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Critiques de Yasmina Reza (755)
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''Art''

Dans « Art », Yasmina Reza pose des questions indécentes. Indécentes car embarrassantes. Embarrassantes car touchant trop à l’intime de notre façon de fonctionner, aussi bien en amitié qu'en société.



Trois amis, Serge, Marc et Yvan, connaissent une amitié sans ombre depuis une quinzaine d’années. Jusqu’au jour où Serge achète le tableau d’un artiste contemporain renommé. Ce tableau coûte une petite fortune et est essentiellement blanc, peut-être avec de vagues nuances gris clair par-ci par-là.



Ce tableau et tout ce qu’il représente (son acquisition à prix exorbitant, sa relation au monde « branché art », son apparent monochrome dénué de sens) va semer la discorde entre les trois hommes.



Marc trouve le tableau absolument nul et ne se prive pas de le dire à Serge, qui forcément le prend mal. Marc essaie d’obtenir l’appui d’Yvan afin de convaincre le détenteur du tableau. Yvan ménage la chèvre et le chou dans une position fort inconfortable sachant qu’il est lui-même englué dans une affaire de mariage pas des plus simples à régler.



Ce tableau va donc semer les graines de la discorde entre nos trois compères (lors de la création de la pièce en 1994, le rôle de Serge était tenu par Fabrice Luchini, celui de Marc par Pierre Vaneck et celui d’Yvan par Pierre Arditi) et faire ressortir bon nombre de non-dits et même faire questionner les protagonistes sur le fondement même de leur amitié.



Quelle part d’égoïsme y a-t-il dans une relation d’amitié ? Quelle part d’accaparement ? Quelle part de manipulation ? Quelle part de vanité ? Quel rôle y joue l’étiquette sociale ? Quelle carte dans le jeu des relations amicales de l’autre jouons-nous et quelle carte dans notre propre jeu représente-t-il ? Pour quelle(s) raison(s) acquérons-nous des objets de valeur ? Quelle est la part du jugement esthétique et celle du jugement social que nous attribuons à certaines œuvres ? Qui sont les plus à même d’attribuer des significations aux œuvres abstraites ?



Autant de questions (et probablement beaucoup d’autres) que soulève cette admirable petite comédie sociale, drôle, philosophicaustique, très corrosive par endroits, ironique souvent et dont vous auriez tort de vous priver. Mais tout ceci n’est que ma vision subjective de l’Art, autant dire, pas grand-chose.
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Serge

Cela démarre pied au plancher avec deux scènes hilarantes qui s'enchaînent . Le narrateur, Jean, se retrouve à la piscine municipale, il a un maillot de bain en tissu, non réglementaire, et se voit contraint de s'en faire prêter un : il se débat avec un vert trop petit dans lequel il ne sait comment placer sa verge. Et quelques pages plus loin, il raconte la mort de sa mère dans un lit médicalisé abhorré, ses derniers mots ayant été LCI, sous le regard d'un Vladimir Poutine caressant un guépard dans un cadre du mur.



Et il faut dire que le roman est très très drôle car Yasmina Reza a l'art de saisir le ridicule qui sommeille en nous, de télescoper les univers jusqu'à un décalage souvent inattendu. le rire est féroce et joyeux. Notamment dans le formidable passage ( qui fera grincer des dents ) du voyage mémoriel à Auschwitz-Birkenau de la famille de Jean. Il fallait oser s'en prendre au totem de l'injonction au devoir de mémoire et choisir ce lieu comme celui où la fratrie va se confronter. Et pourtant, c'est d'une telle justesse de voir ces deux frères et cette soeur, sur les traces de leurs ancêtres hongrois assassinés, incapables de se montrer émotionnellement à la hauteur de la tragédie. Malgré l'empreinte de l'horreur absolue, ils sont à côté, ils ratent leur visite à Auschwitz, entre froideur et émotions feintes, entre Lara Fabian qui gueule à la radio du meilleur resto ( italien ) d' Oświęcim et touristes en tongs et perches à selfies qui se croient à Marbella. le narrateur n'y retient que sa soeur, pourtant en pleine recherche philosophique, a vieilli.



Ce n'est pas un livre sur des juifs même si la famille juive Popper en est le coeur. C'est un livre sur la famille, le lieu de toutes les folies, de tous les conflits, de toutes les impatiences, c'est là qu'on se permet tout, bien plus qu'à l'extérieur où les rapports sociétaux sont plus policées. Et là, on est servi avec les Popper ! Les dialogues sont brillants, ils crépitent, cinglants, d'une énergie folle.



Car cela peut-être une damnation d'être lié pour toujours à sa famille. Malgré le temps qui passe, on y garde son rang : Serge, l'aîné, restera toujours l'aîné sous le regard de son petit frère Jean empli de dévotion alors qu'il est profondément exaspérant. Nana, la soeur, sera toujours la princesse qui a épousé un espagnol gauchiste sans le sou. L'acuité de Yasmina Reza est d'une rare intelligence pour décrypter comment une même famille produit de grandes et petites choses qui ne vont pas être perçues de la même façon par ses membres.



C'est aussi un roman sur la mort. Après le voyage à Auschwitz, rien ne sera comme avant. Les disputes et éclats de voix continuent mais le roman se teinte de mélancolie voire de douceur. J'ai particulièrement apprécié le personnage de Lucas ( enfant introverti et étrange, ex-beau-fils de Jean ) qui apporte un autre regard sur l'autre et offre à l'effacé Jean de la profondeur et de l'âme.



Malgré quelques situations qui semblent un peu redondantes, malgré son côté de prime à bord bordélique, ce roman a une vitalité incroyable et semble rebondir dans tous les sens tout en suivant sa ligne. du grand tricotage assurément et un excellent moment de lecture.





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Serge

Les trois frères et soeur Popper ont beau avoir atteint l'âge mûr, leurs rapports n'ont guère changé depuis l'enfance. Serge, l'aîné, la soixantaine fanfaronne, fait comme s'il continuait à croire en son étoile malgré ses affaires foireuses et ses deux mariages ratés. Jean, le narrateur, effacé et jugé « sans personnalité », joue l'éternel tampon au sein de la famille. Nana, la rebelle qui a épousé un Espagnol gauchiste sans le sou, reste à cinquante ans la petite princesse chahutée par ses frères. Peu après la mort de leur mère, eux qui s'aiment autant qu'ils s'insupportent, se retrouvent réunis pour un pèlerinage à Auschwitz, sur les traces de leurs aïeux ashkénazes hongrois.





« Serge » est d'abord l'histoire d'une famille, avec ses dissensions, ses jalousies et ses conflits, mais aussi ses liens indéfectibles. le temps a passé depuis les jeux insouciants de l'enfance, les trois Popper se sont frottés à la vie, et, tandis que la génération de leurs parents s'éteint sans bruit, leur tendant le miroir de leur prochain déclin, ils commencent à décompter leurs échecs et leurs renoncements, s'observant les uns les autres avec un esprit d'autant plus critique qu'il les renvoie à leur propre image et à leurs angoisses personnelles. Yasmina Reza impressionne par l'intelligence et la parfaite justesse de son observation railleuse. Elle nous livre une satire féroce, où l'ironie corrosive laisse parfois percer quelques bouffées de tendresse, au contact de Lucas, cet enfant dont Jean semble être le seul à détecter la différence et la fragilité, ou encore de Maurice, le vieux cousin malade et impotent auquel Jean rend visite avec une affection triste.





L'incapacité des personnages à relativiser leurs petits maux et leurs querelles apparaît dans toute sa dérision, lorsqu'en visite au camp d'Auschwitz, désabusés par l'ahurissant décalage entre la réalité historique des lieux et la décontraction des hordes de touristes en tongs dont rien ne semble décourager la manie des selfies, ils se retrouvent plus émus de leurs dissensions immédiates qu'atteints par la mémoire de l'horreur la plus absolue. Le constat de l'écrivain est implacable : l'homme n'est au fond capable de ne se préoccuper vraiment que de ce qui le touche intimement, peu importe les cataclysmes passés, présents ou futurs, s'ils ne le menacent pas directement. Alors, faudra-t-il attendre la réalisation du pire pour l'un des Popper, pour qu'enfin, la fratrie se ressoude ?





Yasmina Reza signe ici un livre terriblement désenchanté sous son ironie ravageuse. D'une plume acide, elle y décape les innombrables faux-semblants dont nous habillons le vide et le ridicule de nos égocentrismes. Un roman intelligent, dérangeant, et profondément tragique sous la raillerie.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Babylone

Une soirée entre amis, une "fête de printemps" dans un petit appartement de la banlieue parisienne…



Elizabeth, la narratrice, insiste pour qu'elle et Pierre, son mari, y invitent aussi leurs voisins du dessus, la soixantaine comme eux, mais qui ont un petit quelque chose de piquant, d’intéressant qui ne manquera pas de plaire à leurs amis de toujours : la femme, Lydie, rousse pythonisse habillée en gipsy, chante dans les bars jazzy quand elle ne dit pas l’avenir à quelques paumés dans son « cabinet » de voyante. Mais c’est l'homme surtout qui retient l’attention, la sollicitude et la tendresse d’Elizabeth, chercheuse en biologie de son état : Jean-Lino Manoscrivi est la gentillesse même, il tente à toute force de se faire aimer d’un épouvantable petit tyran, le petit-fils de sa femme , Lydie, mais pas le sien, et ce manège qui n’a pas échappé à sa curiosité, attendrit Elizabeth.



La soirée se passe plutôt bien, arrosée et rieuse : Jean-Lino se taille même un petit succès en moquant gentiment sa compagne, entichée de poulets bios élevés en plein air et « perchant » librement... Mais au milieu de la nuit, c’est le drame. Jean-Lino revient et réveille ses voisins et amis : dans un coup de folie, il a étranglé Lydie.



Tout le récit de Yasmina Reza oscille entre deux pôles : la satire sociale et le polar.



Babylone est d’abord le récit comique d’une soirée bobo où les propos se télescopent joyeusement, au rythme des bouteilles qui se vident, où les portraits esquissés des convives sont autant de caricatures enlevées et savoureuses. La phrase rapide, incisive, sautant allègrement du.. poulet-à-l’âne , excelle à rendre vivante une scène de fête avec ses préparatifs angoissés, son lâcher-prise aviné, et ses rangements fatigués.



Le deuxième pôle est donc celui du thriller -les nombreuses prolepses nous font vite comprendre que Lydie va être au centre du drame qui, si j'ose risquer cette métaphore gallinacée, couve. Mais étonnamment les causes de ce coup de folie aux conséquences dramatiques sont dérisoires : une envie de faire rire, un peu d’exagération, un mime maladroit mais pas malintentionné et tout part en vrille.



Après les mots pour rire, les mots qui blessent, et enfin les gestes qui tuent.



Le minime, le dérisoire, le banal débouche brutalement sur la tragédie, mais là encore Yasmina Reza surprend : Elizabeth et Jean-Lino errent entre palier, ascenseur et cage d’escalier, en pyjama et pantoufles, avec une très voyante valise rouge, sans se décider à rien, qu’à échanger sur leur mutuelle solitude.



Étrange roman, où les dialogues, même absorbés dans le récit, sont percutants et drôles comme autant de répliques théâtrales – bon sang ne peut mentir- et où le cocasse flirte avec le profond, l’absurde avec la philosophie…A quand la pièce tirée du roman, Madame Reza?



C’est donc un roman un peu hybride, ce qui n’est pas pour me déplaire, mais m’a parfois un peu déconnectée du récit, à force de changements de ton et de douches écossaises…



Le titre est tiré des Psaumes (Exil) :. "Aux rives des fleuves de Babylone nous nous sommes assis et nous avons pleuré, nous souvenant de Sion."



Car tout le récit parle d’exil et de la souffrance d’être éloigné de ce qui nous paraît une patrie originelle : exil des vieux- encore- jeunes, éloignés, sans espoir de retour, de leur jeunesse, exil dans le malheur où vous précipite un geste inconscient mais irréparable, exil de chaque être dans sa solitude, son envie d’être aimé et reconnu qui le rend incapable d’empathie ou d’aide- ou alors si brièvement, si extraordinairement, que le retour à la réalité, au comportement rationnel et « normal », c’est-à-dire à la vie routinière, machinale et égoïste, est un nouvel- et plus cruel- exil.



J’ai souvent senti cette gravité désenchantée derrière les persiflages, les traits d’esprit ou les caricatures, mais par peur de peser, d’alourdir, d’attrister Yasmina Reza ne fait que l’effleurer, au passage.



C’est peut-être mieux ainsi, mais je l’ai parfois regretté.



Ce plongeon –là bien peu sont capables de le faire avec élégance et détermination : Jean-Paul Dubois avec La Succession l’a magistralement osé. Yasmina Reza est restée sur le bord de la piscine, elle n’a fait que se tremper les pieds.

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Serge

Yasmina Reza retranscrit une tranche de vie, une chronique familiale, au cours de laquelle les personnages se retrouvent autour d’un projet qui a un sens sur le plan historique, mais moins pour ce qui est de la religion, qui ne fait pas partie de sa pratique quotidienne. La visite du camp de la mort, à Auschwitz ressemble plus à une tentative de resserre les liens familiaux.



On assiste par ailleurs une succession de moments, souvent assez drôles avec des dialogues qui font mouche, des réparties qui s’enchaînent comme dans une pièce de théâtre.



Le point central de l’histoire, c’est donc la visite du camp polonais, qui a tout, à l’heure actuelle, d’un parc d’attraction, avec des hordes de touristes qui défilent sur le site, loin de la dignité que l’on serait en droit d’attendre pour ce haut lieu de mémoire. Loin d’un hommage et d’un geste de compassion envers les victimes, le lieu est devenu un musée avec ses reconstitutions, les photos souvenirs et le pélerinage perd ainsi perd tout son sens, ce que la famille de Serge ne manque pas de souligner.





C’est globalement assez confus, on peut aisément se perdre dans la ronde des personnages, des couples des neveux , des enfants, des amis, et il m’a fallu à chaque changement d’interlocuteur faire l’effort de le ré-attribuer sa place dans le tableau.



La qualité de l’écriture est donc le principal intérêt de ce roman qui risque fort de laisser une impression générale d’un texte drôle mais dont on ne retiendra pas une histoire construite.
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Serge

Grande déception due essentiellement au fait que ce livre a reçu de nombreux commentaires dithyrambiques de la part de « professionnels » de la critique. Les commentaires chez Babelio sont beaucoup plus partagés, pour ne pas dire assez négatifs.



Avec « Serge » Yasmina Reza signe un roman en forme de chronique familiale aigre-douce dans lequel elle scrute avec humour et mélancolie les relations de famille et interroge la question de la mémoire. Elle met en scène trois frères et sœurs, la soixantaine aujourd'hui, d'ascendance juive mais qui ne sont pas pratiquants, et qui sont très liés mais se déchirent, passent leur temps à se disputer et à se réconcilier. Serge est l'aîné, le héros, puisqu'il donne son nom au roman, égoïste, colérique, insupportable, crâneur, pénible, mais qu'on n'arrive pourtant pas à détester, il essuyait les colères du père à la maison, avant d'infliger les siennes aux autres ; Jean, le deuxième fils, qui reste un peu dans l'ombre de son frère, est le narrateur ; Anna, la dernière de la fratrie, est la seule fille et a parfois tendance à perdre contact avec la réalité. Les "enfants Popper" sont unis par un sentiment d'échec inavoué, et les souvenirs d'une vie familiale animée. Une famille banale avec ses tensions, ses mensonges, ses échecs mais qui demeure solidaire malgré tout. L'enfance ne disparait jamais complètement de ces trois personnages qui partent ensemble en pèlerinage à Auschwitz après le décès de leur mère.



Le roman fourmille de dialogues cinglants, d'insultes pour des peccadilles, de petites rancunes, de situations saugrenues et de scènes voulues cocasses, toutefois, celles-ci n'ont entrainé chez moi que de rares sourires. Les dialogues sont parfois intéressants, avec des répliques piquantes qui révèlent la psychologie perturbée des personnages qui s'aiment et s'insupportent à la fois.



Il fallait oser décrire la visite d'Auschwitz comme une visite en famille dans un parc d'attraction où des touristes font des selfies dans un lieu hanté par le destin tragique de millions de morts, mais Yasmina Reza montre un talent certain dans l'opposition entre le tragique et le comique.



« Serge » nous interroge sur le temps qui passe et sur la mémoire, pourtant en dépit du sujet dramatique et ancré dans l'histoire, à aucun moment le roman n'a réussi à m'émouvoir. Dommage !

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Le dieu du carnage

Je ne sais lequel, de ces quatre parents, est le plus détestable... Ferdinand, 11 ans, a donné un coup de bâton à son copain Bruno, lui brisant deux incisives. Civilisés, les parents de Bruno, Véronique et Michel, invitent Annette et Alain à rédiger un constat à l'amiable. Ceux-ci reconnaissent sans difficultés la culpabilité de Ferdinand, et acceptent qu'il vienne s'excuser auprès du pauvre Bruno.

Si Alain, pendant la discussion, ne cessait pas de décrocher son téléphone pour des affaires de médicaments pas fiables - il est avocat pour une entreprise pharmaceutique - sans doute n'aurait-il pas fini par agacer tout le monde et la discussion en serait restée là. Mais Véronique, en bonne samaritaine, cumule les commentaires acides sur le respect et la bonne éducation, et Annette commence à voir rouge...

Après tout, c'est Bruno qui a commencé en traitant Ferdinand de "balance", la violence verbale ne compte-t-elle pas? Et que penser de Michel, qui a jeté le hamster de sa fille dans la rue, la veille? N'est-ce pas cruel?

Les attaques fusent, et nos chers quatre civilisés, peu à peu, se révèlent dans leurs bassesses.



J'avais adoré l'adaptation de Polanski, Carnage, et surtout le jeu de Kate Winslet et Jodie Foster. Quant à la picèe de théâtre, que j'ai seulement lue, je regrette juste qu'elle tourne ainsi à la farce à la fin et que les personnages , finalement, soient si stéréotypés. Mais il s'agit quand même d'une bonne lecture acide-amère sur notre société.
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Serge

Yasmina Reza nous raconte les relations de deux frères, Jean et Serge, et une sœur Anne dite Nana. Le narrateur est Jean. ● Certains ouvrages de Yasmina Reza me plaisent beaucoup (Heureux les heureux, Anne-Marie la Beauté par exemple), d’autres beaucoup moins. Malheureusement, Serge est à classer dans la seconde catégorie. Même s’il s’y trouve des pépites et si les dialogues sont très réussis, comme souvent chez cette auteure avant tout dramaturge, ce récit m’a paru passablement confus ; on a du mal à se retrouver dans tous les personnages et Yasmina Reza ne fait pas grand-chose pour faciliter la tâche du lecteur. Il n’y a pas vraiment d’intrigue mais une succession un peu flottante d’événements. ● Dans le passage à Auschwitz, morceau de bravoure selon les critiques, l’humour est beaucoup trop grinçant pour moi. ● Enfin, il est bien regrettable que soit l’auteure soit son éditeur n’ait pas eu la générosité de concéder un extrait Kindle gratuit des premières pages comme cela se fait maintenant pour tous les livres.
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Babylone

Bien qu’un meurtre soit commis chez les voisins, ne vous y trompez pas, ce roman est aux antipodes du polar.

On retrouve dans Babylone les thèmes de prédilection de Yasmina Reza, à savoir l’approche sociologique des bobos, de leurs couples et leurs problèmes existentiels. Par le biais de dialogues qui font mouche, elle nous livre un récit drôle et mordant.

Élisabeth, la narratrice nous raconte des fragments de sa vie, des anecdotes de son enfance. Elle revient sur la mort de sa mère et tous les souvenirs de son enfance qui remontent, comme ce casse-noix fabriqué par ses soins et retrouvé alors qu’elle vide l’appartement maternel. Elle campe avec une pointe d’ironie les gens qui forment son entourage, famille, voisins, collègues., tous ces gens qui se retrouvent chez elle pour une fête de printemps, prétexte à un cocktail de bobos satisfaits et prétentieux. Parmi eux, les voisins du dessus, Jean-Lino et Lydie. Jean-Lino, qui a peur de prendre l’ascenseur, a une tendresse béate pour son chat Eduardo auquel il ne s’adresse qu’en italien. Thérapeute new âge et chanteuse occasionnelle, Lydie porte des tenues excentriques et colorées et ne jure que par le poulet bio et qui peut s’ébattre librement avant d’être mangé. Bien que défenseuse des droits des animaux, elle déteste le chat Eduardo qui le lui rend bien. Lorsque Jean-Lino, pour faire rire la galerie, raconte le jour où, au restaurant, sa femme a demandé au serveur « si le poulet s’était promené dans la basse-cour, s’il avait voleté, et s’était perché dans les arbres », Lydie n’a plus ouvert la bouche de la soirée. Cette mauvaise plaisanterie va les mener au drame.

Tout va s’enchainer de façon drolatique et tragique et Élisabeth va se trouver mêlée au drame.

L’histoire est prétexte à parler de nos problèmes existentiels, de nos frustrations, nos petites lâchetés. Malgré les personnages nombreux qui traversent ce roman, on croise la solitude profonde de leurs vies et la quête éperdue de l’amour.

Le titre vient d’une remarque de Jean-Lino lorsqu’il évoque le livre des Psaumes et le passage sur l'exil des juifs vers Babylone. Ce récit fait écho à nos propres vies faites d’exclusion, de solitude et de confrontation à la mort, celle des autres et la nôtre. Et puis survient l’irrémédiable sans que nous en soyons avertis, et ce peut être déstabilisant.

Un roman plus profond qu’il n’en a l’air et qui cache, derrière sa comédie de mœurs, une fine analyse psychologique.

J’ai toujours plaisir à retrouver l'écriture de Yasmina Reza à travers ses romans et ses pièces de théâtre.

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''Art''

Un petit entracte théâtral hier soir... par goût et en pensant tristement à toutes ces salles fermées pour cause de seconde réplique virale.

Mon choix s'est porté sur l'oeuvre dramatique contemporaine la plus jouée dans le monde ( dixit Le Monde), deux fois "moliérisée" en 1995, traduite en trente-cinq langues, et j'en passe tant son palmarès croule sous le poids des prix et des honneurs : - ART - de Yasmina Reza.

Entre théâtre populaire et approche plus "intellectuelle" ( seul qualificatif trouvé...), cette pièce conjugue et concilie ces deux "vertus" apparemment antipodiques à travers l'éternel "triangle amoureux", transformé par l'époque en "triangle amical" (ce qui change peu de choses), substituant les claquements de portes, les amants dans les placards, à des codes plus modernes, moins kitsch.

Serge, dermatologue aisé, mais pas riche, fait l'acquisition ruineuse, d'une toile contemporaine, monochrome, qui ne figure, selon son ami Marc, ingénieur dans l'aéronautique... que de "la merde".

Les deux amis, que lie une amitié de quinze ans, vont se déchirer à propos de cette "croûte", vont en venir aux mains... en dépit de leur ami Yvan, représentant en papèterie, intermédiaire pâlot d'un "en même temps" aussi contreproductif que celui auquel vous ne pouvez pas ne pas penser.

Si au lieu de triangle amoureux j'ai parlé de triangle amical, c'est par adaptation aux temps modernes, étant entendu que le tandem Marc-Serge est un couple, au sens théâtral du mot, Marc se sentant trahi et abandonné par un Serge qui, à son insu, s'est amouraché d'une toile, qu'il sacralise, alors que Marc la méprise et la jalouse... objet donc d'un désir irrépressible d'un côté et de trahison ou d'infidélité de l'autre.

Yvan, pour sa part fait office de balancier, d'adjuvant, de valet de comédie et sert en cela les codes et les ressorts du genre.

Cet achat, cette dérobade, cette transgression va être à l'origine d'un exutoire, d'une remise en question de l'amitié, de la vie et des rapports de ces trois amis, entraînant dans son sillage moult questions psychologiques, sociales, culturelles... avec une fin ouverte, c'est-à-dire qu'aux questions soulevées, chaque spectateur ou lecteur a sa grille de lecture et les réponses qui vont avec.

Je n'ai pas vu la pièce, mais à la lire, il m'a été très facile d'imaginer un décor presque nu... hormis la présence de la toile. Les dialogues et la technique employée par Yasmina Reza ( apartés, tirades, monologues, répliques rythmées, répétitions...) sont maîtrisées, font mouche, donnent à réfléchir tout en divertissant.

Un bon moment... en somme !
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Babylone

Après avoir tué sa compagne lors d'une scène de ménage partie en vrille, un brave homme un peu paumé et une voisine compatissante – en l'occurrence la narratrice, une femme en plein blues de la soixantaine – échafaudent des tribulations de pieds nickelés pour dissimuler le meurtre.



Voilà une présentation sommaire, personnelle et – à mon sens – attractive de Babylone, le dernier roman de Yasmina Reza.



Car j'ai trouvé ennuyeuse et sinistre la trop longue première partie du récit – avant qu'il ait tué sa compagne ! –, cette partie dont, dans les cénacles, on semble vouloir parler le plus. Une fête tristounette, entre petits bourgeois vieillissants, étriqués et désenchantés. Des personnages qui seraient exilés de leurs rêves, à l'instar des Hébreux à Babylone ! Pas très convaincant... Lecture interminable, pas drôle, parfois glauque, dans laquelle je n'ai pas trouvé d'intérêt... bien qu'étant de la même génération. Je n'ai même pas prêté attention aux signes avant-coureurs du drame, très discrètement et finement instillés par l'auteure.



J'ai un moment hésité à continuer ma lecture... Et oui ! On n'est pas au théâtre, où l'on est astreint à rester patiemment assis quand la pièce est un peu longue à démarrer. Un livre que l'on trouve ennuyeux, quand il reste deux cents pages à absorber, il peut s'envisager de le refermer.



L'avouerai-je ? C'est dans les critiques de lecteurs que j'ai cherché un encouragement ... Et je l'ai trouvé ! Babylone est un polar, ai-je lu... En effet, à peine quelques pages après avoir repris ma lecture, coup de théâtre ! Mort violente, victime, meurtrier, police, enquête...



Babylone est-il un polar ? C'est plutôt ce qu'on appelle un roman noir, cette forme de littérature populaire, où un fait divers tragique se produit dans un univers de misère et de souffrance qui peut faire disjoncter des individus fragiles.



C'est bien ce qui arrive à Jean-Lino, un pauvre type en mal d'affection et de reconnaissance depuis son enfance. Il n'en a jamais trouvé, ni auprès de sa compagne, ni auprès de son petit-fils, un gamin de cinq ans, ni auprès de son chat. Car l'affection et la reconnaissance, le meilleur moyen de ne jamais en trouver, c'est de trop montrer qu'on en demande.



Et Elisabeth, la narratrice ! En quête d'émotions fortes, à l'automne d'une vie dont elle ne peut dire si elle a été heureuse ou pas ? Comment a-t-elle pu ainsi se fourvoyer auprès de l'inénarrable Jean-Lino, au risque de se perdre. Probablement d'ailleurs que dans un roman noir à l'américaine, l'auteur l'aurait laissé se perdre. En ce sens, la troisième et dernière partie du livre – face à la police et à la justice –, plutôt amusante à lire, m'a laissé sur ma faim sur la fin...



La meilleure partie du roman est la deuxième. Elle se déroule dans la chambre de la victime, puis dans le hall d'entrée de l'immeuble. Les scènes et les dialogues sont très cocasses. Au théâtre, ce serait certainement irrésistible de drôlerie.



Yasmina Reza a le sens de la dramaturgie de scène. le succès de ses pièces en témoigne. Je suis certain qu'au théâtre, la fête de la première partie, avec ses blagues à deux balles, ses ragots de pipelette et ses commentaires à la Deschiens, serait plus vivante, plus plaisante, plus distrayante, que dans les trop nombreuses pages qui lui sont consacrées dans le roman. Et le debriefing de fin de soirée entre mari et femme, après le départ des invités, n'est rien d'autre qu'une pure scène de théâtre.



Je ne suis pas dans la tête des jurés du Renaudot et je ne connais pas leurs critères. Je ne conteste pas le talent narratif et le style de Yasmina Reza. Babylone est un ouvrage de fiction finement construit. Mais il lui manque le petit je-ne-sais-quoi qui rend passionnant certains romans.



(A Michfred)


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Serge

Le dieu du carnage poursuit son petit bonhomme de chemin dans la production littéraire de Yasmina Reza. On a pu comparer la famille Popper (dont l'auteur fait de l'aîné, Serge, râleur et rarement content, celui autour duquel tourne la fratrie) à une nouvelle famille Fenouillard, à la mode ashkénaze importée de Hongrie. Les engueulades y sont légions, les psychoses s'étalent sans complexe. Reza nous offre mine de rien une peinture acide de notre époque, parsemée de dialogues souvent drôles, percutants et grinçants (on sent la maîtrise de l'écriture pour le théâtre).

Une adaptation au cinéma ? On aurait bien vu feu Jean-Pierre Bacri dans le rôle titre. A supposer que le morceau d'anthologie du livre, une ébouriffante escapade touristique à Auschwitz, soit transposable sur grand écran sans recueillir les cris d'orfraie des belles âmes de nos chers réseaux sociaux. Au total, un moment de lecture fort recommandable.
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Babylone

Ce Babylone de Yasmina Reza me laisse dubitatif. J'ai du mal à comprendre la récompense littéraire obtenue pour ce roman. Il est vide avant le meurtre. La vie de ce couple bourgeois, de ses voisins, de leur amis occupe plus du tiers du livre. Du banal, de l'ennui, la vie qui passe, plutôt bien écrit, mais très plat quand même... Après, un embryon d'intérêt pour la valise rouge, puis une fin qui ramène vers la déception...Bon, je suis peut-être passé à côté des intentions de l'auteur...
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''Art''

J'ai presque envie de débuter ma critique par "C'est une merde", pour reprendre les propos d'un des personnages de la pièce. Certes, c'est un début un peu vulgaire, mais certainement pas plus que cette pièce qu'on nous vend depuis 1994 comme un chef-d’œuvre et qui, non seulement se révèle un piètre texte, mais également un plagiat éhonté du théâtre de Nathalie Sarraute. Que la plupart des lecteurs ne s'en soient pas rendus compte, c'est bien normal, on passe tous les jours à côté de telle ou telle référence dans telle ou telle œuvre d'art. Que les critiques littéraires et spécialisés en théâtre ne l'aient jamais, à ma connaissance, mentionné, voilà qui fait en revanche un peu problème.





Art, c'est un argument très simple : Serge a acheté un tableau très cher avec des lisérés blancs sur fond blanc (déjà, vous remarquerez la référence à Malevitch et consorts d'une grande subtilité), Marc n’hésite pas à se montrer odieux avec Serge en lui riant au nez et en traitant le tableau de "merde", et Yvan, qui se débat dans des problèmes matrimoniaux, familiaux, professionnels, se retrouve à son corps défendant jeté dans le débat qui dégénère. On va commencer par le plus clair : c'est bourré de clichés. Clichés sur l'art contemporain, sur le marché de l'art, sur ceux qui aiment ou font semblant d'aimer l'art contemporain (Reza ne fait pas la différence allez hop, tout le monde dans le même sac, de toute façon c'est tous des cons), sur ceux qui ne font pas partie de la bourgeoisie et qui ont mauvais goût en matière d'art (comme ça Reza joue sur tous les tableaux, c'est le cas de le dire), sur la bourgeoisie qui se soigne forcément à l'homéopathie, sur les personnes qui ne supportent pas qu'on leur fume dans la tronche, sur la psychanalyse, le pompon revenant au sujet du psychanalyste d'Yvan, qui porte un nom... juif. Ben voyons. Ça fait déjà beaucoup. Et c'est d'une démagogie assez répugnante, alors qu'un Feydeau aurait fait d'un tel sujet une satire sociale à se tordre de rire.





Comme tout ça est basé sur des clichés, eh bien tout ça ne dit pas grand-chose sur pas grand-chose, Reza étalant son texte - d'une cinquantaine de pages -, le délitant parfois au maximum, pour carrément se vautrer dans des dialogues aussi prétentieux que creux. Et puis quand même, Reza nous rejoue le coup du plagiat. Elle avait donc déjà gentiment plagié Tchekhov et Schnitzler pour La traversée de l'hiver, même si ça passait plus ou moins. La voilà qui réitère avec Sarraute comme je l’annonçais en début de critique. Nous voici par conséquent avec un zeste de C'est beau (pour le côté art) mêlé à une reprise, presque textuelle à certains moments, de Pour oui ou pour un non. Deux pièce qui étudient la question cruciale de ce que Sarraute appelait le tropisme et qui a été le grand sujet de sa littérature. Dans l'une, une phrase, "C'est beau" est le déclencheur d'une crise familiale, dans l'autre, c'est quelque chose d'encore plus anodin, un "Oui, c'est bien, ça", qui sera le moteur de toute la pièce et poussera deux amis (comme par hasard!) à entrer en crise et à scruter, fouiller, décortiquer leurs rapports d'amitié.





Mais après tout, ce n'est pas parce qu'un sujet a déjà été traité par un dramaturge qu'il est interdit à un autre, et heureusement ! Encore faut-il avoir quelque chose à dire, encore faut-il posséder une once d'originalité, ou de personnalité, ou de je ne sais quoi... et un projet. D'ailleurs, je me plains de plagiat mais je suis à peu près sûre que là n'était pas l'intention de Reza ; il s'agissait sans doute de rendre hommage à Sarraute (comme La Traversée de l'hiver était sans doute un hommage raté mais voulu à Tchekhov et Schnitzler), avec humour - humour que j'ai très peu goûté, mais c'est une autre question. Seulement voilà, Sarraute, c'est fin, c'est travaillé, c'est réfléchi et c'est la démarche de toute une vie d'écrivain. Et ça demande un travail, une implication de la part du lecteur ou du spectateur. Alors que Reza, c'est superficiel, aguicheur, prémâché.



Je peux comprendre qu'on n'aime pas le théâtre de Sarraute, qu'on recherche plus de naturel dans les dialogues. Mais dans ce cas, il existe un duo de dramaturges, curieusement contemporain de Reza, et ayant composé deux pièces qui, dans un style certainement plus naturel que Sarraute, a également scruté les profondeurs des rapports d'amitié (et, surtout, des rapports familiaux). Forcément, ça fait moins classe de citer Bacri et Jaoui que de citer Reza... Et ils sont pourtant bien davantage intéressants. Ce qui m’amène à ajouter que, non seulement Reza a plagié honteusement Sarraute, mais qu’elle ne s'est pas non plus privée pour aller voir du côté de Cuisine et dépendances, qui date de 1992.



Et là, je commence à me demander quels autres auteurs a plagiés Reza dans ses autres pièces...



Ah oui, et y'a un truc que devrait savoir Yasmina Reza : on ne nettoie pas un tableau avec du savon, même si les dégâts commis dessus l'ont été avec des feutres dont l'encre s'efface, sans que la toile soit abîmée. C’est d'ailleurs pour ça qu'il existe des restaurateurs de tableaux. Mais probablement est-ce là encore un de ces trait d'humour à la Reza, que je trouve toujours lourds et en même temps ambigus.







Challenge Théâtre 2018-2019
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Serge

Serge.

―J’essaie de voir ce qu’ils voyaient. Mais rien ne se laisse voir. Ni l’infinie étendue herbeuse. Ni les décombres. Ni les baraques propres et spectrales. On entend quelque part une tondeuse à gazon….

On voit bien ici par la retranscription de cette simple phrase que nous sommes dans l’intemporalité. Le langage des quatre, issus de la même famille est courant, voire un brin vulgaire, en tout cas contemporain. Ils se fichent du devoir de mémoire. Ils sont ici pour entrevoir, ou tenter d’atteindre le lien filial qui les relie entre eux. Pour s’y retrouver comme on dit à travers leur descendance. Ils sont bien plus nostalgiques du temps qui passe et du souvenir de leur enfance que du rappel des disparus, cependant que, rien n’est nié à aucun moment dans le récit, du drame qui s’est joué, ici, à Auschwitz. J’aime Yasmina Reza. Je l’aime parce qu’elle est Yasmina Reza. Ce livre me rappelle l’enfance, justement. J’habitais un H.L.M. face au cimetière et nous allions toute une bande d’enfants, « jouer » entre les tombes dans l’allée des petits. Il y avait là, Geneviève, la plus grande. Nous redressions les pots de fleurs, faisions du ratissage et même veillions à ce que les morts soient fleuris de façons uniformes, sans qu’il y ait d’oublis, ou omissions et il n’était pas rare qu’une fleur soit détrônée de son lieu initial pour rejoindre quelque solitaire. Finalement, la mine composée de Geneviève et son petit manège dans l’allée des enfants m’ont vite rebutée. Un lieu de mémoire oui mais un devoir de mémoire non, c’est ce concept que je trouve inadapté et d’entretenir les lieux du mal pour le faire perdurer à l’identique, soit tout le contraire du bon sens. Mais, le livre nous raconte aussi à travers cette visite le sens du temps qui passe et l’effet de ce dépassement sur nous.

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''Art''

Une heureuse surprise, alors que, je ne sais pas vraiment pourquoi, j'avais un a priori plutôt mitigé!

Deux amis de longue date s'affrontent au sujet d'un tableau que l'un d'eux vient d'acquérir. Ce tableau est BLANC; complètement blanc pour l'un, alors que l'autre, Serge, est profondément touché par ce tableau. L'affrontement, la désapprobation et la susceptibilité prennent racine et s'immiscent dans leur relation et celle qu'ils entretiennent avec Yvan, pris à parti dans leur différend.

Dès les premières pages, j'ai senti l'atmosphère de la pièce Pour un Oui ou Pour un Non de Nathalie Sarraute, avec Dussolier et Trintignant. ici, Art est interprété par Arditi, Lucchini et Vaneck, et on n'a aucun mal, dans une pièce comme dans l'autre, à imaginer ces acteurs interprétant les dialogues.

Tout se joue sur les mots mais aussi, et surtout, sur le non-verbal: un regard un peu méprisant, un geste mal placé, une intonation... et petit-à-petit, cette amitié vire au cauchemar, à la haine; les mots s'accumulent, ceux qu'on n'aurait jamais dû dire, ceux qu'on se doit de garder pour soi.

Dans une pièce comme celle-ci, il n'y a plus de non-dits et les incompréhensions cherchent une réponse, une explication là où nous, simples mortels, nous les gardons telles quelles, plongés que nous sommes dans une incertitude fatale.

J'aimerais bien sûr voir cette pièce jouée. Et puisque je n'ai pas pu m'empêcher de comparer les deux pièces citées, je dirais que Art n'ose pas aller aussi loin que celle de Nathalie Sarraute, et pour cette raison je lui enlève une étoile!



Lu dans le cadre du Challenge ABC
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Babylone

Tout commence avec des bobos parisiens qui caquètent comme des poules, ces animaux qui devraient être nourris au bio à l'air libre. Les discussions qui fusent dans tous les sens, ceux qui minaudent, ceux qui gloussent, qui finissent dans le pseudo-intellectuel en échangeant sur les relations humaines et l'expression ‘créer du lien'. Les invités repartis, la petite fête vire au drame à cause d'un malentendu : Jean-Lino le voisin du dessus, dans sa volonté d'être aimé, pour faire plaisir à la galerie, a rendu son épouse amère. Ils se disputent. On pourrait dire que la vérité insupportable est réduite au silence, il l'étrangle.



Tout le roman est une variation sarcastique sur la solitude, le couple, l'abandon. Tous les actes ordinaires de la vie trahissent l'absurdité de la vie elle-même. Nous imaginons aisément l'adaptation qui pourrait en être faite au théâtre, les répliques qui font mouche, le brouhaha des discussions croisées restées en suspens. le théâtre où excelle Yasmina Reza et qui lui aurait permis de traiter plus efficacement la thématique.

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Nulle part

Le petit recueil « Nulle part », publié en 2005, fut pour moi une vraie déception.

Dans la première partie, cette suite de courts textes sur le temps qui passe, et de banalités sur ses enfants qui grandissent, sans jamais donner de détails, m’a paru sans intérêt. Yasmina Reza nous mène dans les méandres de ses souvenirs mais sort des conventions du réalisme autobiographique, telles que la chronologie des évènements, pour proposer de courts et fragiles moments du quotidien et présenter ses personnages dans l’instantané de scènes très ordinaires. Elle parle avec nostalgie de l’enfance et des liens qui inexorablement s’estompent, sans toutefois réussir à réellement toucher le lecteur.



Dans la deuxième partie, elle se tourne vers quelques souvenirs de son enfance, lesquels s’avèrent flous car elle manque de racines : « Je n’ai pas de racines, aucun sol ne s’est fiché en moi. Je n’ai pas d’origines. [ ] Il n’y a pas d’images, pas de lumières, d’odeurs, rien. » Cette absence de racines a des conséquences sur son identité, « …je ne sais faire aucune fête, je ne sais pas raconter l’histoire de notre peuple, je ne savais même pas que j’avais un peuple. »



Reza a l’impression de n’appartenir à aucune patrie et de venir de nulle part, peut-être est-ce la raison pour laquelle, en refermant le livre, j’ai l’impression d’avoir été mené nulle part ?

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Babylone

"Un rien peut me faire douter de la cohérence du monde. Les lois semblent indépendantes les unes des autres et se heurtent." p.41 Un peu plus loin j'ai trouvé le verbe "m'exaspère", écrit comme ça cela devient une ellipse. Un style que j'aime bien mais qui est à l'opposé de celui de Yasmina Reza. Son style est plutôt balzacien ou pancolien. Je ne m'étonne plus de rien ni d'assister à un vide grenier où finit par émerger un casse-noix dans une boîte à chaussure André ramollie. L'auteure, et ce "e" a ici toute sa raison d'être, par l'intermédiaire de la figure principale de son histoire va avouer qu'une autre l'aurait jetée sans regret.



La narratrice va même ouvrir un vieux magazine Americans et commencer à décrire les photos. Moi j'aime bien les photos, beaucoup moins un catalogue de descriptions. Dans ce grand cabas, il y a de tout, rangé pêle-mêle. C'est pratique pour entasser un maximum de choses. Il n'y a donc pas de table des matières, ni de chapitres. Après tout, recevons-nous un mode d'emploi à la naissance ? Non, tout nous vient en vrac, sorti du chaos. Pourquoi se questionner sur la soudaine apparition d'un bouquet avec sa ficelle ? S'il est beau.





J'avais une tante expatriée en Espagne qui dans les années septante écrivait des lettres de huit pages pour donner de ses nouvelles. Leur flot continu de détails quotidiens était souvent interrompu par des phrases telles que "Je te laisse cinq minutes, je dois surveiller ma soupe" ou "On a sonné, je reviens", pour reprendre ensuite dans une direction complètement différente. Ma mère adorait et voulait absolument nous les lire à haute voix. Souvent je résumais : "bref, tout va bien" ou "donc rien de neuf". Je n'aurais pas appelé cela de la littérature. Ma mère, elle se mettait à la relire tout bas, avec un grand sourire et déjà l'idée de lui répondre. Elles s'écrivaient donc et auraient pu préciser "avec cette facilité que nous avons nous les femmes d'épaissir la moindre anecdote [...], de conférer un poids à n'importe quel mot ou détail insignifiant." p.194





Il en va finalement aussi ainsi des conversations futiles dans les dîners où l'on étouffe parfois de banalités ou bien le dérapage peut avoir lieu juste après, en privé. Ici, il y a un cas désespéré "Sa femme était un genre de thérapeute new age après avoir géré un magasin de chaussure."p.14 Pfff... La vie est souvent le théâtre d'une cruelle ironie, tout de même.





En résumé : une femme qui chante des airs de jazz, va à une soirée et pompe l'air de tout le monde avec ces histoires de poulets qui seraient humains, son mari étouffe et remplace le canard par un poulet lors d'une danse improvisée. Tout le monde est sur l'air car la soirée est bien arrosée. A peine rentrés chez eux les rôles vont s'inverser^^.



Le mari essaye de se faire la malle mais n'a pas de valise assez grande. La voisine vient pour aider car c'est à cause de sa fête du printemps que tout cela est arrivé. Au final les poulets viennent les embarquer, la preuve qu'ils ne sont pas humains, et les foutre au panier. Je ne vais pas en faire une salade.^^





L'auteure en tire deux cent pages c'est léger et décousu mais cette femme moderne ne semble pas savoir repriser, enfin "... à sa façon elle avait escamoté le néant." p.199
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''Art''

Une conversation s'engage entre nos trois personnages.

Marc, ingénieur en aéronautique est un homme cultivé, droit et honnête.

Serge qui est plutôt dans la branche médicale est dermatologue.

C'est un passionné d'art et de littérature ou il évolue aussi bien dans le domaine classique que dans celui de nos contemporains.

Yvan, lui, dont la personnalité n'est pas en reste se cantonne plutôt dans le quotidien.

C'est un garçon aimable, spontané et naturel. Cependant, pour tendre à conserver intacte l'amitié de Serge et Marc, il s'attache à rester neutre, ce que lui reproche précisément ses deux amis.

Au cours de joutes verbales sur le thème du tableau blanc dont Serge à fait l'acquisition, il se joue là, bien autre chose qu'une simple altercation en réalité.

Marc s'affère à démontrer à Serge la décadence de son penchant vers l'art. Décadence qui se concrétise selon Marc par l'achat dispendieux du tableau blanc qui constitue une preuve évidente de sa démesure.

Serge s'insurge. Il se défend, arguant que Marc n'y entend rien en ce domaine où il n'a pas daigné s'instruire par négligence ou manque d'intérêt.

La franchise de Marc est brutale et tranche par rapport à la bonhommie nuancée d'hypocrisie, d'Yvan.

Le ton monte et à mesure des échanges, la lame acérée des mots qui blesse les emporte au-delà des limites insoupçonnées jusqu'alors de leurs différences et de leurs différends.

Ne parvenant guère à atténuer la contenance apparemment placide et ferme de Marc, Serge entre dans la valse des mots et selon toute vraisemblance, venant à lui parler de sa compagne, Paula, il parvient à le déstabiliser, le faisant littéralement sortir de ses gonds.

Marc, effectivement hors de lui, rentre dans une fureur telle qu'il en vient aux mains. Tandis que le pauvre Yvan qui tente de les séparer, molesté, reçoit un coup et qu'avec force gémissements et beaucoup d'exagération, il exprime de façon outrageusement plaintive, son besoin d'affection.

Mais cela ne marche pas et la confrontation verbale entre Marc et Serge s'enflamme de plus belle, laissant place toutefois à un dialogue plus profond et plus axé sur la nature de leur relation. Car, en effet ! Quelle est-elle cette relation ? Quel est le lien d'amitié qui relie ces trois personnages ?

Marc en vient à admettre que Serge l'a remplacé par l'Antrios et son appétence vers les gens d'un autre monde que le sien. Tandis que Marc, lui, l'aurait remplacé par Paula.

Il s'ensuit un échange emprunt d'émotion où chaque auteur est confronté à sa propre demande en matière d'amitié. La demande de Marc en matière d'amitié est profonde et ne saurait s'accommoder de fausseté, de demi-mesure et encore moins d'hypocrisie. C'est pourquoi, Yvan qui se limitait à les « niveler », à amoindrir la dureté des propos pour les garder intacts, comme amis, pour lui et pour eux-mêmes se voit ainsi malmené, étant accusé lui-même et finalement par un juste retournement de situation, d'être la cause même du conflit qui les oppose.

C'est alors qu'intervient un autre personnage, apparemment anodin, mais très convaincant le «rat». le rat au sens propre, visible et traversant la tempête et, le rat au sens figuré, cette fois, Yvan.

Yvan ! L'image de cet homme, désespéré de solitude, seul, chez lui, le soir : « Seul comme un rat ».

Annule ! Lui dit Marc et Serge tour à tour. Annuler le mariage ! Non c'est impossible répond Yvan. Non ! À ce moment, c'est vrai ! Yvan ne songe qu'à une chose. Il veut que ses amis viennent à son mariage puisqu'ils sont témoins. Ce sont eux qui vont désormais signer le registre du mariage à la mairie et cette signature contribuera à sceller son union avec Catherine.

Oui ! Yvan veut se marier. Il veut se « caser » comme on dit dans le langage populaire. Car, comme il dit : « jusqu'à présent j'ai fait le con... » Mais bientôt, il sera « mari » et « papetier » comme dit Marc. Oui, il sera « ça » car pour Yvan, « être ça », c'est ne plus être « seul, le soir, comme un rat ».

Après que Marc et Serge se promettent une amitié sincère et véritable y incluant, Yvan le farfadet, ils s'en vont au restaurant, chez Émile où ils conviennent d'une « période d'essai » durant laquelle ils devront reconstituer leur lien d'amitié.

Tandis que l'expression « période décès » résonne dans la tête d'Yvan qui revient du cimetière avec sa compagne et qu'il songe à consulter Finkelzhon... Lui, qui enterre sa vie de garçon pour s'unir à Catherine, une « hystérique », mais qui a des qualités... Lui, qui se prépare comme dit Serge, une vie « effroyable ... ». Aux seules fins de ne pas rester « seul, comme un rat », comme tous les rats de notre monde contemporain, en somme !...

Et Serge, qui pour autant lisant Sénèque n'est pas un sage, quand il s'interroge songeant à la tromperie : « mais d'où me vient cette vertu ? » signifiant par là-même qu'il entend n'avoir d'autre maître que lui-même et de conclure d'une voix sentencieuse : « mais pourquoi faut-il que les relations soient si compliquées, avec Marc ?!



Tout cela servi au théâtre par Luchini s'il en faut, Vaneck et Arditi est un régal et un incontestable chef-d'oeuvre...
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