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Critiques de Émilienne Malfatto (418)
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Que sur toi se lamente le Tigre

Court, éloquent, terrible, Que sur toi se lamente le Tigre, ce premier roman, signé Émilienne Malfatto, m’a bouleversé par sa simplicité et son réalisme atroce.

L’Irak est déchiré par la guerre. Le fleuve Tigre charrie la boue et le sang. La légende de Gilgamesh, héros mésopotamien, rythme les dernières heures que vit une jeune femme.

Juste avant que Mohammed parte combattre, elle a cédé devant son insistance. Or, celui-ci a été tué un peu plus tard par une bombe larguée par erreur. Il était l’ami et le frère d’armes d’Amir, le frère aîné.

Alors qu’elle est enceinte de cinq mois, elle sait que son frère, Amir, va la tuer ce soir, pour préserver l’honneur de la famille. L’honneur, pour ce jeune homme qui a pris la place du père mort alors qu’ils vivaient encore dans la banlieue de Bagdad, c’est priver sœurs et femme de toute liberté après les avoir voilées sous l’abaya, dès le début de l’adolescence.

Pourtant, celle qui va mourir de la main de son frère aîné, n’obtient aucun soutien de sa mère, absente ce jour-là, de Layla, sa petite sœur trop jeune et de Baneen, la femme d’Amir, modèle de femme soumise qui ne discute pas la toute puissance masculine.

Hassan, le petit frère, gentil et tendre, n’a pas la force de s’opposer à l’horreur qui se prépare. Quant à Ali, autre frère plus âgé, moderne, évolué, il n’est qu’un lâche, navré d’être un salaud.

En quelques pages, quelques portraits, tracés avec précision et tout en nuances, Émilienne Malfatto, journaliste et photographe indépendante qui connaît bien l’Irak, m’a emporté dans une spirale mortifère, abominable, d’un réalisme qui me laisse complètement désemparé.

Que faire pour que de tels drames ne se produisent plus ?

Écrire, raconter est un moyen et Que sur toi se lamente le Tigre, Goncourt du Premier roman 2021, est un livre dont il faut parler car les vies de ces filles, de ces femmes, voilées sous les interdictions et les frustrations, voient leurs vies saccagées, abrégées, mutilées.

Ne plus détourner le regard, ne plus faire silence, militer pour le droit des femmes et une stricte égalité des sexes, voilà le combat à mener, combat encore loin d’être gagné chez nous comme un peu partout dans le monde…


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Que sur toi se lamente le Tigre

Dans ce récit fulgurant salué tout récemment par le Prix Goncourt du Premier roman, Emilienne Malfatto réussit un tour de force très impressionnant. Elle, l'étrangère à la société qu'elle restitue, l'Irak du Sud rural où sévissent encore des combats, parvient à raconter sans distanciation mais avec une empathie totale la complexité d'un pays à travers l'intimité d'une famille, comme si elle était irakienne. Suite à ses aller-retours dans le pays en tant que photojournaliste, elle a acquis une connaissance fine des lieux et des hommes. Tout respire l'authentique.



Elle plonge le lecteur en pleine tragédie grecque avec cette chronique d'une mort annoncée. Une jeune fille sera tuée par son frère, elle le sait depuis qu'elle est tombée enceinte hors-mariage et que son amoureux clandestin est mort aux combats avant de pouvoir l'épouser. Elle se raconte, rejointe par le choeur des membres de sa famille, tous impuissants face au fatum en marche, inexorablement.



Cette polyphonie permet à l'auteure d'éviter l'écueil du manichéisme. Il n'y pas de salauds ou de fous islamistes. Juste des êtres prisonniers d'un système qu'ils ne savent pas mettre à terre. Les débats intérieurs, les dilemmes insolubles de chacun, sont mis à jour. Terrible de voir la mère approuver en pleurs, en silence, le meurtre de sa fille. Bouleversant de lire le petit frère dire «  je suis le garçon dont l'avenir n'est pas encore écrit. Je suis celui qui, peut-être, ne sera pas l'assassin », trop jeune pour s'opposer mais avec une lumière possible d'être celui qui brisera la fatalité. Dramatique d'être face au frère ainé, dépositaire de l'autorité depuis la mort du père, se sentir obligé de laver l'honneur de la famille par un crime qui le désole.



A ce choeur, s'ajoute un formidable choryphée, le Tigre lui-même, le fleuve qui traverse l'Irak et la mémoire du pays. Il offre des respirations poétiques, de superbes envolées lyriques évoquant aussi bien la réalité crue que faisant référence à l'épopée de Gilgamesh ( le magnifique titre est tiré de ses vers ). L'écriture d'Emilienne Malfatto, épurée, ciselée, à la fois simple et forte, y ets parfaitement mise en lumière.



Ce roman est d'une sobriété bouleversante, offrant au lecteur toute sa place pour ressentir, vibrer selon son propre rythme, sans se voir imposer des émotions. C'est très rare de trouver autant de matières dans un texte si court ( 79 pages ). Je salue le remarquable travail de la maison d'édition Elyzad qui propose régulièrement des textes contemporains vivants, ouverts sur l'Orient, dans un écrin visuellement toujours très beaux, comme en témoigne cette couverture juste à l'unisson de la puissance du roman : une photographie prise par l'auteure elle-même, qui marque avant même que le livre soit ouvert.
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Que sur toi se lamente le Tigre

Un texte court, 80 pages, pour un premier roman extraordinaire, digne d’une tragédie antique et pourtant tragédie contemporaine, tel se présente Que sur toi se lamente le Tigre de Émilienne Malfatto.

Dans l’Irak rural d’aujourd’hui, une jeune femme sait qu’elle va mourir quand elle comprend qu’elle va avoir un enfant. Elle est enceinte de Mohammed, son ami d’enfance devenu son amant un court instant, juste avant qu'il parte combattre avec la milice et qu’il meure sous les bombes.

L’honneur de la famille ne peut être sauvé qu’au prix du sang, la sentence est inéluctable : la mort.

Tous les membres de la famille vont tour à tour se déployer pour s’identifier et donner leur sentiment sur le drame attendu.

C’est Baneen, la femme d’Amir, qui se présente en premier, douce, soumise, respectable. Amir quant à lui est le frère aîné : « Je suis le frère, celui par qui la mort arrive. Je suis l’homme de la famille, l’aîné, le dépositaire de l’autorité masculine – la seule qui vaille, qui ait jamais valu. Je suis le frère qui a pris le rôle du père. Je règne sur les femmes. » C’est donc lui qui, pour sauver l’honneur de la famille, va la tuer. La présentation des membres de la famille se poursuit et aucun ne s’oppose à Amir, ni Ali, par lâcheté, qui pourtant voudrait tout arrêter, ni la mère, par soumission, qui dit avoir accepté les règles depuis trop longtemps. La succession des portraits est entrecoupée parfois par de courts extraits de l’épopée de Gilgamesh, ce héros mésopotamien porteur de la mémoire du pays et des hommes. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur quelques lignes de cette épopée : « Sidouri dit à Gilgamesh : Où vas-tu, Gilgamesh ? La vie que tu cherches, tu ne la trouveras pas. Lorsque les grands dieux créèrent les hommes, c’est la mort qu’ils leur destinèrent. »

Un autre personnage à part entière, intervient pour nous faire part de son humeur à propose des hommes. Il s’agit du Tigre, ce fleuve qui traverse le pays du Nord au Sud.

Émilienne Malfatto nous fait pénétrer dans une société patriarcale où l’honneur est plus important que la vie, où « Chez nous, mieux vaut une fille morte qu’une fille mère », une société fermée où règne l’autorité masculine et le code de l’honneur.

Ce roman a été pour moi un véritable coup de cœur !

Il est rare qu’un récit aussi court soit aussi dense, aussi précis, aussi pertinent et aussi intense, tout en étant aussi poignant, aussi bouleversant et autant perturbant.

Il est inconcevable que de nos jours, en cette époque éclairée, dite civilisée, de telles idées puissent encore être conçues et de tels faits encore possibles et autorisés.

L’auteure plonge au cœur de la tragédie d’un crime d’honneur dans une famille irakienne, avec en toile de fond, la guerre, et laisse son lecteur pantois devant une telle réalité.

Si, tout au long de cette journée pendant laquelle se scelle son destin, la jeune femme est résignée au sort qui l’attend elle et l’enfant qu’elle porte, « soudain une angoisse terrible lui vient, parce qu’elle n’est plus si sûre de ne pas avoir eu envie de vivre, et de connaître cet enfant... » On aimerait avoir lu cette sublime tragédie en tant que fiction, hélas, il faut se pincer et revenir à la terrible réalité.

L’écriture m’a émerveillée par sa simplicité, sa précision, les paragraphes sont courts et percutants. Ce bouquin a été une révélation dont je suis ressortie bouleversée et suffoquée par la bêtise humaine.

Même si votre PAL atteint des sommets, n’hésitez pas à réserver un peu de temps pour découvrir ce petit joyau Que sur toi se lamente le Tigre, vous ne le regretterez certainement pas.

Magistral et inoubliable


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Le colonel ne dort pas

Probablement l’Irak.

Malfatto ici nous esquisse un personnage de colonel qui arrive pour diriger une Section spéciale des troupes du nord et de la Reconquête, après la chute du Dictateur .

Qui sont ces troupes et qui est ce colonel ? Il a servi loyalement l’ancien régime, alors qu’est-ce-qu’il fait ici en mission spéciale, sur les vestiges de l’ancien régime ? C’est le “spécialiste”. Il survécut au changement de régime, aux purge, aux procès , parce qu’on ne pouvait pas se passer de son talent …”.

Très peu de mots, quelques pages on est déjà au cœur du sujet. Car si on a déjà lu les deux premiers livres de l’écrivaine et on sait qu’elle a travaillé comme journaliste et photographe dans les lieux où ils se passent, et on repère les indices qu’elle sème dans le texte ( « La Longue Guerre » faisant probablement référence à la guerre Iran-Irak) , on est déjà dans le bain, du moins je le suis 😊.

«  Le colonel a oublié le moment exact où il a cessé de dormir. ».

L’homme est condamné à perpétuité. Le juge qui a signé sa condamnation n’est autre que sa propre conscience écrasée sous le poids de ses crimes. Que faire ? Arrêter ? Mais il ne sait que faire cela , «  était-ce inscrit dans sa destinée » ?

Malfatto donne un aperçu concis mais profond , auréolé d’une poésie infinie adoucissant l’image brute, de ces hommes appelés criminels de guerre, qui obéissent aux ordres les yeux fermés et semblent dépourvus de conscience . Tuer, torturer, faire du mal semblent le lot de leur quotidien, pourtant chez quelques uns apparemment subsiste un lambeau d’âme, et c’est ce lambeau qui empêche le colonel de dormir. Éveillé, il rêve de ses crimes,

« ta présence glacée dans mon lit où les

couvertures

sont trop courtes

pour

nous tous …

vous mes victimes et moi ça fait

beaucoup de monde

pour une seule couverture »

Et pourtant continue son “travail”, et en parlant de ce « travail », Malfatto nous écorche l’âme avec les réflexions du colonel sur le fond de la nature humaine, les pensées et peurs de son ordonnance qui craint qu’il n’y aurait pas de comme avant. Car le “travail” s’agit de tirer des renseignements d’un être humain qu’il coupe, taille et sectionne…..Un être humain nommé simplement “la chose”, un mot qui définit à lui seul la nature du “travail”. Lisant beaucoup de littérature de cette partie du monde et sud-américaine je suis familière avec ce «  travail » donc du déjà maintes fois lu, pourtant les mots de Malfatto me sont allés droit au cœur. Photographe elle se manifeste avec les couleurs où dans cette atmosphère de combats et de tueries le monde devient de plus en plus monochrome , uniformément gris, seul de l’ordonnance et «  des choses » semblent se détacher quelques couleurs, des joues rosées au matin, et pour les « choses » ,parfois du rouge, du bleu, du jaune éclater de leurs visages détruits, terrible mais sublime ! Récemment un ami babeliote demandait si on lisait pour le fond ou la forme, qui pour moi vont de paire, mais les fonds étant souvent des sujets déjà traités, c’est la qualité et l’originalité de la forme qui devient déterminante, et c’est le cas ici. La littérature est un moyen pour éclairer le côté invisible de la réalité, « le côté émotionnel ou psychologique, parfois moral, des éléments historiques et sociaux qu’on ne peut pas atteindre autrement » dit Juan Gabriel Vasquez. Et c’est le tour de force que réussit ici Malfatto avec ce magnifique texte où l’amalgame du visuel et de l’émotionnel englouti dans une brume monochrome d’un pays de pluie où les hommes se dissolvent lentement, nous plonge dans l’absurdité de la vie et de ses conflits perdue dans le temps et l’espace. Magnifique ! Écrivaine , poète et photographe hors pair elle m’a encore une fois subjuguée avec ce troisième roman, quel talent cette femme !





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Que sur toi se lamente le Tigre

Couronné du prix Goncourt du Premier roman 2021, ce court récit d’Emilienne Malfatto plonge le lecteur au cœur du crime d’honneur qui doit avoir lieu au sein d’une famille irakienne.



Ayant souvent séjourné en Irak en tant que photojournaliste indépendante, Emilienne Malfatto situe son récit dans un pays qu’elle connaît bien et propose un roman choral qui s’ouvre sur la voix d’une jeune femme enceinte de cinq mois, qui sait que son frère Amir va la tuer le soir même. Enceinte sans être mariée, d’un fiancé qui vient d’être tué à la guerre, elle se retrouve condamnée à mourir afin de préserver l’honneur de la famille.



__«L’honneur est plus important que la vie. Chez nous, mieux vaut une fille morte qu’une fille mère.»



L’autrice donne ensuite la parole à chacun des membres de la famille, du frère aîné à la mère, en passant par la belle-sœur et les autres membres de la fratrie. Malgré une sentence inéluctable et connue d’avance, tous viennent témoigner de leur impuissance face à un système dont ils sont prisonniers. Respect de la tradition, acceptation des règles, résignation, lâcheté, impuissance… tous ont en commun d’accepter le verdict comme une fatalité.



__« Je suis le lâche, celui qui désapprouve en silence. Je suis la majorité inerte, je suis l’homme banal et désolé de l’être. Je suis le frère de ma sœur qui aime et qui comprend. Je suis le frère de mon frère qui respecte l’autorité de l’aîné. Je suis celui qui condamne les règles mais ne les défie pas. Je suis le complice par faiblesse ».



Chaque portrait est entrecoupé de courts extraits de l’épopée de Gilgamesh et de textes poétiques narrées par le Tigre, fleuve traversant le pays du Nord au Sud et témoin de la folie des hommes depuis des millénaires.



__« On m’appelle Tigre mais chaque jour je nais du taureau et de l’orage, là-haut dans les montagnes du nord. Les hommes de cette région ont déchiré mon flanc, éraflé mon flot avec leur métal et leurs pioches. Ils ont élevé des parois de béton et d’acier pour contraindre mes eaux. Ils sont comme le vent dans les roseaux, ils passent mais ne dureront pas. Quand on compte comme moi en millénaires, plus rien n’a vraiment d’importance. »



Derrière cette couverture reproduisant une photographie de l’autrice, se dissimule un texte qui allie simplicité et authenticité. En seulement 80 pages, Emilienne Malfatto dresse quelques portraits qui parviennent à restituer toute la complexité d’un pays déchiré par les guerres et d’une culture qui justifie l’inacceptable…



Lisez également: « La laveuse de mort » de Sara Omar, « Les impatientes » de Djaïli Amadou Amal, « Les putes voilées n’iront jamais au Paradis ! » de Chahdortt Djavann, « Confidences à Allah » de Saphia Azzedine
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Que sur toi se lamente le Tigre

«Nous naissons dans le sang, devenons femmes dans le sang, nous enfantons dans le sang......La première fois que le monde est devenu rouge, j'avais neuf ans. »

Dans un pays de sable et de scorpions, où les femmes payent pour les hommes, Elle va payer son amour pour Mohammed.



Un court récit épique dans l'Irak rural d'aujourd'hui. Alternant la voix du Tigre, le fleuve argenté et des extraits de l'épopée de Gilgamesh avec les voix des protagonistes, qui à tour de rôle éclairent de leurs ressentis, leurs attitudes face à cette chronique d'une mort annoncée, un premier roman éprouvant. le sujet n'a rien de singulier, mais la belle prose et la structure simple et concise du livre de la jeune Émilienne Malfatto journaliste et photographe française primée, en vaut le détour.



“On m'appelle Tigre mais chaque jour je nais du taureau et de l'orage, là-haut dans les montagnes du nord. Les hommes de cette région ont déchiré mon flanc, éraflé mon flot avec leur métal et leurs pioches. Ils ont élevé des parois de béton et d'acier pour contraindre mes eaux. Ils sont comme le vent dans les roseaux,ils passent mais ne dureront pas. Quand on compte comme moi en millénaires , plus rien n'a vraiment d'importance.”
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Les serpents viendront pour toi

Maritza était un leader social. Le terme beaucoup utilisé en Colombie, en mode fourre-tout, désigne toute personne qui se consacre à la défense ou à la promotion de droits –les siens, ceux d’une communauté, de l’environnement, de travailleurs, etc...

Elle a était tuée la nuit du 5 janvier 2019, par 4 balles tirées à bout portant.



La plume de Malfatto est d'une grande beauté. D'une enquête journalistique sur le meurtre d'une femme de soixante et un an , mère de six enfants, elle en fait une histoire profonde et émouvante dont la trame tragique est développée avec une délicatesse époustouflante. La Colombie et ses cinq décennies d'histoire politique et sociale douloureuse qui draine sept millions de cadavres est au cœur du récit. Maritza en est une de ses victimes, où quiconque tente de se mettre en travers de puissants, ou de leurs intérêts économiques –narcotrafic, grands projets énergétiques, miniers, agricoles ou autres –, est éliminé. "Trop d’argent à gagner pour que la vie humaine fasse le poids."



Dans la Sierra, on croit aux présages et au mauvais œil, vu que l'absurde domine la logique. Pourquoi cette mort gratuite ? Cette femme était un danger pour qui ?

Maritza est le symbole de ces personnes exterminées pour rien ou si peu dans ces pays où les droits des hommes, la justice, la vie humaine n'ont aucune valeur, où "toute action doit être, sinon approuvée, du moins tolérée par ceux qui font la loi ". Et ces "ceux" ici sont nombreux et difficile à cerner, qui est qui ? Malgré l'évidence Malfatto cherche, enquête, pour parvenir au plus près de la vérité, afin de rétablir un semblant de justice et de respect pour ces personnes qui ont eu le courage de lutter et braver tous les dangers dans un pays de non-droit absolu où on peut être condamné pour trafic de drogue, mais les crimes contre la vie humaine sont rarement retenus.



C'est son second livre que je viens de lire après l'émouvant "Que sur toi se lamente le Tigre " , et celui-ci est Un Coup de Coeur ! C'est une écrivaine et une photographe extrêmement talentueuse, bravo !



"Je pensais relater une histoire simple, chroniquer une mort annoncée. Je me retrouve face à un casse-tête colombien, je me heurte à des paradoxes et des versions contradictoires, des mensonges et des omissions, où rien n’est clair ni revendiqué, et la vérité disparaît dans cette jungle tropicale."
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Le colonel ne dort pas

Un tortionnaire torturé.

Juste retour de bâton pour ce colonel qui excelle dans l’art de faire parler ceux qui n’ont rien à dire. Peu importe le régime en place, il met ses compétences macabres au service du pouvoir. Par temps de guerre, ses compétences sont recherchées. Il n’a pas suivi de cursus universitaire, pas de CAP de briseur d’os ou de BTS d’amputation. Il a appris sur le tas avec son CV de boucher. Un autodidacte qui a tellement fréquenté la mort durant sa carrière militaire que la souffrance des autres le laisse indifférent.

L’homme se décrit comme un simple exécutant, un artisan doué qui n’agit pas par conviction ou idéologie, qui ne fait qu’obéir aux ordres. Un alibi historique chez les criminels de guerre mais il ne trompe pas sa conscience. Ses victimes ont décidé de hanter ses nuits et de le rendre insomniaque. Les troubles du voisinage, il les a dans la tête. La revanche de ses « hommes-poissons » comme il les appelle.

Dans un pays sans nom et dans une ville sous la pluie, le court roman d’Emilienne Malfatto accompagne ce colonel dans son quotidien : auto, sale boulot, pas de dodo.

La romancière épargne au lecteur la description des sévices infligés aux ombres qui se succèdent dans la salle d’interrogatoire. De la pudeur dans l’horreur. Le gore reste au garage. L’action est désincarnée, comme un cauchemar en tournage. Chaque phrase pèse une tonne d’émotions. Par contre, ne cherchez pas d’humour dans ce texte. Le nez rouge, c’est un pif qui saigne.

Une ordonnance assiste aux interrogatoires du Colonel. Il n’intervient pas, condamne en silence mais ne dit rien pour préserver sa petite personne d’un engagement sur le terrain. Spectateur du premier rang, ne lui manque que le sac de pop-corn et les lunettes 3D. Insupportable de passivité.

Le troisième personnage de ce roman, c’est le Général, retiré dans son bureau et sombrant peu à peu dans la folie.

Photojournaliste, Emilienne Malfatto semble avoir écrit ce roman dans une certaine urgence comme si cette histoire lui brulait les doigts entre deux reportages. Un besoin de fiction pour évacuer certaines horreurs, rappeler que la guerre rend fou et tue les âmes autant que les corps. 120 pages, pas de superflu, la prose froide en surface, incandescente à l’intérieur.

Je ne peux pas dire que j’ai aimé ce roman car les personnages manquent du taux minimum d’humanité pour que l’on puisse s’intéresser à leur sort. Il n’existe pas de vitamines contre les carences du cœur.

Je suis resté trop spectateur du récit. Un spectateur impressionné par le style, sans doute. Un spectateur marqué par l’atmosphère, surement. Sensible à la poésie, tout autant. Mais il m’a manqué ces moments précieux où l’on s’oublie dans une lecture.

A croire que la froideur de l’histoire a aggravé ma presbytie.







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Que sur toi se lamente le Tigre

Une jeune Irakienne se découvre enceinte en même temps qu’elle apprend la mort de son fiancé, tué dans un bombardement à Bagdad. Pour cette grossesse hors mariage, elle sait qu’il n’y aura pas de pardon et que la sentence familiale sera impitoyable et capitale…





Mère, frères, sœur, belle-sœur : les personnages de cette tragédie contemporaine aussi vieille que le monde s’expriment tour à tour, comme autant de jurés d’un tribunal dont l’implacable sentence est connue d’avance. Au nom de l’honneur pour les uns, en acceptation des règles et de la tradition pour les autres, qu’il approuve ou réprouve secrètement la sanction, chacun exprime un point de vue résigné, où transparaît la pesanteur d’un drame vécu comme une fatalité, dans des existences de toute façon comme écrasées par leur histoire : les femmes par leur asservissement séculaire à l’autorité masculine, tous par le corset des convenances morales et religieuses qu’ils ont intégrées comme inéluctables, et, en plus, par l’horreur d’une guerre qui fauche aveuglément ses victimes au gré de ses attentats quotidiens dans une Bagdad en ruines, contraignant les familles à fuir dans les campagnes reculées.





Comme les répons d’un office lugubre, ou comme les lamentations des choeurs d’une tragédie grecque, au couplet de chaque personnage répliquent les voix du fleuve Tigre et du héros antique Gilgamesh, théâtralisant ce drame inventé et éternellement rejoué par les humains, aveuglés par leurs passions et leur folie, incapables de se libérer des liens qu’ils ont forgés et s’imposent les uns aux autres. Impuissant et horrifié, le lecteur ressent la désespérante inéluctabilité du sort qui attend cette jeune fille, un crime auquel elle n’a aucune chance d’échapper, puisque tous, femmes et hommes, modérés ou convaincus, acceptent le poids de règles auxquelles ils préfèrent ne plus réfléchir, persuadés de n’y pouvoir rien changer.





L’habileté de la construction narrative, la sidération ressentie face aux portraits psychologiques croqués en quelques phrases fulgurantes, la vividité des évocations, le tout dans un style simple, rythmé et concis qui fait tenir le récit en moins de cent pages, font de ce petit livre une lecture choc, qui révolte autant qu’elle fait prendre la mesure de l'effrayante chape de plomb de l’obscurantisme. Il n’est pas surprenant que cet ouvrage ait été couronné du Goncourt du Premier Roman. Coup de coeur.


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L'absence est une femme aux cheveux noirs

24 Mars 1976,

« C'était un mercredi, l'automne argentin et la lumière dorée et les rues semées de feuilles jaunes et roussies, et dans les rues du vert du vert, uniformes armes et jeeps,… »,

Le pays se trouve sous le contrôle opérationnel de la Junte militaire,

Le lendemain, un des plus grands quotidiens titre « Tout est normal » !



Émilienne Malfatto écrivaine et photographe , dont j'ai lu et apprécié énormément les trois livres publiés, nous revient avec un nouveau récit poignant sur les pages noirs de l'Histoire de l'Argentine, celles de la terrible dictature de Videla qui sévit le pays de 1976 à 1983. Elle s'appuie sur le travail du photographe colombien Rafael Roa, une trentaine de clichés accompagnent son récit donnant corps et vie aux fantômes et cicatrices d'une des plus terribles dictatures d'Amérique latine.

Très peu de mots, quelques pages, on est déjà au coeur du sujet, celui d'une réalité atroce, inimaginable. Elle soulève le coin d'un lourd tapis sous lequel s'amoncellent quarante années de poussière . Des étudiants, des ouvriers….disparaissent du jour en lendemain, sans traces , “Los desaparecían”, pas de corps, pas de crime. À ces trente mille disparus s'y ajoutent cinq cent enfants volés, nés en captivité ou bien enlevés au berceau , et des milliers de parents qui attendent un retour improbable , miraculeux.



Tout ça, soit disant , pour endiguer le péril rouge….

Torturés à mort, emprisonnés dans des cageots ….en plein Buones Aires ,

Endormis et jetés nus d'un avion dans le fleuve,

Mort au fond de ce même fleuve ou dans des barils de sable et de ciment ou dans des tombes anonymes là-bas en Uruguay….



Même après un à peu près retour à la démocratie après 1983 et le procès de Vidal et ses acolytes en 1985 mettant Vidal et Massena en prison , la machine infernale ne se calmera pas. Huit ans de dictature signifie des tas de militaires mouillés, corps énorme, monstrueux, constitué de milliers de bourreaux, tortionnaires, assassins, officiers et subalternes à la recherche d'une amnistie pour blanchir ce passé de sang et d'horreur….Quarante ans après la plaie est toujours béante et ne se refermera pas de si tôt.'





Malfatto s'intéresse à nouveau à un pan terrible de l'Histoire d'un autre pays que la sienne. Est-ce son nom étranger « Malfatto » qui l'y destine ? Elle se pose aussi la question. J'ai lu de très nombreux livres témoignages , roman ou autres sur les dictatures d'Amérique latine, un sujet qui n'a rien de nouveau pour moi , pourtant le style de Malfatto qui alterne prose et vers libres donne un texte très fort, percutant, poignant, qui m'a encore une fois subjuguée . Quel talent !

Pour qui cela intéresse conseille deux films celui de Santiago Mitre

«  Argentina 1985 » (2023)récit du procès des bourreaux de la dictature et un film beaucoup plus ancien de 1999, “Garage Olympo” de Marco Bechis qui relate justement l'horreur décrit dans ce livre.



“d'un côté la vie normale

le quotidien le foot et les rires

(est-ce qu'on rit aussi en dictature?)

de l'autre la mort la douleur les hurlements “

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Le colonel ne dort pas

A quoi sert la poésie ? de nombreuses personnes ici sur Babélio pourraient apporter de l'eau au moulin de cette vaste question un brin provocante…Sonatem, GeraldineB, Coco4649, Pasoa, laFilledePassage, Marina53, Sabine59, Nemorino, Babounette, Aléatoire, entre autres, nous offrent avec constance des extraits poétiques choisis pour notre plus grand bonheur…L'utilité de la poésie est-elle de nous permettre de rêver, de mettre en valeur la beauté du monde, d'un paysage, d'un quotidien, de nous rendre plus humain en exprimant d'une manière spécifique des sentiments, des sensations, de proposer une autre manière d'habiter le monde ?

De ne servir à rien, surtout à rien, pas de fonction utilitariste, elle se contente d'être là, d'être belle, surprenante, libre simplement, jouant avec les mots et les images, simple fonction esthétique, voire ludique ?

Mais la poésie, en vers ou en prose, peut également être une arme au service d'une cause. Elle est alors percutante et redoutable, tranchante, faisant passer un message fort avec beauté et grâce. Avec élégance et humanité. Cette façon de faire marque davantage les esprits car le contenu est en total décalage avec le contenant. Je l'avais perçu avec émotion, par exemple, en lisant le magnifique livre « Soleil à coudre » du haïtien Jean d'Amérique, récit poétique d'une beauté à couper le souffle relatant la misère des bidonvilles et leur violence. Ce récit est ancré en moi et il m'est d'avis qu'il n'aurait pas eu la même force si Jean d'Amérique avait simplement raconter une histoire de manière plus prosaïque.





Emilienne Malfatto frappe encore plus fort. C'est un uppercut qui m'a mise KO. Mais quel talent et quelle audace déjà repérée dans « Que sur toi se lamente le Tigre » ! Elle associe en effet ici la poésie à…la torture. Oui, la torture, celle pratiquée en temps de guerre. On comprend alors véritablement que sans la poésie, il n'y a pas de mots supportables, pas de descriptions supportables…pas de vie supportable.

Elle se met dans la tête d'un colonel dont « le travail » est de soutirer des informations aux prisonniers et qui, la nuit, est visité par tous ces fantômes dont il est l'artisan. Alors le tortionnaire devient le torturé. le colonel ne dort plus, entre la vie et la mort, il devient gris, ses contours s'effacent peu à peu, il n'a plus de lumière au fond des yeux. « Seul son béret rouge rappelle que les couleurs n'ont pas disparu ». le sang aussi…

Un criminel de guerre hanté par ses crimes qui fait peur au Général et même à son ordonnance, jeune assistant servile, qui est présent avec lui lors de « son travail » dans les sous-sols, à l'ombre, en dehors du cercle de lumière où le colonel officie. Un criminel de guerre condamné à perpétuité par sa propre conscience où les martyrs sont devenus ses bourreaux.



« C'est un peu comme

Une forme de torture très lente

Et très raffinée

Le tortionnaire torturé

De sa propre main

Le persécuteur persécuté

Chaque jour dans la pièce du sous-sol

Je regarde l'homme dans le cercle de lumière

Dans cette lumière trop crue qui me brûle les yeux

A moi qui n'ai plus droit à

La lumière

Je regarde cet homme

Cette nouvelle recrue

Cet homme qui va devenir mon ombre

Qui va alourdir mon ombre sur mes pas

C'est fou ce que c'est lourd une ombre

On ne le croirait pas… ».



Le colonel est là pour diriger une Section spéciale des troupes du nord et de la Reconquête, après la chute du Dictateur. On ne sait pas de quel pays il s'agit, nous savons juste que c'est un pays sans soleil dans lequel il ne cesse de pleuvoir, un pays gris semblable à l'âme du colonel. Cela rend le récit totalement universel et atemporel. Emilienne Malfatto a travaillé comme photojournaliste et photographe documentaire indépendante dans les zones de guerre et de tensions. Elle sait de quoi elle parle, elle sait dire beaucoup avec peu, elle sait qu'un cliché marque durablement les esprits et fait passer un message clair. Elle a su précisément utiliser ses compétences de photographe dans ses récits. A l'image du choc des photos, elle écrit un récit où le poids des mots nous offre des images saisissantes d'effroi…



« le colonel pense souvent que la nature humaine se révèle dans ces instants de nudité absolue, quand l'homme est précisément dépouillé de toutes les minces couches de vernis – appelez ça l'éducation, la sociabilité, ou l'amour, ou l'amitié – qui recouvrent sa nature profonde, homo sanguinolis, sa nature animale, viscérale, quand l'homme n'est plus qu'une masse organique. Arrachez la peau d'un homme et vous aurez une forme sanguinolente, vermeille, une forme cochenille écrasée pas si différente d'un chien écorché, se dit parfois le colonel ».



Le colonel est un « spécialiste » dont on ne peut se passer du talent, un « virtuose » de la torture, et, malgré le changement de régime, il est encore là, sur les décombres de la dictature qu'il a pourtant servie avec zèle, ultra-compétent en la matière. Et je frémis en pensant à ce talent, et me vient une pensée plus qu'émue à tous les hommes-poissons, ces hommes noyés, à tous ces hommes coupés, tailladés, sectionnés, à tous ces hommes dépecés, de toutes les guerres, dont la souffrance extrême les transforme en choses…et pourtant le regard de certains arrivent à rester digne, profond, presque serein, deux puits d'humanité absolue lorsqu'il ne reste plus que l'âme, inatteignable…

L'auteure nous écorche la nôtre, d'âme, nous asphyxie, avec les actes et les pensées du colonel mais aussi celles du général qui s'enferme dans son bureau pour d'interminables parties d'échecs en solitaire et surtout celles de l'ordonnance qui récite dans sa tête les lettres de sa mère pour prendre de la distance face au spectacle terrifiant qui se joue dans le cercle de lumière.



La poésie d'Emilienne Malfatto est grise, monochrome, à l'image de l'aquarelle sur la couverture du livre. Brumeuse mais claire, la lumière y est déformée, il y règne une atmosphère de bocal, « quelque chose d'irisé et d'opaque à la fois, la sensation de voir le monde à travers une flaque d'essence ». L'auteure dit sans tourner autour du pot, avec délicatesse, avec beauté, certes, mais avec sincérité et crudité aussi. Quelques touches de couleur sont parfois apportées, vite absorbées par le gris.



« Alors, sur cette lancée et avec un soupir, il soulève sa pesante personne et sort du grand bureau. le hall est désert. Une faible clarté descend des hautes fenêtres. C'est l'heure moutarde l'heure mandarine l'heure ocre – mais l'ocre, comme les autres couleurs, a été absorbé dans la monochromie si bien que le Palais est baigné de cette même lumière grise, à peine teintée d'orange, pistil de safran tout de suite avalé par la cendre ».



La poésie semble être ici un acte de résistance et de dénonciation, un pied de nez à tous ces régimes qui se succèdent et qui commettent des crimes pour tenter de perdurer. C'est J.F. Kennedy qui disait quelques semaines avant d'être assassiné : « Quand le pouvoir corrompt, la poésie purifie ». Emilienne Malfatto nous en donne une démonstration magistrale en apportant une lumière purificatrice aux victimes de guerre, les sortant ainsi de l'ombre marécageuse dans laquelle elles ont été plongées. Un énorme coup de coeur !

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Le colonel ne dort pas

Un tout petit livre ,110 pages , pour un roman qu'on ne risque pas d'oublier , tant le sujet difficile est traité avec brio par une autrice que , j'avoue mes lacunes , je ne connaissais pas .Bref , une rencontre imprévue , dictée par le fait que , sélectionné parmi les quatre finalistes du prix Landerneau des Espaces Culturels Leclerc ,ce livre m'est tombé dans les mains .Et c'est bien par les mains que nous avons fait connaissance , lui et moi .Quelle couverture !!!

Le ton est donné et si les mains tournent et retournent , les yeux , eux , recherchent , en vain ,la moindre trace de couleur vive , gaie , joyeuse ...Un homme , un homme ou une silhouette ? , un fleuve sans vie , des ruines , un imposant nuage ...Des ruines et la désolation à l'infini...L'illustration , donne le ton ....

La ville , le pays , l'époque ? pas important , c'est Intemporel ...partout , nulle part ....Les hommes ? Ils sont trois , eux aussi plus "ombres chinoises "qu'êtres de chair et d'os , sans nom , juste avec des titres : le Général disjoncté , le Colonel en proie à des démons qui l'empêchent de dormir et l'Ordonnance figée à la limite du "Halo lumineux " , attendant ...pourquoi pas la place, prêt à faire , ici ou ailleurs , le " travail " du Colonel .Dehors gît la tête du dictateur , éternel recommencement .

C'est autour de ce "triangle " que l'art de l'auteure va s'exprimer et , franchement , c'est ce qu'on appelle " de la belle ouvrage ".

L'alternance de la narration qui nous ramène au présent et de la poésie en vers libres qui traduit les pensées destructrices du Colonel est magistrale , créant , tout au long du récit , une impression de poids angoissant , un sentiment d' impossibilité de se sortir de cette cave symbolique , de la stupidité et de l'absurdité des conflits .Certaines et certains d'entre vous songent déjà à fuir cet ouvrage , arguant qu'ils redoutent sa violence , je préciserai que les scènes insoutenables auxquelles on pourrait s'attendre sont quasiment absentes et ne peuvent donc pas ( à mon avis ) heurter les sensibilités , mais à chacun son vécu et sa perception des choses .Je crois savoir que des lecteurs ont , et c'est parfaitement leur droit , renoncé en cours de route .

Dans les premières pages , face à un ennemi , le Colonel a tiré le premier , condamnant son adversaire à la mort et se condamnant lui - même à un tête à tête permanent et destructeur avec un fantôme ..puis bien d'autres , jusqu'à......

Un livre remarquablement écrit qui risque de marquer longuement ses lecteurs et lectrices même si , malheureusement , il ne sera pas de nature à changer la nature humaine .

Aimé ? Pas aimé ? Question sans réponse .A vous d'y trouver - ou non - une once de lumière , une once d'espoir .Pas gagné; A bientôt.
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Que sur toi se lamente le Tigre

Mes mots restent bloqués dans mon ventre…cette phrase du roman pourraient être la mienne après la lecture de ce livre bouleversant « Que sur toi se lamente le Tigre ». Pas étonnant qu'il ait reçu le Prix Goncourt 2020 du premier roman. L'écriture est incroyablement poétique, fluide, pour raconter une tragédie : celle d'une très jeune femme irakienne, tombée enceinte hors mariage après un premier et rapide rapport avec Mohammed, son futur fiancé, rapport précipité dont elle ne garde que le souvenir de la peur et de la douleur. Une faute irrémédiable dans ce pays de sable et de scorpions, où l'honneur est plus important que la vie. « Chez nous, mieux vaut une fille morte qu'une fille mère. ». Son frère ainé, Amir, va donc la tuer. Son souvenir et son nom seront effacés. Elle n'aura jamais existé aux yeux des siens. D'ailleurs nous ne connaissons pas son nom à cette jeune fille, il n'est jamais mentionné, la mort imminente a déjà fait son travail de sape.



Comme je fus émue face à sa désespérance, totale et absolue ! Enceinte de mort, tout devient signe précurseur : « Un voile était tombé de la corde, grande tache noire sur le sol. J'ai pensé à une flaque de sang séché »



Les membres de la famille prennent tour à tour la parole pour parler de cette mort à venir, inéluctable. Même le fleuve, le Tigre, a droit à la parole. le Tigre, ce fleuve qui depuis des milliers de lunes, traverse le désert, long comme une veine sacrée. Il raconte avec solennité la splendeur passée de Bagdad. Il raconte le drame ancestral de ces femmes déshonorées. Il raconte le Bagdad d'aujourd'hui qui déverse en lui ses vomissures, ses biles et ses blessés. Nous aurons des larmes aussi, les seules, celle de la petite soeur...



Cette histoire tragique personnelle nous dévoile aussi ce pays, l'Irak, marqué par la guerre, par les bâtiments en ruines, par les attentats, l'insécurité : « Enfants, dans la cour de la maison, mes frères attrapaient des lézards et nous leur coupions la queue dans l'espoir toujours déçu de la voir repousser. Aujourd'hui les enfants de mon pays demandent à leur mère si leur bras va repousser. Nous sommes un pays de mutilés, d'ensanglantés, un pays d'ombre et de fantômes. »



Un petit livre qui se termine tel un couperet. Net. Inéluctable. Court et intense. Même si je sais que c'est cette densité qui bouleverse, qui touche, qui percute, j'aurais aimé que ce livre soit plus épais. J'étais avec ces femmes, j'étais cette jeune fille, j'étais sous ce voile, je sentais et comprenais la condition de ces femmes, ces femmes si souvent vues de loin, voix au chapitre leur ai si rarement donné. le livre s'est fini trop vite. J'imagine le même livre, la même poésie, mais avec chaque vie plus détaillée, chaque voix plus étoffée, les sentiments plus explorés.



Oui, les conditions de vie de ces femmes sont terribles, et c'est peu de le dire. Avec ce beau roman d'Emilienne Malfatto, je finis KO, le coeur au bord des lèvres, emplie de pensées pour toutes celles qui souffrent et qui sont sous domination…« Nous naissons dans le sang, devenons femmes dans le sang, nous enfantons dans le sang. Et tout à l'heure, le sang aussi. Comme si la terre n'en avait pas assez de boire le sang des femmes. Comme si la terre d'Irak avait encore soif de mort, de sang, d'innocence. Babylone n'a-t-elle pas bu assez de sang. Longtemps, au bord du fleuve, j'ai attendu de voir l'eau devenir rouge. »



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Les serpents viendront pour toi

Troisième livre d'Emilienne Malfatto, troisième uppercut.

Si « Que sur toi se lamente le Tigre » traitait de la condition des femmes en Irak, « le colonel ne dort pas » des fantômes hantant chaque nuit un tortionnaire, « Les serpents viendront pour toi » a pour objet d'analyse les crimes commis dans une région gangrénée par le trafic de drogue, la mafia, ainsi que par la présence et le contrôle paramilitaire, à savoir la Colombie. Terre du café, du cacao, du coca…de la marijuana aussi.

La marque de fabrique d'Emilienne Malfatto est celui de récits très courts dans laquelle la plume est étonnamment poétique pour mieux dénoncer l'horreur. Sa crédibilité s'appuie sur son métier de journaliste de guerre : elle sait de quoi elle parle, elle enquête, elle creuse le sillon. Elle n'invente pas, elle rend compte et nous invite, avec douceur mais fermeté, à ouvrir les yeux et à regarder.

Contrairement à ses deux autres livres où elle a choisi la voie du roman, ce livre-là se distingue par son style clairement journalistique. Dans ce récit, résultat d'une enquête délicate menée à l'automne 2019 et dont l'écriture a eu lieu au printemps 2020, l'auteure s'adresse directement à une femme assassinée. Un rapport, une enquête, certes, mais la plume reste simplement et poétiquement belle.



« Les corps sont secs, les visages marqués. On croise parfois des familles indigènes, Koguis ou Arhuacos, tout de blanc vêtus, les pères tiennent des poporos – des calebasses remplies de coca et de coquillage écrasés. La végétation est exubérante, folle. Quelque chose de magique. C'est le pays des trésors indiens, des villes perdues et des jaguars ».



Emilienne Malfatto veut comprendre pourquoi, et par qui, a été assassinée une femme de soixante et un an, Maritza Quiroz Leiva, le 5 janvier 2019. Quatre balles à bout portant sur le seuil de sa maison en pleine jungle colombienne, dans la Sierra Nevada, alors que son fils se terre, terrifié, sous un lit. Maritza était une leader sociale, mot un peu vague pour désigner une personne militante, « une personne qui se consacre à la défense ou à la promotion de droits – les siens, ceux d'une communauté, de l'environnement, de travailleurs, etc… ». de prime abord Emilienne Malfatto pense que c'est ce statut d'agitateur, caillou dans la chaussure de certaines personnes d'influence, qui explique ce meurtre. « Une chose, en tout cas, est certaine : dans ce territoire d'influence – de contrôle – paramilitaire, toute action doit être, sinon approuvée, du moins tolérée par ceux qui font la loi ».





Mais son enquête, qui l'amène à côtoyer les enfants de Maritza, ses connaissances, ses voisins, des paramilitaires et même d'anciens trafiquants de drogue, montrera que d'autres hypothèses peuvent être avancées au fur et à mesure que l'auteure tire sur le fil de sa vie et met en lumière la situation politico-économique locale. Au fur et à mesure qu'elle sent les gens lui mentir et que sa paranoïa grandit. La complexité de ce territoire montre à quel point le mobile du crime est flou et pas aussi évident qu'il n'en avait l'air au départ, et peut même avoir plusieurs causes.



« Je pensais relater une histoire simple, chroniquer une mort annoncée. Je me retrouve face à un casse-tête colombien, je me heurte à des paradoxes et des versions contradictoires, des mensonges et des omissions, où rien n'est clair ni revendiqué, et la vérité disparait dans cette jungle tropicale ».



Ce récit, au-delà d'honorer courageusement la mémoire de Maritza en faisant toute la lumière sur son crime, est aussi l'occasion de prendre conscience de l'horreur vécue dans cette région sur laquelle planent des ombres terrifiantes et qu'on ne distingue pas toujours les unes des autres, changeant constamment de noms et de costumes au point de ne plus savoir qui est qui. Des monstres, devrait-on dire. Comme cet « El Taladro », ce patron de toutes les organisations criminelles mafieuses et narcotrafiquantes locales, dont la citation posée à part, tellement glaçante que je n'ai pas envie de la remettre dans ce retour, en dit long sur sa puissance, l'ampleur de sa mainmise sur la Sierra Nevada et les exactions commises.

La géographie particulière explique cette tension extrême. Un territoire ouvert sur la mer, au pied de la montagne, et longée par une route qui traverse le pays d'est en ouest, du Panama au Venzuéla, le long de la côte. C'est ainsi un territoire source de corruption et de trafics. La délation fait souvent le reste.





Dans ce pays le surnaturel fait partie du quotidien, comme une poudre de réalisme magique adoucissant, un peu, la misère et la violence, réalisme magique dont les auteurs sud-américain ont seuls le secret. Les serpents, présage de mort apparaissant dans nos rêves avant le moment fatidique en Colombie, viendront tous nous hanter le moment venu. Ce titre semble être une incantation lancée tel un sort par Emilienne Malfatto au tueur de Maritza, tueur qu'il lui semble avoir entrevu…Qu'il en soit ainsi également aux auteurs de centaines de crimes commis, encore aujourd'hui chaque année en Colombie, à l'encontre de toutes ces personnes qui tentent courageusement de défendre leurs droits dans une région explosive et dangereuse.



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Le colonel ne dort pas

Le colonel ne dort pas, parce qu'il a été responsable de trop de morts durant cette guerre, et que ceux-ci reviennent le hanter la nuit, le torturant comme il l'a fait avec eux, le tuant à petit feu comme il leur appliquait l'art de ne pas les faire mourir trop vite. Car la mort est une délivrance, comme le sommeil.





Si le sujet semble fort en nos temps de guerres perpétuelles, la forme n'est pas en reste : Emilienne Malfatto (auteure de « Que sur toi se lamente le tigre ») alterne les chapitres en vers libres dans la tête du colonel insomniaque, avec les chapitres où elle prend elle-même la prose pour raconter son histoire.





Deux récits qui se complètent parfaitement, autant sur la forme que sur le fond. Deux points de vue, aussi. Les vers libres, c'est à la mode c'est vrai. Mais ça permet de donner au colonel l'humanité qu'il semble avoir perdu de l'extérieur. C'est très beau, et ça compense l'écriture certes vive mais plus désincarnée du récit qui nous raconte l'histoire de l'extérieur.





On effleure dans ce texte quelques sujets qu'il aurait toutefois été intéressant de creuser, comme la culpabilité ou pas de tuer en temps de guerre, l'interchangeabilité des méthodes et des êtres entre démocratie et dictature, ce que ressentent profondément les différents acteurs du drame etc… On espère que le personnage sur lequel le projecteur est braqué pourra donner corps à ces réflexions, les nourrir, et non simplement les nommer… Hélas, pour ma part, en vain.





Au total, passé la bonne impression de départ, je n'aurais pas ressenti grand chose à la lecture de ce court roman de 120 pages. Peut-être m'a-t-il manqué un peu de profondeur, d'attachement au personnages, de contextualisation aussi. Et d'une fin moins… plus… Pfff bref, d'une vraie fin quoi. Après le déluge d'éloges pour Que sur toi se lamente le tigre, je m'attendais à quelque chose de plus complet et de plus fort. Je n'ai pas été prise dans la tempête de culpabilité et de remous du colonel, ni été submergée par une vague d'émotions au contact de son âme qui pulse ; je n'ai eu que l'écume, le superficiel et léger, ce qui reste quand l'immense présence de l'océan se retire. Je ne risquais pas de me noyer : je suis restée en surface. Et je le regrette.
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Que sur toi se lamente le Tigre

Trois étoiles pour le triste hommage rendu aux femmes, victimes éternelles dans trop de pays où les pratiques criminelles des hommes, validées par la famille tout entière, malgré les réticences et les larmes de quelques-uns, leur promettent un avenir de malheur au moindre écart de lois vides de tout sens.



Pas de sens humain dans ces lois, pas de sens religieux surtout si l'on se réclame d'Allah ou Dieu, c'est le même, pas de sens du tout finalement quel que soit l'angle sous lequel on regarde ces martyres d'une civilisation sans amour et sans pitié.



Dans ce livre, c'est le fleuve Tigre qui regarde et se lamente, à travers quelques strophes poétiques qui apportent plus que le texte assez pauvrement rédigé par Emilienne Malfatto. Si la structure est cohérente en faisant parler et réagir tour à tour les membres de la famille et la victime elle-même jusqu'au dernier moment, c'est le côté littéraire auquel j'ai trouvé de nombreuses carences, des constructions grammaticales incorrectes, un manque d'énergie. Peut-être ce dernier était nécessaire pour traduire l'inaction de la famille, de la mère, du frère cadet, devant le drame qui va détruire la soeur qui n'a pourtant commis aucune faute divinement ou humainement répréhensible dans un acte d'amour consenti, encore une fois pour faire plaisir à l'homme malgré les risques découlant de cet acte puni par une loi inique lorsqu'il n'est pas accompli dans le respect de règles insensées.



Au final, hélas, rien de vraiment porteur dans ce texte hormis les lamentations du Tigre.
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Le colonel ne dort pas

Comme la couverture grisée, floutée grise d’un paysage déserté, un homme seul, un fleuve, et un immense nuage noir menaçant : voilà le sujet du génial « Le commandant ne dort pas ».

Gris, c’est le colonel, qui met mal à l’aise son nouveau chef, le général, ainsi que l’ordonnance béret rouge*, sous ses ordres, se tenant en retrait au garde á vous*, prisonnier de la peur que le colonel lui inspire : il l’assiste, or ce qui l’intéresse c’est de retrouver le monde d’avant, il pense à sa mère à ses lettres bleues raturées par la hiérarchie*, aux filles, sauf que dans ce pays qui sort d’une longue guerre la chute d’ un Dictateur*, la paix est plus que compromise.

L’homme seul de la couverture, c’est donc le colonel qui vient d’être nommé, dans ce Nord ravagé par la pluie ( autour du Tigre probablement ) : bien qu’appartenant à l’ancien régime, c’est un agent indispensable un spécialiste*.

Le colonel est gris, il fait son travail de Reconquête, noble cause pour lutter contre l’Ennemi, empêcher qu’ils viennent violer vos femmes (égorger vos fils vos compagnes) ces terroristes, à qui il faut arracher- arracher, souligne Malfato-les secrets.

Par la torture.

Le colonel n’arrive cependant pas à dormir, même s’il aime torturer, surtout un ennemi qui le regarde sans haine et contre lequel il se déchaine.

Car le nuage noir ne va pas seulement déverser des pluies, il symbolise la conscience de ce colonel qui se voit devenir ombre, il ne peut occulter sa part d’ombre, une ombre qui pèse autant que le nuage noir, qui rend l’oubli impossible.

Comme Sisyphe, son destin de torturer le torture ; un lynx vient lui dévorer la poitrine, il meurt de faire mourir, dépecé à force de dépecer.



La descente dans les sous-sols est une descente en lui-même , ses martyrs deviennent chaque nuit ses bourreaux venant le hanter; la ville elle-même a « quelque chose d’éventré, les entrailles de la ville à l’air, la terre violée, dévastée, ici rien ne poussera plus, terre sans blé sans moissons. »

Comme il ne dort pas, il se pose des questions:



Aurai-je même servi une noble

cause

comme ils disaient

se rappellera-t-on de moi sur une

stèle.

Entrelaçant dans son livre les réflexions intimes du colonel qui ne dort pas et a le temps de penser à la mort qu’il a tellement donnée qu’elle en est devenue une amie une alliée , avec le récit « objectif », Emilienne Malfato entrelace de plus l’ironie ( l’envoyé de la Capitale pour régler la pluie qui tombe trouve la porte fermée « celle-là on ne la lui avait jamais faite, et il n’a pas signé pour être plombier, nom de Dieu) à une grande pudeur.

Une prouesse que cet enlisement dans le gris et l’ombre, « comme une déliquescence du monde et du temps, une lente décrépitude des choses et des êtres » nous soit livré, ainsi, brutalement, grâce à la force de l’écriture, une manière d’enchainer sans mettre de virgule ( que j’ai essayé de traduire voire mes *)

Et puis nous avons tous une part d’ombre :

« Peut-être sommes nous tous

hantés sans oser

le dire

en parler

chacun persuadé d’être une ile

un cas particulier. »

Un petit clin d’œil à mes deux spécialistes : Onee et Idil.

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Que sur toi se lamente le Tigre

Ce court roman est un véritable uppercut ! La narratrice, une jeune Iranienne, attend sa mort. Mais qu’a-t-elle fait de si répréhensible ? Elle porte en elle la vie, ou plutôt, paradoxalement, son arrêt de mort. Car la jeune fille n’est pas mariée. Mohamed l’a déflorée avant de partir au combat. Mais celui-ci ne reviendra pas, condamnant ainsi doublement sa promise. Pour aller plus loin dans l’horreur, c’est le frère aîné qui rétablira l’honneur de la famille, avec l’aval de la mère… Certaines règles/lois/coutumes peuvent être terribles !



Tout comme la vie de la narratrice, le rythme des phrases est court, vif, incisif. On alterne entre les voix, dont celle du Tigre, qui connait tout et voit tout. Quelques passages de Gilgamesh viennent ponctuer le récit, alliance entre l’antique et le moderne… Moderne… vraiment ?
Lien : https://promenadesculturelle..
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Le colonel ne dort pas

Le roman s’ouvre sur la harangue qu’un colonel en charge de la « section spéciale » adresse aux fantômes de ses victimes qu’il nomme « Hommes-poissons » et qui hantent ses rêves et lui ôtent le sommeil.

L’histoire se déroule dans la ville d’un pays gris jamais nommé, il pleut sans cesse, et on y mène une guerre qu’on nomme reconquête (qui évoque une guerre proche de nos frontières, hélas bien réelle).

Après avoir écouté ce colonel qui torture les prisonniers, on fait la connaissance d’un général qui préfère s’enfermer dans son bureau pour jouer aux échecs plutôt que d’affronter la réalité sur le terrain. Seul dans son palais décadent, il se bat contre les gouttières qui inondent son monde et, peu à peu, il perd pied.

Car tout flotte dans ce pays monochrome et humide, monde halluciné.

« Gris le ciel bas, gris les hommes, grises la Ville et les ruines, gris le grand fleuve à la course lente ».

Seul un jeune ordonnance semble s’accrocher au réel. Il cherche à se faire oublier pour rester en vie et pense aux filles de son village et aux lettres de sa mère et ses joues se teintent de rose, seule couleur dans le gris ambiant.



Le récit des évènements alterne avec les monologues du colonel. Le tortionnaire déroule sa vie, confie ses inquiétudes, ses convictions.

« Les morts de guerre ne sont pas des crimes, soldats, nous disait-on puisque vous avez tué pour une cause noble ».

Ce huis-clos terrifiant met mal à l’aise, et le texte sibyllin enferme le lecteur dans un récit glaçant.

Dans un style épuré, surréaliste, l’auteure dénonce la guerre avec sa barbarie, ses lâchetés et son absurdité qui, parfois, mène à la folie.

Le monologue halluciné du colonel m’a évoqué le monologue incantatoire du tirailleur sénégalais dans « Frère d’âme » de David Diop

C’est très court (111 pages), l’écriture est poétique, le texte corrosif et on sort de cette lecture un peu sonné.



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Que sur toi se lamente le Tigre

Un joli livre, petit bijou d'édition, qui porte comme un chœur de tragédie à plusieurs voix, l'histoire d'un destin inéluctable.



La mort d'une jeune femme, enceinte d'un combattant du jihad qui n'a pu l'epouser. Elle doit mourir. Elle va mourir. Elle meurt.



La beauté vient de l'inévitable, du tout tracé, du c'était écrit. Et des stéréotypes :la mère soumise au fils aîné, la bru soumise à son époux et à la pesanteur du clan, le frère moderne trop lâche, le petit frère trop jeune, le frère aîné trop accablé par la tradition.



J'ai aimé ce poème tragique comme j' aime la tragédie grecque mais dans la tragédie grecque il y a des Œdipe, des Antigone, des Neoptolème, des Electre.



Des chemins de traverse, des révoltes, des "non".



Le poids des stéréotypes m'a paru parfois plus convenu que proprement tragique.
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