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Citations de Sawako Ariyoshi (134)


Ils allaient à pas lents vers le nord, longeant le chemin entre les rizières.
Hanako, prenant une profonde inspiration, eut l’impression que le ciel bleu
et le feuillage à l’entour pénétraient dans ses poumons. Il lui semblait que
son corps plongeait dans l’air parfumé, chauffé par le soleil d’été.
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— Seiichirô a abandonné sa maison d’Osaka, continua Fumio. Il s’est
installé chez les parents de sa femme à Kishiwada – il fait tous les jours la
navette pour aller travailler à la banque. La femme de Tomokazu est partie
dans sa famille avec son bébé. Les enfants du frère aîné d’Eiji sont réfugiés
dans la famille de leur mère. Vous ne trouvez pas ça bizarre ? Ici, chez les
Matani, il n’y a qu’Utae et moi, vos filles, et ceux de vos petits-enfants qui
ne portent pas le nom de Matani. Mère...
— Inutile de crier, je t’écoute !
— Mère, ne croyez-vous pas que le système matriarcal de la société
primitive était plus conforme à la nature ? C’est à la famille de la femme
qu’on fait appel en cas de besoin.
Frappée par ce qu’avait dit sa fille, Hana la regarda. Fumio venait de
l’éclairer sur le sentiment de solitude qui l’accablait. Elle avait cru que le
regret d’avoir perdu son mari en était la cause unique. Mais, en fait
maintenant, elle supportait mal de voir son fils aîné se réfugier de
préférence dans la famille de sa femme. De peur de se faire traiter de belle-
mère jalouse, elle s’était résignée à se taire et à se persuader que Kishiwada
était plus près d’Osaka que Musota, donc plus commode. Malgré cela, elle
ne pouvait s’empêcher d’avoir l’impression que Yaeko lui avait volé
Seiichirô. En outre, elle avait beau se rendre compte que Tomokazu avait
cédé à la pression des circonstances, elle n’était pas heureuse qu’il ait choisi
d’entrer dans l’armée. Et la fille de Tomokazu, le premier Matani parmi ses
petits-enfants, avait été emmenée par sa mère dans sa propre famille. Fumio
avait raison : le fils aîné, le cadet et leurs familles étaient ailleurs. Au
moment où la guerre les menaçait tous directement, elle n’avait autour
d’elle que ses filles et leurs enfants.
La descendance par la ligne maternelle. La famille de la femme. Hana
avait constaté, elle aussi, le phénomène mais elle n’avait pas été capable de
l’exposer aussi clairement que Fumio. Elle avait toujours cru à ce précepte
– et elle l’avait appliqué toute sa vie – qu’une femme, une fois acceptée
dans la famille de son époux, devait rompre tous les liens qu’elle tenait de
sa naissance. Dans sa jeunesse jamais elle n’aurait eu l’idée de retourner
chez ses parents en emmenant son mari avec elle, même si une calamité
naturelle l’avait chassée de Musota.
Incontestablement les choses avaient évolué et cette évolution l’entraînait
elle aussi. Mais l’éducation qu’elle avait reçue l’empêchait de marcher avec
son temps comme le faisait Fumio. Sans doute la maison qui avait abrité la
famille conforme aux concepts patriarcaux était-elle secouée par la tempête
des temps nouveaux, mais il n’était pas permis à Hana de la quitter. Elle
resterait tranquillement installée dans la grande pièce jusqu’à ce que les
grosses poutres s’effondrent sur elle et que la demeure soit réduite en
cendres.
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Elle s’était séparée de la demeure de Masago-chô sans hésitation à la mort
de Keisaku et pourtant elle aurait pu la garder. Elle aurait alors conservé
tout ensemble la confiance que lui accordaient les dames de la bonne
société et les tâches qu’elle avait su se faire confier. Bien que la plus grande
partie des biens hérités de ses ascendants ait été dispersée pour assurer ses
élections successives et ses autres charges, Keisaku lui avait laissé une
propriété qui rapportait suffisamment pour garantir son confort sa vie
durant. Elle ne s’en était pas moins retirée immédiatement à Musota. Elle
n’avait jamais juré que par Keisaku et elle ne voulait pas lui survivre dans
le monde qu’il s’était forgé. Elle ne pouvait accepter de devenir une de ces
femmes des temps nouveaux qui prétendaient s’affirmer. Accomplir
quelque chose par elle-même au lieu de tenir son pouvoir du fait qu’elle
était l’ombre de son mari lui paraissait aller contre toutes ces vertus
féminines auxquelles elle croyait si fermement. Il lui semblait inconcevable
qu’elle pût, alors qu’elle était veuve, devenir quelqu’un d’important dans
des groupes de femmes. D’après elle une femme, même forte et intelligente,
qui n’avait pas d’homme au côté duquel se tenir, était inévitablement
condamnée.
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Dors, mon enfant, dors
Tu feras merveille
Habillons de soie rouge l’enfant qui dort
Habillons de coton rayé l’enfant qui veille.

C’est la fille d’un paysan de Musota, qu’on avait fait venir pour garder le
nouveau-né, qui chantait ainsi. Fumio lui avait interdit de porter trop
souvent Akihiko dans ses bras pour qu’il n’en prenne pas l’habitude. Aussi
la jeune fille, désœuvrée, chantait-elle pour passer le temps. Dans cette
maison qu’elle connaissait mal elle ne pouvait, malgré son envie, aider les
domestiques qui s’affairaient autour d’elle.
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Hana pensait à la situation très particulière de sa petite-fille
qui observait le Japon avec les yeux d’une étrangère découvrant sans cesse
des choses nouvelles, comme la nuance de la verdure, la couleur du fleuve,
les fleurs du pêcher ou du cerisier. Et pourtant ce n’était certainement pas
une étrangère, simplement une Japonaise déracinée.
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Hanako semblait déçue. Pour elle qui avait été élevée dans un pays
étranger, les fleurs de cerisier, symbole du Japon, que ses parents, ses
maîtres d’école et ses livres d’images avaient tant vantées, auraient dû être
plus spectaculaires. Accoutumée à la luxuriance des floraisons tropicales,
elle trouvait assez insipides ces pétales d’un blanc rosé, signal d’un
printemps commençant.
— Les cerisiers à fleurs doubles seront dans leur plein éclat après le milieu
du mois. Nous reviendrons les voir à ce moment-là, dit Hana pour consoler
sa petite-fille.
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Sawako Ariyoshi
M. Kinoshita était quelqu’un à qui l’on avait recours avant d’entreprendre
des voyages, de construire une maison ou de choisir un prénom. Il savait ce
qu’il convenait de faire et Hana s’adressait à lui quand elle avait un
problème. Elle l’avait même consulté quand Tomokazu avait contracté une
maladie bizarre. Fumio, qui avait toujours catégoriquement refusé les
anciennes coutumes, priait maintenant sa mère d’aller demander conseil à
M. Kinoshita pour décider du prénom de sa fille dont l’avenir lui paraissait
incertain.
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Keisaku ne pouvait ignorer au fond de lui-même que c’étaient la confiance
et les encouragements de Hana qui l’avaient mené là où il était. Il avait vécu
une vie sans remous, comme porté par une barque qui descend le fleuve, le
vent en poupe. Il n’avait pu le faire que grâce à sa femme, toujours à ses
côtés, qui n’avait jamais montré ses propres souffrances et l’avait protégé
par la perfection de sa présence.
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Hana, en silence, s’inclina devant sa belle-sœur pour la remercier de ses
compliments. Elle se sentait comblée car, seule, la femme qui avait réussi à
se faire aimer par sa belle-mère pouvait se vanter d’avoir conquis sa
famille. C’était un exploit dont une femme pouvait être fière.
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Yasu avait plus de quatre-vingt-onze ans et elle ne se levait plus depuis un
an. Elle radotait. Elle avait plusieurs fois exprimé son profond regret de ne
pouvoir assister au mariage de sa petite-fille à Tokyo. Puis elle avait oublié
et elle avait recommencé à dire à Hana qu’il fallait se hâter de trouver un
parti pour Fumio si on ne voulait pas que les choses tournent mal.
La noyade tragique de Missono, qui était aussi sa petite-fille, l’avait un
moment secouée. Mais trois jours plus tard, sans doute parce que Missono
n’avait jamais été très proche d’elle, cette mort lui était complètement sortie
de l’esprit. Yasu ne se plaisait qu’à évoquer les souvenirs de sa jeunesse ou
des premiers temps de son mariage. Les événements récents s’effaçaient
très rapidement de sa mémoire, mais le serpent blanc fit exception à la
règle. Elle ne semblait pas se lasser de raconter l’incident à la servante qui
s’occupait d’elle et à ses filles mariées qui se remplaçaient à son chevet.
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Plus tard, étendue sur sa couche dans la pièce du fond de la maison, Hana
fut soudain assaillie par le sentiment de vide que crée l’absence d’un être
cher. Auparavant, elle avait regretté d’avoir laissé sa fille partir pour Tokyo
et l’université et de lui avoir permis d’échapper à l’autorité de ses parents,
mais l’émotion éprouvée alors n’avait rien à voir avec celle de maintenant.
Malgré le tempérament rebelle de Fumio et les dures paroles échangées, il y
avait eu entre la mère et la fille un lien solide qui avait été définitivement
tranché par le mariage.
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La solitude d’une mère qui venait de se
séparer de sa fille partie pour appartenir à une autre famille ressemblait au
goût doux-amer de ces fruits un peu desséchés, dont la saison déjà était
passée.
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Pour loger les jeunes mariés, les Matani achetèrent une maison à Omori,
au sud de Tokyo. En plus de la maison elle-même, qui aurait été au-dessus
des moyens d’un simple employé de banque, ils s’engagèrent à fournir au
jeune ménage l’argent nécessaire à diverses dépenses courantes, y compris
le salaire des domestiques. Sur le plan financier, Eiji pouvait être considéré
comme virtuellement un gendre adopté. À l’époque, il était assez courant
que des jeunes gens d’avenir appartenant au corps diplomatique, au
ministère des Finances ou à de grandes banques fassent ce genre de
mariage. Matani Keisaku, comme Eiji, trouvait cet arrangement financier
parfaitement normal et Fumio était trop enthousiasmée par son mariage
pour se rappeler les principes qu’elle n’avait cessé de prêcher depuis des
années. Malgré tous ses discours, elle n’avait jamais eu l’expérience des
difficultés de la vie et, si elle s’était arrangée pour ne pas épouser un riche
fils de famille, elle ne voyait rien de répréhensible à ce que, une fois mariée,
elle continue à profiter de la fortune de sa propre famille.
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Avec un beau sourire, elle lui expliqua que tout s’était passé
comme elle l’avait écrit. Les deux jeunes gens parlaient beaucoup de
l’égalité des droits des hommes et des femmes et de la liberté de l’amour,
mais ils avaient été élevés dans une société où les hommes et les femmes
n’avaient pas de droits égaux, dans des écoles séparées où on leur avait
dispensé une éducation différente selon le sexe. Ils n’avaient jamais eu, ni
l’un ni l’autre, de rapports intimes avec quelqu’un de l’autre sexe. Mme
Tasaki n’avait eu aucun mal à les rapprocher. Ils étaient, selon elle, faits
l’un pour l’autre.
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— L’idée que mon mariage avec un membre de cette vieille famille de
Hikada pourrait servir les intérêts de ces deux maisons fortunées me
révulse. Si vous me forcez à accepter une entrevue, je jure que je me ferai
journaliste et que je gagnerai ma vie. Je crois justement que l’égalité des
sexes passe nécessairement par l’égalité économique – c’est une bonne
occasion de le prouver.
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Fumio comprit qu’on
attendait d’elle qu’elle y range les vêtements qu’elle venait de quitter. Les
kimonos de gaze de soie, celui de dessus comme celui de dessous, étaient
humides de transpiration, ce qui aurait dû lui imposer de les aérer toute une
nuit avant de les plier, mais elle était trop négligente et, de plus, trop
furieuse contre ces vêtements-carcans qui lui semblaient symboliquement
avoir toujours retiré aux femmes la liberté de s’épanouir et de s’exprimer,
pour songer à ce détail. Elle était en colère aussi contre elle-même qui, dès
que sa mère était là, cessait de clamer sa révolte et se conformait à ce qu’on
attendait d’elle. Elle regrettait de ne pouvoir montrer à Hana la tenue de
gymnastique révolutionnaire qu’avait mise au point depuis peu le collège
féminin d’Ochanomizu.
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Fumio, qui restait à Tokyo même pendant les vacances d’été, était
absorbée par sa participation à la rédaction d’une revue littéraire qu’elle
avait contribué à fonder avec d’autres étudiantes. Cette publication, où l’on
trouvait essentiellement des articles de critique en plus de quelques
nouvelles, défendait avec ardeur les droits des femmes : on s’y élevait
contre une société où les hommes abusaient de leur pouvoir. Fumio, dans un
style très travaillé, dénonçait avec véhémence « les femmes qui
permettaient aux hommes de les exploiter ». À partir d’exemples réels elle
s’efforçait de montrer l’apathie des femmes, le peu de conscience qu’elles
avaient de leur condition sociale.
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Fumio, face à l’image de perfection qu’offrait sa mère, se sentait gagnée
par l’irritation. Elle ne pouvait rivaliser avec elle. Hana, à quarante-quatre
ans, portait encore le même haut chignon que sa fille lui avait toujours
connu et elle était toujours aussi belle. Elle ne cherchait pas à se rajeunir.
Au contraire, elle prenait grand soin de choisir des vêtements convenant à
son âge. Son kimono à petits dessins ton sur ton était d’un gris bleu sombre
et son obi terne, et à petits dessins aussi. Son visage comme son costume
portaient témoignage de sa maturité mais, en même temps, tout en elle
exprimait une sérénité qui avait été celle de sa jeunesse comme, en toute
probabilité, elle serait, inchangée, celle des années à venir.
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Pour ne pas se laisser influencer par Hana, Kôsaku avait rompu tous les
liens avec la maison Matani dès le lendemain de son mariage. Fumio
s’apprêtait à son tour à la quitter pour pouvoir respirer librement. Ils
savaient tous les deux, au fond d’eux-mêmes, que dans le voisinage de
Hana ils auraient été incapables de ne pas se conformer à ses désirs. Fumio
qui exprimait sa révolte chez son oncle se transformait chez elle en fille
obéissante. La personnalité de Hana suffisait à imposer le respect.
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— La société qui défend les droits de la femme existe depuis plus de dix
ans, reprit Fumio. Les femmes, maintenant, ont conscience de leur position
inférieure mais ma mère, elle, reste intolérablement vieux jeu. C’est
pourquoi j’ai tellement hâte de partir pour Tokyo. Je n’ai pas une envie
terrible de militer dans le féminisme mais jamais je n’aurai, comme ma
mère, le culte des traditions.
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