Citations de Zeruya Shalev (192)
Si seulement on savait s’aimer autant que se fâcher, embellir autant qu’enlaidir, donner et prendre du plaisir autant que donner et prendre des coups.
Quand on aime quelqu’un, on sent sa douleur.
Comment accepter qu’il soit plus simple de communiquer avec un étranger qu’avec son mari ? (..)
Tel est sans aucun doute le paradoxe le plus répandu et le plus révoltant de la vie conjugale, à quoi bon se mettre ensemble si c’est pour s’éloigner au fil du quotidien ?
L'intimité engendre tant de frictions et de vexations, de blessures et de cicatrices, que n'importe quel sujet devient rapidement trop sensible et on ne peut plus en parler avec efficacité.
Y a-t-il un événement aussi heureux et aussi douloureux à la fois que la naissance ?
La douleur serait donc un processus de défense, lui répète Micky tandis qu’ils roulent sur la voie sinueuse vers le haut de la colline. D’une manière générale, le système nerveux produit une douleur pour prévenir que quelque chose ne va pas dans l’organisme, mais s’il est lésé, il agit comme le détecteur de fumée qui continue à sonner après que le feu a été éteint. Tu as compris, c’est passionnant ! Il a même dit que, parfois, c’est la guérison qui engendre le problème. Le nerf blessé qui guérit se réveille et commence à émettre des signaux de détresse. Ça s’appelle une douleur post-traumatique.
-Je suis contente que ça t’enthousiasme autant, susurre-t-elle, parce que moi, ça me déprime.
Parfois c’est ainsi, mais parfois c’est le contraire : la puissance de la relation parentale exclut les enfants.
Elle qui a si souvent répété à ses élèves que les mensonges revenaient toujours à faire des croches-pieds à ceux qui les avaient inventés, voilà qu'elle en est l'incarnation parfaite, mais il arrive exagérait-elle parfois pour augmenter sa force de dissuasion, que certains mensonges se transforment en vérité à notre insu.
...de blanches ambulances mutiques qui arrivent, puis une étroite civière ailée descend vers elle, elle est soulevée, déposée dessus et c'est à cet instant , l'instant où elle est arrachée à l'asphalte brûlant, qu'elle le sent pour la première fois, ce mal abominable qui prend possession de son corps.
Il est plus facile de retenir les images que les idées ou les mots. (..) nous créons donc dans notre cerveau des châteaux de souvenirs pour pouvoir ultérieurement venir visiter tous les espaces ainsi définis.
Et pour la première fois, elle songe qu’elle aussi est une femme sous influence, qu’elle aussi s’est laissé dominer, toutes ces années, par un cruel tyran : son passé, dont l’ombre pesante et corrosive lui a gâché la vie.
Elle revenait aussi sur l’opération où ils avaient fait sauter le pont Neeman afin de couper la voie ferrée qui reliait la Syrie à l’Égypte, précisait qu’elle avait insisté pour y participer et leur en décrivait le déroulement : ils avaient entendu, affolés, le train approcher, en avance d’une bonne heure, et avaient à la hâte décroché les pains d’explosifs qu’ils venaient difficilement de placer pour ne les repositionner qu’après le passage du dernier wagon, « nous voulions saboter leurs moyens de transport, pas tuer des innocents. Nous voulions faire expier les Anglais et venger tous ces bateaux d’immigrants qui, après avoir échappé à l’enfer nazi, étaient renvoyés à la mer. »
C'est plus dur de s'en vouloir à soi-même que d'en vouloir au destin.
Qu’il est laid ce mot d’adultère, comment peut-on ainsi qualifier une rencontre si belle, si heureuse ?
"C'est peut - être ce que ressentent les morts, à supposer qu'ils ressentent quelque chose, la lourdeur de leur corps, la lourdeur de leur mort, la lourdeur de la séparation, car elle a l'impression qu'elle est en train de se séparer,qu'à l'instar du cheveu qui se détache sans bruit elle se détache de son corps, n'a plus ni poids ni emprise, le vent qui souffle à travers le rideau la soulève et l'emporte , elle plane sans force ni volonté dans l'immensité d'un ciel de givre, privé de limites et privé d'horizon....."
"Elle a l'impression que la douleur monte des touches dans ses doigts crispés, non, elle n'a pas le droit de lui écrire maintenant de peur d'être affaiblie dans son combat pour sa fille, elle n'a même pas le droit de penser à lui, car soudain, en un instant d'effroyable lucidité, elle comprend : ce n'est que si elle renonce qu'elle pourra demander à sa fille de renoncer."
- Oui, peut-être que tu m'aurais quitté, tu as toujours eu le sentiment que tu méritais mieux que moi. A part que la manière exceptionnelle dont je me suis occupé de toi a coupé court à toutes tes velléités.
Stupéfaite, elle fixe son crâne rasé, comme le cerveau rasé d'autrui est mystérieux, plus encore que l'avenir !
Leur vie commune lui apparait soudain comme des travaux forcés, ils creusent au fond d'une mine le plus souvent sombre et étouffante, mais, de temps en temps, découvrent quelques diamants d'une beauté inégalée.
Nous avons bien changé, toi et moi, songe-t-elle en regardant son visage fané dans le rétroviseur extérieur. Tout comme on ne peut plus reconnaître en toi le pays que tu étais, on ne peut plus reconnaître en moi l'adolescente que j'étais. Et moi non plus, je n'ai peut-être plus foi en ma légitimité car je me sens à présent si vulnérable que même le regard bienveillant de mon fils me brûle la peau.
Oui, c'est tout ce qui resterait de ses quelques décennies sur cette terre, un cahier vide, car jamais elle n'avait osé y inscrire le moindre mot, où le trouver ce mot, le premier, qui devrait être unique, singulier, lourd de majesté et ne ressembler à rien de ce qui avait été écrit auparavant, il devait contenir tous les sons qu'elle avait entendus, toutes les images qu'elle avait vues, toutes les odeurs qui l'avaient enveloppée, le frémissement du vent d'est qui secoue les buissons, les gémissements des poissons pris dans les rets, l'odeur des huttes arabes sous le soleil et la miséricorde des hérons plantés dans les joncs des marais, le papotage des femmes en train de remailler de leurs jeunes mains les filets de pêcheurs, le bruit de l'éclosion de œufs de rouget collés aux galets du ruisseau, la plainte du poisson-chat embusqué au fond du lac à l'affût des alevins, les magnifiques couleurs des mâles en période de frai, les grognements des sangliers, l'odeur de fumée qui monte soudain de la terre, l'aspect des vagues qui se cassent sous le vent et se retournent couvertes d'écume, la beauté des nuages annonciateurs de pluie au-dessus du mont Hermon, l'incrédulité des grues cendrées qui, à leur retour en automne, n'avaient plus trouvé le lac.
L’absence conforte le sentiment puisqu’il n’y a personne en face pour imposer une limite.