Citations de René Frégni (1422)
Le béton rend méchant. Nous avons besoin du bruit des feuilles sous nos pas, de l'odeur du genévrier, du buis, de la danse de l'eau sur les pierres qui affleurent autour des vieux moulins.
Je n'ai rien écrit de tout l'été. Dehors la campagne brûlait. Dans trois jours les enfants vont rentrer à l'école. En septembre, jadis, j'allais me baigner dans les deux rivières qui longeaient la vallée. Il y a cinquante ans qu'elles meurent sous les saules et les peupliers. En un demi-siècle nous avons exterminé plus de la moitié des espèces vivantes autour de nous. comment des truites et des écrevisses pourraient survivre dans quelques sombres mares d'eau croupie?
J'observais tout à l'heure un nid de frelons dans un amandier creux. Ils m'observaient aussi, envoyaient des éclaireurs tourner autour de ma tête. Leur colère vrombissait. Nous avons détruit tout ce qui nous gênait ou rapportait 30 centimes. Je vais marcher tous les jours sur une terre qui meurt. Je marche dans mes souvenirs. Dans mes souvenirs même les villes étaient bleues.
J'observe les hommes, je fréquente les arbres.
J’observe les hommes, je fréquente les arbres.
Avec une dizaine de détenus, nous écrivons dans une petite pièce fermée de barreaux nos rêves, nos peurs et les amours que nous aurions pu vivre. Je dis nous car au fil des saisons je deviens l'un des leurs. Lentement la prison est entrée en moi, c'est elle qui m'habite. De cette cité interdite accrochée aux roches des collines, sous une lumière irréelle, je ne sors jamais. Page 127.
Virage sud.
Les médecins devraient envoyer les gens dans les librairies au lieu de prescrire du Tranxene et du Lexomil.
J’ai connu un médecin, dans le petit village de la Cadière-d’Azur, qui offrait des livres de poche à ses patients, toujours le bon livre au bon patient. Voilà un homme qui connaissait les livres et ses patients. Souvent les patients lui ramenaient un autre livre qu’ils avaient aimé et tout ces livres voyageaient dans le village. L’imagination agrandit la vie. Où, plus que dans le cabinet d’un médecin, a-t-on besoin de vie ?
Le petit libraire de Banon a arrêté Tranxene et Lexomil en lisant Pagnol, Camus et Dostoïevski, en faisant entrer dans son corps des millions de mots, des millions d’étonnements, d’émerveillements, de peurs. Ce sont les peurs et les désirs qui nous rendent vivants, même lorsqu’ils surgissent entre deux pages, dans l’obscurité d’une prison.
Préambule
Ni pamphlet ni réquisitoire contre la justice, ceci est le simple récit d'un homme qui eut la naïveté ou commit l'imprudence de rester parfois humain. C'est l'histoire simple de chacun de nous et cependant c'est une histoire de ténèbres. Un voyage ou le bien et le mal ont le même visage. Plus vous croyez bien faire et plus vous vous enfoncez dans la nuit. Telle est la malice de ceux qui ont construit le labyrinthe : le diable, le bon dieu et sans doute chacun de nous.
Maintenant, je vis dans une maison au bord de la forêt. Vers cinq heures du soir, l'hiver, je fais du feu dans un poêle en fonte noir et je relis de vieux livres. Je lis trois pages, je regarde la danse des flammes, je m'endors un peu, je rattrape mon livre, tourne deux pages, ajoute une bûche...Je serai bientôt vieux. Je dors souvent.
(incipit)
Quand je me réveille la nuit, je n'éclaire pas, je ne bouge pas, j'écris sous mes paupières, je dessine des mots de lumière sur la page obscure d'une insomnie.
Il y a des instants dans la vie, aussi fulgurants que le sont les rêves, qui en un éclair nous projettent au ventre la violence sans bornes de notre fatale absurdité.
J’avais envie de dire Maman… Maman… Maman… Parce que rien n’est plus doux à dire, plus bouleversant. Dire maman jusqu’à ce que le sommeil m’emporte. Le sommeil des enfants qui ne sont jamais seuls, qui ne connaissent pas la solitude des gares et des trains qui s’en vont.
Contre le corps chaud et la tendresse de l'homme, le bébé avait bien dormi. Maintenant, il avait faim. Ses petites mains s'ouvrirent, se fermèrent, s'ouvrirent encore avec la grâce lente des anémones de mer. Page 159
L'homme marchait maintenant dans la plaine. Un sourire semblable à celui de la maman flottait encore dans ses yeux. La petite Marie ne le saurait sans doute jamais, elle avait offert à cet homme perdu une fabuleuse nuit de Noël et la force d'avancer un peu plus loin vers des villes inconnues.
Là-bas, sur les plateaux de lavande, les petites mains bleues de l'aube écartaient la nuit. Page 161
L'homme qui passe.
Voilà ce que je demande à un livre, m’émouvoir, m’ébranler, m’emporter, me faire vivre plus intensément que si j’étais descendu dans la rue.
Octobre donne ses premiers coups de pinceau rouge sur les plus hautes branches des cerisiers. Je frôle une ferme tapie dans l'ombre d'or des trois tilleuls; et je suis seul sur la pierraille des collines, dans l'odeur des cades, du thym et du genévrier.
(" Je me souviens de tous vos rêves ")
Quand on donne un peu de lait, quelques caresses à un chat de gouttière, il devient affectueux. Si on le jette à la rue, il devient craintif, voleur, sournois, comme nous, les hommes. Les fous, les détenus et les chats m’ont rendu tolérant. Les murs inutiles rendent méchant.
Touché par les premiers rayons du soleil, Bastia est un abricot. Des façades ocre, rousses, roses, des jalousies vertes. Une ville à flanc de montagne, qui de tous ses yeux regarde la mer et l'Italie.
Je ramasse un mot, je le regarde, le flaire, le caresse, je le mets dans ma bouche, comme un petit galet rouge ou vert de rivière, puis dans l'une des mille poches secrètes que je me suis inventées. Je voyage avec ce bourdonnement de mots qui ne pèse rien, ce nuage d'émotion. Chaque jour je marche, je parle avec tout ce qui bouge autour de moi et je ramasse des mots. Je ne possède que cette maison de mots.
Je regardais les bateaux blancs frôler le château d'If et filer vers la Corse. Ils s'évaporaient au loin dans les premières brumes de chaleur.
Aucun voisin... J'ai rapproché la voiture, je l'ai enroulé dans une toile cirée et je l'ai chargé dans le coffre... J'ai trouvé que pour un intellectuel, il était très lourd. C'est drôle ce qu'on peut penser dans ces moments là...
La nuit de l'évasion
Avec ces rangées de petites lumières devant mes yeux, tels des hublots, il m'a semblé que la prison était un vaisseau de douleur qui dérivait sous le ciel noir. ( . ( Le chat qui tombe et autres histoires noires, 2017, p. 68)