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Critiques de Zeruya Shalev (243)
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Douleur

Je viens de lire de bons bouquins, mais il me manquait toujours quelque chose pour les trouver vraiment très bons. Je ne comprenais pas pourquoi, allant même jusqu'à me demander si ça ne venait pas de moi - saturation de lecture ( une première, mais sait-on jamais ), mauvais timing, manque de disponibilité…

Puis on m'a prêté Douleur dont le titre me rebutait un peu. Pas envie de souffrance, de pathos, de compassion. Et voilà que, happée par l'histoire de Iris, ce petit supplément d'âme, cette pulsation singulière qui transforme une histoire en oeuvre primordiale, universelle, est apparu.

Découverte donc d'un auteur et d'un roman inhabituel, particulièrement fouillé psychologiquement, à l'intrigue bien ficelée !



Douleur, c'est un condensé de vie, donc de joies et de souffrances aussi, évidemment. Le récit, dense et prenant, déroule les quelques semaines à Jérusalem de la vie d'une quadra rattrapée par des fantômes du passé dont elle parvenait jusque là à garder le contrôle.

Rescapée d'un attentat dix ans auparavant, elle a dompté sa douleur physique ; abandonnée brutalement vingt ans plus tôt par son amoureux, elle a réussi, après une grave dépression, à fonder une famille et est devenue une directrice d'école respectée.

Puis, patatras, un matin la douleur physique insoutenable se réveille, sans raison apparente. L'angoisse tisse son étau autour d'Iris, le contrôle quotidien se lézarde, lancinante et implacable, la question l'obnubile : pourquoi ?



Aussi riche en rebondissements qu'en réflexions intimes, ce récit mêle l'histoire d'une femme à celle d'Israël. Mais ce sont

bien les subtiles interactions entre corps et âme, qu'investigue avec beaucoup de talent et de sensibilité Zeruya Shalev qui, selon moi en font l'intérêt et la force.

La douleur, cela peut aussi être une réaction vitale de défense qui oblige à faire une pause, à réfléchir.



En refermant ce roman marquant, je me suis souvenue d'une citation de Khalil Gibran dans Le prophète qui me semble très appropriée pour conclure :

« En vous refusant le plaisir, vous ne faites souvent qu'entreposer le désir dans les replis de votre être. »

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Douleur

La "Douleur", personnage principal du livre,

La "Douleur",celle d'une femme de quarante-cinq ans, grièvement blessée lors d'un attentat dix ans auparavant, dont le corps n'a jamais complètement guéri.

La "Douleur" , celle d'une jeune fille de dix-sept ans, abandonnée par son premier grand amour, et dont la rencontre trente ans plus tard en la personne du chef de service de l'hôpital où elle se rend pour se faire soigner, la ravive.

La "Douleur" , celle d'une enfant qui a perdu très jeune son père, à la guerre.

La "Douleur" , celle de voir son enfant pris aux griffes du Mal.

La "Douleur" , celle que la Vie nous inflige d'une façon ou d'une autre et dont notre héroïne Iris y prend généreusement sa part.



Zeruya Shalev dans son dernier livre, continue son introspection de l'intime à travers le monde intérieur d'une femme à la quarantaine, mariée, deux enfants,un mariage consumé, qui retrouve son grand amour d'adolescence, amour non consumé......c'est idyllique, surtout avec sa belle prose si bien rendue par l'excellente traduction.....même " trop parfait" juge sa meilleure amie Dafna ; mais bon c'est de la fiction, non ? pourquoi ne pas fantasmer sur le parfait ?

Et puis l'idylle a aussi son revers; elle a tout à perdre, lui rien, donc à elle de décider.....

Ici aussi comme dans "Théra", j'ai retrouvé cette fine analyse de l'inconstance de la nature humaine, qui change de perspective constamment, qui n'arrive jamais à cerner exactement ce qu'elle ressent et par conséquence ne sait comment agir, comment se manifester équitablement, quelque soit le domaine. Ce qui est aujourd'hui jugé juste peut s'avérer totalement faux le lendemain. Tiraillée entre sa culpabilité envers sa famille, un mari plus amoureux de son échiquier sur ordinateur que d'elle, des enfants qui quittent le nid familial et qui ne se font pas une miette pour elle, le tout couronné d'un manque de communication ET sa soif d'amour (qui semble) comblée et à porté de main ( pour le moment )....que faire ? Surtout qu'un trés grave probléme concernant sa fille s'annonce .....



À travers l'intime se défilent aussi les conditions de la vie particulière en Israël des juifs : la conscription obligatoire des jeunes (36 mois pour les garçons, 22 pour les filles) et les risques d'attentats et de guerres ( Shalev elle-même fût victime d'attentat) , sources d'anxiété permanentes pour le nucleus familial . Une toute petite touche politique de la pacifiste Shalev éclaire le fond -"un plaisir......d'être sur cette parcelle-là de territoire, enclave qui a quelque chose de totalement utopique, au milieu d'un village arabe, magnifique et amical, sur les hauteurs de Jérusalem, assise à la table d'un couple de restaurateurs qui concrétisent l'aspiration la plus exaltante de la région, celle de la coexistence" -.



Zeruya Shalev est une des écrivaines les plus réalistes que j'ai rencontré.Aucun aspect de la nature humaine ne lui échappe. La fiction elle l'utilise que pour mieux les cerner et nous les servir concrètement sur un plateau d'argent; ce plateau d'argent qui est sa belle prose et source de plaisir pour nous lecteurs.





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Stupeur

« Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. »



Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être



Ces mots, je les ai précieusement collectés il y a longtemps déjà, à une époque où, entamant le virage de l’âge adulte, je cherchais dans mes lectures des réponses aux nombreuses questions que je me posais sur l’existence. J’y suis revenue souvent, puis je les ai un peu oubliés, me disant qu’après tout, on avait toujours le choix… de choisir sa vie. Peu après avoir commencé la lecture du dernier livre de l’écrivaine israélienne Zeruya Shalev, les mots de Kundera ont resurgi dans ma mémoire avec l’énergie tressautante du diable sorti de sa boîte.

Je suis retournée lire l’extrait dont ils étaient tirés, à peine surprise d’y découvrir cette conclusion lapidaire :

« Une fois ne compte pas. Une fois n’est jamais. Ne pouvoir vivre qu’une vie, c’est comme ne pas vivre du tout. »

Si j’avais encore l’espoir de me réfugier dans l’illusion du choix, Kundera se charge de me ramener à l’implacable réalité. Comme nous, les personnages de Stupeur pensaient ou pensent encore, pour certains d’entre eux, pouvoir influer le cours des choses, il pensent être en mesure d’effectuer des choix. Mais que signifie choisir quand on n’a qu’une seule vie à sa disposition, quand on ne peut pas expérimenter dans une autre une infinité de choix possibles ? Cela ne signifie rien. On ne choisit pas, on avance juste à tâtons en espérant que telle décision que nous avons prise nous engagera sur une voie plutôt moins périlleuse qu’une autre. Mais, et c’est là notre drame, nous ne pouvons pas savoir si nous avons fait le bon ou le mauvais choix. Nous ne pourrons jamais le savoir. Ce qui ne nous empêche nullement de nous fustiger, le plus souvent, ou de nous féliciter, plus rarement.



Atara, l’héroïne de Stupeur, qui semble avoir développé un indéniable talent pour l’auto-flagellation — « chez elle, les regrets sont profonds, persistants, et en général purulents » — aborde les rives de la cinquantaine dans un état de grand chamboulement intérieur.

Enferrée dans une relation de couple qui, n’ayant pas rempli les promesses induites par le coup de foudre initial, se délite sur un fonds de culpabilité persistant, elle ne sait ce qu’elle se reproche le plus : d’avoir brisé son précédent foyer? Ou de n’avoir pas su maintenir la flamme incandescente de ce second amour ?

Angoissée pour son fils, méconnaissable depuis qu’il est revenu de ses quatre ans de service militaire au sein d’un commando d’élite, elle se reproche amèrement sa fierté de mère le jour de son incorporation.

Désemparée face à sa fille partie poursuivre ses études aux Etats-Unis et qui, insensiblement, s’éloigne d’elle, elle se reproche leur lien trop fusionnel tout en s’y raccrochant comme une noyée à sa bouée.

Enfin, enragée face à un père décédé quelques mois plus tôt, qui a transformé son enfance en cauchemar en faisant d’elle son souffre-douleur, elle se reproche d’avoir si ardemment souhaité sa mort, enfant :

« Elle avait aussi une prière spéciale, qu’elle se répétait avant de dormir, ses petites mains plaquées l’une contre l’autre dans une supplique chuchotée. « Mon Dieu, rappelle-le bientôt à toi ou alors apprends-lui à aimer » ».



C’est le besoin de comprendre ce père profondément malheureux et impitoyablement maltraitant qui pousse Atara à partir à la recherche de Rachel, celle qui fut, soixante-dix ans plus tôt, le premier, l’unique amour de son père. Si ce dernier, véritable fossoyeur des jours heureux, ressemble à une boîte noire à jamais indéchiffrable d’où tout le reste — malheurs et péchés — paraît découler, Rachel sa bien-aimée, aujourd’hui une très vieille dame de 90 ans, en est sans doute le contrepoint lumineux. Après bien des rendez-vous manqués, c’est finalement auprès d’elle qu’Atara, anéantie par un nouveau malheur qui, aussi brutal qu’imprévisible, la frappe de plein fouet, cherche refuge. Et c’est par elle, grâce au « rayonnement puissant de ce corps sec » qu’elle accèdera peut-être, in fine, à l’acceptation et à une forme de sagesse :

« Ne laisse pas le hasard se transformer en destin, ma fille, (…) c’est parce qu’elles sont laissées à l’abandon et livrées au hasard que nos vies supplanteront toujours la mort. »



Plus que pour aucun autre personnage du livre, le destin de la vieille dame est indissociablement lié à celui de son pays. Elle lui a donné ses années de jeunesse, lui sacrifiant tout, elle s’est battue, intrépide soldat d’un groupe combattant clandestin, pour le libérer du joug britannique. Rachel, à l’image d’Israël, est aujourd’hui grise, sèche et barricadée, terriblement seule, violemment contestée au sein même de sa famille. Comme pour son pays, les années de jeunesse et la foi en sa légitimité ont laissé place au doute et au vacillement existentiel. Ce n’est pas la moindre qualité de ce livre virtuose bousculant les repères chronologiques et les codes de la narration que d’avoir su entrelacer avec tant de naturel le destin et la psyché des personnages à l’histoire d’Israël. D’une plume usant d’une large palette de tons, du plus cru, âpre et grinçant au plus lyrique et caressant, Zeruya Shalev, tout en abordant des thèmes essentiels — l’amour, la filiation, la mort, le deuil — reste toujours à hauteur de ses personnages. Ceux-ci, bien qu’inlassablement creusés par l’autrice, passés au tamis de son regard perçant, conservent jusqu’au bout une part de mystère. Et peut-être est-ce là, précisément, que réside la plus belle part d’eux-même.



Un immense merci à toi, Bernard, de m’avoir invitée à t’accompagner dans cette lecture. Nos échanges nourris, variés et sincères m’ont été d’un grand réconfort en ces temps de troubles et d’incertitudes où l’Histoire, avec son cortège d’horreurs, semble indéfiniment se répéter, comme si les hommes, jamais, ne tiraient la moindre leçon du passé.

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Stupeur

Née dans un kibboutz en 1959 et grièvement blessée en 2004 dans l’attentat qui pulvérisa l’autobus où elle se trouvait, Zeruya Shalev raconte, au travers des trajectoires brisées de deux femmes ordinaires, l’histoire d’Israël de sa fondation à nos jours : une longue descente aux enfers, de l’enthousiasme des idéaux à la stupeur des désillusions, quand le pays n’est plus aujourd’hui que fractures et déchirements dans une actualité toujours plus sanglante et explosive.





Rachel et Atara n’ont a priori rien en commun et pourtant leurs destins sont inextricablement liés. Rachel la nonagénaire vit depuis cinquante ans dans le désert de Judée, dans une colonie israélienne en territoire occupé. Elle qui rejoignit le Lehi, un groupe sioniste extrémiste qui, entre 1940 et 1948, employa le terrorisme pour libérer la Palestine des Britanniques, considère avec autant d’amertume que d’incompréhension l’état de division de son pays. Cette laïque qui crut tant au projet sioniste de 1948 n’est en l’occurrence que perplexité face au judaïsme ultra-orthodoxe choisi par l’un de ses fils. D’abord très réticente, elle se découvre en fait empressée de se raconter à une inconnue prétendant mener une étude sociologique sur les femmes du Lehi. Cette interlocutrice, Atara, est en réalité architecte du patrimoine. Bien trop assaillie par les regrets et les remords jalonnant un parcours marital et familial marqué par les ratages, entre divorces et foyers recomposés, pour se préoccuper de la vie politique de son pays, cette presque cinquantenaire s’intéresse en vérité à Rachel pour une raison toute personnelle : sur son lit de mort, son père l’a confondue avec une certaine Rachel, visiblement un ancien et très grand amour perdu…





A travers ces deux femmes dont l’existence, en une cascade infinies d’échecs et d’incompréhensions, contrarie sans cesse les aspirations et les projets, c’est le désarroi de la société israélienne dans son entier que peint ce roman aussi politique que finement psychologique. Car, à mesure que la narration investigue, à presque en épuiser son lecteur, les mécanismes au sein du couple, de la famille et de l’âme de ses personnages, se fait jour la perception d’une société fondamentalement étouffante, entre permanence de la guerre et traumatismes associés, différends idéologiques, politiques et religieux, et enfin pression territoriale, des colonies en zones occupées au mur de séparation, en passant par le chaos de l’urbanisme. Vivre en Israël, déclare un des protagonistes, c’est vivre sur un volcan qui peut entrer en éruption à tout instant et vous chasser d’ici. « A quoi bon préserver le patrimoine d’un pays qui n’a aucune chance d’exister dans deux ou trois générations. » « Il faut construire vite, simple et fonctionnel, sans s’occuper du passé », en l’occurrence des appartements avec pièces sécurisées…





Méticuleusement soigné dans sa construction et ses analyses psychologiques, ce roman sombre et tragique qui donne à comprendre l’histoire collective au travers d’un récit intimiste porte un regard vibrant, très éclairant, sur une société israélienne fracturée, parvenue au bord du schisme.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Douleur

Iris et Ethan sont à la croisée des chemins quand ils se retrouvent après trente ans de séparation. Éloignés au début de leur vie d'adultes par les circonstances, la douleur renaissante d'Iris, victime d'un attentat quelques années auparavant, va les réunir à nouveau. Mais s'ils se reconnaissent, retrouvent les gestes qui caressent le corps aimé et jamais oublié, Iris vit cette seconde chance non sans interrogation et culpabilité.



Menant une réflexion profonde sur l'obsession du passé, l'adultère, le couple dysfonctionnel, la maternité, la pulsion de vie dans un pays en guerre, Zeruya Shalev, qui comme Iris a été victime à Jérusalem d'un attentat-suicide en 2004, à travers son héroïne analyse avec une grande finesse psychologique la douleur liée aux séquelles morales et physiques d'une telle blessure, et ses implications irrémédiables dans une vie de femme. Une façon remarquable de poser la question des choix de vie après une expérience hautement traumatisante, et de la possibilité d'un retour à une vie normale.



" Elle se demandait parfois si ce profond sentiment d'appartenance jamais remis en question était le seul et unique mobile qui nous poussait à nous attacher, à tomber amoureux d'un minuscule bébé, à nous abandonner à un conjoint. Car il suffisait qu'un choc fortuit en coupe soudain la continuité pour lui faire perdre tout son goût. "
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Douleur

J’ai découvert Zeruya Shalev grâce à la liste de Bookycooky sur la littérature israélienne (Israël). Le titre Douleur a attiré mon attention, m’a intriguée et a éveillé ma curiosité. Comment traiter un tel thème sans rebuter le lecteur ?



Douleur est une plongée dans le cœur d’une femme, Iris, qui, en apparence, est une brillante directrice d’école de quarante-cinq ans, mariée à Micky et mère de deux enfants, Omer et Alma, l’aînée, âgée de vingt et un ans.

Mais dans son for intérieur, Iris est en réalité profondément blessée, physiquement et moralement. Les multiples douleurs, souffrances, cruautés du destin, les horribles tragédies que nous réserve la vie et qui nous attendent au tournant, d’une manière totalement imprévisible, ne l’ont pas épargnée.



Ce roman intimiste commence par une date anniversaire : voilà dix ans qu’Iris a été gravement blessée dans un attentat et, alors qu’elle pensait en avoir terminé, avoir enfin tourné la page, une simple allusion de son mari Micky fait resurgir brutalement la douleur physique. Mais n’est-elle que physique ou cache-t-elle de plus profondes blessures encore ? Comme celle de la mort de son père à la guerre quand elle était enfant, la froideur de sa mère ou l’abandon tout aussi brutal du grand amour de sa vie Ethan, quand elle était adolescente et qu’elle pensait construire sa vie avec lui. Il aurait été le père de ses enfants, de son aînée Alma, qui, aujourd’hui, ne va pas bien et est tombée dans les filets d’un homme pervers, manipulateur.



Alors qu’Iris retrouve par hasard Ethan au centre antidouleur où il est désormais médecin, Alma s’enfonce et se laisse persuader de travailler gratuitement par un patron qui prétend l’aider à aller mieux grâce à un « travail intérieur » destiné à combattre son ego.



Zeruya Shalev décrit avec une grande finesse la complexité des sentiments : conjugaux, filiaux, amoureux, le caractère irrationnel et instable de la passion.



Ce roman n’est jamais déprimant grâce au ton employé par l’auteure. Il est en revanche fort émouvant, voire déchirant vers la fin, car Douleur offre une réflexion sur le destin et les choix de vie que nous devons faire, sur la place du passé, des souvenirs qui empêchent de vivre le moment présent et donc d’être heureux grâce à ce que l’on a aujourd’hui, au lieu de se tourmenter pour ce qu’on aurait pu avoir.



Est-il possible d’avoir une seconde chance? « Peut-être que ça n’existe pas, les secondes chances, peut-être qu’il n’y a qu’une seule chance, à chaque fois, pour une nouvelle occasion ».



Douleur est l’histoire très touchante et bien écrite d’une femme, en apparence forte, qui dissimule ses failles et va entreprendre un long cheminement pour oublier enfin le passé, le laisser derrière elle, le remplacer par les joies et les bonheurs du présent et se rendre compte qu’elle n’est pas seule, malgré les non-dits qui l’ont éloignée de ses proches, de son mari comme de sa fille.



Merci Idil pour cette belle découverte.

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Stupeur

Stupeur est un roman qui réunit deux femmes. L'une, Rachel, est une très vieille femme de quatre-vingt-dix ans, mais qui a encore toute sa tête. Elle a combattu autrefois pour un réseau israélien clandestin, précisément en 1948 lorsque le pays d'Israël se construisait dans les convulsions balbutiantes de son histoire. Durant un an, durant cette année traumatisante, elle a été mariée à un homme qu'elle a perdu de vue aussitôt après. Cet homme vient de mourir, il est aussi le père de l'autre héroïne du livre, Atara, cinquante ans, il fut pour elle un père violent. Ces deux femmes vont cheminer l'une vers l'autre, formant l'arc qui soutient le texte, même si dans la poursuite du roman, c'est véritablement Atara qui va porter le récit. C'est déjà comme une transmission...

Le malheur s'invite chez Atara dans le paysage familier et recomposé de son existence, venant bousculer ses certitudes, révéler des blessures dans la difficulté d'aimer, tandis que Rachel, elle, chemine vers une mort inéluctable qui enfouira peut-être à jamais sous la terre des souvenirs inexacts, des secrets mal éteints.

Jérusalem, Haïfa, Tel Aviv... Je m'invite dans ce voyage féminin sans trop savoir où je mets les pieds.

Ces deux femmes qui ne veulent rien lâcher ont tant de choses à se dire, tant de choses à révéler l'une à l'autre, tant de questions qui viennent se fracasser confusément à l'aune de l'incompréhension d'un monde qui leur échappe encore un peu...

Dans un état de bouleversement intérieur, ces deux femmes de deux générations différentes, qui auraient pu ne jamais se connaître ni se rencontrer, entrent dans un long chemin d'introspection, marchant l'une vers l'autre, parfois à tâtons, parfois reculant, toujours étranglées par l'appréhension et l'espoir qu'une lumière vienne forer enfin les ténèbres au moment où elles se parleront.

Livre du deuil, du souvenir, de la mémoire...

Se souvenir est bien plus qu'un travail vibrant de la mémoire, c'est aussi une quête sacrée.

Stupeur se déroulant sur le territoire israélien d'aujourd'hui, je me suis demandé si cette histoire pourrait avoir le même sens ailleurs, à un autre endroit de la planète, meurtri en sa chair ?

Car ce territoire et ce peuple d'Israël portent la rencontre avec les personnages de ce roman.

Est-ce ici l'histoire d'un peuple en quête d'une terre, entre espérance et radicalité, est-ce l'intime qui tutoie l'universel ?

On pourrait y lire le prétexte de la cause du peuple israélien, son errance, sa fragilité, sa douleur, pour dire la vie, la mort, mais l'intention de l'autrice, me semble-t-il, est bien plus subtile et complexe.

Je me suis demandé si le chemin chaotique de ces personnages, de ces familles recomposées, fragmentées par ailleurs dans les blessures, les tentatives de réparations et la culpabilité, était le prétexte à évoquer celui non moins chaotique d'un peuple et d'un territoire, ou bien si cétait l'inverse. Les routes ne sont-elles pas si entrelacées et finalement mélangées qu'il serait vain de vouloir répondre à cette question ?

Il faut sans doute voir dans cette histoire une métaphore des peuples et des territoires, ceux qui, par idéalisme, courage ou aveuglement, ont choisi l'errance, la faim, parfois le fanatisme, la prison, les blessures et la mort.

Mais un mort vaut-il toujours un autre mort ?

L'absence de paix domine dans le coeur des personnages comme dans l'âme blessée d'un territoire.

Les personnages de ce roman portent en eux, dans leur difficulté de s'aimer, celle aussi de se chercher, de se trouver, les traumatismes individuels et collectifs qui continuent d'habiter un territoire névrosé.

Un sentiment de culpabilité prévaut sans cesse tout au long du récit, couture les pages, culpabilité du peuple juif, culpabilité du territoire d'Israël, culpabilité des personnages. Comment ne pas voir dans ce sentiment de culpabilité le drame de l'histoire qui ne cesse de se perpétrer comme une déflagration, dans cette difficulté voire impossibilité de deux peuples, le peuple juif et le peuple palestinien à savoir faire la paix ensemble sur ce territoire blessé dans sa chair ?

Mais faire la paix, ce n'est pas s'aimer.

J'avance moi aussi à tâtons dans cette lecture envoûtante, rassuré par le réconfort de me savoir pas seul.

Ces personnages peuvent être animés par l'amour d'Israël, tout en ne sachant pas aimer leurs enfants, ou du moins pas comme il le faudrait. L'amour n'est jamais loin, l'amour filial, l'amour des autres, l'amour qui étreint, fascinant, fasciné, irrésolu dans le désir de l'autre et le besoin d'être aimé. Certains d'entre eux prennent parfois des décisions dans l'élan de la passion amoureuse. Qui ne l'a pas fait ? Pour cela je pourrais vous dire que Stupeur est aussi un très beau roman d'amour.

Dans ce livre d'une écriture magnifique, d'une beauté crépusculaire somptueuse, Zeruya Shalev nous dit l'impossibilité d'échapper à son histoire.

L'autrice israélienne m'a touché à plusieurs endroits...

Disant le deuil et cette manière balbutiante de reprendre le cours de nos vies après...

Disant comment une femme peut devenir étrangère en sa propre maison...

Disant la trajectoire de jeunes adultes, à peine sortis de l'enfance, qui s'enrôlent dans des unités combattantes...

Disant le suicide de soldats...

Disant comment parfois nos émotions sont piégées dans des bras consolateurs...

Dessinant les personnages multiples de ce roman, offrant leurs voix, leurs gestes, leurs fêlures...

Ce sont des constellations emplies d'espoir et de douleurs, ballottées par des flots impétueux, tandis que leurs proches parfois ne sont plus là, mais demeurent encore présents malgré tout, les côtoient au quotidien, leur laissant désormais le soin de continuer de porter les épreuves de la vie après eux.

Les guerres sont des déflagrations qui fracassent des familles sur plusieurs générations. Et dans les secrets de famille, ce sont souvent les enfants qui paient un lourd tribut. Ici j'ai aimé aussi la manière dont Zeruya Shalev campe ces personnages, loin d'être secondaires, que sont les enfants et qui viennent apporter un peu de leur lumière au texte...

Stupeur est un roman magnifique sur l'âme humaine, sur la tragédie de l'humanité qui transforme des personnages déchirés par des vents contraires, des êtres en prise sans cesse avec leurs destins.

L'écho de ce roman résonne en moi de plusieurs manières, sans doute parce qu'il est venu visiter quelques pans intimes de ma propre histoire familiale.

Dans cette stupeur, où deux femmes sont happées dans le récit pour nous tisser une histoire qui les unit, j'ai été happé à mon tour dans les tourbillons de leur rencontre, l'une ressemblant à ma mère, l'autre à l'une de mes soeurs, toutes deux ayant cherché durant toute leur vie à venir l'une vers l'autre... Derrière les blessures installées, il y a toujours des secrets latents qui sommeillent.

C'est un texte intemporel, qui engage autant dans sa dimension intime qu'universelle.

C'est un roman qui m'a engagé.

Celui d'habiter le monde en continuant d'y poser mes rêves et uniquement l'essentiel.

J'avais décidé de lire ce livre dès le mois de septembre dernier, convaincu par le point de vue dithyrambique de ma librairie préférée qui en a fait son plus grand coup de coeur de la rentrée littéraire. Dans le contexte géopolitique actuel marqué par le conflit du Proche-Orient, ayant commencé à lire ce livre quelques jours après le 7 octobre dernier, j'ai été invité dans cette lecture à effleurer la complexité de l'identité plurielle israélienne, cet hubris tragique qui porte le destin de ce pays, j'ai été invité à m'en approcher, à poser ce regard étonné, inquiet, ahuri, parfois révolté, toujours ému.

Étrangement, malgré un récit qui laisse sans répit, j'ai lu ce livre dans un état ensorcelé par la douceur que je devinais en embuscade, peut-être en raison de la sororité du texte, je venais de quitter les membres d'une famille qui m'étaient devenus résolument si proches.

À la toute dernière page j'ai compris pourquoi l'autrice avait donné ce titre à ce roman, Stupeur, c'est aussi l'une des plus belles émotions qui m'a été donné de ressentir en lisant un livre, ce livre magistral que je ne suis pas prêt d'oublier.

Dans ce roman qui aurait pu être étranger à moi-même, il y a cependant ici ce qui nous ressemble et nous rassemble à jamais : la vie, l'amour, la mort, c'est-à-dire ce qui nous saisit et nous dessaisit inexorablement.



Je tiens à remercier ma fidèle amie Anna (@AnnaCan) pour cette lecture commune, heureux qu'elle ait accepté mon invitation. L'actualité violente et douloureuse du Proche-Orient s'est forcément invitée dans nos échanges riches et complémentaires, même si ce ne fut pas l'essentiel de notre dialogue inspirant. L'essentiel est cette passerelle entre nos deux expressions. Merci à toi.

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Douleur

Iris vit à Jérusalem où elle exerce son métier de directrice d'école. Au début du roman, elle vit une laide journée car elle se rappelle l'attentat horrible dont elle a été victime il y a dix ans.

Après avoir déposé ses enfants à l'école, elle était passée aux côtés d'un bus en voiture et le bus a explosé.

Des blessures horribles dont elle porte encore des stigmates aujourd'hui et surtout une horrible douleur qui semble se réveiller en ce jour anniversaire.

Ses enfants sont devenus grands : sa fille vit à Tel-Aviv et son fils, un adolescent épanoui et libre vit encore chez eux. Elle vit avec son mari Micky mais à distance. Elle nous montre bien la solitude d'une femme qui souffre.

En se rendant à l'hôpital, elle rencontre son ancien amoureux, devenu médecin. Il l'avait laissé tomber dans des circonstances particulièrement injustes.

A partir de ce moment, Iris qui avait laissé son apparence se déglinguer, va essayer de revoir cet homme et va faire renaître sa féminité.

Un magnifique roman avec une écriture réaliste et poétique à la fois dans certains passages. L'auteure a réussi à me faire comprendre tout à fait la vie d'Iris.

Je craignais un peu au début, quand j'ai vu que le livre était traduit de l'hébreu, que les habitudes ne soient trop différentes des nôtres mais pas du tout, une vie de femme , des sentiments de femmes paraissent universels à travers cet écrit.

C'est le premier roman que je lis de Zeruya Shalev déjà connue chez nous pour son prix femina étranger en 2014.



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Stupeur



Je dois avouer que le début de "Stupeur" de Zeruya Shalev m’a légèrement déçu.

Je l’ai trouvé à la fois confus et répétitif surtout pour une des meilleures écrivaines de son pays.

Ce n’est que lorsque l’implication historique des relations entre les personnages principaux est évoquée que le récit prend une toute autre allure.



Cette implication historique remonte à la Palestine sous mandat britannique et juste avant la fondation de l’État d’Israël et plus particulièrement sur le rôle du mouvement paramilitaire sioniste Lehi ("Lohamei Herut Israël ") ou Combattants pour la liberté d’Israël, aussi connu comme le groupe Stern, d’après le nom de son fondateur Avraham Stern, appelé également "Yair". Ce Stern d’origine polonaise, né en 1907, était un brillant élève, qui était persuadé qu’il fallait chasser les Anglais de Palestine par tous les moyens, même violents. Il fut tué par un officier britannique en février 1942. Après sa mort le Lehi a continué son combat jusqu'en 1948 et fut dissous après l’assassinat du comte Folke Bernadotte, le médiateur de l’ONU, le 17 septembre 1948.



Sur ce mouvement existe un intéressant ouvrage de Natan Yalin-Mor "Israël, Israël... Histoire du groupe Stern" de 1968.



Longtemps après la création d’Israël les activités du Groupe Stern, à cause de leur extrême violence, sont restées un sujet fort controversé parmi les Israéliens et c’est cette réalité qui forme à la fois l’arrière-plan et le point central du roman de Zeruya Shalev.



Le lien des 2 protagonistes principaux, la nonagénaire Rachel et la cinquantenaire Atara se réfère justement à cette période de lutte en 1948 et plus particulièrement aux conséquences interhumaines de cette extrême violence.



Compte tenu du résumé un peu trop révélateur sur la quatrième page de couverture, à mon avis, je veux juste souligner la maîtrise étonnante de Zeruya Shalev dans son approfondissement psychologique de personnes confrontées à des choix fondamentaux en temps de crise.

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Douleur



La douleur d’Iris se réveille en ce jour où son époux lui rappelle qu’elle fut victime d’un attentat dix ans auparavant en plein Jérusalem. Mais plus qu’une douleur physique, Iris cache en elle des souffrances qu’elle n’exprime pas. Désormais directrice d’école, elle a à cœur de s’occuper des enfants des autres qu’elle connait mieux que les siens. Sa fille, notamment, qui a choisi de partir vivre à Tel Aviv. Iris ne s’est jamais remise d’avoir été brusquement abandonnée à seize ans par son premier amour et ne supporte désormais plus la présence de son époux. Jusqu’au jour où par hasard, elle croise dans un hôpital son amour de jeunesse devenu un médecin émérite. Mais peut-on reprendre sa vie à l’endroit où on l’a laissée trente ans plus tôt comme si rien ne s’était passé ?



L’auteur dissèque admirablement les sentiments contradictoires de cette femme. Ils lui permettent de radiographier la vie quotidienne en Israël et de toucher du doigt l’importance de la religion et de l’armée (en particulier la conscription). Le seul bémol que j’apporterais serait cette subite reprise de communication au sein de cette famille en dérive, comme si la parole pouvait comme par magie solutionner tous leurs problèmes.

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Stupeur

Politique et intime sont sur un bateau, le premier tombe à l'eau. Que reste-t-il ? Stupeur, il ne reste rien, l'autre est tombé aussi. C'est l'image qui me reste de ce roman faste, parfois long, le plus souvent englué dans les relations familiales quand même.

Ce n'est pas un hasard si Atara est architecte du patrimoine, elle restaure les vieux bâtiments, « Non pas pour arrêter le temps mais pour intégrer celle-ci (l'architecture) au flux contemporain sous un nouvel angle ». Pas un hasard, non, pour un tel personnage qui découvre en début de roman le premier mariage de son père, jusqu'alors caché, avec pour future mission – déformation professionnelle oblige, de l'intégrer à sa vie actuelle de famille fragmentée. Elle découvre ainsi une autre femme que sa mère – la si symbolique Rachel avec sa prière éponyme, avec qui le père avait uni ses idéaux sionistes dans les années 40 et le groupe Léhi (Stern), sans se douter que la création d'un état d'Israèl ne clôturerait en rien les tensions dans la région. Sans se douter non plus des répercussions possibles dans l'intime et la famille. Le présent est ainsi celui de familles qui se morcellent en tentant de se recomposer, de vie de couple sous tension, d'enfants qui se tournent vers des idéaux pas forcément attendus par les parents, ou vers d'autres destinations. On est en Israèl et la vie de famille côtoie l'histoire du pays, les deux flux semblent se confondre, se mêler, s'unir ou se repousser, ils sont en tout les cas liés dans une narration majestueuse et fleuve qui ondoie entre politique et intime.

J'ai bien aimé (malgré les longueurs).



« Arrivé devant chez elle, il lui décrivit avec la même passion, comme si la frontière entre le politique et l'intime était très floue, la manière dont s'étaient révélés à lui les sentiments qu'il éprouvait pour elle. le jour où elle était tombée et qu'il courait chercher de l'aide pour la sauver, il avait fait un serment : si Rachel survit, elle sera ma femme et je n'en aurai jamais aucune autre. »

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Ce qui reste de nos vies

Une vieille femme, Hemda, vit sans doute ses derniers jours à l'hôpital de Jérusalem. Dans ses divagations, elle revit son enfance dans un kibboutz, son père , excessivement sévère et exigeant , sa mére souvent absente, son mariage avec un homme qu'elle n'aime pas....Elle n'a pas su aimer sa fille Dîna, car elle est venue au monde en même temps que la mort de son pére : " Cela avait formé un noeud gêné et putride qui, à chaque contact gênérait l'effroi...." Elle a adoré son fils , Avner , né deux ans plus tard. Elle le révère toujours....avocat, il s'occupe des bédouins, plaide pour les désarmés et les humiliés ....Il a épousé Salomé, son amour de jeunesse mais ils ne s'aiment plus, il quitte le foyer conjugal.Dina a épousé Amos. Elle renonce à une brillante carrière pour s'occuper de leur fille unique Nitzane, celle- ci adolescente s'êloigne d'elle. Malheureuse , elle décide d'adopter mais son mari refuse......

Tous ces êtres sont déchirés , ils ont construit des vies non désirées,avec des femmes ou des hommes qu'ils n'ont pas pu ou su aimer.....

Autour de l'accompagnement d'une mourante, l'auteure dépeint la quête de l'amour à l'heure des bilans, les relations étranges et mystérieuses tissées entre parents et enfants, tensions, ressentiments , peurs , colères , frustrations....amour?On se glisse dans l'intimité et les névroses des personnages, cela ressemble à un questionnement philosophique, universel qui nous oppresse ....

C'est un ouvrage très dense, à l'écriture pesante, chargée, pointilliste, sans un espace de légèreté ......une œuvre pessimiste, forte, psychologique, qui bouleverse et dérange!

Ce voyage dans la mémoire, les souvenirs, la destinée est poignant , authentique, fouillé, juste, digne, à la lecture difficile et exigeante! A ne pas conseiller à ceux qui n'ont pas le moral! La fin nous réconcilie un peu avec l'espoir !
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Douleur

Douleur est un roman de belle facture où la tension dans l’écriture est palpable au-delà des mots.



Sa première de couverture dégage liberté et sensualité, son titre pourtant nous laisse avec toutes les questions…



Alors malgré une réelle hésitation, j’ai cédé à la tentation, son titre me faisait craindre de tomber dans le pire …d’un côté comme de l’autre…



Douleur est un condensé de joies et de souffrances qui jalonnent une vie.



L’histoire se déroule en Israël. Iris y vit avec son mari, Micky et leurs deux enfants, Alma et Omer.



A 45 ans, cette mère de famille, directrice d’école a été victime d’un attentat dix ans plus tôt qui la laisse malgré toute sa persévérance et son courage avec des séquelles. Pourtant, elle n’est pas dans la plainte, appréciée et assidue dans son travail.



Malgré toute son énergie, la douleur est là comme une ombre au tapis qui finit par la contraindre à consulter.



C’est donc dans des circonstances totalement fortuites qu’elle rencontre un médecin qui n’est autre que Ethan son amour de jeunesse qui l’avait quittée sans préavis à l’âge de 17 ans.



Un mariage qui bat de l’aile, des problèmes avec ses enfants, Iris se retrouve à la croisée des chemins de son destin en tombant dans les bras de ce sensuel et tenace médecin.



L’auteur nous embarque dans une passion fulgurante et nous tient en haleine. L’ascenseur émotionnel fait passer par de nombreuses et subtiles conjectures dans le passé, le présent et interroge le futur dans une fine psychologie des personnages.



La tension littéraire est dévorante. Iris est face à des choix cornéliens…



Laissez vous happer par douleur…



Un hymne à la vie…

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Douleur

Comment ne pas être emporté par cette histoire vibrante, à la fois intime et universelle, une matière romanesque pleine et entière, tissée d'une belle et singulière densité? à rebondissements ?

Où l'auteur nous happe à l'aide d'une prose introspective, plaisante et subtile, le récit prenant, impossible à lâcher de la douleur d'Iris, rescapée d'un attentat, dix ans après .

Après une décennie passée à désapprendre moralement et physiquement la souffrance et l'effroi, il suffit d'une simple question de son mari "Tu te souviens de quel jour on est aujourd'hui ?"

Reviennent alors , intacts-le corps qu'on croyait réparé-se crispe et se convulse à nouveau-, l'âme que l'on désirait sereine-se met à vriller-

Douleur raconte quelques semaines de la vie de cette femme de 45 ans, courageuse israélienne, rattrapée par son passé qu'elle pensait avoir laissé derrière elle : une douleur qui se rappelle à elle de maintes façons :



Une douleur physique; la douleur de la réapparition soudaine de son grand amour de jeunesse, une douleur vive et ancienne , lancinante, la perte très jeune de son père à la guerre, en cette terre d'Israel; avec ses particularités, notamment la conscription obligatoire pour les jeunes ! Les veuves et les orphelins de guerre !



Je n'en dirai pas plus !



Une réflexion riche, pleinement aboutie sur les secondes chances, l'obsession du passé.

Peut-on réparer ses erreurs ?

Retrouver ses rêveries?Oublier , repousser ces drames ?

Une oeuvre magnifique, intimiste, un portrait émouvant qui touche au coeur, de ce personnage tiraillé entre sa famille et sa culpabilité , dont l'auteur, avec sa capacité de pénétrer dans l'âme d'Iris ;de se glisser dans sa chair meurtrie, ,avec finesse et précision; nous fait partager les doutes, le manque de communication; les angoisses , la fragilité, la force aussi .

Une parabole sur la communauté israélienne faite de défis collectifs et de contradictions !



Un ouvrage à la psychologie incroyablement fouillée et subtile, dotée d'une belle pulsion de vie !

J'ai adoré ce livre, même si ce verbe est excessif !Une telle somme d'émotions!

C'est mon deuxième de cet auteur et certainement pas le dernier.

Ce n'est que mon humble avis , bien sûr , je dirais : Lisez- le !
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Stupeur

Stupeur.

Zeruya Shalev tisse un récit arachnoïdien autour des deux héroïnes Atara et Rachel et cette toile piège aussi le lecteur. J’ai eu du mal à me délivrer d’une narration atypique, bousculant la chronologie, jouant sur les temps et les époques, et qui parfois, à force de répétition devient psaume.

Il m’en reste quelques filaments de lumière.

De quoi et de qui parle-t’on ?

Nous sommes en Israël, de nos jours.

Atara, la cinquantaine, habite Haïfa, la grande ville portuaire adossée au « wad ». Elle est spécialiste en bâtiments historiques et vit avec Alexander, un chroniqueur à la carrière demi-réussie qui a pris sa retraite anticipée. Le couple va mal. Ils se sont passionnément aimés, ont « brisé » (selon Atara) leur famille respective (elle a eu une fille de cette première union et lui un fils) et ont un fils, Eden, qui est lourdement dépressif après avoir servi quatre ans dans les commandos.

Rachel a quatre-vingt dix ans. Elle est veuve et vit seule dans une colonie proche de Jerusalem. Elle a deux fils mais c’est le benjamin, qui vient la voir tous les jours, qui tient le plus grand rôle dans l’ensemble du récit : Amihaï est un juif ultra-orthodoxe à la famille nombreuse. Il est disciple d’un obscur rabbin de la ville de Bratslav ayant écrit, il y a deux siècles, un recueil d’histoires sibyllines qui sont pour lui un chemin de vie.

Rachel a été l’épouse du père d’Atara, il y 70 ans, pendant la guerre d’indépendance contre l’occupant britannique. Ils étaient engagés dans la résistance armée. Mais Mano l’a répudiée sans qu’elle comprenne et elle ne l’a plus jamais revu. Plus tard, il a refait famille, a eu deux filles dont Atara, son souffre-douleur, son bouc-émissaire.

Stupeur raconte la rencontre entre Atara et Rachel.



Ce livre dense est à interpréter, comme dans la tradition biblique, sur quatre niveaux.

Je ne suis pas juif et je suis athée, mais j’ai été biberonné à René Girard et Marie Balmary !

Pshat, le niveau littéral :

Stupeur est un livre pénible sur la conjugalité des personnages, sur l’histoire de leurs enfances mais aussi sur l’histoire de la création d’Israel en 1948 etc. La narration fait de multiples va-et-vient, est parfois redondante, il faut s’accrocher…

Remez, le niveau allusif:

Stupeur est un livre intéressant sur la difficulté d’aimer et de vivre, dans l’Israel aujourd’hui, sur la violence au quotidien et l’avenir incertain dans cet Etat cosmopolitite, marqué par l’avénement du nationalisme.

Drash, le niveau homilétique, métaphorique :

Stupeur est un grand livre sur la mort, le deuil, la filiation, la culpabilité et l’auto-flagellation. L’amour, le lien n’y sont possibles qu’au prix du sacrifice d’un tiers : le bouc-émissaire

Sod, le niveau mystique, n’est pas absent de ce livre aux multiples références talmudiques. C’est ce qui m’a le plus intéressé et c’est ce qui nous est livré dans les fameuses histoires du rabbin de Bratslav. En ce sens, Amihaï est le personnage central du livre, puisqu’il joint littéralement Atara et Rachel. Puisqu’il permet le pardon au prix du sacrifice.

On l’aura compris, la lecture de Stupeur n’est pas de tout repos.

Je me suis contraint à ne lire aucune critique avant d’écrire celle-ci.



Le propos de Zeruya Shalev est, me semble-t-il, de mettre en perspective la petite et la grande Histoire. En ce sens, elle est très pessimiste car elle nous renvoie constamment aux fautes originelles, à la destruction du Temple, à la nécessité, toujours renouvelée, de jeter dans le vide le bouc désigné par le sort, depuis le Mont Azazel.

La guerre actuelle semble lui donner raison, évidemment. Mais c’est sans compter sur les dernières lignes de Stupeur qui laisse entrevoir une autre issue. Une lueur. Un filament de lumière.

C’est sans doute l’intérêt majeur de ce roman ambitieux.

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Thèra

La lecture de Thèra m’a agréablement surpris. Les histoires de couples, ou de couples à la dérive, ne m’attirent pas particulièrement. Pas du tout, en fait. Mais je suis curieux de nature et, de temps à autre, je me lance dans ce type de bouquin. Et celui-là, avec ses plus de 500 pages, m’effrayait un peu. En plus, dès le début, je me suis senti submergé par ces petits caractères et ces pages remplies comme pas possible. C’est que les dialogues ne sont pas détachés (remarquez, ce n’est une mauvaise chose en soi). Ces éléments dégagent une impression de surchargé. Toutefois, j’ai persévéré et j’en suis satisfait. Zeruya Shalev a extrêmement bien analysé la décomposition d’un couple.



Dans Thèra, on évite les lieux communs, les disputes à n’en plus finir (enfin, presque). Quand le roman s’ouvre, Ella et Amon sont déjà en instance de divorce. Nous sommes davantage devant la séparation des biens, l’organisation de la garde partagée, sur la manière de protéger leur fils unique Guili, six ans. Le roman reste centré sur le personnage d’Ella et son point de vue féminin. Surtout, sur la manière dont elle perçoit les choses. Son sentiment de solitude, de ne pas être à la hauteur, de ne pas être comprise, de se sentir jugée, etc. Et tout cela avec sensibilité et honnêteté.



Puis, Ella rencontre un type, Oded, lui aussi, un père de famille en instance de divorce – enfin quelqu’un qui pourra la comprendre! – et, rapidement, les deux décident d’aménager ensemble. Toutefois, tout aussi rapidement, j’avais l’impression que les choses allaient trop vite. Pourtant, on aurait pu croire que leur situation similaire allait les rapprocher. Mais voilà, il n’y a pas qu’une seule façon de divorcer, chaque famille qui éclate le fait à sa façon. Bref, je trouvais que c’était un portrait très réaliste et moderne des relations de couples qui se terminent et qui se créent, loin des clichés.



Pour revenir à mon impression première, avec ces pages remplies, compactes, à n’en plus finir (ce qui me dérangeait au début, je me sentais attaqué, envahi), m’a finalement plu : j’avais l’impression de partager le malaise d’Ella. J’ai lu deux ou trois autres romans de cette auteure, je ne me rappelle pas s’ils sont tous construit ainsi.



J’aimais bien les parallèles faits avec Thèra, cette île grecque à moitié engloutie par une éruption volcanique, détruisant la civilisation minoenne il y a environ 3500 ans. Après tout, Ella est archéologue. Les comparaisons entre elle, son couple et cette île détruite ne manquaient pas. « […] cette famille-là allait bientôt être rayée de la surface de la terre? » (p. 213) Ils revenaient de temps à autre. Toutefois, son emploi d’archéologue semblait plus un prétexte à ces comparaisons qu’à une véritable occupation.



Au final, ce roman de Shalev fut une lecture que je suis content d'avoir faite.
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Ce qui reste de nos vies

Jérusalem : une terre aux multiples Cultures, aux multiples croyances, qui voit s'affronter ses "enfants" qui ne parviennent à vivre ensemble que dans la violence et la haine.

Jérusalem : presque le reflet de l'âme de Hemda, le contour ombré de la vie de ses deux enfants.



Hemda se meurt. Dans ce lit où elle entreprend le dernier voyage, les souvenirs ressurgissent, les événements cruciaux de son passé affleurent, les lieux se dessinent avec intensité : peut-être pour permettre une ultime possibilité d'être vécus, d'être visités et que leur réalité s'écrive autre.





A son chevet, s'épanchent ses deux enfants.



Avner, le fils, le préféré, avocat des exclus, des expulsés, des chassés, gardien des Droits de l'Homme sur une terre où la cohabitation ne s'écrit qu'au fil des actes sanglants.

Sa vie familiale est un échec : un éternel combat avec celle qu'il a épousée pour fuir l'amour trop possessif d'une mère.

Avner qui s'autorise la flambée d'une passion ans espoir pour une femme qu'il sait inaccessible mais qui incarne, à ses yeux, l'amour partagé, incandescent, éternel et librement consenti, celui qu'il n'a jamais connu.



Dina, la fille, l'aînée, la sacrifiée, celle qui n'a pas reçu l'amour maternel. Sa mère lui a juste consenti le peu qu'elle avait reçu de sa propre mère. Un amour tout en ressentiment et teinté de reproches, tout en désinvolture et regrets.

Dina en plein affolement de la ménopause, de tout ce qu'elle suggère d'inéluctable et d'avenir, elle s'émeut d'entrer dans la partie de la vie stérile - à l'image de l'enfance, comme un retour vers celle-ci mais avec des promesses d'avenir bien ténues, sans espoirs auprès d'un mari distant et peu démonstratif et d'une fille adorée qui s'éloigne et s'émancipe. Pour continuer "d'exister", elle envisage d'adopter un enfant, pour l'aimer lui qui ne connaît peut-être même pas ce sentiment, pour l'aimer et être aimée surtout, elle qui a tant manqué.

Seule , contre les arguments d'un mari hostile à l'idée, elle s'enflamme pour cette seule espérance.





Au delà du roman, c'est un texte "d'écriture", une langue riche, travaillée, très ornée qui exhale et distille les beautés d'un territoire, d'une nation et des cultures qu'il porte. C'est un récit tout en introspection de ces êtres fracassés, de leurs âmes, condamnés à vivre ensemble mais qui n'éprouvent que peu ou trop les uns pour les autres et qui se comprennent à grande peine.

Ce n'est que quand ils se laisseront désormais habiter par la douceur, par l'indulgence, prenant, contre toute adversité les décisions qui les libèrent de leurs entraves réelles ou supposées, qu'ils atteindront la béatitude d'une vie pleine, auréolée de sentiments et d'attitudes bienveillants à l'égard d'autrui.



de ces êtres comme de la terre qu'ils foulent, c'est l'amour qui a manqué ou qu'ils ne savent pas donner, ou celui qu'ils ont construit pour entraver ceux qu'ils veulent retenir, qui les empêche ou les as empêchés tout simplement de vivre pleinement l'espace d'une existence.





Une très belle lecture d'une grande intensité...



(Juin 2022)

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Douleur

Zeruya Shalev , romancière israélienne Prix Femina étranger en 2014 avec « Ce qui reste de nos vies » revient avec « Douleur » un très beau roman sur le passé et la possibilité d’avoir une seconde chance. Une histoire très personnelle d’une femme de 45 ans, Iris, rescapé comme Zeruya Shalev, d’un attentat dix ans auparavant.



Douleur est d’abord la douleur physique, les séquelles d’un attentat qui la fait encore souffrir. Mais c’est aussi la douleur psychique. Celle d’avoir perdu son père durant la guerre de Kippour. Celle d’un cœur brisé pour avoir été abandonnée par son premier et grand amour. Celle de ne pas avoir épousé la bonne personne. Celle de voir sa fille tombée sous l’emprise d’un gourou. Celle du passé qui conditionne le présent.

L’apparition d’Ethan, son premier amour, lui fait croire que tout peut recommencer. Retrouver les rêves de sa vie, oublié les drames. Mais leurs vies ont des cicatrises différentes. Même si leur amour est intact, leurs chemins sont différents. Est-il trop tard ? Peut-on réparer les erreurs du passé ?



L’écriture de Zeruya Shalev a cette capacité de pénétrer dans la profondeur de l’âme de son personnage principal. Le style est fluide, d’une grande finesse. Avec beaucoup d’émotions et aussi de fragilités, on partage les angoisses et les douleurs d’Iris.

À travers son roman, l’auteur dresse aussi un portait d’Israël avec ses cicatrices qui conditionnent la vie de ce pays. La douleur des veuves et des orphelins des guerres, la douleur des rescapés des attentats, mais toujours avec cette volonté de se reconstruire.

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Stupeur

Rachel est la première femme de Menahem Rubin, Mano. Ils ont combattu ensemble contre l’occupant britannique administrateur des territoires palestiniens après la deuxième guerre mondiale, décidés à faire de cette terre leur pays d’Israel « Nous voulions faire expier les Anglais et venger tous ces bateaux d’émigrants qui après avoir échappé à l’enfer Nazi étaient renvoyés à la mer (1)»

Rachel avait 15 ans en 1944, et « à 20 ans, elle s’y connaissait bien mieux en affaires militaires qu’en affaires de coeur, et évidemment ne connaissait rien aux mystères de l’âme. »

Ils se sont mariés en 1947, mais quand la mort est la compagne de tous les jours, que vaut un mariage célébré dans la clandestinité ?

Mano décide de rompre le 17 aout 1948 et la fin de ce mariage signifie aussi la fin de leurs rêves.

Rachel pleure autant la fin de leur mariage que la fin de leur combat. Rachel est « enfermée dans son monde à elle. » comme le rapporte son fils Amihaï « elle parlait beaucoup de sa période de clandestinité, de ses mais tués au combat (…) on avait l’impression qu’elle était ailleurs (…) elle évoquait ces années là avec une grande nostalgie.»

Elle recherche ce pays dont elle a rêvé, qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais. Ce pays où «Ce n’était pas un hasardais l’on trouvait côte à côte, dans le Lehi, Yossef le communiste et Zvi le croyant. »

Cette nostalgie fait irruption dans sa vie lorsque Atara la fille que Mano a eu d’en deuxième mariage vient frapper à sa porte. Que sait la jeune fille de sa vie passée, pourquoi lui rend elle visite ? Rachel va-t-elle révéler le secret que cache le prénom Atara ?

Les deux femmes partagent cette vision d’un pays qui n’est pas celui qu’elles vivent.

La jeune femme s’interroge sur le retour du religieux dans le quotidien « Ils vivent encore au dix-huitième siècle dans leur village polonais ! », elle et son mari Alex s’insurgent « Ce n’est pas pour cela que j’ai émigré de Pologne (…) Je n’ai pas lutté pour voir mes fils et petit fils accoutrés comme les juifs de la Diaspora. »

« Nous ne nous laisserons pas massacrer comme les Juifs d’Europe » disait alors Rachel.

Les personnages outre Rachel et Atara, se retrouvent dans leurs interrogations, leurs tentatives de changer de vie en changeant de partenaires, leurs difficultés à transmette aux enfants des valeurs dont ils s’éloignent le plus souvent.

Dans un roman envoutant qui ne laisse jamais le lecteur indifférent Zeruya Shalev nous guide dans l’histoire de la construction d’Israel en montrant comment elle interfère avec la vie de ses personnages et les confronte à leurs choix, leurs renoncements ou leurs trahisons supposées.

Le récit renvoie aussi aux responsabilités des démocraties occidentales et à leur passivité face à la Shoah.

Sans prendre partie, l’auteur nous fait comprendre l’omniprésence de la religion dans les gestes du quotidien, souligne le paradoxe d’une société contemporaine où les coutumes religieuses maintiennent un lien fort avec le passé et nous fait partager le rapport évident des personnages avec ces traditions.

Le roman a l’épaisseur d’une broderie dont les personnages seraient les fils de différentes couleurs tissés ensemble pour réaliser un portrait complexe mais complet, visible au premier coup d’oeil.

L’immensité du pays y est omniprésente, « (…) où les paysages jaillissent d’un coup, comme recréés durant la nuit. »

De magnifiques évocations de la vieillesse « (…) la grande main masculine de Rachel est toujours posée sur la sienne, alors elle se met à la détailler, fascinée, comme si une antique carte au trésor y était dessinée. Sans dire un mot, elle se focalise dessus, cherchant la cachette entre les îles brunies par le temps, les déserts de soleil et les méandres veineux des ruisseaux. »

Merci à Gallimard et Babelio pour l’envoi de ce roman dans le cadre de la rencontre avec l’auteure le 8 septembre.



(1) Voir le film d'Otto Preminger EXODUS, 1960, avec Paul Newman et Eva Marie-Saint
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Stupeur



Deux femmes, deux trajectoires qui s'entrecroisent. Et pourtant rien ne paraissait les amener à se rencontrer, ni leur âge, ni leur lieu de résidence. Nous apprenons très rapidement ce qui les rapproche.

Alternent des chapitres consacrés à la vie et au passé des deux femmes.

Attara, la petite cinquantaine, architecte du patrimoine, se fait appeler Rachel par son père Menahem, à l'agonie, qui croit reconnaître dans les traits de sa fille, sa première épouse, à qui il avait promis de ne pas se remarier.

Attara retrouve Rachel, aujourd'hui nonagénaire, veuve de son deuxième mari, et mère de deux fils, le plus âgé en conflit avec elle, et le plus jeune devenu ultraorthodoxe. Les deux femmes tentent à plusieurs reprises de se parler mais les premiers contacts sont difficiles.

Rachel a fait la connaissance de Menahem dans un mouvement terroriste juif, le Lehi, auteur d'attentats contre les anglais dans la Palestine mandataire sous mandat britannique, avant la création de l'état d'Israël en 1948. Les deux jeunes amoureux, exaltés et pleinement investis dans leur mission, "combattants morts et isolés", font passer leur idéal avant leurs relations familiales. Un fâcheux concours de circonstances conduit Menahem à endosser la responsabilité de la mort d'une jeune femme, et à divorcer de Rachel.

Attara, dont l'enfance a été marquée par un rejet de la part de son père Menahem qui en a fait son souffre-douleur, entretient une relation teintée de mépris et d'hostilité avec son deuxième mari Alex. Elle est préoccupée par ses enfants, sa fille partie suivre des études aux Etats-Unis et son fils, hagard depuis son retour du service militaire. Comme son père avant elle, elle ressent une très lourde culpabilité et une forme d'incapacité à obtenir le pardon.

Les secrets du passé empoisonnent le présent.

Les histoires se répètent, se répondent. Des évènements aléatoires, des grains de sable, viennent bousculer le cours des destinées. Les choses auraient pu prendre une toute autre tournure. Attara a-t-elle commis une faute ? Elle se pose inlassablement la question.

Rachel sera le trait d'union qui lui permettra de retrouver son père.

Les deux femmes vivent dans un pays meurtri, au bord du gouffre, où la religion pèse de tout son poids et où flotte un sentiment de danger imminent. Des conflits de génération éclatent entre des parents nationalistes athées à l'origine de la création du pays et des enfants qui deviennent des religieux ultraorthodoxes. La question des territoires occupés fracture également les familles.

Zeruya Shalev, qui a écrit son livre avant le 7 octobre, fait don de prémonition en évoquant le sujet des chambres sécurisées dans les logements.

Elle nous offre ici, une oeuvre passionnante, dense, intense, où elle allie finesse psychologique, examen au scalpel de son pays, et sens de la tragédie.

Je retrouve l'autrice dont les capacités à disséquer les relations humaines m'avaient marquée dans ses premiers romans, Vie amoureuse et Mari et femme.



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