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Critiques de Yasmine Chami-Kettani (83)
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Casablanca Circus

Après des années d’études à Paris, un jeune couple de retour au Maroc s’y retrouve confronté à un décalage inattendu. De leurs rêves et idéaux à la réalité vécue, leurs illusions ne tardent pas à s’effriter face aux antagonismes sociaux et culturels qui s’ouvrent entre eux et leur famille, viennent infléchir leur carrière, et, bientôt, s’immiscent jusque dans leur intimité au travers du rapport entre masculin et féminin.





Tous deux originaires de Casablanca, May et Chérif se sont tout de suite sentis sur la même longueur d’onde, lorsque, étudiants, ils se sont rencontrés à Paris. Rapprochés par leurs appartenances communes, leurs frustrations et aspirations de gens du Sud du monde découvrant l’Occident, ils n’ont alors pas réalisé tout ce qui, dans leur ville natale, viendrait les séparer. Elle a toujours vécu dans les beaux quartiers et leur luxe tapageur. Lui est issu d’un milieu modeste et, dans son désir d’acceptation par sa belle-famille autant que par la bonne société de Casablanca, se retrouve très vite obsédé par une obligation de réussite professionnelle. Tandis que pour le faire briller, son métier d’architecte l’amène à toujours plus de compromissions politiques, entre népotisme et conflits d’intérêts, elle, de son côté, se voit de plus en plus réduite au rôle de faire-valoir, ses travaux d’historienne désormais tout à fait secondaires, surtout depuis la naissance de leur fille.





Au travers de ce couple malgré lui sur la ligne de friction de multiples frontières et contradictions, se révèle une ville de tous les contrastes, véritable coeur du roman. De ses quartiers prestigieux aux luxueuses demeures jusqu’à son misérable bidonville que les plans d’urbanisme prévoient de reléguer loin du centre et du bord de mer, de sa classe de nantis prêts à bien des arrangements jusqu’à son humanité la plus précaire, mais aussi la plus fraternelle, c’est un brassement de puissants courants de convection qui semble animer la tectonique sociale et territoriale de cette ville protéiforme défiant les cases et les définitions pré-établies.





Enchâssant dans cette ample fermentation la gestation d’une vie nouvelle à travers les cahiers où, durant sa grossesse, May s’adresse à sa future fille et lui promet le monde meilleur, plus juste et égalitaire, pour lequel elle entend mener bataille, le récit mène une réflexion rigoureuse, lucide et engagée, sur les constructions du masculin et du féminin au Maroc, questionnant l’équilibre des pouvoirs en place. Toute en subtilité et empathie, adjoignant à son histoire de touchants personnages secondaires illustratifs d’autant de situations réelles – comme la non-reconnaissance par l’état civil des enfants nés hors mariage, qui, privés de papiers et d’identité, n’ont droit à aucune existence dans la société –, la narration est aussi un vibrant hommage à ceux qui font bouger les lignes vers plus de justice sociale et pour les droits liés au genre, en même temps qu’un chant d’amour pour cette ville et ce pays sur lesquels l’auteur porte un véritable regard d’anthropologue.





Une grande acuité d’analyse préside à cet ouvrage dont, peut-être plus que les qualités romanesques, l’on retiendra surtout la portée sociologique et l’engagement féministe. Il en résulte une lecture réellement éclairante sur les ressorts de la société marocaine et sur ce qui y construit les relations entre les hommes et les femmes.





Un grand merci à Babelio et aux Editions Actes Sud pour cette découverte.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Médée chérie

Un immense coup de coeur ...Une pépite... qu'il faut surtout lire à un rythme ralenti...tant les phrases sont compactes, ciselées...et débordant de toutes part !



"Elle avait toujours refusé d'exposer ou de vendre cette sculpture, comme si ce qui s'y disait d'amour et de plénitude eût pu souffrir d'une telle mise à nu, souscrivant inconsciemment à cette idée que les grands bonheurs sont si fragiles qu'un regard malintentionné suffirait à les faire voler en éclats. (p. 22)"



Un choix déterminé par les sujets... et des lignes convaincantes de camarades babéliotes... m'ont fait choisir ce roman... En regardant de plus près, je me rends compte qu'il y a un certain moment, j'avais lu son premier texte (1999), "Cérémonie ", qui m'avait emportée...Des thèmes et

un style magnifique, avec des personnages féminins, très forts !!...



Dans cette nouvelle fiction, une femme,Médée, mère, sculptrice renommée en dépit d'une discrétion maladive... Son jardin secret,sa force, l'expression de son indépendance naturelle...vit heureuse depuis 30 ans... avec un mari, chirurgien...trois grands enfants... et un jour.... le cataclysme absolu... le départ brusque, inexpliqué, sans le moindre mot, ni signe avant-coureur... La fuite de l'homme adoré se déroule dans un aéroport... deux de ses enfants tentent de l'aider, dont son fils qui reste à proximité.... en ange protecteur.... Elle s'est installée dans une chambre d'hôtel à proximité de cet aéroport...comme prostrée, tétanisée, tentant de juguler la violence de cet abandon..;Son fils, Adam, lui dépose devant sa porte des petits blocs de

pâte à modeler... pour l'inciter à reprendre la sculpture... ce qui adviendra avec une rencontre "miraculeuse", Tanya, une réfugiée , [ayant perdu dans la guerre mari et fils...] elle a réussi à rejoindre la France, en voulant protéger ses deux autres enfants; Pour gagner sa vie, elle se voit embaucher comme "dame-pipi" dans cet aéroport où Médée s'est retrouvée "abandonnée" par son époux... La rencontre de ces deux femmes combatives , qui , chacune à leur manière ont touché le fond du désespoir...Cette rencontre merveilleuse va redonner l'Espoir à notre artiste, Médée...



La puissance de vie, la bienveillance envers les autres, L'Art..: des secours inestimables pour surmonter les fractures écrasantes qui peuvent détruire les êtres, au fil de leur existence !!



"Oui, répond Médée. Nous survivons. Je vois déjà en moi le début d'un après. (...) Nous sommes si promptes à organiser la vie sur les décombres de ce qui est perdu, n'est-ce pas là le comble de la folie ?

L'amour sans limite nous tient debout au milieu des cendres, alors que nous voudrions mourir là, mais il suffit que le chat de la maison ait survécu, nous voilà entêtées à lui porter du lait, l'éclat d'une prunelle d'enfant nous remet dans le devoir du jour. (...)

Pourquoi devenons-nous les héritières des guerres que nous n'avons pas menées, ni voulues ? " (p. 101)



Il est question de douleur, de perte... des femmes face au chagrin, de la destruction, des guerres menées par les Hommes ! Et l'Art, la création artistique féminine qui leur permet de transcender toutes ces blessures... notre héroïne, va renaître grâce à son art de sculptrice,de l'abandon brutal

de l'homme aimé, après 30 années de fusion amoureuse...





Un texte très dense, dont il faut savourer lentement chaque phrase, à la forme des plus ciselées !

"....toujours ce sont les mères, les épouses, les filles, qui demandent l'intercession des puissances sacrées pour alléger les peines, faire advenir les voeux, comme si seules elles étaient en charge de l'intimité des êtres, des espoirs, des douleurs, tous mouvements de la vie." (p. 40)



Un regret : aucun texte de cette auteure à ma médiathèque... Je voulais découvrir un autre roman antérieur, aux éditions Actes Sud " La mort est un enchantement"...Curiosité juste reportée !



Résilience, les pouvoirs curateurs de survie et de mémoire apportés par la création artistique..."



(...) ils se sont quittés trois jours plus tôt, après qu'elle l'a convaincu de partager ce projet d'une statuaire pour dire ce qui n'est plus mais qui continue d'être toujours tant qu sont vivants ceux qui gardent en mémoire ce qui a disparu dans la violence de la guerre, la désaffection de l'amour, l'oubli organisé par la nécessité de survivre, au sein d'un monde pressé d'effacer les traces des perdants, faisant précisément de la perte une sorte d'opprobre dont il convient d'éviter poliment l'évocation (...) "(p. 127)



Il y aurait beaucoup à dire ou à chercher sur les motivations de l'auteure quant au choix du prénom du personnage central féminin... Pouvoir de la magie, de la passion destructrice , l'âme humaine, ses lumières et ses ombres terribles , etc. J'avoue être perplexe quant à ce choix, car "notre" Médée, en dépit de la trahison insupportable qu'elle subit, qu'elle doit "encaisser"... elle reste hiératique et solaire...Un portrait de femme -mère-épouse-artiste saisissant de force et de détermination...

Ces deux adjectifs qui la qualifient sont soufflés par ce flux souterrain , constant, infini que représente la sculpture...qui l'habite de façon permanente. Son bouclier, sa force, et sa liberté , conjugués !...



Je vais cesser mes "bavardages"... car il y aurait encore "immensément" à dire sur ce texte merveilleux...Roman puissant charriant une multitude de sujets essentiels de l'Histoire des Humains, la place complexe du féminin, les pouvoirs gigantesques de la médecine, d'un côté, et de l'autre, la puissance de la Création artistique [avec des passages renversants, décrivant le travail, les gestes de la sculpture ].... et bien sûr , les affres , les lumières et les cauchemars (tour à tour) provoqués par l'AMOUR...constructeur ou dévastateur...



****intéressant lien à consulter : http://www.linflux.com/arts-vivants/personnage-mythique-medee/



© Soazic Boucard- Janvier 2019



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Casablanca Circus

May et Chérif ont le projet de quitter Paris et de s’installer au Maroc. Chérif est architecte et May historienne. Un grand projet de réhabilitation du bidonville de Casablanca enthousiasme Chérif tandis que May remet en question l’aspect historique et social de ce bouleversement pour ceux qui vivent dans ce quartier.



Dans le récit s’intercale le journal de grossesse de May, où elle confie à sa fille en devenir ses sentiments sur la société où elle grandira, nous offrant ainsi de belles pages sur la place de la femme dans cette société patriarcale et traditionaliste.





Si l’aspect politique et social est très intéressant, le romanesque est un peu mis de côté. Le texte n’est pas facile à lire, car il contient de nombreuses données culturelles, géographiques et historiques difficile d’accès si l’on est pas spécialiste.



Il n’en reste pas moins que ce roman offre une perspective intéressante sur la difficile conquête d’un statut d’égalité homme-femme dans notre monde actuel, et sur le poids des traditions et de l’éducation.



Merci à Babelio et à Actes sud



200 pages Actes sud 23 août 2023

Masse Critique privilégiée Babelio


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Dans sa chair

Quelle surprise. Dans ma chair n'est ni plus ni moins que la suite de Médée chérie , roman où Ismaël, éminent neurologue marocain , abandonne sa femme Médée à l'aéroport pour s'enfuir avec Mériem, sa brillante assistante.

Deux ans ont passé , et Ismaël se pose des questions : A -t-il le bon choix ?Au delà des 25 ans d'écart, cela valait il le coup de mettre à mal tous les liens familiaux , d'imposer tous ces changements à ses amis alors que l'ombre de Médée et sa beauté se font encore omniprésentes?



Très beau roman , magnifiquement écrit qui nous plonge au plus profond de l'âme d'Ismaël , de ses doutes , de ses choix, de sa vie . Appréhender le poids de ses choix vis à vis de ses enfants , de ses amis .

Au de là de l'arroseur arrosé, l'auteure nous propose une belle réflexion sur les sentiments, l'amour , la vie familiale avec en toile de fond un Maroc qui change , qui se radicalise .



Une nouvelle très belle rencontre.
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Casablanca Circus

La machine à fabriquer le rêve français est grippée. Chérif et May ont décidé ensemble la perspective du retour à Casablanca. May est enceinte de leur second enfant. Ils rêvent d’inventer autre chose, c’est pour cela qu’ils rentrent chez eux. Cette ville est coupée en deux, une ségrégation entre la ville européenne et la ville populaire. Ce retour va provoquer un affrontement entre les deux époux.

Chérif est chargé d’un réaménagement urbain avec d’énormes enjeux financiers qui va entraîner le déplacement des habitants d’un bidonville Karyane d’El Bahriyine, la rupture avec leur passé, leur histoire. Un projet urbain vécu par May comme une injustice à laquelle elle ne peut se résoudre.

J’ai beaucoup apprécié ce roman, et les thématiques qu’il aborde : les jeunes Marocains laissés à l’abandon et embrigadés par des imams obscurantistes, les enfants illégitimes qui n’ont aucun statut, la place des femmes, le fossé entre une élite ambitieuse qui rêve de modernité et des quartiers populaires attachés viscéralement à leur bidonville. Cette dualité est parfaitement illustrée par le couple May-Chérif et par la ville de Casablanca qui est finalement le personnage principal de ce livre.



À travers les rencontres que May va faire dans le bidonville, Yasmine Chami nous livre des portraits de ces gens invisibles, elle nous raconte leur fragilité, leur précarité, mais aussi leurs savoirs partagés, leur force, leur patience, leur solidarité. Le récit est original, conçu comme des carnets rédigés pendant sa grossesse par May à l’attention de sa future fille Selma.

Je remercie infiniment les éditions Actes Sud et Babelio de leur confiance.

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Casablanca Circus

Un grand merci pour ce livre offert par Actes Sud et Babelio. J'ai été alléchée par le résumé.

Mon souci c'est que j'ai un peu déchanté avec la première moitié du livre. Cette partie est centrée sur May et Chérif, deux jeunes marocains, étudiants à Paris qui vont tomber amoureux. Ils ont un fils. Travaillent tous deux. L'envie du retour au pays se fait avec l'annonce de la 2e grossesse.

.

Casablanca. Plus particulièrement un bidonville que la ville veut raser. Chérif est architecte et son 1er projet constitue dans le relogement de cette population pauvre parmi les pauvres. Un relogement vers un quartier isolé, loin du centre de la ville.... sans espoir de travail, sans vue sur l'océan.

May va décider de rencontrer ses habitants.

Ce point constitue la 2e moitié du roman et est passionnant.

May se retrouve entre son mari et ces habitants qu'elle va découvrir, apprécier, aider. May découvre aussi une autre facette de son mari, de plus en plus en phase avec une vision ancestrale du rôle de l'homme et de la femme.

Cette 2e partie est réellement réussie : les questionnements de May, la place de la femme marocaine dans la société, l'importance du paraître, le rejet des plus pauvres... mais arrive un peu tard à mon goût.
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Casablanca Circus

De Paris à Casablanca, retour à leurs racines.

C’est décidé : Chérif et May décident de revenir dans leur ville natale en découvrant qu’ils vont avoir leur second enfant.

Chérif, architecte de ville, May historienne, un couple qui avance main dans la main dans ce projet. Ils connaissent bien tous les deux la ville, même si ce n’est pas la même, à Chérif les coins populaires, à May quartiers de la bourgeoisie.

Si le roman de Yasmine Chami va s’attarder sur le couple, le sujet principal sera sa ville, Casablanca, à travers leurs regards, et leurs projets.

Chérif d’ailleurs, doit réhabiliter un bidonville. Pour cela il devra « recaser » sa population à l’extérieur de la ville. Il y prévoit des maisons en dur pour tous, avec un toit, l’eau, l’électricité. Il pense aux infrastructures nécessaires, écoles et espaces verts. Il espère même faire venir des lignes de bus…

Une action louable, donc…

Sauf que May a une autre vision du projet, du promoteur et de la mairie. Elle voit surtout des hommes et des femmes, dans le besoin, à qui l’on va reprendre la seule chose qu’ils avaient pour eux dans cette ville : la vue sur la mer.



Ainsi, May va s’aventurer dans le bidonville, écrire, en même qu’un journal de bord de sa grossesse, sur les gens qui y vivent, les femmes, les vieux. Un livre où ces hommes et ces femmes qui ne savent pas écrire pourront aussi devenir auteurs, avec leur nom sur la couverture. Un livre sur le bidonville et cette espace de la ville qui, malgré les promesses qu’on peut leur faire, n’ont pas envie de quitter, « le bidonville de Zarathoustra ». Ainsi, May s’opposera petit à petit au projet de Chérif, pour lequel elle a du mal à croire, et c’est ce couple si solide du début qui va s’étioler au fil des pages.



Un roman sur la ville, un roman sur le couple, un roman sur les femmes. Un roman sur ces âmes qui vivent dans la misère et dont pour le confort de tous, il est préférable de parquer à l’extérieur de la ville et ainsi pouvoir reconstruire de nouveaux quartiers huppés et centres commerciaux avec vue sur la mer, effluves d’embruns.
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Cérémonie

Une belle découverte [ ***pour ma 600 ème critique !] que cette auteure marocaine, dont j'ai acquis le premier roman, à sa parution, en 1999. Je ressens quelque honte à avoir tant tardé avant d'aller le rechercher sur mes rayonnages . ..Je l'avais débuté il y a un moment, et un autre ouvrage a dû accaparer mon attention, et je l'avais à nouveau mis en attente !!



Cette fois, je me suis "houspillée" de la plus belle manière pour enfin faire

connaissance avec cette dame de la littérature marocaine. Auteure mais aussi anthropologue, qui s'est beaucoup intéressée à la condition des femmes dans son pays...



Un style très poétique, des phrases qui se déploient d'autant plus lorsqu'elles évoquent les senteurs et les couleurs du Maroc de son enfance...mais aussi de ce Maroc ancestral dans la vie intime des femmes marocaines, l'omniprésence des croyances, des contes, des légendes que les grand-mères, mères transmettent à leurs petites filles et leurs

filles...



Une jeune femme, la narratrice, Khadija, 35 ans, architecte, après un divorce douloureux, n'a comme choix que de réintégrer le toit paternel , avec ses trois filles.

Même si Khadija a réussi socialement, comme architecte, l'échec de son mariage est vécu comme un échec lancinant et violent. Cette douleur personnelle est d'autant plus ravivée qu'au moment où elle revient dans la maison de son père, toute la famille prépare la cérémonie du mariage de l'un de ses frères...



"Et alors, pourquoi faudrait-il une maison pour une enfance, toujours la même, vers laquelle on reviendrait inévitablement, la maison de son père, tellement belle qu'on finirait par y échouer comme une barque à la dérive ? Ou alors faudrait-il toute sa vie s'acharner à bâtir une maison presque semblable, toujours dans l'ombre de la première..."(p.18)



Heureusement, elle y retrouve sa complice de toujours, sa cousine, Malika, avec qui elle peut parler et évoquer leur enfance commune, leurs souvenirs, leur éducation, leurs joies et chagrins de petites filles. Et elles, elles sont relativement privilégiées... elles n'ont pas eu à travailler , enfants, comme domestiques, ce qui était courant pour les petits enfants des classes trop pauvres !!



Un beau portrait d'une tante : Aïcha, adorée de ses deux nièces. Une personne belle et joyeuse, mais qui tombera malade, sera amputée partiellement de sa féminité...

Autre "maladie" (ou considérée comme telle) non exprimée: son célibat, sa vie auprès de ses parents , à s'occuper de ses neveux et nièces, frères et soeurs... sans s'être mariée, elle-même , ni avoir enfanté...

Même si elle est adorée , aimée par son talent à s'occuper de la maisonnée,

à raconter des contes, des légendes, à égayer toutes et tous, elle reste une femme qui n'a pas vécu sa destinée de "Femme , épouse et mère" comme il se doit !



Un roman attachant qui à la fois dit la beauté d'une enfance remplie de couleurs, et d'odeurs... mais aussi la pression des traditions, des usages qui soumettent, réduisent et limitent les droits ainsi que les choix des femmes. Tout cela est écrit avec élégance, poésie, fermeté, sans acrimonie, ni aigreur...



Juste quelques lignes de révolte contre les petites filles de familles pauvres,

issues le plus souvent des campagnes... défavorisées , avec des progénitures trop nombreuses, exploitées dans des familles de la ville, plus aisées !

"Un monde ancien, policé et violent, où de petites servantes dorment en boule sur des matelas de fortune, posés à même le sol, dans un recoin de la cuisine qui sent encore la coriandre et les amandes " (p. 60)



Je vais acquérir son deuxième ouvrage traduit, pour poursuivre la connaissance de cette auteure, qui m'a immensément touchée, par son

style et l'amour très contrasté mais authentique pour son pays... roman qui, je me rends compte, vient de paraître chez Actes Sud (toujours), en mars 2017 , intitulé "Mourir est un enchantement"...

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Dans sa chair

Yasmine Chami-Kettani publie chez Actes Sud un roman qui m'a partagé : "Dans sa chair." Médée est sculptrice/artiste, lui s'appelle Ismaïl et c'est un éminent chirurgien au Maroc. Ils ont trois enfants. Tout semble se passer pour le mieux, jusqu'à la disparition lors d'une escale menant le couple à Sydney. Ismaïl fait le choix terrible, et sans retour possible, d'abandonner sa famille. Il est tombé amoureux de Meriem, une jeune chirurgienne pour qui son amour est incommensurable. Choisissant la terre brûlée pour son ancienne vie, Ismaïl va peu à peu douter et s'enfoncer dans ses propres contradictions d'homme, ses failles intimes comme l'enlèvement par les militaires marocains d'un père qu'il ne reverra jamais. Ismaïl l'exprime, il se sent responsable de tous sauf de sa propre joie. Il se cherche, se trompe, rebrousse chemin et crois saisir à tort les méandres de sa destinée. Sa mère meurt et cela le foudroie. Les souvenirs affleurent avec toujours ce remord de ne pas savoir ce qu'il est advenu de ce père intellectuel brillant. Meriem est jeune et face à l'amour éperdu de Ismaïl, elle prend peur et décide de partir pour New York se former dans l'une des meilleures unités de chirurgiens. Cet abandon le renvoie à son histoire, celle de son père, le propre abandon, sa lâcheté lorsqu'il laisse Médée à l'aéroport avant de se faire lui même plaqué par Meriem. le livre est très bien écrit mais malheureusement je me suis perdu dans les circonvolutions de cet homme plutôt égoïste et qui ne pense qu'à assouvir son désir du moment. Ce qu'il inflige à sa femme et à ses enfants m'a rendu le personnage difficile à cerner, trop nombriliste sans doute. On peine à s'attacher à lui. La forme est assez froide et les phrases de s'étirer en longueur. La fin m'a ému et loin de moi l'idée d'affirmer que ce roman est mauvais. Je me suis juste ennuyé et senti perdu sans trop comprendre l'acharnement de cet homme à saccagé, détruire sa vie. le bonheur de Médée avec son nouveau compagnon, le rejet du père au profit de Médée finit par achever les dernières illusions de cet homme. Il manque à ce roman un personnage principal pour lequel on s'attache. Ici, je suis resté à la surface des choses malheureusement. Je vous invite néanmoins à vous faire votre opinion sur "Dans sa chair" paru chez Actes Sud. Yasmine Chami demeure une auteure au style remarquable mais trop froid. A vous de vous forger votre opinion !



Je remercie chaleureusement les éditions Actes Sud ainsi que Babelio pour cette lecture
Lien : https://thedude524.com/2022/..
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Casablanca Circus

Ils avaient décidé ensemble que le retour au pays coïnciderait avec l’arrivée de leur deuxième enfant.

Casablanca, May et Chérif l’avaient quittée aussitôt leur bac en poche.

A leur retour ils découvrent que les choses ont bien changées où peut-être est-ce leur regard qui a changé.

Unis par des valeurs humanistes, May et Cherif vont s'opposer à propos d'un plan d'urbanisme. Architecte, Cherif est amené à travailler sur un projet d'habitat social qui implique la destruction d'un bidonville et le relogement de ses habitants dans un quartier excentré. May ne peut accepter l'idée que son époux participe à l'exclusion de cette population déjà fragilisée. Exclusion qui libérera un terrain, situé au bord de l'océan, très convoité des promoteurs. Comment conserver ses idéaux face aux injonctions familiales et sociétales ?

C'est l'épreuve du feu pour nos deux protagonistes pris dans les vicissitudes de la ville : inégalités, corruption, hypocrisie des élus.

J’ai été dérangée dans la première partie du roman par la longueur de certaines phrases, ce qui a ralenti ma lecture.

Peu à peu le style s’allège et devient même agréable.

J’ai apprécié la description de la ville, les conditions de vies des habitants qu’ils soient issus des beaux quartiers ou des bidonvilles.

Même si je suis loin du coup de cœur, « Casablanca Circus » reste un bon moment de lecture qui m’a permis de découvrir la plume de Yasmine Chami.

Merci à Babelio et aux Editions Acte Sud pour ce voyage au Maroc.

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Médée chérie

Médée est sculpteuse, mariée depuis 30 ans à Ismaël, chirurgien , et mère de trois grands enfants. Elle part accompagner son mari en Australie lorsqu'il l'abandonne à l'aéroport.



Court mais intense roman , servi par une écriture exigeante mais sensible , faisant cohabiter les sentiments, les minéraux, les images , la dureté de la vie. Une belle prouesse.

Le roman est celui de la tentative de reconstruction d'une femme après une lourde épreuve et sera l'occasion de montrer que l'on est tous des réfugiés : D'un homme ou d'une femme, d'un lieu, de l'enfance...

L’introspection de Médée est l'occasion de dévoiler les liens si particulier d'un mère à ses enfants , de se questionner sur les erreurs qui ont amenés l'homme à fuir, de retracer son cheminement professionnel. cette introspection éclaire différemment les actes passés.

C'est aussi le livre d'une rencontre entre deux échouées: Un du monde occidental et l'autre d'un pays en guerre. Confrontation des réalités , mise en parallèle des souffrances communes ...et relativisation obligée que le départ d'un mari ou d'un femme. La reconstruction reste possible. Pas, ou plus difficilement, pour les réfugiés de guerre.



Très beau roman , sublimement écrit.
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Dans sa chair

Tout m'attirait ... La maison d'édition, la couverture du livre, le nom de l'auteure que je ne connaissais pas.. et l'histoire.

Seulement voilà, malgré une écriture élégante, une histoire troublante, mon esprit n'est pas parvenu à une attention claire, fluide pendant cette lecture. Je me suis demandée si tout simplement ce n'était pas moi qui avait l'esprit perturbé, car je sais dans mon cas, que pour lire il faut un esprit libre.

Un nom à retenir tout de même.
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Casablanca Circus

Yasmine et Chérif sont marocains. Ils font connaissance à Paris où ils sont venus tous les deux étudier. Elle est historienne et lui architecte.

A la fois étrangers mais totalement intégrés à cette ville qu'ils adorent,leur amour s'épanouit dans la connivence intellectuelle. Ils partagent les mêmes valeurs sur tous les grands sujets societaux,la justice et la liberté.

Yasmine est issue d'une famille très aisée de Casablanca, lui plutôt de la classe moyenne avec un père très engagé politiquement qui s'est battu toute sa vie pour ses convictions.

Alors qu'ils attendent leur deuxième enfant,ils décident de retourner vivre dans leur ville natale dans le désir d'un ancrage familial et la volonté de mettre leurs compétences au service de leur pays pour contribuer à son histoire. En quelque sorte, s'inscrire dans une continuité culturelle plutôt que de se rattacher à un autre récit lié à l'exil.

Malgré la profondeur de leur amour,le retour dans une société patriarcale qui méprise l'homme s'il ne s'enrichit pas et ne démontre pas qu'il protège "femme et enfants", va progressivement abîmer le couple.

Chérif se laisse entraîner dans un projet immobilier qui doit "recaser" les "bidonvillois" de Keryane, en périphérie de la ville. Il se persuade qu'il pourra créer un quartier respectueux des habitants qui contribuera à l'avancée sociale qui correspond à ses rêves de justice,même si le discours de Yasmine qui l'alerte sur la corruption et les risques majeures liés au déracinement des habitants, ne le laisse pas indifférent.

Yasmine va à la rencontre des bidonvillois pour écrire un livre sur,et avec eux. Ce qu'elle découvre et les liens qu'elle tisse avec eux la persuadent que Chérif a signé un contrat avec le diable et qu'il va y laisser son âme.

Ce roman sort des sentiers battus et des clichés qu'on trouve parfois sur le Maghreb. Yasmine Chami vit à Casablanca et on ressent la connaissance de celle qui vit réellement le sujet qu'elle aborde , même s'il est évident que la qualité de son récit reflète un travail de réflexion et d'analyse approfondi.

Si plusieurs sujets se croisent dans ce roman, celui de la gentrification et des drames humains qu'elle engendre pour le profit des systèmes capitalistes, domine largement.

Cela aurait pu être un coup de cœur mais il manquait pour moi un iota d'émotion supplémentaire. Les qualités intellectuelles de Casablanca circus et sa maturité politique, l'inscrivent parfois ,en effet, à la frontière de l'essai et du roman ce qui entraîne une relative mise à distance des émotions.

Je remercie chaleureusement Actes Sud et Babelio pour ce beau cadeau qui s'inscrit malheureusement dans une actualité qui donne encore plus d'acuité au roman.
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Dans sa chair

Le regard sur l’homme qui quitte

L’homme qui part

L’homme face à son désir, sa passion amoureuse

L’homme et sa fragilité

L’homme tout simplement humain …

Un regard émouvant sur la fragilité de l’existence.



Un très beau roman introspectif , magnifiquement écrit par Yasmine Chami.

Elle s’inspire du réel pour nous entraîner dans une rupture de couple comme il y en a des millions, une femme quittée violemment pour une plus jeune : c’est courant …

Et là à ce début de la narration, la lectrice que je suis

N’est pas séduite par cet homme, n’éprouve aucune empathie !

Mais c’est sans compter sur le talent de l’autrice .

Elle raconte, ne juge pas. Elle va se mettre dans la peau de l’homme, dans sa tête et son coeur et le rendre tout simplement humain.



Cet homme, c’est Ismaïl neurochirurgien passionné et reconnu dans sa profession, Marocain la soixantaine .

Il décide de quitter sa femme Médée avec laquelle il est marié depuis plus de trente ans, de la manière la plus lâche à ses propres yeux.

Il l’abandonne dans un aéroport international pour rejoindre Meriem 35 ans, neurochirurgienne de son équipe, douée, incisive, devenue une obsession, un désir irrépressible !

« Il pense résoudre le plus honnêtement possible le noeud de désir, de trahison et de violence qui menace de les engloutir tous ».

« Il n’aurait su dire pourquoi cette aventure qu’il avait pensé exclusivement sexuelle, sans doute liée au partage si particulier de leur tension de chirurgiens, Meriem et lui penchés ensemble au-dessus du crâne ouvert de leurs patients, attentifs à coordonner leurs gestes au millimètre près, dans une chorégraphie ténue, était devenue cette histoire qui avait fait de lui un homme pris dans le vertige d’un désir sans limites »



Ce récit intègre subtilement leur vie présente et passée.

On voyage dans ses souvenirs : l’enlèvement de son père Brahim par la « sécurité nationale » ses oncles évoquent : réclusion, torture ou simple exécution.

La disparition de son père devient un trou béant dans le foyer de Hourya, sa mère.

Elle va errer, telle une âme en peine, partir à la recherche d’informations sur le sort de son mari.

Ismaïl se voit confier son frère Jawad autiste et ses soeurs . Il va découvrir un sentiment de responsabilité qui ne le quittera plus.



Sa vie va être bouleversée, lui révéler ses failles, ses doutes, ses pensées les plus intimes.

Il va découvrir la colère et le chagrin de ses enfants, le laissant vulnérable et désarmé.

La puissance de ces femmes Médée et Meriem libres, indépendantes, fortes :

Il n’avait pas envisagé la possibilité d’un autre amour pour Médée, d’une autre vie.

Meriem pour qui cette histoire n’avait pas existé comme pour lui : Elle n’avait pas imaginé ou désiré ce qui arrivait et souhaitait reprendre le contrôle de sa vie .



Ce livre interroge sur la puissance du désir, de la liberté

et le prix à payer !
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Médée chérie

Nous essayons de lire de bons livres et parfois on tombe sur une pépite, et je pense que c’est le cas avec ce troisième opus de Y.Chami, arrivée au mitan de sa vie.

Ses romans sont toujours axés sur le pays de ses racines, le Maroc, sur la famille, les souvenirs.

Cette fois, la chaleur , le soleil, la famille, les enfants surtout , sont toujours présents mais comme des souvenirs douloureux. Et on ne se prénomme pas Médée par hasard.

Médée est sculpteur, son talent est reconnu, et des expositions de ses œuvres se retrouvent dans les grandes capitales, mais Médée, superbe femme, est avant tout une épouse, une amante, une mére attentionnée, et elle veut que chacune de ces fonctions soit exercée à plein temps…

Son mari, chirurgien neurologue requiert tout son amour depuis trente années lorsqu’un jour en transit à Paris tous les deuxà Roissy (elle l’accompagne à un séminaire) il s’absente pour quelques instants mais ne revient pas la chercher. Abandonnée, et malgré l’affection de ses enfants accourus auprès d’elle, Médée s’isole avec son malheur dans un chambre d’hotel de l’aéroport.Elle est dévastée, , elle en sort au bout de quelques jours ,trouve de l ‘argile laissée par son fils sur le pas de la porte,il pressent comment la sauver, elle est aidée par une dame-pipi exilée aussi, de là elle essaiera de renaître de par son Art, qui était passé à la seconde place dans sa vie,et à ses dépens.

L’amour, l’art, sont la trame de ce texte magnifiquement écrit et que je relirai c’est certain.
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Dans sa chair

Je découvre Yasmine Chami, elle livre dans ce roman une plongée dans une atmosphère introspective avec réminiscences du passé, pensées mélancoliques et meurtrissures révélées. La prise de conscience de l’abandon, du détachement et des désillusions.



«Les histoires vécues sont toujours racontées à posteriori, il en est conscient, l’apparent contrôle du récit efface les failles de l’expérience, les accrocs, les erreurs, et les hésitations au profit d’un regard unifié sur ce qui a été ».



Maroc – Rabat - Ismaël s’est éclipsé de sa vie maritale.

La passion amoureuse qu’il vit avec Meriem l’a amené à quitter de façon abrupte son épouse Médée.

Faiblesse et lâcheté emportées par le désir amoureux.



Neurochirurgien réputé, la rupture vive et acérée qu’il impose à Médée, artiste sculptrice, est telle la lame du scalpel de son quotidien.

Maîtrise et précision du geste chez cet homme pris dans la tourmente de l’immédiateté de la passion amoureuse, amené à trancher vif et à subir toute conséquence.



Pourtant Ismaël se débat entre souvenirs et sortilèges, une évocation envahissant la chair et l’esprit, assailli par des pensées en boucle, mélopées lancinantes.



Dans une ambiance dramatique, les tourments du désir fulgurant et de l’amour finissant sont analysés avec acuité.

Perte et détresse libérées renvoyant au passé familial, aux disparitions.



Une histoire intime qui dit aussi l’imprévisibilité, la vulnérabilité. Le Maroc dépeint avec subtilité.



Un roman dans un style raffiné et poétique. Une prose élégante et très sophistiquée.



Je remercie Babelio et Masse critique pour cette découverte.

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Médée chérie

Une femme d'un certain âge abandonnée à l'aéroport par son mari... Ca pourrait être une comédie, mais c'est au contraire une introspection dans les années d'existence de Médée qui s'isole dans une petite chambre d'hôtel de l'aéroport pour plusieurs semaines.

Comment, jeune et libre, elle a fini par tomber dans les bras d'Ismaël, jeune et beau chirurgien, comment elle est devenue, petit-à-petit, son ombre fidèle, sa compagne effacée, la mère de leurs trois enfants, mais aussi sculptrice dans son petit atelier isolé. Médée regarde son corps, son visage, ne se reconnait plus depuis qu'elle a été quittée. Mais ne se transformera en furie contre son mari et celle qui l'a séduite, car elle a trois enfants à préserver.

L'écriture est riche, belle, délicate, tout ça un peu trop pour moi, c'est un style qui m'ennuie et j'ai peu apprécié cette lecture dont l'intrigue, une fois dépouillée, m'a paru un peu trop simpliste même si le sujet en lui-même m'a touché.

Je comprends qu'on puisse aimer cette écriture, mais ce n'est pas mon style.
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Médée chérie

Yasmine Chami livre un roman introspectif, les révélations intimes d’une femme abandonnée par son mari, les meurtrissures de l’abandon. Naufrage et renaissance d’une femme blessée.



« Qui n’est pas réfugié de quelque part ? D’une enfance, d’un amour, de sa propre jeunesse enfuie, des liens cassés, d’un pays en guerre, d’une perte qui n’a pas de nom ? »



C’est dans l’aéroport de la ville lumière – en escale pour Sydney depuis le Maroc - que Médée est abandonnée par son mari Ismaël, la plongeant dans une sombre épreuve de douleurs et de peines.



Médée, mariée depuis plus de vingt-cinq ans, mère de trois enfants, est envahie par de fragiles pensées mouvantes, submergée de chagrin, encaissant la violence du choc.



Lâchement laissée là par Ismaël, elle appréhende de renouer avec le mouvement, craignant de quitter une situation léthargique, cet instant sur pause – une absence à soi-même - avant d’éprouver l’abandon brutal et soudain.



Rupture acérée et nette, car le chirurgien renommé qu’est Ismaël agit comme il sait faire, trancher vif dans la chair comme au scalpel, mesurant « avec une précision maniaque la portée de son geste pour défaire les liens inextricables… »



Il y a ce rêve incessant qui revient et s’impose à elle…, prémonitoire, le vide, la tempête, la chute…

C’est la violence de l’abandon contenue dans la solitude d’une chambre d’hôtel, et Médée l’assimile dans son cœur aimant et incisé. Belle femme assaillie par le chagrin, elle ressent sa grâce envolée, Ismaël a fui, et Médée qui est portée par « l’intuition de la beauté, pas son évidence » sent sa beauté se perdre, prête à s’enfuir.



Un abandon subi et l’expression d’une exploration chirurgicale du ressenti de Médée, qui tient à éprouver au fond d’elle-même la douleur « je cherche le silence et la nuit pour pleurer ».



C’est à l’image de la pierre, du marbre, de la terre, du bois, qu’elle travaille et façonne avec ses outils, ses fils de chanvre, d’acier, de laine, car Médée est sculptrice, elle donne vie, de ses mains, à ses créations artistiques ; Ismaël, neurochirurgien, répare et sauve de ses mains des vies.

Médée oscille sur un fil, funambule …



Le départ d’Ismaël plonge Médée dans des abysses affligeants de souffrances. Elle semble comme ses « créatures de pierre gisant couchées » de son atelier.

Et telle une devineresse des temps antiques, Médée voit clair en la décision d’Ismaël et ce qu’il adviendra de lui…

« Ismaël réorganise la chair vivante depuis trente ans, il intervient au cœur des cellules endommagées, il coupe, il tranche, et là, tout le vertige de Médée gît dans cette certitude : il s’est trompé, il a coupé ce qui permet la vie, les liens ramifiés, souterrains, subtils, profonds qui les unissent mais aussi organisent ce qu’ils sont, non seulement l’un pour l’autre mais aussi l’un sans l’autre, chacun investissant dans l’espace où s’exerce sa propre maîtrise l’énergie fluide, chaude, générée par cet amour déployé depuis si longtemps ».



Dans les réminiscences du passé, sanctuaire intérieur d’errance de la mémoire, fuite incontrôlable et tourmentée, Médée entame sa traversée – enjeu de sa survie – des nuits et des jours à accueillir cette désolation imposée, vide sidéral, fracas vertigineux, meurtrissure. « (…) fracassée, allongée béante sur ce lit anonyme (…)».



C’est une trahison incompréhensible et dévastatrice qu’elle analyse, disséquant ses pensées, affrontant pleinement sa colère, intégrant son chagrin, pour sortir de l’abîme grâce à l’art qui lui insuffle puissance et résilience.

Puis il est des rencontres dans la vie, qui réveillent, qui révèlent en nous ce que nous sommes. L’ultime sursaut.



Médée saura-t-elle percevoir la lumière qui surgit, l’élan de vie instinctif, sentir le souffle vital, extirper de ses mains en sculptant le chagrin, les pertes, sublimant une métamorphose en espoir, vie, amour universel.

La force créatrice libératrice capable de « faire surgir la beauté au cœur du désastre ».

*

Une écriture subtile et sensorielle, sophistiquée et intime, qui décrypte toute la complexité du sentiment amoureux dans la force du lien. Très esthétique, de toute beauté.



J’avais pu découvrir l’auteure grâce à Babelio avec « Dans sa chair » l’histoire de cet abandon du point de vue d’Ismaël.

J’ai beaucoup aimé « Médée chérie » - le point de vue de Médée – un premier volet qui a ma nette préférence.

*

La main est l'instrument des instruments (Aristote).



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Casablanca Circus

C’est avant tout la beauté du texte qui m’a retenue. Avec moins de douceur au fil des évènements qui retentissent sur la vie d’un jeune couple. Beaucoup d’intelligence dans la mise en forme de ce roman.

Après des études à Paris, d’architecte pour lui, d’histoire pour elle, jeunes parents d’un petit garçon et d’une petite fille à venir ,des jeunes marocains reviennent à Casablanca, émerveillés de ce retour au pays et pleins d’énergie. Cherif porte en lui l’espoir de pouvoir offrir aux habitants d’un grand et ancien bidonville situé face à l’océan , un relogement décent , en dur, moderne, mais situé bien loin de leur lieu de travail, souvent la pêche. C’est sans compter avec une société corrompue et des promoteurs véreux.

May, issu d’un milieu très aisé, où surtout les apparences comptent (pas pour son médecin de père), va elle, apprendre à connaître intimement les gens du bidonville, elle perçoit l’utopie que porte son mari, faire le bonheur des gens sans leur accord, et surtout la difficulté qu’ont les femmes à se sortir de siècles de patriarcat rigides et pernicieux.

C’est un très beau roman pour lequel je remercie les Edts Actes Sud et Babelio.
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Casablanca Circus

L'idéalisme contre le réalisme : c'est l'un des sujets de Casablanca Circus, peut-être le meilleur livre de Yasmine Chami, et certainement l'un de ceux qui lui est le plus personnel. May et Chérif forment un jeune couple très uni, dans l'attente d'un deuxième enfant, et de retour dans leur ville natale, Casablanca. L'ambition, dans leurs métiers respectifs d'historienne et d'architecte, n'est jamais dénuée d'engagement moral. Mais quand l'idéalisme et les convictions de May se heurtent au sens du réalisme, avec d'éventuels compromis, pour Chérif, la fragilité de leur relation semble affleurer. Casablanca Circus séduit par son style très littéraire, au gré de deux récits parallèles, dont les monologues de la mère à l'enfant dans son ventre, et par le portrait de Casa, la ville face à l'océan, où améliorer la condition d'habitants d'un bidonville, belle idée au demeurant, révèle surtout un cynisme immobilier où la loi des privilèges s'imposera toujours aux plus démunis. Lutte des classes mais aussi lutte des sexes, avec cette domination arrogante du masculin qui épouse une tradition, au Maroc comme un peu partout ailleurs, qui ne disparaîtra pas si facilement. L'air de rien, sans colère mais avec assurance, Casablanca Circus aborde de nombreux sujets et, malgré un discours militant et féministe, n'en oublie jamais sa trame romanesque et son amour d'une ville dont certains voudraient gommer la singularité et l'authenticité, au mépris de ses habitants, avec le profit pour seul moteur. Yasmine Chami veut espérer que le combat, à Casablanca et évidemment dans de nombreux endroits du monde, n'est pas perdu d'avance.



Tous mes remerciements aux éditions Actes Sud et à Babelio.


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