« On utilise tout dans le cochon, sauf son cri » : telle est la devise capitaliste chez Brown and Company. En racontant ce qui se passe à Packingtown, ce vaste quartier de Chicago comprenant les parcs à bestiaux, les abattoirs et les logements des ouvriers, Upton Sinclair va connaître son premier grand succès littéraire. L’auteur, qui rendra fous de colère les cartels, mais que son envie de réforme porte au combat, sera même reçu par Roosevelt à la Maison-Blanche.
La Jungle s’ouvre sur le mariage d’Ona et de Jurgis : on s’amuse, on danse, on mange… Mais la fête a coûté d’importants sacrifices et la liesse cache quelque chose de douloureux et de misérable.
Dans cette scène inaugurale, antithèse de ce que sera la vie des personnages, l’auteur annonce la tragédie d’une famille lituanienne qui se débattra pour ne pas sombrer dans le malheur total. Comme dans un roman naturaliste, Upton Sinclair nous narre l’histoire de Lituaniens, qui vendent tout ce qu’ils possèdent pour partir, espérant sortir de la misère et vivre le rêve américain. Ils sont douze à prendre le bateau pour cette nouvelle terre : Jurgis, Antanas (son père), Ona (sa fiancée) Elzbieta (belle-mère d’Ona), Jonas (frère d’Elzbieta) et les six enfants de celle-ci. Ils quittent leur pays natal le cœur rempli d’un espoir qui sera long à s’éteindre. Dès leur arrivée, ils sont freinés par la barrière de la langue. Heureusement, ils trouvent sur place des compatriotes qui les aident autant qu’ils le peuvent, leur donnent de quoi dormir et manger en attendant d’obtenir du travail.
À Chicago, à la fin du XIXème siècle, l’industrie de la viande est en pleine expansion : des abattoirs à perte de vue, des conserveries, une machine à tuer des milliers de bêtes par jour ! Lorsqu’on entre dans l’usine, on croirait lire la description de ce qui se déroule de nos jours dans les élevages industriels et les abattages à la chaîne, tels qu’on en a vu récemment grâce aux vidéos de L214, avec des ouvriers qui considèrent les animaux comme de la marchandise. Chacun est assigné à sa tâche : il y a celui qui assomme, celui qui écorche, celui qui balaie les boyaux, etc. La première fois que Jurgis et sa famille pénètrent au cœur des abattoirs pour une simple visite, ce ne sont que stupeur et dégoût.
S’ensuit une description de la roue à laquelle les animaux sont pendus avant d’être saignés. Mais, comme tous les autres, les spectateurs s’habituent, ravalent leur peur, passent leur chemin. Malgré des pages très fortes et brutales sur le sort réservé aux bêtes, le roman d’Upton Sinclair n’est pas réellement engagé sur cette question. En tant qu’écrivain-journaliste, s’il dénonce ces horreurs, c’est pour mieux mettre en lumière les rudes conditions de travail des hommes, exploités par des patrons sans foi ni loi et cupides. La cruauté envers les animaux n’est qu’une métaphore de l’existence pitoyable des travailleurs. En 1906, la conscience de ce que leur fait subir l’être humain n’a pas éclos. Upton s’intéresse à la condition de l’homme, à la grosse mécanique qui le happe et le broie : qu’il patauge dans le sang ou respire les phosphates des usines à engrais, c’est son malheur qui est mis en valeur, comme le fait qu’il puisse, déjà à cette époque, manger n’importe quoi.
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