Apologie de la Barbarie : Berlin-Bucarest (1932-1941)

Beaucoup voient d'un mauvais oeil cette sortie, et, à vrai dire, le côté politisé de Cioran ne m'intéressait pas plus que ça : j'en avais entendu parler, je l'avais lu se lamenter d'avoir été happé par certaines mouvances "nationalistes". Mais je l'ai quand même lu... Et vraiment c'est pas mal !

D'une part, pour qui s'intéresse un peu à cette époque, on vit l'instant de l'intérieur, et non pas a posteriori rédigé par les gentils vainqueurs et les "opposants de la première heure" (pour ça, tout le monde a été résistant...). On y vit l'effervescence, on y comprend les mécanismes, l'exaltation, la ferveur, l'hypnose collective, et toutes ces choses propres aux Allemands qui nous sont décrites avec admiration. Cioran reste lucide tout le long de ses textes, mais lui au moins assume, analyse, comprend ce qui est en train de se jouer. Du sang va couler, des hurlements vont éclater, la mort va grouiller partout : tant mieux !

D'autre part on peut trouver quelques cohérences avec le reste de l’œuvre de Cioran, cette recherche d'explosif, de danger, de vitalité morbide. Disons que ce serait le penchant nietzschéen de Cioran.
- J'en profite pour ajouter que les mêmes qui se lamentent que ce livre soit sorti (et continue de paraitre) sont les mêmes qui prétendent que La volonté de puissance n'est pas de Nietzsche ("Nietzsche, oh non non, il n'a pas inspiré les nazis, c'est une mauvaise interprétation"), les mêmes esprits tièdes qui veulent de la lecture dangereuse mais qui ne souillerait pas leur belle bibliothèque, qui serait choisie et sélectionnée par la morale, les mêmes qui préfèrent ne pas rééditer certains poèmes de leurs auteurs de prédilections parce qu'ils contiennent des choses qui font tache. -
Certains aimeront comprendre cette œuvre par rapport à ses autres "vrais" livres. Pour ma part je m'en suis abstenu tant que j'ai pu, prenant ce livre pour ce qu'il est : une suite d'articles adressés à des lecteurs spécifiques (ses compatriotes Roumains, et donc aussi à une époque précise dans un pays précis dont je ne connais pas particulièrement l'histoire mais qui semble atypique).

Il y a des textes fabuleux qui sont du Cioran pur jus. Je pense à "La révolte des repus" où une misanthropie sous-jacente rôde, où un mépris de la vie en général dresse son ombre. Il s'agit de commenter la Nuit des longs couteaux, et digresser à propos de la liberté, de la valeur humaine, du symbole de l'héroïsme, de la révolte - mais pas dans le sens auquel nos petits écrivains célébrés par la plèbe nous ont habitué (on s'en doute).

On dira que c'est la sagesse de Cioran qui l'a fait renier ses textes de jeunesse ; moi je dirais plutôt que c'est sa vieillesse. Le Cioran jeune était en quête d'états extrêmes (le suicide et la vie jusqu'à l'excès, etc), en quête de révolution, en quête de quelque chose qui puisse remuer cette vaste tumeur qu'est la vie, de quoi soigner l'Europe mourante et surtout aider sa Roumanie à naître enfin. Car, dans ces articles, il s'agit, au fond, davantage de la Roumanie que de toute autre chose, une Roumanie pour laquelle Cioran entretient un désespoir balkanique typique, aussi méprisant que bienveillant.

L'habitué des aphorismes de Cioran avide de trouver des formules à son mal être un peu surfait ne s'y retrouvera pas, mais l'amateur d'histoire, celui qui a compris Cioran dans sa tentative de dépasser l'instinct de mort par le soufre, le sang, la fureur et le feu, en auront pour leur compte. Et, vraiment, il n'y est pas question d'avoir des affinités avec le nazisme ou pas, seulement d'avoir un regard peu courant sur cette période vécue de l'intérieure par un étranger.

Cioran philosophe Roumain connu pour ses textes fragmentaires ces aphorismes tel que De l'inconvénient d'être né ou Syllogismes de l'amertume constituant le cœur de ses œuvres les plus connues.
Ce livre Apologie de la Barbarie : Berlin-Bucarest (1932-1941) regroupe 35 textes de Cioran Publié entre 1932 et 1941 dans des journaux roumains : Calendarul, Vremea…Cioran a 21 ans lorsqu'il écrit son premier article de ce livre et 30 ans pour le dernier - Il s'exprime encore dans sa langue maternelle qu'il abandonnera pour celle de la France avec Précis de décomposition (1949) qui sera celle de tous ses textes futurs.
J'ai découvert ce livre grâce à Masse critique que je remercie encore de cette initiative, en effet ce recueil de textes fût un moment enrichissant, enthousiasment, difficile, périlleux, fastidieux, dure, courageux car ces textes ont une saveur qui prend vos émotions pour les tournoyer dans tous les sens avec folie et brutalité Cioran se désespère de sa Roumanie, de cette Europe fade sans âme avec une démocratie qui annihile la ferveur l'exultation…Jeune fougueux enthousiasme Cioran tombe sous le charme malsain et trompeur de l'hitlérisme - Cette pensée est surtout un désespoir pour sa patrie cette Roumanie qu'il définit comme orpheline de décision ultime, se parfait dans sa médiocrité, sent la terre, est un peuple pauvre, roublards, sceptiques, résignés propos très durs ,très pessimistes. Cioran veut un électrochoc pour exploser cette Europe corrompue par cette démocratie de surface , il tombe dans la folie destructrice comme beaucoup pour une dictature, comme une aventure, une action héroïque, un carrefour historique qui engendre un soulèvement des masses anonymes dans un dynamiste, fièvre des idées, amène un encadrement matériel et morale ...Cioran dans sa névrose s’extasie de la culture allemande, la philosophie allemande est une libération vers l'infini, un jaillissement ininterrompu,la Culture allemande est une direction -elle n'est pas figée, elle évolue…Cioran prône un nationaliste violent, un fanatisme brutal, une barbarie incroyablement sanglante des idées, l'hitlérisme est un mouvement sociale, c'est une conséquence de l'histoire allemande, de l’orgueil de cette patrie…Même si ces articles restent un enflamment de jeunesse ou Hitler devient un providence la dictature une fatalité heureuse, la barbarie est un vecteur, un catalyseur de la vie, une sublimation et idéalisation de la création…Cioran deviendra cet homme penseur aux écrits pessimiste et scepticisme d'une forte ironie aimé d'une écriture si riche au nihilisme ultra-lucide, il ne croit pas en Dieu mais au diable .Ces textes sont une aubaine pour comprendre encore mieux Cioran et son évolution . Un riche moment vous attends avec ce livre, pour approfondir je vous recommande Quand Cioran admirait Hitler, par Philippe Sollers…

Dur de critiquer un livre que je n'ai pas fini ... Oui j'avoue que malgré mes efforts je ne suis pas arrivé au bout de ce livre (reçu dans le cadre de masse critique).
La note indicative de 3/5 est pourtant jusitifée. Je pense que ce livre est intéressant car il nous renseigne sur la pensée de Cioran. La préface est très utile car elle replace ces textes dans un contexte historique et elle met aussi en garde le lecteur à propos des pensée choquantes véhiculées par Cioran. Je n'ai pas fini de lire tout simplement parce qu'il manquait une explication de ce texte qui m'aurait permis de mieux cerner ce qui se passe dans ces extraits. J'ai trouvé le style de Cioran peu digeste et un commentaire de texte à la fin de chaque extrait m'aurait sans soute permis de plus accrocher.
Qui sait peut-être que je remettrai le nez dedans un jour ? En attendant je place ce livre dans l'étagère réservée aux livres "sulfureux"...

Ce livre s'imposait-il ? le Cahier de l'herne Cioran avait déjà donné des extraits. L'ensemble ne séduira que les fanatiques de Cioran (ce qu'il eût détesté.) Cioran vaut pour ce qu'il est devenu, non pas pour ce qu'il a été. Tant pis. Il faut lire le Cioran français : lui seul a du génie.