Vikram Seth

Liz, ce soir-là, travaille tard. John, lui se couche.

Elle passe en revue les contrats d’assurance,

Des sermons inspirés et un carnet à souches.

Mais John surgit soudain, au bord de la démence,

La mâchoire crispée et les mains tremblotantes.

« Bon Dieu Elizabeth ! Cette chose puante –

Ce monstre, ce… C’est trop ! Je vais tuer ce chat ! »

« John, allons, ne te mets pas dans tous tes états.

Que s’est-il donc passé ? L’aurais-tu taquiné ? »

« Hein ? Moi le taquiner ! Cette ordure est venue

Carrément uriner près de ma tête, et tu

Oses me dire… Arrête de le câliner.

Il est temps de castrer cet animal. Crois-moi,

Une fois raccourci, il sera moins sournois. »

les filles grandirent donc dans une atmosphère où les hommes signifiaient menace et exploitation.

Nos problèmes sont très simples, vous savez. Ils se réduisent à deux choses :manque de nourriture, manque de moralité.

1.3
John présente bien. Il met des tenues correctes.
Il s'exprime à voix basse et son esprit est sain.
Sa passion du travail est vaguement suspecte.
Un badge avec son nom est pendu à dessein
Autour de son col blanc tel un collier votif.
Il est très bien payé, ménage ses actifs,
N'oublie jamais le terme et court tous les matins,
Ne fume pas de cigarettes ni de joints,
Ou alors rarement, ne va jamais prier
Ni jamais ne s'enivre inconsidérément,
Jardine et lit, de tout, du Bede et du Mann.
(Un substitut, selon certains, à la pensée.)
Ses amis le jugent hiératique et distant.
(Son patron, toutefois, l'apprécie fortement.)

Oncle Shanti m'apprit qu'en dépit de toutes ses épreuves, elle n'avait pleuré de toute sa vie que deux fois en sa présence. La première à Berlin, quand, pour plaisanter, il l'avait traitée de scorpion; elle était partie en sanglotant se plaindre à sa mère. La seconde, quand elle avait téléphoné à Shanti pour lui dire que les Arberry lui avaient donné du Marmite au petit déjeuner. Cette abomination avait brisé sa force de caractère proverbiale.

Elle ne cessait de se répéter que le chemin de l’amour n’est jamais lisse.

- L'amour ne voit pas les couleurs. La caste n'a pas d'importance. C'est le karma qui compte.

On ne connaît jamais personne dans ce monde, reprit-il, on ne peut lire dans le cœur de personne, on ne sait jamais qui croire et à qui faire confiance.

Les uns naissent fous, d’autres se rendent fous, sur certains la folie se rue.

Le secret de la vie est d’accepter. Accepter le bonheur, accepter les soucis ; accepter le succès, accepter les échecs ; la gloire et la disgrâce ; le doute et même la certitude.

-Ce que je pense, c’est ceci, reprit Maan, du même ton posé. C’est par pur hasard que Kishor Babu est né dans une famille hindoue et vous, Maître Sahib, chez des musulmans. Je suis absolument convaincu que si l’on vous avait échangés après la naissance, ou avant la naissance, ou même avant la conception, vous Maître Sahib glorifieriez Krishanji et lui, le Prophète. Quant à moi, qui mérite si peu qu’on me glorifie, je suis peu enclin à glorifier quiconque _ encore moins à le vénérer. (…) Dieu est un grand sujet _ trop grand pour des gens comme moi. Je suis sûr qu’Il est trop grand pour se préoccuper de ce que je pense de Lui.

Elle glissa la lettre dans une enveloppe, sur laquelle elle écrivit le nom de Kabir, puis, en guise d’adresse, elle répéta son nom un peu partout. Elle colla un timbre dans le coin (« qui ne gaspille pas ne gagne pas »), et, pour finir, déchira le tout en menus morceaux. Après quoi, elle se mit à pleurer.
A défaut d’autre chose, se dit-elle, j’aurai au moins réussi à devenir une des Grandes Névrosées de ce Monde.

Kabir, mon chéri, je ne posterai pas cette lettre, ainsi tu n’auras pas à craindre que je m’attache passionnément à toi et que je dérange tous tes plans d’entrée aux Affaires étrangères, à Cambridge et tout le reste. Tu me trouvais déraisonnable et peut-être l’étais-je, mais je n’avais jamais aimé auparavant, un sentiment qui est certainement déraisonnable _ et que je ne veux plus jamais éprouver, pour toi ou qui que ce soit d’autre.

Ne faites pas attention à lui, Lata. Ce n’est qu’un écrivain, il ne connaît rien à la littérature.

Chacun de nous est seul, pensa le Nawab Sahib ; grâce au ciel, nous nous en rendons rarement compte.

La stupidité des hommes intelligents, pensa Savita avec un sourire, est pour moitié dans l’amour qu’on a pour eux.

Le sourire qu’avait fait naître ce souvenir s’effaça. Dans les deux pages que le juge Chatterji tenait ouvertes devant lui se lisait la disparition d’un empire et la naissance de deux pays à partir de l’idée _ tragique et fondée sur l’ignorance _ que les gens de religion différente ne peuvent vivre en paix les uns avec les autres.

Ainsi vont les choses aujourd'hui en Allemagne: les seules personnes responsables d'avoir causé le grand malheur qui a frappé le monde affirment à présent qu'elles ont toujours été "contre". Tous ceux qui, hier, soutenaient Hitler le plus assidûment, qui dénonçaient les gens sans scrupules et n'étaient contre Hitler que dans leurs rêves, se sont changés en types parfaitement inoffensifs. C'est à se demander où étaient les vrais nazis et d'où Hitler a tiré sa puissance, quand personne n'a jamais voté pour lui. Mais une chose est absolument certaine: si Hitler avait gagné la guerre, tous ceux qui (à les entendre) ne veulent rien avoir à faire avec lui aujourd'hui redeviendraient immédiatement les nazis convaincus et les antisémites qu'ils étaient.