AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Éric Vuillard (996)


Ils s'appellent BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken. Sous ces noms, nous les connaissons. Nous les connaissons même très bien. Ils sont là, parmi nous, entre nous. Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d'entretien, nos radios-réveils, l'assurance de notre maison , la pile de notre montre. Ils sont là, partout, sous forme de choses. Notre quotidien est le leur. Ils nous soignent, nous vêtent, nous éclairent, nous transportent sur les routes du monde, nous bercent. Et les 24 bonshommes présents au palais du président du Reichstag, ce 20 février, ne sont rien d’autres que leurs mandataires, le clergé de la grande industrie ; ce sont les prêtres de Ptah. Et ils se tiennent là impassibles, comme 24 machines à calculer aux portes de l’Enfer
Commenter  J’apprécie          120
Il faut se souvenir qu'à cet instant la Blitzkrieg n'est rien. Elle n'est qu'un embouteillage de panzers. Elle n'est qu'une gigantesque panne de moteur sur les nationales autrichiennes, elle n'est rien d'autre [...] qu'un mot venu plus tard comme un coup de poker. Et ce qui étonne dans cette guerre, c'est la réussite inouïe du culot, dont on doit retenir une chose : le monde cède au bluff. Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s'il ne cède jamais à l'exigence de justice , s'il ne plie jamais devant le peuple qui s'insurge, plie devant le bluff.
Commenter  J’apprécie          120
Jean-Armand Pannetier, c’est son nom, laissera une petite relation de sa journée, et retombera aussitôt dans le néant. Mais à ce moment, le mardi 14, il est l’étincelle qui met le feu aux poudres.
Comme il est de grande taille, il se plante contre la muraille et fait la courte échelle. Le charron Tournay monte le premier. Il porte un gilet bleu. Il a vingt ans. Huit à dix autres le suivent. Ils enjambent une échoppe qui sert de remise à un débitant de tabac. La foule les apostrophe, on rigole, on les encourage. Il y a un raffut inouï. Tournay grimpe sur le toit du corps de garde. Des copains le hèlent, le vent fait bouffer son gilet. Je désire, j’imagine, qu’à cet instant, le charron Louis Tournay ait été lui-même, seulement lui-même, vraiment, dans son intimité la plus parfaite, profonde, là, aux yeux de tous. Ce fut pour un court instant. Quelques pas de danse sur un toit de tuiles. Une série de déboulés, la tête libre, haute, puis un chapelet de battements, de piqués, de pirouettes même. Ou plutôt, non, ce furent des pas très lents, de petites glissades, des pas de chat. Soudain, Tournay, sous le grand ciel, dans le jour gris et bleu, oublie tout. Le temps meurt un instant en lui. Il vacille près d’une cheminée. Les gens craignent qu’il tombe. Oh ! Il s’accroupit sur la pente intérieure du toit, les tuiles lui brûlent les mains ; on ne le voit plus. Il est seul. La Cour du Gouvernement est vide, face à lui. Il est alors juste une ombre, une silhouette. Les soldats sur les tours le regardent. Il saute dans la cour.
Là, il est encore plus seul. » (p. 67-68)
Commenter  J’apprécie          120
La terre est triste, le corps est seul. Je ne vois plus rien. Et toi, tu es là, roi pauvre, ayant pioché la mauvaise carte.
Commenter  J’apprécie          120
Il savait que lorsque Dieu tarde à nous secourir c'est pour mieux nous éprouver, c'est par une faveur plus extraordinaire que la victoire des armes, afin de nous faire vaincre un mal plus secret et dangereux que le fer.
Commenter  J’apprécie          110
Devant le duc Jean, le prince héritier, le bailli Zeiss, le bourgmestre et le conseil d'Allstedt, après le glaive, les pauvres, Nabuchodonosor et la colère de Dieu, voici que Müntzer dit :
IL FAUT TUER LES SOUVERAINS IMPIES.
Commenter  J’apprécie          110
C'est la toute dernière minute de sa dernière heure. Et puis, comme d'habitude, il capitule. Lui, la force et la religion, lui, l'ordre et l'autorité, voici qu'il dit oui à tout ce qu'on demande. il suffit de ne pas le demander gentiment.
Commenter  J’apprécie          110
Alma Biro ne s'est pas suicidée. Karl Schlesinger ne s'est pas suicidé. Léopold Bien ne s'est pas suicidé. Et Hélène Kuhner, non plus. Aucun d'entre eux. Leur mort ne peut s'identifier au récit mystérieux de leur propres malheurs. On ne peut pas dire qu'ils aient choisi de mourir dignement. Non. Ce n'est pas un désespoir intime qui les a ravagés. Leur douleur est une chose collective. Et leur suicide est le crime d'un autre.
Commenter  J’apprécie          110
Lorsqu'enfin l'Inca fut visible, les quelques Espagnols qui avec Pizarre se tenaient sur la place virent étinceler les plaques d'or, les bandeaux, les anneaux de bras, les boucles d'oreille, les bagues, les tuniques blanches et colorées, ornées de dessins. Ils furent éblouis par les miroirs de jais, les turquoises, les émeraudes, les châles ouvragés, les larmes d'or peintes sur les joues des danseurs. Le soleil éclairait les cimes.
[...]
A cet instant, parmi la vingtaine d'Espagnols intrépides qui se trouvaient avec Pizarre, peu pensèrent à l'or, à la richesse qu'ils étaient venus chercher. Peu pensèrent à ce qu'ils pouvaient espérer s'ils capturaient cet homme. Peu songèrent à ça. A ce moment, ce fut à leur vie seule à laquelle ils songèrent, et encore, la peur la plus naturelle, la plus simple et la plus brutale les submergea. Qu'allaient-ils pouvoir faire ?
Commenter  J’apprécie          110
Les barrières brûlaient. Ce qui brûle projette sur ce qui nous entoure un je-ne-sais-quoi de fascinant. On danse autour du monde qui se renverse, le regard se perd dans le feu. Nous sommes de la paille.
Commenter  J’apprécie          110
Gustav Grupp
Pendant des années , il avait loué des déportés de Buchenwald, à Flossenbürg, à Ravensbrück, à Sachsenhausen, à Auschwitz et à bien d'autres camps.
Leur espérance de vie était de quelques mois. Si le prisonnier échappait aux maladies infectieuses, il mourait littéralement de faim. Mais Krupp ne fut pas le seul à louer de tels services Ses comparses de la réunion du 20 février en profitèrent eux aussi ; derrière les passions criminelles et les gesticulations politiques leurs intérêts trouvaient leur compte. La guerre avait été rentable.
Bayer afferma de la main d'oeuvre à Mauthausen. BMW embauchait à Dachau, à Papenbur à Sachsenhausen, à Natzweiller-Struthof et à Buchenwald. Daimler à Schirmec. IG Farben recrutait à Dora-Mittelbau, à Gross-Rose, à Sachsenhausen, a Buchenwald, à Ravensbrück, à Dachau, à Mauthausen, et exploitait une usine gigantesque dans le camp d'Auschwitz, qui en toute impudence figure sous ce nom dans l'organigramme de la firme. Agfa recrutait à Dacha. Shell à Neuengamme. Schneider à Buchenwald. Telefunken à Gross- Rosen et Siemens à Buchenwald, à Flossenbürg, à Neuengamme, à Ravensbrück, à Sachsenhausen, à Gross-Rosen et à Auschwitz. Tout le monde s'était jeté sur une main-d'oeuvre si bon marché.
...Sur un arrivage de 600 déportés, en 1943, aux usines Krupp, il n'en restait un an plus tard que 20.

En 1958
Des juifs de Brooklyn réclamèrent réclamèrent réparation. Gustav Krupp avait offert sans ciller des sommes astronomiques aux nazis dès la réunion du 20 février 1933, mais à présent son fils, Alfried, se montrait moins prodigue. .. On parvint toutefois à un accord. Krupp s'engagea à verser 1250 dollars à chaque rescapé ; ce qui était bien peu pour solde de tout compte. Mais le geste de Krupp fut salué unanimement par la presse. Cela lui fit même une remarquable publicité. Bientôt, à mesure que les rescapés se déclaraient, la somme allouée à chacun devint plus maigre. On passa à 750 dollars, puis à 500. Enfin, lorsque d'autres déportés se manifestèrent, le Konzern leur fit savoir qu'il n'était malheureusement plus en mesure d'effectuer des paiements volontaires : les Juifs avait coûté trop cher.
Commenter  J’apprécie          110
Et ce qui étonne dans cette guerre, c'est la réussite inouïe du culot, dont on doit retenir une chose : le monde cède au bluff. Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s'il ne cède jamais à l'exigence de justice, s'il ne plie jamais devant le peuple si s'insurge, plie devant le bluff.
Commenter  J’apprécie          110
Et ce qui étonne dans cette guerre, c'est la réussite inouïe du culot, dont on doit retenir une chose : le monde cède au bluff. Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s'il ne cède jamais à l'exigence de justice, s'il ne plie jamais devant le peuple qui s'insurge, plie devant le bluff.
Commenter  J’apprécie          110
Si l'on soulève les haillons hideux de l'Histoire, on trouve cela : la hiérarchie contre l'égalité et l'ordre contre la liberté.
Commenter  J’apprécie          110
La parole ne laisse pas de traces, mais elle fait des ravages dans les cœurs. On se souvient toute une vie d'un mot, d'une phrase qui nous a touchés.
Commenter  J’apprécie          110
Les Peaux-Rouges étaient considérés comme les débris d'un monde ancien, et le mot d'ordre était désormais qu'ils devaient s'assimiler.
La destruction d'un peuple se fait toujours par étapes, et chacune est, à sa manière, innocente de la précédente.Le spectacle, qui s'empara des Indiens aux derniers instants de leur histoire, n'est pas la moindre des violences. Il fixe dans l'oubli notre assentiment initial.
Commenter  J’apprécie          110
Les fougères immenses, les énormes loutres qui glissaient à la surface des rivières, les racines dessinant de grands cercles sur le sol semblaient les signalements abstraits de leur existence antérieure. Oui, les soldats venaient d'une autre vie, d'un autre temps, ils sortaient de Jérusalem, d'Antioche, d'Alep. Les Turcs avaient repoussés jusqu'ici, parmi les eaux profondes, dans ce terrain lourd, argileux, dans ce monde de feuilles et de bourgeons. Et, à présent, un murmure montait, un va-et-vient régulier, le halètement des hommes et des bêtes.
Commenter  J’apprécie          100
Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s'il ne cède jamais devant le peuple qui s'insurge, plie devant le bluff.
Commenter  J’apprécie          100
Dans un guide de voyage sur l’Indochine de 1923, après une page de publicité pour la maison Ridet & Cie, armurier du centre de Hanoi, fournissant "armes et munissions de chasse et de guerre, tous accessoires pour chasseurs et touristes, pistolets automatiques ou carabines", avant même que ne soit évoquée "la partie la plus pittoresque du Haut-Tonkin où se trouvent quantité de curiosités naturelles", on tombe sur un petit lexique, manuel de conversation à l’usage des vacanciers, dont voici en français les premiers rudiments : "va chercher un pousse, va vite, va doucement, tourne à droite, tourne à gauche, retourne en arrière, relève la capote, baisse la capote, attends-moi là un moment, conduis-moi à la banque, chez le bijoutier, au café, au commissariat, à la concession". C’était là le vocabulaire de base du touriste français en Indochine.
Commenter  J’apprécie          100
Désormais, le télégraphe et la vapeur allaient être les instruments du succès. C’est eux qui, tels des demi-dieux, parcourraient le monde, non plus à la recherche des épices et de l’or, mais afin que s’accomplisse la promesse en l’ultime transmutation des hommes et de la terre en cette manière ductile et infiniment exploitable que nous connaissons. Le monde entier devint soudain une ressource. Ce fut le dernier émerveillement, l’assouvissement de toutes nos soifs.
Commenter  J’apprécie          100



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Éric Vuillard Voir plus

Quiz Voir plus

Kiffez Eric Vuillard !

La première fois que j'ai rencontré Eric, il m'a dit d'un ton péremptoire, la question n'est pas ...?...

Une sinécure
Sujet à débat
à L'ordre du jour
Digne d'intérêt

10 questions
27 lecteurs ont répondu
Thème : Éric VuillardCréer un quiz sur cet auteur

{* *}