toucher le double sexe, y mettre le doigt, puis ils glissent une pièce entre les cuisses la fille, rabattent le morceau de toile et sortent dans le soleil, le sexe durci. Le pagne est humide de fiel et de ciment frais, des écailles de poisson y sont collées, le cambouis, la graisse l'ont noirci. La fille gémit doucement [...]
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