Citations de René Frégni (1431)
Ma main droite écrivait, elle dessinait des mots sur une page merveilleusement blanche, elle réveillait des émotions, inventait des destins, métamorphosait des paysages. Elle suivait paisiblement une petite ligne violette, chaque mot ajoutait de la vie à la vie.
C'est effrayant de détails la tendresse du souvenir, on voit même des choses que l'on n'avait jamais remarquées là-bas. Ça vous dure des jours une lettre, on n'a jamais tout vu, c'est un film infini sur un infime écran qu'on plie avec amour au fond des poches.
"En marchant , je pense aux seins d'Isabelle . La nuit , je glisse ma main sous sa chemise de coton , caresse son ventre du bout des doigts , remonte . J'enferme l'un de ses seins dans ma main ,souvent le gauche . Il est rond , souple et chaud .Même dans son sommeil , la pointe durcit , se dresse . Isabelle remue à peine . Je fais bouger ses rêves. " ( p 26 )
De loin, toutes les villes sont bleues. Laquelle accepterait un homme qui laissait dans chaque gare un lambeau de son passé ? J’aurais voulu être la beauté de Jean Valjean, la solitude Bardamu, celle, misérable et solaire, de Jean Genet sur les routes d’Europe. Je n’étais que l’homme qui passe.
Je marche et je viens m’asseoir à mon bureau, cette table de bistrot sur laquelle j’écris. C’est sur ces trois planches noircies par l’empreinte ronde des verres, vernies par des coudes et des jeux de cartes, brûlées par des mégots que j’ai connu mes violentes heures de liberté.
(…)
Sur ces trois planches il y a autant de rendez vous, d’attente, de drames, de solitude, de rires, d’oublis que dans toute l’œuvre des plus grands écrivains. On pourrait écrire vingt romans en suivant les traces, les blessures, les rides d’une table de bistrot.
À dix-neuf ans j’ai adoré le Che, à trente ans Don Quichotte. Le premier combattait la justice dans les forêts, l’autre dans ses songes. Tous les deux moururent vaincus, écrasés par la réalité de l’homme. Un homme égoïste et généreux, abjecte et sublime. Nous avons tous, dans nos vies ou dans nos rêves, des instants monstrueux, des recoins innommables. Aucun d’entre nous ne peut vivre sans beauté.
Quand on donne un peu de lait, quelques caresses à un chat de gouttière, il devient affectueux. Si on le jette à la rue, il devient craintif, voleur, sournois comme nous, les hommes. Les détenus et les chats m'ont rendu tolérant. Tous les murs rendent méchant. (p. 32)
"Un jour ou l'autre, toutes les femmes, tous les hommes sont seuls devant le mur de leur cuisine. Charlie l'avait été un peu plus tôt, un peu plus profondément. Tous ouvrent un jour le cahier de leur vie."
« Toute ma vie j'ai bandé pour les fourgons, maintenant je bande pour les mots Je préfère ouvrir mon ordinateur plutôt que la salle des coffres d'une banque. » 21
"Je ne porte ni kippa, ni tchador, ni crucifix mais juste une certaine mélancolie de l'époque où tout le monde s'en foutait. » Je trouve ça très beau. Durant toute mon enfance, Marseille ressemblait à cette phrase. 66
ceux que tu appelles « les voyous » sont plus dangereux que les flics. C'est bien Victor Hugo qui a écrit: «Depuis que je connais les chiens, je regrette les loups » ? 57
« - Vous avez notre numéro, s'il y a quoi que ce soit d'anormal, appelez.
- Tout est anormal! Vous avez des nouvelles de mon patron?
- S'il ne vient pas, nous avons les moyens de l'y contraindre.
- Je finis par me demander s'il existe vraiment... Elles portent bien leur nom, ces îles Caïmans. Ils naviguent tous entre deux eaux, avec des mâchoires plus longues que mon bras ! Vous allez voir débarquer un bataillon d'avocats et trois semi-remorques de dossiers. C'est le procureur qui va se mettre au garde-à-vous ! Quand le caïman montrera ses dents, tout le monde le trouvera très innocent.
- Vous avez une drôle de manière de parler de votre employeur...
- Oh, vous savez, il me faut cinq minutes pour remplir mon sac. Des patrons j'en ai eu, je l'ai refait souvent, mon sac... Ma maison, c'est mon cahier. Ma famille, les mots que m'a laissés ma mère. Quelqu'un a dit: "Je suis partout chez moi, comme les rois et les voleurs." J'ouvre mon cahier, je suis roi et je suis voleur!
- Qui a dit ça ?
- Quelqu'un qui avait un cahier. »
Elle portait une petite robe de rien, trois sous d'étoffe, dont le bleu semblait descendre de la ruelle de ciel qui courait là-haut entre les génoises.
" Où as-tu appris à t'exprimer ? lui demandais-je. Tu n'as jamais parlé comme ça, à Marseille... "
Il s'arrêta, se tourna vers moi, planta ses yeux blancs dans les miens.
" Il y a trois ans que je lis un livre par jour. Je suis dans ce piège, parce qu'on m'a pris un calibre à la main. J'ai beaucoup mieux qu'un calibre aujourd'hui, j'ai des mots, j'ai leurs mots ! Ils ne savent plus comment m'attraper. On n'attrape pas un type qui a des mots. Ils me craignent parce que je les connais, je connais leur pouvoir et leurs faiblesses. Ils ne savent plus qui je suis... Lis, René, tu leur feras très peur ! "
Je le serrai dans mes bras. Saint-Exupéry avait raison : ' On n'est pas d'un pays, on est de son enfance. "
C'est si long l'enfance ! C'est comme plusieurs vies mises bout à bout qui vont se perdre là-bas au bord de la mémoire, quelques lampes qui vacillent dans la nuit au coin d'une impasse. De l'enfance on n'en voit jamais le bout, quand on y arrive c'est trop tard. Reste le lourd fredon de la mélancolie.
Ce matin j'ai repris mon cahier, mon stylo. Il manquait quelque chose sur le bureau. Pendant des années mon chat est venu me regarder écrire, puis scruter le vide devant moi, le plus souvent le matin, ou vers cinq heures du soir. Il se couchait entre ma main et le Petit Robert. Il suivait un moment, de ses beaux yeux verts, les acrobaties de mon stylo sur la page et finissait par sombrer, hypnotisé par ce mouvement minuscule.
Je sentais sa chaleur sur le dos de ma main et il devait aimer, dans son sommeil, ce léger grattement sur la feuille.
Quand je restais longtemps sans trouver un mot, le silence le réveillait. Il m’est arrivé d’écrire n’importe quoi pour qu’il se rendorme. Je craignais qu’il ne change de place et ne s’étale sur mon cahier. On n’ose pas déranger un chat qui dort, son sommeil est plus vrai que le nôtre. (P124)
On compare parfois la cruauté de l’homme à celle des fauves, c’est faire une injure à ces derniers.
(Dostoïeski)
« Les gens viennent au bistrot pour ne pas disparaître, avec leur accent, leur colère, leur rire, leurs misères, leur anonymat .Ceux qui ne viennent plus vont sur Facebook, ce grand hall de gare où l’on pense trouver des amis qui vous écoutent .Qui écoute l’angoisse et la détresse des gens qui n’existent pas ? ».
Nous venons de vivre trois jours de sang, trois jours de cauchemar, trois jours de haine. Le monde s’éveille face à trois mots: « Je suis Charlie. » Qui est Charlie ?… Dix-sept personnes assassinées. Trois fanatiques abattus… Où est Charlie ?
Des millions de gens ont surgi dans les rues, ils sortaient de nulle part. Ils avaient besoin de douceur, de tendresse. Ils n’ont posé aucune question. Personne encore n’a posé la question du bien et du mal, tout le mal est dans cette question.
(...)
C’est si facile de parler de tolérance lorsqu’on possède tout, de donner des leçons de tolérance la bouche pleine de petits-fours. Les racines du mal… Il y a un banquet, ce sont toujours les mêmes qui sont autour de la table, sous des lustres d’or. Alors, de temps en temps, ceux qui regardent renversent tout.
J'entre dans mes cahiers comme on pousse la grille d'un parc, de quelque territoire magique. Ils sont bruissants d'arbres, de vent, de villes et de lumière. Chaque page est plus bruyante qu'une gare ou qu'un port. Quand je me réveille la nuit, je n'éclaire pas, je ne bouge pas, j'écris sous mes paupières, je dessine des mots de lumière sur la page obscure d'une insomnie.
Les morts ne sont pas absents, ils sont simplement invisibles.