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Critiques de Yachar Kemal (61)
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Mèmed le mince

En lisant Mèmed le Mince, j’avais d’abord l’impression de lire un feuilleton, comme jadis on les écrivait. On y suit les aventures de ce jeune homme, dans le sud de l’Anatolie, au début du XXe siècle. Mèmed, sa mère, tous les habitants du village de Demirgenoluk vivent sous le joug, sous l’oppression du bey Abdi Agha. Cet homme sans scrupule qui accable ses gens. Tout le monde le craint et le déteste, même sa propre famille… Un seul lui résiste, c’est le jeune Mèmed, affamé et chétif. En s’enfuyant, il se mérite la colère du bey (après tout, cet enfant a créé un terrible précédent, les paysans pourraient croire qu’ils peuvent s’en aller et délaissr leurs obligations) qui le retrouve et le ramène de force dans son village, s’acharnant sur lui pour des années et des années. Alors qu’il approche de l’âge adulte, il tombe amoureux de Hatçe, et c’est réciproque, mais la demoiselle est promise à un neveu du bey. Ils tentent de s’enfuir mais en vain. Mèmed n’a d’autre choix que de se faire maquisard et devenir le « Robin des bois » turc, la terreur des chefs de clans locaux.



Vers le milieu du roman, je me demandais bien où Yachar Kemal voulait m’amener. Mèmed fait les mille et un coup dans les montagnes mais sans s’en prendre directement au bey, Hatçe est envoyée en prison et devient amie avec la mère Iraz (on a droit à son histoire à elle aussi), Abdi Agha craint les représailles des brigands et s’allie avec un autre chef de clan de la région, Ali Safa. Ensemble, ils peuvent compter sur l’aide d’autres brigands à leur solde comme Ali le Boiteux et même certains officiels comme Recep le Sergent. On a l’impression que l’histoire part dans toutes les directions, qu’il ne s’agit que d’un mélange d’aventures pittoresques, rocambolesques et un peu exotiques. Cependant, contre toutes attentes, ces multiples intrigues finissent par converger dans une finale majestueuse et surprenante. C’est du grand art.



Ainsi, qualifier de roman-feuilleton Mèmed le Mince serait faire injustice à l’œuvre de Yachar Kemal. Oui, le roman est essentiellement basé sur les actions de son héros populaire et, au début, les autres personnages semblaient caricaturaux et leurs actions et dialogues, répétitifs. Mais il y a beaucoup plus. D’abord, ces personnages si typés, ces simples et naïfs paysans ou éleveurs, attachés à leur terre natale, se révèlent un peu plus complexes au fur et à mesure que la lecture avance. Ensuite, les descriptions précises et évocatrices des lieux n’ont pas leur pareil. L’auteur fait littéralement surgir l’Anatolie sous nos yeux. Les mont Taurus, ses rivières qui se jettent dans la Méditerranée, le maquis, les plaines arides et sèche, mais tout de même cultivées avec effort, les arbres qui portent figues et autres fruits, ses monts rocailleux où vont paître les moutons. C’est tellement enchanteur. Kemal réussit un bel exploit : utiliser une plume à la fois jolie, précise et simple, sans prétention, à notre plus grande joie. C’est effectivement très terre-à-terre car, après tout, pas besoin des grands mots compliqués pour dépeindre le mode de vie rural des habitants des hauts plateaux anatoliens.
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La légende du Mont Ararat

Au mont Ararat, une légende dit qu'à l'arrivée du printemps , les bergers viennent jouer de la flute au bord du lac de Kup jusqu'à ce qu'un oiseau blanc vienne toucher trois de son aile les eaux pures du lac. c'est l'origine de cette légende qui va nous être contée.

Ahmet vit sur les pentes du mont .Un beau cheval s’arrête sur ses terres .selon les coutumes locales , il doit l'éloigner trois fois mais si le cheval revient, il pourra le considérer comme un don du Ciel.

Or ce cheval appartient au seigneur local, un sanguinaire tyran dont une des filles est amoureuse d'Ahmet.



Un bien joli conte, très agréable à lire et qui se déroule au pied du mont Ararat dans la plaine de Beyazit (Dogubayazit aujourd'hui) à l'extrême est du pays.

Au delà du conte, c'est une plongée dans le monde rural de cette région où Arabes, Iraniens, Arméniens , Kurdes se mélangent.

Et ce conte nous livre pléthores de messages autour du pouvoir du peuple , de la diplomatie , des rapports de force, et bien sur de l'amour et de sa pureté.

Enfin , c'est un immense hommage à cette montagne si symbolique qui devrait rapprocher les peuples plutôt que de les séparer...mais c'est une autre histoire , sans doute moins belle que celle narrée ici.



Une belle lecture autour d'une très belle plume .
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Mèmed le faucon

Mèmed le Faucon est le deuxième tome de la tétralogie de Mèmed le Mince. Son personnage éponyme (qui est une sorte de Robin des bois turc), nous revient avec des aventures aux rebondissements toujours plus nombreux et spectaculaires. Après avoir tué le bey Abdi Agha, oppresseur des habitant de la plaine de l'Anavarza, Mèmed doit rester caché. Pendant ce temps, le détestable chef de clan est remplacé dans ses fonctions par son frère Hamza. Et puis un autre grand propriétaire terrien, Ali Safa, cherche à étendre sa domination en acquérant les fermes des pauvres paysans. Bien souvent par extorsion. Bref, c'est toujours le même combat qui recommence. Ces grands personnages intouchables s'allient avec Idris Bey et ses Tcherkesses, ces voleurs de chevaux, et d'autres brigands comme Ibrahim le Noir pour terroriser la population et capturer Mèmed qui menace leurs intérêts (et leur survie). Les gendarmes, menés entre autres par le capitaine Faruk, le recherchent aussi car, aux yeux de la justice, il est considéré comme un hors-la-loi. Un fléau.



Entre ces deux parties, les paysans tergiversent : si certains lui viennent en aide, l'acclament en héros, d'autres le dénoncent par craintes de représailles. C'est que les petites gens se retrouvent souvent à payer les frais des actions du brigand, les beys se défoulant sur eux. Mèmed lui-même en convient : « Voilà ce qui me coupe bras et jambes, voilà ce qui me tue. Non seulement mes efforts se sont avérés inutiles, mais ils ont aggravé la situation. Ils l'ont rendu mille fois pire. Voilà ce qui me ronge, voilà ce qui m'interdit tout sommeil. L'enfer est pavé de bonnes intentions et tout un village est devenu un enfer. À cause de moi, les paysans ont subi l'oppresiion, ils sont morts de faim à cause de moi… Des jeunes filles fraîches comme la rose ont été violées à cause de moi… Voilà ce qui me lie les mains. »



Mais bon, Mèmed doit continuer son combat et il peut toujours compter sur le vieil Osman, la mère Kamer et Süleyman, qui l'a autrefois hébergé, aussi sur Ferhat Hodja et tant d'autres. Ces habitants de Vayvay, pas trop loin de son village natal qu'il doit désormais éviter, lui sont très sympathiques et utiles dans cette chasse à l'homme qui ouvre le roman et qui perdure tout au long de la lecture. Mais toujours le jeune turc réussit à s'échapper, à éluder ses poursuivants. Même sur les plus hautes montagnes sans issues. Il devient le Faucon et il s'envole. Et plus d'une fois. Mais pas littéralement, bien sur.



On retrouve aussi certains personnages, comme Ali le Boiteux, plus nuancé. Oui, il travaille encore pour les beys, mais à contrecoeur. On découvre aussi des nouveaux-venus, comme Adem le voleur de chevaux, le Fils du Dévôt, Mistik le Noir, et la jolie Seyran… Et cette communauté hétéroclite, où les Kurdes cotoient les Turcs, avec les nomades Tcherkesses, quelques Arméniens sont mentionnés, etc. Tous se disputent à leur façon ce bout de terre. Et toujours cette évocation des paysages du sud de l'Anatolie, des hauts plateaux de l'Anavarza, des monts couverts de ronces, de bruyères et d'églantines, des petits cours d'eaux asséchés, des plaines cultivées de part et d'autre des grandes rivières remplies de limons et qui se jettent dans la mer. Et que dire de ces froides nuits, parfois sans étoiles, plongeant tout dans les ténèbres, et des hurlements des loups et des chacals, dérangés par le passage d'un ours, d'une gazelle, d'un chamois. Ce pays-là est vivant ! Dans tous les cas, l'auteur Yachar Kemal a su le faire vivre sous nos yeux.



Au final, c'est un peu un jeu de chasse, comme celui du chat et de la souris, un peu à l'image du tome précédent. Pas beaucoup d'innovation au niveau de l'intrigue. Les paysans sont toujours victimes des exactions des chefs de clans, les brigands se cachent dans les montagnes, etc. Seuls les adversaires changent. Dès que l'un d'eux meurt, il est remplacé par deux autres. C'est comme s'ils se multipliaient. Cela deviendrait-il combat sans fin ? Mèmed lui-même se le demande. « Abdi s'en est allé et Hamza est venu. » Mais bon, il ne lâche pas, il pourchasse sans relâche l'injustice, libérant le chemin menant jusqu'à sa source. Ainsi, à la fin du roman, après avoir éliminé un à un leurs accolytes, il retrouve Hamza Bey et Ali Safa Bey, isolés, apeurés.



Dans tous les cas, Mèmed le Faucon est un bon divertissement, un voyage à peu de frais vers le dépaysement et l'exotisme. Une histoire pas compliquée (si on exempt tous ces noms turcs…) et bien sympathique. À lire.
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Entretiens avec Alain Bosquet

Un volume d'entretiens relu en avril 2019,...que l'on m'a offert en 1992,

période où je lisais avec une passion totale cet écrivain turc !...

Un immense écrivain-conteur, journaliste ( aux mille petits métiers),

au parcours engagé , rempli d'épreuves, tumultueux, nous est

restitué à travers les questions détaillées, précises de son grand ami,

Alain Bosquet....



Un ouvrage précieux car il rend un double hommage et pas des moindres:

Hommage à l'Amitié entre deux écrivains, chacun aux confins d'un monde si différent ! : Alain Bosquet, franco-russe, et Yachar Kemal, "barde" oriental !!...qui nous parle de leurs univers littéraire et géographique"...spécifiques, à chacun !



Un amour de la vie et de la nature, développé à l'extrême chez Yachar Kemal, en dépit de son pays, La Turquie, où la violence est et... reste très présente ...sans omettre ses curiosités insatiables pour les coutumes, le talent des bardes , les spécificités de sa terre natale, de sa double langue (Kurde et turque...), ses engagements politiques et humanistes...,sa volonté d'un monde plus juste, plus humain où la pauvreté, l'exploitation de l'homme par l'homme seraient endigués, refreinés... dans toutes les mesures possibles !



"Mon rêve était de devenir un homme de science, de me consacrer à la recherche sur les cultures d'Orient, le folklore, l'ethnographie. Pour y parvenir, j'avais décidé de réussir mes études au lycée et à l'université, et d'apprendre une langue occidentale. Je m'y suis employé, ce qui ne m'a pas empêché d'atterrir sur les champs de coton de Cukurova, en fin de course.

A partir de ce moment, je n'eus qu'une seule idée fixe: écrire un peu mieux, chaque fois. Il n'est pas exagéré de dire que, tout ce temps-là, je n'eus de préoccupation que pour le conte, la poésie et le roman. Même mon engagement politique était lié à cette passion de la littérature. Saisir le monde, pouvoir aller plus loin dans la recherche de la réalité, parvenir à conjuguer le réel et la narration." (p. 67)



Kemal nous parle aussi des ses admirations littéraires, dont une vénération sans réserve pour Dostoïevski...Stendhal, Cervantès, Tchekhov, etc., de ses exigences permanentes quant à son métier d'écrivain, essentiel

à ses yeux... non pas par souci premier de notoriété, mais comme un idéal d'Humanité...élargie...



" Pour moi, rien ne devait faire obstacle aux efforts des hommes qui oeuvrent pour développer leurs propres valeurs, et en créer d'autres. La plus grande valeur de l'homme n'est-elle pas sa volonté créatrice ?

(...) Les cultures ne devaient pas se détruire les unes les autres: elles devraient se nourrir mutuellement" (p. 102)



Excusez ces transcriptions nombreuses d'extraits significatifs, qui permettent de donner une idée très juste de l'ampleur de cet écrivain turc...

écrivain, artiste, poète et "socialiste" convaincu, ce qui pour lui va de pair avec ses textes !



Un ouvrage très riche, "prodigue" pour tous les passionnés de Yachar Kemal, mais aussi pour tous les lecteurs curieux, intéressés par la littérature

et l'histoire turques... Une mine d'informations, d'analyses percutantes qui ouvrent, agrandissent les horizons.... culturels et humains !



"Le règne de la parole était sacré pour moi: je croyais à sa puissance. Je devais lutter sur deux fronts pour des valeurs qui m'étaient sacrées. Contre la pauvreté, atteinte fondamentale à la dignité de l'homme, d'abord: celui qui ne s'insurge pas contre elle, qui accepte l'exploitation, ne pouvait être un homme digne de ce nom. La parole, le verbe ensuite: valeurs aussi importantes que le simple fait de vivre. J'aurais tout donné pour le respect de ces deux concepts sacrés: puissance de la parole et refus de la de la pauvreté. le pain quotidien, une chambre pour m'abriter et écrire ...juste cela ! (p.76)



N.B : une autre pensée pour un autre grand écrivain ,dans mon Panthéon personnel... qui par son parcours aussi très impliqué, exigeant tant littérairement que socialement, apparaît comme un frère spirituel de Yachar Kemal..., et je songe inévitablement à Panaït Istrati !
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Le retour de Mèmed le Mince

Les héros populaires font rarement l'unanimité. Si beaucoup de petites gens adulent Mèmed le Faucon, , d'autres le craignent. C'est que, pour défendre la veuve et l'orphelin et aussi les paysans, il a dû commettre quelques actes répréhensibles. On le lui pardonne facilement mais, pour certains, il s'agit d'un monstre assoifé de sang. On raconte mille histoires sur son compte (dont plusieurs faussetés) mais, ce qui est sur, c'est qu'il a tué Abdi Agha, son frère Hamza ainsi qu'Ali Safa. Si personne ne l'arrête, il tuera probablement aussi Mahmut Agha, ce héros de la guerre d'Indépendance. Murtaza croit tous ces racontars. Il se donne pour mission de retrouver le brigand mort ou vif. D'autres font de même, mais pour des raisons différentes. C'est qu'on a emprisonné à tort Ferhat Hodja et le Fils du Dévôt, pour faire plaisir aux beys cupides et malhonnêtes. Si les officiels le savaient… Il faut donc retrouver Mèmed et s'en débarrasser avant qu'il ne puisse intervenir. Et certains capitaines de la gendarmerie ne veulent faire que leur devoir et capturer un hors-la-loi. Bref, tout le monde veut la peau du Robin des bois turc dans le retour de Mèmed, le troisième volet de cette saga.



Mèmed est pourchassé, blessé sérieusement. Convalescent, il doit se cacher pour panser ses plaies. Alors qu'il est presque absent du roman (du moins dans la première partie), l'accent est mis sur les autres. Ses ennemis. Ils suivent de mauvaises pistes, écoutent les paysans qui les trompent. Ils croient avoir tué Mèmed mais, en fait, ils ont abattu un petit bandit de moindre importance. Ils sont la risée de tous. Leur désir de vengeance croît. Pendant ce temps, des femmes jouent enfn un rôle de plus grande importance, autres que celui de paysanne acablée ou d'amoureuse transie. Dame Hürü, une vieille femme qui n'a pas peur des hommes et de leurs réactions, une sorte de mère d'adoption pour le jeune turc, fera des pieds et des mains pour venir en aide à Mèmed. Elle fera le long voyage jusqu'à l'Hospice des Quarante-Yeux où réside la petite-mère Sultane, une religieuse aux pouvoirs de guérison spectaculaires. D'ailleurs, cette dernière a plusieurs histoires et légendes intéressantes à raconter. Des histoires aussi vieilles que l'empire ottoman, que les paysans anatoliens devaient se raconter depuis des siècles et que l'auteur Yachar Kemal avait entendues dans sa jeunesse…



C'est probablement pourquoi tant de personnages semblent si typées : ils sont l'incarnation de plusieurs individus que Kemal a rencontrés. Et cette galerie de personnages est attachante. Mais bon, je les ai décrit beaucoup dans dans mes critiques des tomes précédents, je ne veux pas me répéter. Pareillement pour la nature, toujours aussi uniques. Et les animaux ne sont pas en reste non plus. Que dire de ce cheval, cet alezan qui protège Mèmed. Plus rapide que l'éclair, il évite les balles des gendarmes et des brigands. Il est intelligent, aussi. Il accule Murtaza dans un arbre (qui risquait d'être piétiné sous les sabots de l'animal) et le retient prisonnier quelques jours, donnant au jeune héros le temps de s'échapper. Je regrette seulement qu'aucun nom ne lui ait été donné.



En d'autres mots, avec le retour de Mèmed, on plonge dans un univers connu mais, en même temps, les enjeux sont toujours plus élevés. Ils atteignent une dimension épique… mystique… Et, étrangement, je trouve ce roman un peu plus réaliste que les précédents dans son traitement. La scène de la torture du pauvre petit berger, qui refusait de donner des informations sur les allées et venues de Mèmed, est assez brutale. Mais, en même temps, plus près de la vérité et peut-être nécessaire. L'auteur ne nous présente plus les aventures rocambolesques (presque innocentes) d'un petit brigand de province à qui tout réussi. Nous n'avons plus affaire à des romans qui pouvait passer pour de la littérature jeunesse, non. C'est que les aventures de Mèmed le Mince sont lues par tous, jeunes et moins jeunes, et même à l'extérieur de la Turquie.



Cette évolution paraît également chez son personnage : Mèmed s'est fait blesser, il envisage la mort et commence à la craindre. Bref, il prend de la maturité. Une fois guéri, le jeune turc ne veut plus de cette vie de brigandage, de hors-la-loi. Il ne désire qu'une chose : retrouver Seyran, se retirer avec elle au bord de la mer, dans une petite maison entourée d'orangers… Mais l'appel de la montagne et du maquisat est plus forte. Et il doit venir en aide à ses anciens amis, prisonniers ou vivant encore sous le joug. Il doit donc sortir de l'ombre une nouvelle fois. Une dernière fois, Kemal espère-t-il. Après tout, n'a-t-il pas essayé à deux reprises déjà faire disparaître son populaire personnage ? Assurément, il n'y est pas parvenu. Un quatrième tome de ses aventures a été écrit et vous pouvez être certain que je le lirai.
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Mèmed le mince

C'est un roman qui n'a pas été écrit pour être lu, mais pour être raconté à celles et ceux nombreux illettrés, le soir à la veillée sous la tente des nomades, le jour attablé devant un thé, un café ou sous un arbre après le dur travail aux champs, pour les sédentaires. Publié comme un feuilleton avant sa sortie en 1955, essaimé oralement ou par le vent depuis les monts Taurus à travers les plateaux anatoliens et les plaines de l'ancienne Cilicie ; il souffle un air de liberté à travers toute la Turquie et s'infiltre comme un bandit bien au-delà.





"Ismaîl le Grand commençait :

- Il y a cinquante ou soixante ans (maintenant cent, mais chuuut je ne devrais pas interrompre) ...

Il commençait, et ne s'arrêtait plus. Il parlait avec ferveur, comme on chante un chant d'amour :

- La plaine de Tchoukour-Ova n'était que marais et fourrés. Au pied des monts, des champs pas plus larges qu'une main ..." p.368



"C'est à cette époque, quand les bandits, dans les montagnes,s'entretuaient pour l'intérêt des aghas, et que les paysans de Tchoukour-Ova gémissaient impuissants, sur leurs terres usurpées, que Mémed le Mince avait pris le maquis." p.374





Mémed le Mince, figure de la résistance civique aussi légendaire que Robin des Bois en Angleterre ou Zorro en Californie, ici en lieu et place du sergent Garcia nous avons le sergent Assim, dépassé lui aussi par les événements ... Ah c'est qu'ils nous manquent, en un temps où la pensée unique accroît sans cesse sa dictature totalitaire sur les esprits. Ce qu'ils nous manquent ces héros capables de courageusement s'élever contre un injuste système.



Que ne l'ai-je lu à l'âge tendre, le cœur alors l'emportant ? J'en aurais rêvé, je me serais pris pour Djabbar son plus loyal compagnon et peut-être pour un temps serais-je resté sous la fabuleuse tente de Kérimoglou, l'agha des Yeuruks ? Devenir nomade, apprendre à manger proprement avec les mains et surtout découvrir l'hospitalité, hum ...





Qui pour remplacer Yachar Kemal membre de l’Académie universelle de la culture, rassemblant les écrivains les plus connus du monde entier, comme Umberto Eco, Gabriel Garcia Marquez, Ismaïl Kadaré et Élie Wiesel, multiplement proposé au Nobel de la littérature, qui donc pour lever aujourd'hui la plume en faveur des droits des Kurdes et des Arméniens ?





Lisez-le sa richesse est infinie. Il y a des caractères, des caractères et des paroles, des faiblesses et des bassesses, des remords, des actes de bravoures et de rachat, de la grandeur comme j'en ai côtoyé dans ma vie. Et, il y a le voyage dans cette Turquie proche de Chypre.

Lisez-le, pour le plaisir de raconter.
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 La légende des mille taureaux

"Binboğalar Efsanesi" (1971) ["La légende des mille Taureaux"] : oeuvre-phare et secrète du "libre conteur" d'origine kurde Yachar KEMAL (1923-2015) où poésie orale, légende vivante et tragédie du déracinement sont indissolublement mêlées.



Lyrisme paisible des toutes premières pages du roman, dites "d'exposition", habitées des seuls sons glougloutant et des humbles lumières scintillantes en certain vallon du mont Aladag. Là où bouillonnent, par centaines, les sources d'altitude sous les myriades d'étoiles silencieuses...



« Au-delà du mont Aladag, il est un vallon, tout en longueur. Un vallon entièrement couvert d'arbres. Des centaines de sources y jaillissent. Des sources fraîches, claires, au lit tapissé de gravier, bordées de bruyère ou de menthe. Ce n'est pas de l'eau qui jaillit des sources, c'est de la clarté, de la lumière qui coule des fontaines. Depuis des temps très anciens, ce vallon derrière le Mont Aladag sert de pâturage d'été aux Turkmènes, aux Yeuruks, aux nomades Aydinlis. Depuis que la Tchoukourova est devenue leur campement d'hiver, le vallon de l'Aladag est leur alpage. Impossible de faire quitter aux Yeuruks cet alpage et ces quartiers d'hiver, ils en mourraient. le Yeuruk de l'Aladag est pareil à l'herbe qui a poussé au sommet d'un rocher et qui enlace le granit, s'y agrippe de ses racines. »



Les nomades turkmènes "Yörüks" au glorieux passé mythifié, leurs tentes en poil de chameau aujourd'hui rapiécées... Leur errance désormais sans espoir...



On se souviendra aussi — très longtemps — de la Quête, enjouée puis triste, de Maître Haydar, artisan yeurük ayant "forgé l'épée des Sultans" avec tant de soin pendant près de trente années... s'égarant avec son cheval dans la ville moderne, encore nimbé de ses illusions, drapé en son "monde d'hier", ses valeurs de générosité, son sens de l'honneur... Bientôt traité comme un mendiant, un clochard, un anachronisme...



" Qu'est-ce qu'ils ont tous à me regarder comme ça, tous ces salauds-là ? ", s'étonnera-t-il...



La rencontre de deux étoiles — aux doux noms d'Hizir et Ilyas — dans la nuit printanière du début mai rythme et scinde régulièrement la magie du récit...



« Cette nuit, c'est la nuit qui unit le 5 au 6 mai. Cette nuit, Hizir va rencontrer Ilyas. A l'instant même de leur rencontre, deux étoiles viendront se heurter dans le ciel. L'une arrive toute frémissante de l'ouest, l'autre de l'est, en tourbillonnant, elles se rejoignent. Et au même instant, elles grandissent, elles se multiplient, elles s'éparpillent sur l'univers en une pluie de lumières. C'est alors que sur la terre, tout s'arrête un bref instant, tout meurt. le sang cesse de couler dans les veines. Les vents ne soufflent plus, les rivières ne coulent plus, les feuilles ne remuent plus, les ailes des oiseaux et des insectes s'immobilisent. Tout s'arrête, les sons et le sommeil. Les fleurs cessent de s'épanouir, les herbes de pousser. Toute vie, tout mouvement s'arrête. Chez tout ce qui a une âme, chez tout ce qui n'en a pas. Un bref instant, tout meurt. Eh bien, à cet instant-là, si quelqu'un voit les étoiles s'unir et leur lumière se répandre dans l'univers, s'il voit les rivières cesser brusquement de couler, le voeu qu'il exprime alors se réalise. Même s'il s'agit du voeu le plus irréalisable... Si dans la nuit qui unit le 5 au 6 mai, Hizir ne rencontrait pas Ilyas, si le monde ne cessait pas de vivre à l'instant de leur rencontre, les fleurs ne s'épanouiraient jamais plus, plus rien ne naîtrait, plus rien n'enfanterait... A l'instant de leur rencontre, tout meurt soudain sur terre, mais un instant plus tard, la vie se renouvelle, elle jaillit plus robuste, plus éclatante que jamais. »



En superposition au couple d'étoiles, la fidélité jurée des deux amoureux turkmènes, Halil et Jeren ["Djérène"], au destin tragique.



"Plus jamais hier ne reviendra..." : les nomades Yeurüks peuvent-ils seulement concevoir pareille tristesse ?



Il s'agit d'un des plus beaux livres de l'aède-conteur : il est en tout cas — et de loin — l'un de nos préférés. Oeuvre magique ? Certainement...



Dès son enfance, Yachar Kemal avait appris à jouer du saz (luth oriental) : une "école des aèdes" qui forgea sa langue, vertigineusement libre et déliée.



A mettre à l'honneur enfin ici, la superbe traduction de Münevver Andaç, traductrice attentionnée des oeuvres lyriques et enjouées de l'aède-prosateur universel...



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Poursuivons ici par cet extrait d'une somptueuse critique, signée "J. L." pour le quotidien "Le Monde" [édition du vendredi 4 mars 1983] : "YACHAR KEMAL, ECRIVAIN DE TERRITOIRE" :



" [...] Il y a donc de grands, d'immenses espaces dans les livres de Yachar Kemal. Notamment, dans l'un de ceux que je préfère, "La légende des mille Taureaux". Kemal révèle ici qu'il est un bien un écrivain de territoire, non de terroir. Dans l'errance de ces tribus turkmènes à la recherche d'un lieu où s'établir, il y a d'abord une épopée réelle, historique, mais aussi tout un symbole ; il y a toute une allégorie en cette quête sans espoir apparent d'une terre et d'un ciel à aimer. Car qu'emportent et apportent avec eux ces errants ? Un monde, des coutumes, des exigences et des poèmes sont les hommes d'aujourd'hui ne veulent plus. Ces tentes somptueuses, ces majestueux kilim qui racontent à leur façon l'histoire de l'univers à travers leurs motifs, cette alliance vitale avec l'horizon, cet enracinement en un infini nécessaire, cet univers de danse, de chevaux, ce sont là pour Kemal non des souvenirs folkloriques mais la narration d'une alliance entre l'homme et son trajet terrestre, entre sa faim et ses chemins. C'est une irremplaçable leçon de sagesse, d'exigence et de loyauté que le monde des promoteurs et des aghas ne peut même pas envisager d'appréhender. [...] "



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Et ce P.S. (un peu attristé) : étrangement, ce livre semble devenu quasi-introuvable ces dernières années chez Gallimard : les exemplaires de la fameuse "Collection blanche" ne se dénichent plus qu'en "occasions" ; par ailleurs, il serait en "attente de réimpression" dans la collection de poche "folio"... Etonnement aussi que la grandeur de cette Oeuvre ne lui ait jamais valu — à l'instar de l'univers romanesque de son compatriote stambouliote Orhan PAMUK — le Prix Nobel de Littérature...



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[*] Au sujet de cet auteur, découvrez sur l'un de nos blogs "notre" article-fleuve (très richement iconographié) en date du 8 février 2014 : "Cinéma et Littératures d'ANATOLIE". Il s'agit du 3ème article au programme du blog "Le fleuve Littérature" — Cf. lien ci-dessous :
Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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Mèmed le mince

La première fiction reconnue du célèbre aède turco-kurde Yachar Kemal (né en 1923 au village d'Hemite, près d'Osmaniye en Cilicie) est une perle du "roman d'aventure"... Parue en Turquie en 1955, c'est une aventure sans espoir — ce qu'est probablement (mais provisoirement) tout révolte face aux "Puissants" du moment...



Pour exemple, cette "scène des premières amours" de Mèmed dit "le Mince" avec sa belle, prénommée Hatché : la scène se déroule sous les rougeoiements d'un feu de brindilles allumé dans la grotte où les deux amants ont dû se refugier, trempés par la pluie. Une scène à la fois dialoguée et sensorielle qui restera — dans la longue histoire de "notre" Littérature mondiale — une merveille de pudeur et de lyrisme.



Kemal est le digne héritier des "achik" (ou "amoureux") — bardes et aèdes itinérants — de son pays : l'Anatolie... L'épopée y est au quotidien. Les gens vibrent aux exploits du proscrit, comme ils s'assemblaient naguère autour de la voix et de la lyre d'un certain Homère...



Il s'agit d'un "roman conté" inaugurant un futur quadryptique consacré à la vie précaire, la mort prématurée (inévitable) et la légende d'un "bandit d'honneur" (ce bientôt fameux "Ince Memed") dont l'ombre hantera désormais les Monts du Taurus et cette "plaine creuse" — si fertile en périls de tous ordres — qu'est la (désormais mythique) "Tchoukourova" du talentueux Yachar Kemal (en turc : "Yaşar Kemal", et de son vrai nom : "Kemal Sadık Gökçeli").



Par "La Légende des mille Taureaux" ("Binboğalar Efsanesi", 1971 ; traduit en français en 1979 sous la plume exceptionnellement lyrique de Münevver Andaç), Kemal nous confirmera son solide "tempérament" romantique...



Magnifiquement traduit en français par sa compatriote Güzin Dino dès 1975.



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P.-S. : La saga romanesque des « Mèmed » comprend :



- "Mèmed le Mince" ("İnce Memed", 1955, trad. française : 1975)

- "Mèmed le Faucon" ("İnce Memed II", 1969, trad. française : 1976)

- "Le retour de Mèmed le Mince" ("İnce Memed III", 1984, trad. française :1986)

- "Le dernier combat de Mèmed le Mince" ("İnce Memed IV", 1987, trad. française : 1989)



Ces quatre titres ont été repris en 2011 par l'éditeur Gallimard sous le titre "La saga de Mèmed le Mince" dans sa (magnifique) collection "Quarto" [ouvrage de 1.652 pages comprenant 33 illustrations, traduit du turc par Münevver Andaç et Güzin Dino, précédé d' "Entretiens avec Alain Bosquet" (extraits). La traduction de "Mèmed le Mince" a été relue par Sibel Berk].

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Tu écraseras le serpent

Souvenir brûlant comme du vif argent : celui d'avoir découvert au milieu des années 1980 - quelques mois avant cette lecture - une magnifique adaptation cinématographique de ce roman par sa compatriote Türkan Soray... lors d'une émission télévisuelle qui devait se nommer "Cinéma sans frontières"...



Choc d'un film fascinant, âpre et vertigineux.



Son "motif" ? En "Anatolie profonde", un pré-adolescent (presque encore un gamin) est poussé à tuer sa propre mère... "Pour laver l'honneur", comme on dit... "Fatum" pesant sur deux paires d'épaules : ce poids indicible du "On-Dit" et du "Tu-Dois..."



Apparaissaient aussi ces quelques mots dans le générique de fin : "D'après le roman de Yachar Kemal"...



Eh bien, qui était cet écrivain ? Il nous fallait découvrir ce romancier...



Yachar Kemal (en turc : "Yaşar Kemal", de son vrai nom "Kemal Sadık Gökçeli") : nom résonnant comme l'épée contre l'enclume, aussi fascinant qu'énigmatique .



Romancier, conteur et journaliste turc, d'origine kurde, né en 1923 dans le village de Hemite près d'Osmaniye en Cilicie (Anatolie) : sa famille ayant émigré dans la plaine dite de la "Tchoukourova" ("La plaine creuse") qui formera le cadre de bon nombre de ses premiers romans ; Istanbul étant le cadre de ses plus récents.



Il est sans doute le "père de la Littérature turque" (moderne) et un redoutable "homme de gauche" (1 année de prison en 1950 pour "activités communistes") ; voir par ailleurs la couverture turque de son premier "Mèmed", histoire d'un bandit d'honneur révolté contre l'injustice, se résolvant à dépouiller les riches pour rendre ce qui a été dérobé aux pauvres...



Ce vertigineux romancier à la langue lyrique si particulière, inimitable, est l'héritier direct du "savoir-conter" des Achik (ces bardes itinérants anatoliens)...



Il a contribué, tout comme son "collègue" Orhan Pamuk, à faire resurgir - enfin - des brumes de l'oubli nationaliste "kémaliste" puis "erdoganiste" le lourd passé génocidaire en terre turque (Massacre des Arméniens... ) : une question jusqu'alors tabou.



Yachar Kemal obtint en 1982 le Prix mondial "Cino del Duca" pour l'ensemble de son oeuvre.



Mais relisez donc attentivement, à propos de "Tu écraseras le serpent" [« Yılanı öldürseler », 1976] , la très belle critique babéliote de notre ami andreas50 : il vous dit l'essentiel sur ce drame que vont vivre page après page, le très jeune Hassan et sa jeune mère Emsé...



Vif souvenir de lecture de ces pensées funèbres d'enfant solitaire, tournoyant silencieusement comme papillons puis bourdonnant soudain comme des mouches sous le soleil meurtrier de l'Anatolie, dans les hauteurs du Taurus par-dessus la "plaine creuse" de Tchoukour-ova, chère au coeur du barde Kemal...



Ce roman fut - comme la plupart des autres romans de Y. Kemal - magistralement traduit du turc en français en 1981 par la talentueuse Münevver Andaç pour le compte des éditions Gallimard.



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+++ NOTE IMPORTANTE : ici sur Babelio, vous pouvez utilement consulter notre "LISTE Yachar KEMAL", qui est la 5ème associée ci-dessous à cet immense écrivain. Elle est intitulée " Yachar KEMAL (Kemal Sadık Gökçeli : 1923-2015) : une vie, une oeuvre - en 30 ouvrages traduits en français". Il s'agit d'un petit travail de synthèse qui vous présentera - par ordre chronologique - pratiquement l'ensemble de son oeuvre romanesque, "essayiste" et politique passionnante.
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Le dernier combat de Mèmed le mince

Le dernier combat de Mèmed le Mince, un roman écrit tardivement, sans doute à la demande populaire. Yachar Kemal devait ramener son héros, un point c'est tout, peut-être même contre sa volonté première. Du moins, c'est ce qu'il me semble car son personnage fétiche, son histoire, sa plume, tout crie la fatigue. Mèmed a quitté la montagne et sa vie de brigand, presque tout laissé derrière lui. Mais plusieurs, comme Murtaza Agha, le croient encore dangereux et continuent à le rechercher activement. D'ailleurs, une grande partie du début de ce roman passe d'un personnage à un autre. On y voit peu Mèmed mais tout le monde parle de lui tout le temps et les péripéties qui le mettent en vedette agacent Arif Saim Bey, homme riche et puissant, député dans la capitale, qui doit revenir dans sa région natale pour s'occuper de cette menace. C'est un homme d'une autre trempe que les mesquins propriétaires terriens qui terrorisaient autrefois des paysans sans défense. Il est rusé et il met tous les moyens à sa disposition pour essayer capturer Mèmed.



Pendant ce temps, les petits propriétaires continuent à abuser de leurs pouvoirs pour escroquer et humilier les paysans. Quelques uns se dressent sur leur chemin, comme Zeki Nejad l'instituteur, qui meurt assassiné. Devant le désespoir de ses anciens amis, Mèmed n'a d'autre choix que de reprendre du service. On a droit à nouveau au même refrain : « […] le peuple vénère Mémed le Mince, il l'a hissé au rang de saint, de prophète. » C'est une histoire que Yachar Kemal a racontée plusieurs fois et je commence à m'en lasser. Heureusement qu'elle s'achève car l'auteur commence à s'essoufler sérieusement et innover avec le même matériel devient difficile. Il doit même recourir à des deus ex machina pour faire sortir du pétrin son héros (comme cet épisode avec la Belle des Belles, inutile !). Seul élément nouveau et cocasse, il fait des petits, plusieurs Memèd apparaissent et se rebellent contre l'autorité avec plus ou moins de succès.



Dans mes critiques des premiers tomes de la saga de Mèmed, j'ai parlé à plusieurs reprises de l'écriture terre-à-terre de Yachar Kemal. Dans ses romans, il donne la parole aux petites gens, à ces paysans, artisans des hauts plateaux anatoliens, arides et secs, menant une vie de dur labeur. Mais c'est passer à côté de l'essentiel, en réalité il se fait le chantre de cette vie riche de mille autres façons. Surtout, il se fait le poète de cette nature, de ces admirables paysages. Cette terre n'est pas dure, elle est féconde à sa manière, généreuse. Et les descriptions qu'il en fait me donnent vraiment l'impression d'y être, me donnent l'envie d'y être. (Quoique que je ne voudrais pas devenir un de ces fermiers qui peinent, faucille à la main, et qui courbent l'échine devant les notables malhonnêtes…)



Cette nature est toujours présente, et encore plus dans cette nouvelle aventure, le dernier combat de Mèmed le Mince, et pareillement pour les animaux. Les serpents qui envahissent la montagne, l'aigle annonciateur, les chiens qui aboient partout autour, cet alezan qui file comme une flèche et porte Mèmed hors de danger. L'auteur ne présente pas qu'une suite sans fin de péripéties, il nous fait voyager, il s'arrête à des moments de la vie de tous les jours pour nous les faire vivre. « Ils s'assirent au milieu des jardins, sur la terre tiède. Et aussitôt, une coccinelle rouge, tachetée de noir, se posa sur la main de Mèmed. […] Les ailes tendues, la coccinelle s'immobilisa un instant sur la main de Mèmed, puis elle reprit son envol. Et eux l'applaudirent, en bondissant de joie. L'insecte alla se poser sur une fleur de brigadier, disparut dans la corolle. » Ce passage est tout à fait négligeable, mais je peux imaginer mon héros préféré prendre le temps de respirer cet air frais, se recueillir un moment pour admirer le paysage et jeter un regard curieux sur les animaux issus de la Création, car c'est ce mode de vie paisible et proche de la nature qu'il cherche à protéger…
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Meurtre au marché des forgerons

« Ils sont montés sur ces beaux chevaux, tous ces gens si bons, et ils s'en sont allés... »



Kemal, Yaşar Kemal, ياشار كمال , de son vrai nom Kemal Sadık Gökçeli, c'est Homère. Mais qui lit Homère, aujourd'hui ? Fort peu de monde, il est vrai. Mouais. Pas une raison...



"Meurtre au marché des forgerons" [« Demirciler çarsisi cinayeti », 1973] suivi de "Tourterelle, ma tourterelle" [« Yusufçuk Yusuf», 1975], c'est "L'Iliade" retrouvée dans la mémoire fabuleuse d'un aède, chantée par le même - rhapsode s'accompagnant de sa lyre anatolienne.

Et tout autant un diptyque proprement cinématographique, "courant de conscience" surchargé de couleurs, sensations, odeurs de marais, ruissellements de sang, crépitements de pluie...

Un peu de l'inoubliable "Columba" [1840] du bon Prosper MERIMEE.

Car la vendetta entre les Sarioglou et les Akyollou n'a pas vraiment d'âge, pas de frontières - elle a toujours été tapie dans le coeur des hommes.



" Demirciler çarşısı cinayeti " est donc le premier des deux volets que publia en 1973, dans sa Turquie encore très "Mustafa Kemalienne" le romancier kurde - écrivant dans "sa" langue turque réinventée - Yaşar KEMAL (1923-2005) né Kemal Sadık Gökçeli à Hemite, près d'Osmaniyé - Sud-Est de l'Anatolie [Anadolu].

Un roman volumineux (600 pages en édition de poche) traduit en français en 1981 par l'extraordinaire Münevver Andaç - respectant le rythme des phrases, le phrasé mélodieux et pour tout dire le lyrisme particulier à l'auteur.

Le titre du diptyque ? "Akçasazın Ağaları" ["Les Seigneurs de l'Aktchasaz"].

Mais nous voilà au seul Pays universel d'une très belle langue orale : simple et sans apprêts, âpre et puissante comme un soufflet de forge. Toujours devant reprendre son ample respiration...

Elle est la langue du Mythe : toujours originale et comme née des étoiles ou des étincelles du feu des campements. La langue des rhapsodes.

Les rhapsodes étaient ces "aèdes grecs [parcourant donc rivages et "arrière-pays" anatoliens] qui allaient de cité en cité en récitant des poèmes épiques".

Une langue que le jeune journaliste d'origine kurde - futur célèbre romancier - a su très jeune recueillir, "expérimenter" et donc pratiquer... la faisant ainsi revivre en la réhabilitant, en quelque sorte : la ré-inventant et développant pour son propre compte, la plaçant immédiatement [dès son célèbre "Ince Memed" ("Mèmed le Mince") de 1955] en figure de proue implicite de son propre univers romanesque : artisan créant ainsi sa propre langue - pour le compte de la "littérature écrite" la plus universelle.

Cette langue est le coeur palpitant de ses romans.

Le thé s'y boit "rouge comme du sang de lièvre".

Les essaims de mouche sur les cadavres lancent leurs "éclairs verts" ou palpitent de "reflets d'acier".



" Derviche Bey se répétait sans cesse la même complainte. Une complainte vieille de tant d'années, lointaine, lente. Et tentant de revivre le rêve magique qu'il avait vécu tant d'années plus tôt, il répétait sans cesse : ces braves gens, ces gens si bons...

Il pleuvait. La pluie était jaune. Sans un éclair, sans un coup de tonnerre, rien que de l'eau qui tombait sans répit, toujours avec la même intensité, ininterrompue, une pluie compacte, lumineuse, jaune. "



Force des répétitions : comme la résonance des coups de marteaux sur l'enclume d'une forge obscure.

Le monde de Derviche Bey est entièrement celui de l'enfant Yaşar Kemal. Un monde qui va disparaître... ou plutôt : monde qui DOIT disparaître. Car le monde des impitoyable vendettas entre les familles de deux "Beys" ["Seigneurs"], Derviche Sarioglou et Moustafa Akyollou, est un monde en sursis, un monde condamné, comme l'univers mental familier du forgeron Haydar de "La légende des mille Taureaux"...

C'est le "vieux monde" de Vito Andolini : "L'Ancien Monde" de "Don Vito Corleone" dans "The Godfather" de Mario PUZO [1968] - ce "Parrain" poinçonné de cinq balles dans le corps et qui doit bientôt passer la main à une génération toujours plus violente où les "valeurs" changent insidieusement, irrésistiblement ... où l'amour paternel ou fraternel n'aura même plus sa place (Le père, Vito, était un être humain accroché à sa façon à des valeurs familiales indestructibles, mais son fils cadet, "Mike" Corleone, n'est-il pas entré - en sacrifiant son propre frère "Fredo" - lui aussi dans une stricte mécanique de tueries sans affects, totalement déshumanisante ? Car, le monde de la drogue et de son trafic juteux, est apparu, s'est développé mondialement avec sa barbarie propre... Les sommes d'argent en jeu sont colossales. L'entropie propre à ce "nouveau monde" recouvre bientôt "l'ancien monde" des "bookmakers", des maisons de jeu, des tripots, de la prostitution jusqu'alors considérée comme "artisanale", de la corruption presque trop facile des policiers, juges, politiciens...

Mais qu'arrive-t-il a Derviche et Moustafa, ces deux ennemis prédéterminés ? Car le monde change autour d'eux et - contrairement à Vito - ils ne s'en aperçoivent pas. Ils sont irrémédiablement aveugles.

KEMAL sera la grande conscience écologiste (avant l'heure) de la Turquie des années 1970 et 1980...

Jetez très vite, oui, un rapide coup d'oeil à ses épopées anatoliennes telles "La légende des mille Taureaux" et "L'Herbe qui ne meurt pas"... ou aux thèmes de ses deux romans stambouliotes : "Alors les oiseaux sont partis... " puis "Et la Mer se fâcha".



" Il faut que tout change pour que rien ne change", écrira l'écrivain aristocrate Giuseppe Tomasi di LAMPEDUSA dans "Il Gattopardo" ("Le Guépard") en 1958...

Certes, mais à quel prix ?

Et nous voici - en cette année 2020 (soit seulement cinq années après la disparition du romancier-prophète "lanceur d'alerte" dont la jeune Greta THUNBERG découvrira sans doute l'Oeuvre, un jour ou l'autre... ) - au bout de "notre" labyrinthe, coincés mondialement entre Monsanto-Bayer, ces Nouveaux "Beys" ["Seigneurs"] empoisonneurs d'êtres vivants, entités sans visage commercialisant leurs charmantes molécules "cancérogènes probables & écocidaires avérées"... et notre "Etuve climatique", fruit de tous nos errements systémiques. le seul "Progrès" est celui de la destruction lente avec sa suffocation qui s'accélère partout... mais en quel foutu monde sommes-nous, ainsi, peu à peu parvenus ?



" Il pleuvait. la pluie était jaune. Sans un éclair, sans un coup de tonnerre, rien que de l'eau qui tombait sans répit, toujours avec la même intensité, ininterrompue, une pluie compacte, lumineuse, jaune. "

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[Utile, nous l'espérons, ce petit rappel bibliographique de l'Oeuvre romanesque de Yachar KEMAL - ici DANS L'ORDRE CHRONOLOGIQUE de parution à Istanbul] :



- (1°) « İnce Memed » [1955] : "Mèmed le Mince" (traduction française : Güzin Dino, 1961) - [Cycle "Mèmed"/ I]



- (2°) « Orta direk » [1960] : "Le Pilier" (traduction française : Güzin Dino, 1977) - [Cycle "Au-delà de la montagne"/ I]



- (3°) « Yer Demir Gök Bakir », [1963] : "Terre de fer, Ciel de cuivre", (traduction française : Münevver Andaç, 1977) - [Cycle "Au-delà de la montagne"/ II]



- (4°) « Ölmez otu » [1968] : "L'herbe qui ne meurt pas " (traduction française : Münevver Andaç, 1978) - [Cycle "Au-delà de la montagne"/ III]



- (5°) « İnce Memed II » [1969] : "Mèmed le Faucon" (traduction française : Münevver Andaç, 1976) - [Cycle "Mèmed"/ II]



- (6°) « Ağrıdağı Efsanesi » [1970] : "La Légende du mont Ararat" (traduction française : Münevver Andaç, 1998)



- (7°) « Binbogalar Efsanesi » [1971] : "La Légende des mille Taureaux" (traduction française : Münevver Andaç, 1979)



- (8°) « Demirciler çarsisi cinayeti » [1973] : "Meurtre au marché des forgerons" [1981] (trad. Münevver Andaç, 1981) - [Cycle : "Les Seigneurs de l'Aktchasaz"/ I]



- (9°) « Yusufçuk Yusuf » [1975] : "Tourterelle, ma tourterelle" (traduction française : Münevver Andaç, 1982) - [Cycle "Les Seigneurs de l'Aktchasaz"/ II]



- (10°) « Yılanı öldürseler » [1976] : "Tu écraseras le serpent" (traduction française : Münevver Andaç, 1982)



- (11°) « al Gözüm Seyreyle Salih » [1976] : "Salih l'émerveillé" (traduction française : Münevver Andaç, 1990)



- (12°) « Kuslar da gitti » [1978] : "Alors les oiseaux sont partis…" (traduction française : Münevver Andaç, 1984)



- (13°) « Deniz Küstü » [1978] : "Et la mer se fâcha" (traduction française : Münevver Andaç, 1985)



- (14°) « Yagmurcuk Kusu » [1980] : "Salman le solitaire" (traduction française : Münevver Andaç, 1984) - [Cycle "Salman le Solitaire" /I]



- (15°) « İnce Memed III » [1984] : "Le Retour de Mèmed le Mince" (traduction française : Münevver Andaç, 1984) - [Cycle "Mèmed"/ III]



- (16°) « Kale kapisi » [1985] : "La Grotte" (traduction française : Münevver Andaç, 1992) - [Cycle "Salman le Solitaire" /II]



- (17°) « İnce Memed IV » [1987] : "Le Dernier Combat de Mèmed le Mince" (traduction française : Münevver Andaç, 1984) [Cycle "Mèmed"/ IV]



- (18°) « Kanın Sesi » [1991] : "La Voix du sang" [ (traduction française : Münevver Andaç, 1995) - [Cycle "Salman le Solitaire" /III]



- (19°) « Fırat Suyu Kan Akiyor Baksana » [1997] : "Regarde donc l'Euphrate charrier le sang" (traduction française : Altan Gokalp, 2004) - [Cycle "Une Histoire d'île" / I]



- (20°) « Karıdncanın Su içtigi » [2002] : "La Tempête des gazelles" (traduction française : Alfred Depeyrat, 2010) - [Cycle "Une Histoire d'île" / II]

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" Je ne suis qu'un artisan moi, mon cher ami, un humble artisan de l'écriture romanesque. Je ne suis pas de ces grands hommes. Qu'ils sautent donc dans l'abîme ! Pour moi, le roman n'est qu'une affaire d'apprenti et de maître. (Rires) "



[Entretien de l'auteur avec Nedim GÜRSEL, 1988 - extrait de l'ouvrage de ce dernier, "YACHAR KEMAL - le roman d'une transition", L'Harmattan, 2001 - page 206]

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NOTES :



Retrouvez tout l'univers du romancier Yaşar KEMAL" en découvrant ci-dessous notre liste "Babelio" intitulée : "Yachar KEMAL (Kemal Sadık Gökçeli : 1923-2015) : une vie, une oeuvre - en 30 ouvrages traduits en français (présentés ici dans leur ordre chronologique) "...



Consultez également l'article-fleuve richement illustré "Littératures d'ANATOLIE", où la place de l'oeuvre d'Y.K. (hélas "passée de monde" dans le lectorat français) est valorisée : l'un des plus longs articles parmi les six constituant notre blog "Le fleuve Littérature" [lien : http://fleuvlitterature.canalblog.com/]
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Mèmed le mince

Abdi, l'agha d'un petit village niché sur un plateau des contreforts du Taurus, en Turquie, n'a d'autre politique que l'oppression et l'asservissement. Affamant ses gens, brimant ceux qui tentent de s'élever contre son pouvoir dictatorial, il choisit comme bouc émissaire le jeune Mèmed, dit le mince, qui tente par tous les moyens de résister. Apprenant qu'Abdi souhaite marier son neveu à celle qu'il aime depuis toujours, Hatché, Mèmed le Mince décide de fuir le village avec sa bien-aimée. Mais l'agha, humilié, se lance à la poursuite du couple….. A la fin, Abdi Agha est tué par Memed

Le style de Kemal allie une grande finesse et un vocabulaire très simple, très terre-à-terre, qui sent bon le terroir. Le livre s'ouvre sur une sorte de travelling qui va de la côte turque pour monter vers les plateaux, jusqu'à ce paysage désolé des champs de chardon. L'auteur connaît très bien les paysages qu'il décrit, leur apparence au cours de la journée, du mois, de l'année.La culture orale est aussi à l'honneur : chansons, allusion à certains poètes

On sent la volonté d'être fidèle au parler paysan. Les phrases des dialogues sont courtes, mais s'enchaînent comme des litanies. Ces fichus paysans sont d'ailleurs assez retords et matois, ou parfois au contraire déconcertants de simplicité, voire de naïveté.

Enfin, ce roman d'apprentissage fonctionne comme une épopée. Notre héros est paré de toutes les qualités, il est aimé des villageois (même s'ils disent le contraire pour ne pas se faire tabasser). Parfois, un ami le sauve d'une situation désespérée. Souvent, d'ailleurs, un personnage dit quelque chose et le groupe va le répéter, un peu comme un choeur antique. Il y a le souffle d'une épopée dans les scènes de combat, qui sans cela serait répétitive. On est donc dans l'archétype, celui du bandit au grand coeur, du justicier qui va se venger du tort que lui a fait un gros salaud lâche.

"Memed le mince" est à la fois un chouette roman de terroir et une épopée sur un bandit au grand coeur : laissez-vous tenter, même s‘il fait 550 pages.

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Tu écraseras le serpent

Même s'il a des qualités indéniables, j'ai été perturbé par ce roman. Mais avant d'en parler, premier élément, l'éditeur aurait pu se dispenser de tout raconter sur la 4ème de couverture ! Question de tuer le suspense, ça fonctionne à merveille.



L'intrigue est simple, et classique, dans les deux sens du terme. Nous sommes dans un village turc situé près des ruines de l'Anavarza, près d'Adana. Une très belle femme, Esmé, a été mariée de force à Halil...alors qu'elle a toujours aimé Abbas, l'amant qui vient rôder près de la maison toutes les nuits. Un jour, il tue Halil. Si les frères de la victime le tuent à son tour, cela ne suffit pas aux yeux de la mère d'Halil à le venger : Esmé étant responsable doit être châtiée. Si la fratrie d'Halil et une bonne partie du village appellent à la mort de la putain, personne n'a le courage de passer à l'acte, les hommes étant peu "courageux" et comme ensorcelés par la beauté de cette femme. La vieille voit alors en Hassan, le fils d'Halil et d'Esmé, le seul capable d'assassiner sa mère.



Hassan est écartelé entre son amour pour sa mère et le désir de venger son père, qui bientôt vient le harceler en prenant la forme d'un revenant et de toutes sortes de bêtes, notamment d'un serpent pour crier sa souffrance : seule la vengeance le délivrera de ses tourments. Hassan est fiévreux, comme fou, arpentant ces collines, fuyant, revenant, allant aux nouvelles des on-dit des villageois...et sa grand-mère quasi-muette mais maligne ourdit toujours sa vengeance...



Ce roman est oppressant, car on se demande longtemps quand Esmé sera tuée, son sort paraît scellé d'avance, par qui, comment...oppressant aussi par ce fantôme d'Halil qui revient, par la personnalité finalement peu sympathique de Hassan, "héros" bien inquiétant, instable et influençable, par la grand-mère calculatrice et obsédée par la vengeance...même Esmé ne parvient pas à nous convaincre de l'aimer, car elle a fauté, et peut-être faute-t-elle encore ?

Oppressant aussi par la survenue du fantastique, du rêve, des superstitions...



Il n'y a donc pas de personnage vraiment net et positif dans cette histoire, c'est une sorte de tragédie grecque, un drame shakespearien...avec une tension et une folie qui montent, parfois entrecoupées d'étranges moments de calme, lorsque les villageois à plusieurs reprises semblent oublier, se désintéresser de l'affaire, avant que les dernières pages nous entraînent jusqu'au paroxysme meurtrier.

Pour cela, ce court roman est une réussite, et le style est enlevé, l'écriture de bonne qualité.



Mais encore une fois, l'issue est sans doute trop prévisible et trop annoncée, dommage, ça gâche un peu le plaisir !

Je me suis aussi demandé si cette histoire pouvait traduire l'essence de l'âme turque, avec ce sens de l'honneur très développé, un esprit de vengeance...ça m'a perturbé, c'est une face un peu sombre...

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L'herbe qui ne meurt pas

Mémidik tue un homme puis porte le mort sur le dos, le cache dans un puits, mais les aigles de la Tchoukourova le trouvent... Il doit donc le sortir vite de là et repartir l'enterrer ailleurs... Sacré Sisyphe !



Aux côtés de "Tête de Pierre" - "qui vit et meurt comme un Saint" - et Ali le Longuet, soupçonné d'avoir tué sa propre mère, Mémidik est l'un des trois personnages les plus hallucinés de "L'herbe qui ne meurt pas".



Comme tout est âpre et minéral, d'une poétique sombre et familière dans le bel univers épique, drolatique et tragique de Yachar KEMAL !



Un roman au lyrisme magnifique, qu'on peut aussi goûter comme un "classique" : il obtint le "Prix du meilleur livre étranger" en 1978.



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Toujours rendre leur place glorieuse, dans la Littérature mondiale, aux trois chefs d'oeuvre de la trilogie "Au-delà de la montagne" de Yaşar Kemal dit "Yachar KEMAL", aède anatolien universel d'origine kurde, natif de Hemite en Cilicie ("autour de 1923") :

- I : Orta direk (1960) "Le pilier" (traduit du turc par Guzine Dino : 1966

- II : "Yer Demir, Gök Bakır" (1963) ("Terre de fer, ciel de cuivre"), traduit du turc par Münevver Andaç : 1978

- III : "Ölmez Otu" (1968) ("L'herbe qui ne meurt pas"), traduit du turc par Münevver Andaç : 1977

Tous disponibles en Collection "blanche" puis en collection de poche "folio" chez Gallimard. Et les traductions françaises de Mmes Guzine Dino et Münevver Andaç - fidèles au lyrisme inimitable de l'auteur - sont foncièrement merveilleuses... (*)



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[*] Au sujet de cet auteur, découvrez notre article-fleuve (richement iconographié) en date du 8 février 2014 : "Cinéma et Littératures d'ANATOLIE". Il s'agit du 3ème article au programme du blog "Le fleuve Littérature" - Cf. lien ci-dessous :
Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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Le Pilier

Les tourments de la vieille Mériémdjè, "pilier" principal de sa famille errante... Ali, son fils unique ne trouvera jamais grâce à ses yeux : dominé par elle, il doit bientôt la porter sur ses épaules parmi l'immensité brûlante de la plaine de la Choukourova.



Et l'errance, la misère à vivre au long des terribles saisons de cette plaine infinie où volent les chardons, où les champs de coton surgissent soudain à vos yeux telle une immense mer blanche...



Le premier volet de la trilogie romanesque "AU-DELA DE LA MONTAGNE" de Yachar KEMAL. Une épopée intime emplie d'empathie et de tendresse pour des personnages montrés crûment - mais sans cruauté - dans leur vérité, leur noblesse et leurs faiblesses.



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Citons les trois volets de cette pièce maîtresse de l'Oeuvre romanesque de Yaşar Kemal, francisé chez nous en "Yachar KEMAL" (aède anatolien universel d'origine kurde, natif de Hemite en Cilicie "autour de 1923") :



- I : "Orta direk" (1960) ou "Le Pilier" (traduit du turc par Guzine Dino - 1966)



- II : "Yer Demir, Gök Bakır" (1963) ou "Terre de fer, Ciel de cuivre" (traduit du turc par Münevver Andaç - 1978)



- III : "Ölmez Otu" (1968) ou "L'herbe qui ne meurt pas"), (traduit du turc par Münevver Andaç - 1977)



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[*] Au sujet de cet auteur, découvrez notre article-fleuve (richement iconographié) en date du 8 février 2014 : "Cinéma et Littératures d'ANATOLIE". Il s'agit du 3ème article au programme du blog "Le fleuve Littérature" - Cf. lien ci-dessous :
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Terre de fer, ciel de cuivre

La "Terre de fer" de l'hiver anatolien, la venue redoutée du terrible Adil Efendi, cet "Agha" ("patron") sans scrupules, vivant grassement de ses rapines - évidemment au détriment des villageois, toujours plus appauvris par lui - et la trajectoire imprévisible de l'illuminé du village - "Tête de Pierre" qui finira par subvertir tout ce prétendu "ordre" social...



Etrangeté totale de "Tête de Pierre" dont l'odyssée intérieure "sauvera" puis contaminera peu à peu la psyché et les comportements de tous les habitants du village dans "Terre de fer, Ciel de cuivre" et "L'herbe qui ne meurt pas".



Comme tout sonne "vrai" dans ce roman ! Tout se dessine et se décrit à la fois avec malice et lyrisme, avec un sens aigu de la tragi-comédie du quotidien villageois...



Omer Zülfü LIVANELI (auteur-compositeur-interprète stambouliote féru de saz, puis romancier) réalisa - avec l'aide de son ami Wim Wenders, producteur du film - en 1987 une assez belle illustration cinématographique de "Terre de Fer, Ciel de Cuivre", malheureusement toujours non disponible en France : seul le DVD turc - non sous-titré en français - reste commercialisé à ce jour ! (*)



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Bien sûr, rendre une place glorieuse dans la Littérature mondiale aux trois chefs d'oeuvre de la trilogie "Au-delà de la montagne" de Notre aède anatolien, d'origine turco-kurde, natif de Hemite en Cilicie ("autour de 1923"), Yaşar Kemal Kemal ou "Yachar KEMAL" :



- I : "Orta direk" (1960) ("Le pilier"), traduit du turc par Guzine Dino (1966)

- II : "Yer Demir, Gök Bakır" (1963) ("Terre de fer, ciel de cuivre"), traduit du turc par Münevver Andaç (1978)

- III : "Ölmez Otu" (1968) ("L'herbe qui ne meurt pas"), traduit du turc par Münevver Andaç (1977)



Tous disponibles en collection "blanche" puis collection de poche "folio" chez Gallimard. Et les traductions de Guzine Dino et Münevver Andaç sont tout simplement merveilleuses de pur lyrisme et d'âpreté !



Ces trois romans ont bercé toute "l'enfance de notre âge adulte" : on croirait y entendre chanter Homère... KEMAL restera donc cet Aède conteur d'épopées intimes : le souffle de la Nature passe sur ses pages inspirées, d'une écriture parfaite... (où l'on repense aux fameux "mots-matière" de Georges SIMENON).



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[*] Au sujet de cet auteur, découvrez notre article-fleuve (richement iconographié) en date du 8 février 2014 : "Cinéma et Littératures d'ANATOLIE". Il s'agit du 3ème article au programme du blog "Le fleuve Littérature" - Cf. lien ci-dessous :
Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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Mèmed le mince

Il y a deux semaines Yachar Kemal est décédé. Auteur parmi les plus connus de la littérature turque en France, parmi les premiers traduits, ce grand aède de la plaine de l'ancienne Cilicie, chantre des épopées de la féodalité rurale turco-kurde a désormais acquis la reconnaissance de la position qui lui appartient : non d'emblème d'une littérature ou pis d'un pays tout entier, non d'un nobélisable manqué, mais celle d'un classique.



Dans cet esprit et en modeste hommage, je me suis attelé à la lecture de ce premier roman et premier volet de la tétralogie de Mèmed-le-Mince.

Ce personnage, vu sous l'angle épique, il est difficile de le considérer autrement que comme le héros archétypal équivalent de Robin des Bois dans le milieu latifundiaire de cette région anatolienne. Son histoire, tout en laissant le lecteur haletant, ne me semble pourtant pas aussi passionnante que le style, la langue, les dialogues, les descriptions. L'usage des répétitions mériterait à lui seul une étude particulière.



A noter aussi que ce roman a été traduit en français en 1961 (parution en 1955), à une époque donc où les traduct(eurs)-trices du turc n'étaient pas de langue maternelle française mais appartenaient à cette intelligentsia turque émigrée à Paris il y a longtemps. En particulier, alors que Münevver Andaç (compagne de Nâzim Hikmet, décédée en 1998) traduira ensuite pour Gallimard la quasi totalité des romans de Kemal - et certains de Pamuk, ce premier roman a été traduit par Güzin Dino (1910-2013), illustre philologue assistante de Erich Auerbach et épouse du peintre Abidin Dino, qu'elle suivit à Paris dès 1954. Ils étaient aussi amis de l'auteur. Cette traduction par une philologue émérite, si elle possède des côtés désuets, ne cesse de nous surprendre et devrait peut-être nous inspirer ; la magie de cette langue si envoûtante lui en est sans nul doute immensément redevable.



[Critique rédigée le 15/03/2015]
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Mèmed le mince

Chant de révolte prolétarien d'un jeune homme devenu une légende dans son pays, robin des bois turc, craint des riches, adulé par les pauvres.

Dans une Turquie archaïque plus proche de notre moyen-âge que contemporaine.

Un roman dont on m'avait beaucoup parlé (premier d'une tétralogie) et qui devrait beaucoup plaire aux ados en quête d'aventures.
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Entretiens avec Alain Bosquet

Tout sur l'art de conteur de l'aède turco-kurde Yachar KEMAL -- ou comment inventer un monde qui se superposera à "notre" monde réel ! Textes d'entretiens entre Yachar Kemal et Alain Bosquet, se connaissant depuis 1957 : deux ans après l'émergence du roman légendaire "Mémed le Mince" (1955) à Istanbul...



173 pages d'échanges passionnants qui se termineront en 1989 et feront l'objet de cette première publication en "collection blanche" chez Gallimard, en 1992, traduits par Altan Gokalp.



Ah, ces belles traductions françaises du turc si agile de "notre" universel Yachar, par Guzine Dino, puis Münevver Andac ou Altan Gokalp...



N'est-ce pas là d'ailleurs la plus solide des ANTIDOTES "anti-littérature-de-grandes-surfaces" (à la David Foenkinos, of course... ) pour cette vénérable institution que reste "notre" bonne Maison-Gallimard ?



Vertiges de la "Littérature lente"... et en voilà Une qui chante toujours si juste, et depuis toujours... depuis les roselières de la Tchoukour-Ova, cette "plaine creuse" de l'Anatolie ! Yachar le barde l'a inventée...
Lien : http://www.regardsfeeriques...
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Tu écraseras le serpent

Avec ce petit roman, j’ai été plongée dans un univers bien éloigné du nôtre, mi-effrayant, mi-merveilleux. Un monde où règne la tradition de la vengeance du sang versé. C’est une histoire de manipulation, de conspiration qui va aboutir à un assassinat. Ca ressemble à une tragédie grecque.Un fils doit tuer sa mère pour délivrer l’âme de son père…



Un univers où on voit des spectres, où on dialogue avec les morts, où les hirondelles et les aigles côtoient les serpents et les fantômes, où un homme assassiné apparaît aux autres dans la peau d’un chien ou d’une sauterelle.



Et puis pour finir, il reste à parler de la construction du roman. L’auteur ne suit pas la chronologie des événements, on va et vient dans le temps, comme on erre dans les montagnes ou dans l’esprit du jeune Hassan qui ne sait plus où il en est. Pour notre plus grand plaisir !
Lien : http://krol-franca.over-blog..
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