Citations de Saul Bellow (185)
Dans chaque communauté il existe une catégorie de gens infiniment dangereux pour les autres. Je ne parle pas des criminels. Pour eux, nous avons des sanctions. je parle des dirigeants. Les gens les plus dangereux aspirent invariablement au pouvoir.
On peut investir beaucoup d'intelligence dans l'ignorance quand on a vraiment besoin de s'illusionner.
Celui qui veut gouverner le pays doit d'abord le divertir.
L'homme naît pour devenir orphelin et laisser des orphelins derrière lui...
Il se trouve que mon enquête informelle montre que neuf personnes sur dix s’attendent à voir leurs parents dans l’au-delà. Mais suis-je prêt à passer l’éternité avec eux?
(Gallimard, p. 162)
Non, je suis content d'être débarrassé d'elle. Je ne la méprise même plus guère. Et elle peut garder tout ce qu'elle m'a escroqué, grand bien lui en fasse. Elle a dû mettre mon argent de côté. Parfait ! Qu'elle le garde avec ma bénédiction. Bénie soit la garce ! Bonne chance et adieu.
Notre civilisation est une civilisation bourgeoise. Je n'emploie pas ce terme dans son sens marxiste. Dégonflé ! Dans le vocabulaire de l'art moderne et de la religion d'aujourd'hui, il est bourgeois de considérer que l'univers a été créé pour que nous l'utilisions en toute sécurité et pour nos donner confort, bien-être et soutien. La lumière voyage à trois cent mille kilomètres par seconde pour que nous puissions voir, pour nous peigner les cheveux ou pour lire dans le journal que le jambonneau est moins cher qu'hier. Tocqueville considérait le mouvement vers le bien-être comme une des plus fortes tendances d'une société démocratique. On ne peut le blâmer d'avoir sous-estimé les forces destructrices engendrées par cette même tendance. Il faut que tu aies perdu la tête pour écrire au Times comme ça! Il y a des millions d’amers voltairiens dont l'âme est pleine de furieuses satires et qui cherchent sans cesse le mot le plus mordant, le plus venimeux. Au lieu de cela, pauvre imbécile, tu pourrais envoyer un poème. Pourquoi voudrais-tu avoir plus raison dans ta confusion qu'avec leur organisation? Tu voyages bien dans leurs trains, non? Ce n'est pas la confusion qui a construit les chemins de fer. Vas-y, écris un poème, accable-les de ta vertu!
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À Chicago, j’avais des affaires affectives en souffrance. À Boston ou Baltimore, j’aurais continué de penser, quotidiennement et régulièrement, à la même femme - à ce que j’aurais pu lui dire, à ce qu’elle aurait pu me répondre.
Les « objets d’amour », comme la psychiatrie les a baptisés, ne se trouvent pas si fréquemment ni ne s’abandonnent si facilement. La « distance » n’est qu’une formalité. L’esprit ne s’en aperçoit pas vraiment.
Lorsque je revins de la guerre, c'était avec l'idée de devenir éleveur de porcs, ce qui illustre peut-être l'opinion que j'avais de la vie en général.
J'avais déjà vu des morts, beaucoup de morts. Durant la dernière année de la guerre, j'avais partagé le continent européen avec quelque quinze millions d'entre eux, mais c'est toujours le cas individuel qui est le plus pénible.
Le drame du stade du développement humain que nous vivons semble être le drame de la vengeance contre soi-même. C'est une époque où se joue une comédie d'un genre tout particulier. Ce à quoi nous assistons n'est pas simplement le nivellement que Tocqueville avait prédit, mais le stade plébéien d'une conscience de soi en évolution. Peut-être la vengeance exercée par un grand nombre, par l'espèce, sur nos élans de narcissisme (mais aussi sur notre aspiration à la liberté) est-elle inévitable. Dans ce règne nouveau de la multitude, la conscience de soi tend à nous révéler à nous-mêmes comme des monstres (…) L'individu est contraint, subissant les pressions qu'il subit, de définir le «pouvoir» tel qu'il est défini en politique et d'en tirer des conséquences personnelles pour son propre usage. C'est ainsi qu'il est amené à exercer une vengeance contre lui-même, une vengeance sous forme de dérision, de mépris, de négation de la transcendance. (…) Je suis persuadé qu'il reste des qualités humaines à découvrir. Cette découverte où redécouverte n’est entravée que par des définitions qui maintiennent le genre humain au niveau de l'orgueil (ou du masochisme) et l’amènent à revendiquer trop puis à se haïr lui-même par voie de conséquence.
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Mais que peuvent faire les humanistes et les penseurs sinon s'efforcer de trouver les termes appropriés? Prends mon cas, par exemple. J'ai écrit pêle-mêle des lettres partout. Encore des mots. Je cherche à saisir la réalité par le langage. Peut-être que j'aimerais changer tout en langage, contraindre Madeleine et Gersbach à avoir une Conscience. Voilà un terme pour toi. Je m'évertue sans doute à maintenir toutes les tensions sans lesquelles les humains ne peuvent plus être appelés des humains. S'ils ne souffrent pas, ils m'échappent. Et j'ai inondé le monde de lettres afin d'empêcher leur fuite. Je les veux sous leur forme humaine, si bien que je crée tout un environnement dans lequel je les enferme. Je mets tout mon cœur dans ces constructions. Mais ce ne sont que des constructions.
«Ni les Russes ni les Américains ne peuvent diriger le monde. Ils ne sont pas capables d'organiser l'avenir.»
Faire le pitre avec [Harry Fonstein], personne n'en avait donc envie. Je le rangeai dans la catégorie Juif d'Europe centrale. Il vit sans doute en moi un Juif américain instable et immature, humainement ignorant et d'une gentillesse sans discernement : dans l'histoire de la civilisation, ce type d'homme était nouveau et peut-être pas aussi mauvais qu'il n'y paraissait au premier abord.
Plus les individus sont détruits ... plus grand est leur désir de se rattacher à une collectivité.
Dieu serait parfaitement heureux en France parce qu'il ne serait pas dérangé par les prières, rites, bénédictions et demandes d'interprétation de délicates questions diététiques. Environné d'incroyants, Lui aussi pourrait se détendre le soir venu, comme des milliers de Parisiens dans leur café préféré. Peu de choses sont plus agréables, plus civilisées qu'une terrasse tranquille au crépuscule.
Les Aventures d'Augie March, 1953
Reprenant son examen de conscience, il admit qu'il avait été un mauvais mari - - par deux fois. Daisy, sa première femme, il l'avait traitée de façon ignoble. Quant à Madeleine, sa seconde, elle avait tenté de l'éliminer. Pour son fils et sa fille, il était un père aimant mais un mauvais père. Pour ses parents, il avait été un fils ingrat. Pour son pays, un citoyen indifférent. Pour ses frères et sa sœur, affectueux mais distant. Avec ses amis, égotiste.Avec l'amour, paresseux. Avec l'éclat, terne. Avec le pouvoir, passif. Avec son âme, évasif.
Satisfait, de sa sévérité, positivement ravi de la dureté et de la rigueur factuelle de son jugement, il s'étira sur le canapé, les bras jetés derrière lui, les jambes allongées mollement.
- Mais Mady - tu connais mes sentiments....
- Tes sentiments ? Epargne-moi tes platitudes sur les sentiments. Je n'y crois pas. Je crois en dieu - au péché - à la mort - alors ne vient pas me débiter tes conneries sur les sentiments.
Vos jours filent plus vite que la navette du tisserand. Ou qu’une pierre lancée en l’air […] et retombant vers le sol sous l’effet d’une accélération de dix mètres par secondes carrées — une métaphore de la vitesse terrifiante de l’approche de la mort. Vous aimeriez que le temps soit aussi lent qu’il était lorsque vous étiez enfant — chaque jour une vie entière.
(Gallimard, p. 131)
Pour ma part, mon avis était que l'éternité réduirait à néant toutes les pulsions humaines. L'éternité vous dégoûterait d'exister.