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Citations de Vanessa Bamberger (265)


J'avais des difficultés à user de ma féminité, n'ayant jamais su quel modèle adopter, tiraillée entre la coquetterie paroxystique de Douce et l'allure sévère de Granita, m'abandonnant a une androgynie confortable – cheveux courts, pull noir, jean et Dr Martens – dont je m'accommodais la plupart du temps.
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Douce avait été le grand amour de son grand-père. Est-ce qu'on me l'avait dit ? Est-ce qu'on m'avait dit que c'était ma grand-mère qu'il voulait épouser, pas Éliane ? Qu'il l'aimait ? Qu'elle l'aimait aussi mais l'avait repoussé pour ne pas faire de peine à son amie ? Que ma grand-mère s'était sacrifiée ? Qu'un soir, peu de temps après le mariage, Douce et Maurice s'étaient laissé emporter, et que de cet unique égarement était née Rose, ma mère ? Est-ce que ma grand-tante m'avait bien expliqué tout cela ?
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e n'avais jamais mentionné mes rendez-vous chez le psychologue à mes grands-mères. Toutes deux ne comprenaient pas ce besoin que les Parisiens avaient de dégobiller devant des inconnus. Là-haut, sur l'Aubrac, me garantissaient-elles, un psy n'aurait aucune chance !
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Est-ce grandir que prendre conscience qu'on s'est trompé sur ceux qu'on aime ?
J'aurais pu éprouver de la colère, après tout on m'avait menti. Au lieu de quoi une forme d'apaisement me gagnait. Je comprenais enfin la raison de mon appréhension des couteaux.
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Antoine adorait sa grande sœur, son insolence, son énergie. Annie faisait tout mieux que les garçons, jouer aux quilles, monter aux troncs des frênes, plonger dans l'eau glaciale du lac de Saint-Andéol, attraper les écrevisses à la main, courir dans la neige, construire une cabane d'épines, grimper le long des dykes, les roches magmatiques, franchir les barbelés. Il trouvait à son autre sœur des airs dolents, faussement alanguis. Douce ressemblait à ses poupées de porcelaine et de chiffon. Mais Antoine voyait bien qu'Annie n'avait qu'une seule idée en tête, impressionner sa cadette, la tirer de sa léthargie, lui montrer qu'il n'existait pas de plus beau terrain de jeu que l'Aubrac, de plus belle vie qu'ensemble. Elle avait peur que Douce la quitte pour monter à Paris. Elle se fichait complètement d'Antoine, le gastadou, le chouchou.
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Enfin, Annie s'est résignée à parler. Elle regrettait, a-t-elle concédé dans un souffle, ne pas s'y être décidée avant, mais Douce ne supportait pas l'idée que je l'apprenne de son vivant, elle en avait trop honte.
Je me suis demandée de quoi il pouvait bien s'agir, puisqu'en trente-huit ans je n'avais jamais surpris mes grands-mères à avoir honte ou peur de quoi que ce soit.
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Je n'ai pas non plus reconnu le jardin potager. Je visualisais une immense prairie fleurie, un plan d'eau argentée, une petite étable vide, or je ne retrouvais rien de tout cela, ni étable dans la maison de Bernard, ni prairie ou étang aux alentours comparables à ceux dont je croyais me rappeler. Mais je ne faisais aucune confiance à ma mémoire défaillante. Je connaissais le secret de la fabrication d'un souvenir : la première fois, on se rappelait l'événement ; la deuxième, le souvenir de l'événement ; la troisième, le souvenir du souvenir, et ainsi de suite. Il finissait par devenir la réécriture d'un passé lointain.
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Le nom Aubrac ne provenait t-il pas d'alto braquo, haut lieu en occitan ?
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Afin de ne pas lui déplaire davantage – j'avais déjà refusé de commander de la viande –, je gardais le sourire, et le silence. Je n'osais pas lui poser de question, peut-être parce que je sentais confusément qu'il ne saurait pas y répondre. Alors je restais là, coite, le visage brûlant.
Je n'avais pas compris sa décision de quitter son comptoir du Bar Bas' pour un pays dont il ne parlait jamais, un métier auquel il n'entendait rien, pourquoi il n'avait pas vendu la terre de ses parents, pourquoi il avait abandonné toutes les choses qu'il aimait et dont je faisais partie. Car il m'aimait, au moins un peu ?
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L' exode rural avait désertifié la région. La terre ne pouvait nourrir tous les enfants de paysans, alors c'était l'aîné qui reprenait, le fils, et ses frères et sœurs n'avaient pas d'autre choix que de quitter l'exploitation. Quant à ceux qui étaient restés... Les paysans souffraient en France. Je ne m'attendais pas à autre chose en Aubrac. Je m'attendais à la fin d'un monde. Je me trompais.
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Dès que la Simca s'est engagée sur l'autoroute, je me suis assoupie. Quand l'anxiété m'assaille, je me réfugie dans le sommeil. Le phénomène est courant, paraît-il. La perte de mémoire qui l'accompagne, moins. Impossible de me souvenir de pans entiers de mon enfance, en particulier mes vacances sur le plateau.
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A mon arrivée sur le plateau, je connaissais à peine la différence entre une vache allaitante et une vache laitière, le lisier et le fumier, j'étais incapable de distinguer une bête d'une autre, une étable d'une autre, et maintenant je m'apprêtais à donner des leçons d'élevage. J'étais bien la petite-fille d'Annie Rigal.
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Les vieux éleveurs, c'est une race à part, tu sais. Prêts à tuer père et mère pour vingt mètres carrés de pelouse. A bénir le bon Dieu le matin et embrasser le cul du diable le soir. Cette terre qu'il se disputent, certains ne la respectent pas. Pierrot, c'est un des pires. Il dit qu'il ne met pas d'engrais mais parfois, quand il pleut, ça mousse.
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Arrivées à Paris à la fin de l’été 1960, mes grands-mères avaient tout de suite commencé à travailler dans un bistrot d’Asnières, l’une comme serveuse et l’autre comme aide-cuisinière. Sans contrat, sans congés, sans déclaration ni jour de repos, la chambre de service au sixième étage avec WC au troisième, ma mère ballottée de droite à gauche. Le patron, un Nord-Aveyronnais originaire de Graissac, les avait à l’œil. Fais-moi ci, fais-moi ça, range les assiettes, essuie les couverts, épluche la lotte, le congre, la daurade. Fais tes preuves et après on verra. Il fallait de l’ambition et du caractère, ne rien lâcher. 
Un an plus tard, on leur avait confié un bar en gérance appointée, un remplacement rue Baudin, à Levallois-Perret. Puis elles avaient pris un café en gérance propre à quelques centaines de mètres de là, Le Demoiselle, rue Danton, près de l’usine Citroën. Elles y étaient restées quinze ans.
L’important, convenaient-elles, et c’était bien la seule chose à propos de laquelle elles ne se disputaient jamais, était de ne pas prendre de vacances.
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J’ai été élevée par mes deux grands-mères. Je faisais l’amalgame pour simplifier, mais cette formulation creusait toujours entre les sourcils de mon interlocuteur un sillon de surprise, jusqu’à ce que je rectifie: en vérité, ma grand-mère et ma grand-tante. Douce et Annie Rigal. Deux sœurs, oui. Non, pas de mère, elle est morte en accouchant. Alors les sourcils de la personne se fronçaient doucement, son regard s’assombrissait, et sur ses lèvres s’esquissait un petit sourire de compassion. 
On accédait à la morgue du centre hospitalier de Courbevoie par un escalier métallique en colimaçon qui menait au parking. Là, un employé des Pompes Funèbres Barthot m’a précédée dans ce qui ressemblait à un utérus géant. Une pièce rectangulaire sans fenêtres, les murs tendus de tissu écarlate, le sol couvert d’une moquette carmin. Une grande croix de bois clair suspendue. 
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Elle s’est penchée sur le cercueil et a embrassé sa soeur comme si elle était simplement malade. Je suis là, a-t-elle annoncé, je t’ai apporté plein de bonnes choses. Elle a couché la valise sur le flanc et l’a ouverte au beau milieu de la pièce. Elle a commencé par déballer un objet enrobé de papier de soie. C’était le cadre en argent que ma grand-mère conservait sur sa table de nuit, entre les deux lits jumeaux de sa chambre.
Sur la photographie, Douce a 42 ans. Elle vient d’emménager rue Catulle-Mendès et se tient bien droite au milieu du nouveau salon, le menton relevé et l’oeil insolent, comme à chaque fois qu’on braque sur elle un objectif. A côté d’elle, une jeune fille chétive, un peu plus petite qu’elle : Rose, ma mère, l’air d’avoir 15 ans – elle en a 18. Le nourrisson dans les bras de cette adolescente, c’est moi.
J’ai songé à l’autre cadre en argent, sur la table de nuit de Granita, dans la chambre située à l’exact opposé de celle de Douce, de l’autre côté du couloir. Une configuration inversée : les deux lits jumeaux, la petite table au centre, et Granita sur la photo à la place de Douce.
Ma mère était morte quelques jours seulement après qu’on eut pris ces photos. 
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J’ai été élevée par mes deux grands-mères. Je faisais l’amalgame pour simplifier, mais cette formulation creusait toujours entre les sourcils de mon interlocuteur un sillon de surprise, jusqu’à ce que je rectifie : en vérité, ma grand-mère et ma grand-tante. Douce et Annie Rigal. Deux soeurs, oui. Non, pas de mère, elle est morte en accouchant. Alors les sourcils de la personne se fronçaient doucement, son regard s’assombrissait, et sur ses lèvres s’esquissait un petit sourire de compassion.
On accédait à la morgue du centre hospitalier de Courbevoie par un escalier métallique en colimaçon qui menait au parking. Là, un employé des Pompes funèbres Barthot m’a précédée dans ce qui ressemblait à un utérus géant. Une pièce rectangulaire sans fenêtres, les murs tendus de tissu écarlate, le sol couvert d’une moquette carmin. Une grande croix de bois clair suspendue. Je me suis demandé quel effet cela produisait sur ceux dont ce n’était pas le symbole référent. Puis je me suis rappelé que j’allais être servie dans les jours qui venaient. Le pays d’Aubrac était, paraît-il, planté de centaines de croix. Tous les petits-enfants des cafetiers parisiens ramenaient-ils les corps de leurs grands-parents sur le plateau ?
Bref, je me disais n’importe quoi pour retarder le moment de plonger mon regard à l’intérieur du cercueil ouvert qu’on avait disposé sur des tréteaux au centre de la pièce. De toute façon, rien ne pouvait être pire que ce que j’avais vu à la maison de retraite de la Croix-Rose.
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INCIPIT
Je me suis réveillée en sursaut, le bras gauche paralysé. Paniquée, je me suis frotté vigoureusement la peau. Le sang a recommencé à circuler, et j’ai retrouvé l’usage de mon bras. Il m’a fallu quelques secondes pour me débarrasser des rets du sommeil, reprendre mes esprits. Nous étions le 30 octobre et j’enterrais Douce.
Ce jour-là, une partie de moi allait aussi disparaître, ensevelie sous cette terre noire d’Aubrac que je connaissais si mal mais à qui je donnais, à qui je rendais ma grand-mère. Les petits soupirs de la machine à café et l’odeur de moka brûlé m’ont apaisée. Il n’était que 6 heures. Je n’ai pas regardé mon téléphone, je n’ai pas voulu voir les dizaines d’appels manqués que Granita aurait inévitablement imprimés sur l’écran.
L’idée m’est venue de me faire des crêpes. Tous les soirs de sa vie, et bien qu’elle ait déjà passé la journée en cuisine, Douce jetait dans une casserole une noix de beurre et un grand verre de lait, cassait quatre oeufs dans un petit saladier en Inox pour les fouetter avec du sucre, de la farine, et une cuiller à soupe d’eau de fleur d’oranger. L’opération ne prenait pas plus de trois minutes. Ensuite, elle filait se nettoyer le visage et les yeux à l’aide de cotons imprégnés d’eau chaude – le démaquillant, c’est pour les feignasses –, enfilait une liquette de soie achetée dans les grands magasins et s’abattait sur son lit jusqu’au lendemain.
Ma grand-mère était descendue travailler depuis une bonne heure quand mon réveil sonnait. Chaque matin, trois crêpes parfumées enveloppées de papier d’argent m’attendaient sur la table en Formica bleu de la petite cuisine. Sa soeur, Annie, que tout le monde appelait Granita, dormait encore : elle était du soir.
Mais ce 30 octobre, je me suis ravisée, je n’aurais rien pu avaler.
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Quand son frère avait disparu à l'âge de 14 ans, Marion en avait 7. Elle aurait dû se rappeler son sourire, ses yeux, sa voix. Mais non, rien. Elle ne pouvait pas colmater cette lacune-là. Elle s'était contentée de ce que lui racontait sa mère, sans chercher à restaurer elle-même l'image de son frère. Ce désir ne lui était pas venu, jusqu'à l'effet étrange que le tableau avait produit sur elle . L'effet révélateur.
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Cette île de malheur lui avait pris son fils. La colonie de vacances s'était changée en piège mortel.
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