Une histoire touchante qui, outre le fait de nous émouvoir, a d'indéniables qualités culturelles, didactiques ; un livre enrichissant.
Joseph naît en 1919 à Panam : c'est un vrai Parigot depuis des générations ; il revendique fièrement son "parisianisme" ( à ne pas interpréter ce mot de manière péjorative !).
Sa mère est une plumassière, son père, Paul Vasseur, une "gueule cassée", est mort dès son retour de la Grande Guerre des suites de la grippe espagnole contractée dans les tranchées. Avant la guerre il travaillait comme mécanicien à l'usine Farcot à Saint-Ouen, aux ateliers de forge et d'ajustage.
Il vit avec Colette, sa jeune maman qu'il chérit et qui en retour apporte à "son roseau chéri" tout l'amour d'une mère aimante, ainsi qu'avec sa grand-mère paternelle... qui "s'enfonce dans le tunnel obscur de l'absence...," l'appelle Lucien, Marius ou Paul, le confond avec ses deux fils aux corps éparpillés dans les champs d'honneur, et avec le troisième, mort contaminé dans une chambre d'hôpital."
C'est dans ce milieu ouvrier, ce quartier populaire de la Bastille que Joseph s'épanouit.
Car le gosse est heureux avec ces deux femmes, ses camarades, son instituteur qui lui fait découvrir le monde merveilleux et déroutant des mots, le fait voyager en lui apprenant le nom de pays sur la mappemonde desquels il suffit de mettre un doigt pour être emporté vers d'extraordinaires découvertes.
Colette est une jeune veuve de vingt-neuf ans, pleine de vie et d'envies.
Elle aime sortir, s'amuser, danser.
Elle rencontre Augustin, de dix ans son cadet.
Joseph est jaloux de son jeune "rival" mais finit par s'en accommoder.
Tout aurait été pour le mieux dans le monde de Joseph si Augustin n'avait pas mis Colette enceinte.
Sa mère fait appel à une faiseuse d'anges et finit sa vie à l'hôpital après s'être vidée de son sang.
Joseph reste seul avec sa grand-mère.
Il conjugue école et travail aux Halles.
Il jongle avec les services sociaux et court contre le temps.
Las, la grand-mère qui a perdu la tête est enfermée à Sainte-Anne.
Joseph est emmené par les gendarmes.
L'enfance "heureuse" cède brutalement la place à l'enfer.
"Quand on lui donne d'autres habits que les siens, un tablier et des bas de laine noirs, quand on lui donne des sabots à la place de ses chaussures, il pense que c'est l'uniforme de l'école en plein air. Mais quand il voit que tous sont habillés comme lui, il comprend qu'il s'agit d'autre chose. Quand on lui fait un carnet à son nom, quand on lui dit son matricule, il comprend qu'il entre dans un monde bien plus grand qu'une école. Il sait où il est. Il ne voulait pas le comprendre mais bien sûr il le sait. C'est écrit dehors, et il l'a lu. Il est avenue Denfert-Rochereau. Il est à l'hospice des enfants assistés. C'est fait pour protéger les enfants, tous les enfants de la République, l'enquêteur en parlait parfois, c'est pour prendre soin des enfants abandonnés, et aussi des enfants trouvés, des mis au dépôt et des orphelins. Il est orphelin et devient pupille de l'Assistance publique."
Cependant Joseph qui ignore tout de cet univers fait confiance à cette République qu'on lui a appris à aimer et à servir.
Il est persuadé qu'il va pouvoir continuer à étudier, à s'instruire et à devenir un homme qui saura ne pas se montrer ingrat envers cette République qui lui aura tout donné...
C'est alors que s'ouvre le premier cercle de l'enfer. Il lui faut d'abord servir de main-d'oeuve "bon marché" dans une ferme à Abbeville avec d'autres déshérités comme lui.
Il apprend les interminables heures de travail, la fatigue, la malnutrition, l'exploitation, la "discipline", les coups... mais "pépère", le Thénardier alcoolique qu'il est contraint de ramener ivre du bistroquet certains soirs, lui fait involontairement découvrir ce qui sera sa passion : la musique.
Parce que Louise, la femme de "pépère" est jalouse de Joseph, elle envoie les gendarmes à sa recherche après que Joseph ait innocemment découché... juste pour se sentir libre au contact de la nature.
Entravé, menotté, tondu, il est enfermé à la Petite Roquette : second cercle de l'enfer.
Les sévices, les cruels, prennent corps : l'isolement, les privations, la crasse, les maladies, les passages à tabac, les viols...
Joseph à bout de solitude va néanmoins réussir lors d'une alerte incendie à retrouver un peu d'humanité auprès d'un compagnon d'infortune.
"C'est une cellule pareille à la sienne, la même odeur d'excréments et de pourriture, la même lumière artificielle. Ils restent là, à se regarder, tandis qu'autour d'eux les cris résonnent, les voix des enfants et les voix des bourreaux, ce monde sauvage auquel pour un instant ils se soustraient. Puis brutalement, leurs corps s'entrechoquent, leurs côtes sous la peau si fines se heurtent, leurs respirations se suspendent, leurs bras se sanglent, se tiennent et ne se lâchent plus. Ce pourrait être le début d'une bagarre, un corps-à-corps. Mais ils ne se battent pas. Il s'étreignent. Le garçon pose la tête dans le cou de Joseph comme s'il voulait s'y reposer. Il le tient, respire par saccades. Leurs coeurs se cognent, leurs rythmes sont désaccordés. Joseph enfonce sa tête contre le buste du garçon si grand et tout entier penché sur lui, il est protégé par ce corps osseux qui le dissimule à la prison. Il entend un cri minuscule, une longue plainte aiguë, maladroite et irrégulière. Il met du temps à comprendre que c'est lui qui crie."
Profitant de "la nuit du feu", le garçon se biche. Rattrapé, il met tout sur le dos de Joseph qu'il accuse d'être "un sale pédé"... ; Joseph est envoyé à Mettray, colonie pénitentiaire, le bagne pour gosses.
Troisième cercle de l'enfer. Les gosses y sont des loups pour les gosses. Les gaffes ont le droit de vie et de mort sur les gamins.
Ceux qui meurent victimes de sévices sont balancés, camouflés dans une fosse commune.
Le travail est un travail de forçat. Celui qui tombe risque de finir entre les mains d'un maton, un boxeur, un sadique alcoolique, un bourreau dont il est rare qu'un gosse sorte indemne ou même vivant des mauvais traitements qu'il lui inflige.
Hors du travail d'esclave, des insultes, des brimades, des humiliations, de la fatigue, de la faim, du froid, des coups, Joseph fera à Mettray trois rencontres qui bouleverseront sa vie.
La musique va lui permettre, en devenant le cornettiste de la fanfare, d'échapper à l'enfermement.
Aimé va lui faire découvrir l'Amour et toutes les portes que l'Amour permet d'ouvrir et celles qu'il permet également de refermer.
Michel, un imprésario va lui donner l'occasion de faire de sa passion une vocation devenue un art, une raison et un moyen de vivre.
Mais avant cela, il faudra que le gosse traverse bien des épreuves avant que l'homme qui est en lui consente à donner une chance et une place à ce gosse dans un monde qui fait si peu de cadeaux...
Véronique Olmi a, à travers ce roman, permis d'exhumer une tache de souffrance et de honte dissimulée dans les plis trop propres de la République.
Le sort que Marianne a réservé à ses enfants orphelins relève de la trahison, de l'exploitation, de l'esclavage, du crime.
L'histoire, dont le narratif n'est pas totalement irréprochable : la chronologie ou la manière de structurer son récit dans le temps est quelquefois un peu floue, manque parfois de rigueur, semble un peu chaotique et négligée.
Il y a de petites toutes petites invraisemblances... mais l'ensemble bénéficie de l'apport d'une plume de qualité, d'une réelle sensibilité, un attachement de l'auteure au thème abordé.
La voix du gosse à la troisième personne du singulier nous implique sans nous accabler... et c'est heureux tant le sujet est à la limite du supportable.
Il permet un recul qui nuance le propos et offre une perspective psychologique, historique et sociologique aux personnages, aux situations et à leurs ressorts.
Le tout s'inscrit dans une période qui va de 1919 jusqu'au Front Populaire. Et ce tout ne trahit pas l'Histoire mais permet, pour le meilleur, de contextualiser.
On découvrira ou redécouvrira des noms comme ceux de Jean Sablon, Joséphine Baker, Mistinguett, Maurice Chevalier, Tino Rossi, le cirque Medrano ( et l'histoire de Jérôme Medrano son fondateur... "monsieur Boum Boum"... le cirque des clowns... pour les gosses... avec le fameux tandem des Bario...)
On revivra l'arrivée du jazz et à sa tête Louis Armstrong dit "Satchmo".
Et on ne manquera pas d'être interpellé par la vague migratoire venue de l'Est et due à la montée du nazisme et du fascisme... aux premières "persécutions" des Juifs...
Le tout dans la quête identitaire d'un gosse déchiré par une absence de repères autres que l'abandon, la mort, le bagne et le poids de fautes qui ne sont pas les siennes.
En dehors de ce que je viens d'évoquer, j'ai été sensible à la manière dont Véronique Olmi parle de l'amour entre deux garçons et j'avoue, à ma grande honte que, grâce à ce livre j'ai découvert le nom d'Alexis Danan.
Dans ce roman on retrouve le quadriptyque cher, semble-t-il à l'auteure ( cf Bakita ) : l'exploitation, l'esclavagisme, la foi ( au sens large... même si la place et le rôle de l'Église sont récurrents ), la rédemption.
Un très bon livre que je recommande.
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