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EAN : 9782020021197
505 pages
Seuil (01/12/1974)
4.35/5   491 notes
Résumé :
Immense fresque du système concentrationnaire en U.R.S.S. de 1918 à 1956, "L'archipel du goulag" (ce dernier mot est le sigle de l'Administration générale des camps d'internement) fut terminé par Soljénitsyne en 1968.

"Le cœur serré, je me suis abstenu, des années durant, de publier ce livre alors qu'il était déjà prêt : le devoir envers les vivants pesait plus lourd que le devoir envers les morts. Mais à présent que, de toute façon, la sécurité d'Ét... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (38) Voir plus Ajouter une critique
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Alexandre Soljénitsyne, avant qu'il ne devienne le grand auteur russe qu'il est devenu, a passé quelques années au goulag. Cette expérience l'a amené à écrire Une journée dans la vie d'Ivan Denisovitch, oui, mais aussi une autre oeuvre et c'est de ce pavé dont il sera question dans cette critique : L'archipel du goulag. Il ne s'agit pas d'un roman à proprement parler. On n'y suit pas une trame narrative unique. Plutôt, plusieurs histoires individuelles, un long fleuve de témoignanges, d'histoires. C'est l'histoire d'un père, d'un frère, d'un voisin, de n'importe qui. de tout le monde et de personne à la fois. D'une foule anonyme. du peuple russe. Car c'étaient rarement des criminels au sens où nous l'entendons, non. C'étaient des prisonniers politiques pour la plupart, des gens qui étaient jugés ennemis du régime en place, dangereux pour l'ordre communiste établi, c'est-à-dire des intellectuels qui étaient capables de jeter un regard critique sur les actions des dirigeants.

Ce pavé est divisé en plusieurs parties. Dans la première, « l'industrie pénitentiaire », l'auteur explique qui on arrêtait, pourquoi et comment. Il dresse l'état de la situation concernant les bagnes, fait des comparaisons avec l'époque tsariste, mentionne des lois, livre le nombre de victimes, etc. On y retrouve une quantité ahurissante de faits, de chiffres, de statistiques. Un peu long à la longue mais utile, je suppose, pour bien comprendre l'étendu du problème. Visiblement, Soljénitsyne s'est bien documenté. Et, s'il adopte un point de vue subjectif (peut-il en être autrement?), on le lui pardonne.

Étrangement, au début de son récit, je croyais que l'auteur avait été envoyé en Sibérie. Je croyais que c'était là-bas que tous les camps étaient situés. Mais non, de tels camps se trouvaient partout, et le goulag dont il est question ici se trouve au nord-ouest ! C'est en plein de la mer Blanche, sur une des îles de l'archipel Solovki. J'ai trouvé fascinante l'histoire de ces îles. Pas la partie goulag, quoique… Mais non, à la fin du Moyen-Âge, des moines y ont fondé un monastère réputé qui a grandement contribué à l'essor de cette partie de la Russie. Bon, en parralèlle à ma lecture de ce pavé, je me suis documenté sur cette région… Dans tous les cas, je trouve un peu dommage qu'un si beau lieu, avec une si belle histoire, ait été utilisé en tant que goulag, un si laide activité.

Pour revenir à la division du roman, les autres parties sont « le mouvement perpétuel », qui traite parfois long voyage (en train et dans des conditions difficiles) qui mène jusqu'au camp et « l'extermination », qui explique comment on se débarrassait des condamnés. le travail difficile, surhumain qui était exigé n'était parfois pas suffisant. Les gardes devaient se montrer imaginatifs et, surtout, brutaux. Heureusement, l'auteur a su y insérer plusieurs anecdotes qui rendent la lecture moins pénible. Que ce soit le sort réservé aux mouchards, les relations avec les leks (indigènes de l'ile), le quotidien tout simplement.

On continue avec « l'âme et les barbelés » et « le bagne ». Personnellement, je commençais un peu à m'ennuyer. Lire encore et encore sur le sort des pauvres bagnards devenait un peu répétitif, lassant et, surtout, lourd. Tourner les pages et ne découvrir que de nouvelles façons de rendre des gens misérables, ouf ! Toute cette lithanie de faits plus horribles les uns que les autres, qui finissaient par se ressembler ou, du moins, finir au même résultat, peu pour moi. Je n'avais qu'une envie, c'était de crier « Ça va, j'ai compris ! Les prisonniers vivent dans des conditions de vie plus que difficiles ! On passe à autre chose ! » Ceci dit, je n'ai pas pu m'arrêter de lire. Je devais savoir. Tout comme Soljénitsyne devait écrire. Il ne pouvait pas omettre une seule partie de cette pénible expérience.

Les dernières parties, « relégation » et « Staline n'est plus » ont réussi à me réintéresser à cette oeuvre. On y traite de la relocalisation des prisonniers politiques en Sibérie, une pratique historique, qui a contribué au peuplement de cette région de la Russie. Il traitait également de la façon dont la mort du grand dictateur a permis à l'information de mieux circuler. Les goulags, ce n'était qu'une rumeur (certains ont même cru qu'ils avaient été inventés par l'Ouest pour discréditer l'URSS) jusqu'à ce que les témoignages commencent à pleuvoir. Puis les faits et les statistiques ont été dévoilés petit à petit. Un long processus…

Bref, L'archipel du goulag est une brique d'informations d'une précision inouïe sur une page sombre de l'histoire de la Russie/URSS. C'est long, parfois pénible, mais toujours instructif. Quiconque aime l'histoire, ou ce pays ou même le régime soviétique y trouvera son compte.
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Goulag est l'acronyme de l'administration d'Etat créée en Union Soviétique pour gérer les camps de travail forcé : Главное управление лагерей.
L'Archipel, ce sont les îles Solovki (dans la mer Blanche au nord-ouest de la Russie). Elles furent un lieu d'exil forcé d'opposants au Tsar dès le XVIIe siècle. Le régime soviétique y expédia et y soumit au travail obligatoire des millions de personnes. Ce fut un lieu de répression soviétique parmi tant d'autres (à l'image du célèbre territoire de la Kolyma des récits de Varlam Chalamov, souvent cité par Soljénitsyne).
'L'Archipel du Goulag' décrit et dénonce l'univers concentrationnaire soviétique de 1918 à 1956, cherchant à en expliquer la genèse et le mode de fonctionnement.

■ Première Partie : L'industrie pénitentiaire.

• "L'arrestation" (chapitre 1er) est le point de départ du parcours dans le Goulag. Soljénitsyne (1918-2008, Nobel de littérature en 1970) liste des variantes de l'exercice : de nuit, de jour, au domicile, au travail, dans la rue, lors d'une convocation au poste,… Généralement, la victime demande "moi ? pourquoi ?", et reste sans réponse. Les méthodes d'arrestation expliquent en partie l'étonnante passivité des personnes arrêtées. Lors de son arrestation en 1945, l'auteur guida lui-même les personnes venues le chercher vers la prison de la Loubianka ! Soljénitsyne fut libéré en 1953, après 8 ans purgés pour avoir critiqué la stratégie de Staline durant la seconde guerre mondiale (dans une lettre à un ami). Il fût à nouveau arrêté en février 1974, deux mois après la parution de cet ouvrage, cette fois pour être expulsé d'URSS.

• "Histoire de nos canalisations" (chapitre 2) : le terme Goulag est apparu dans les années 1930 mais les exécutions et les déportations commencèrent dès la guerre civile. Il s'agissait d'abord d'éliminer les opposants (non bolchevik), puis : les membres des "classes exploiteuses" (dont les "koulakisants"), les personnes pratiquant ou prônant une religion (dont les juifs dans les années 1950), celles dénoncées, des membres de nationalités, les "organisateurs de la famine" (famine dont Staline fût l'un des principaux responsables), des ingénieurs (dont les "plafonnistes" qui alertaient de la surcharge de trains par rapport aux capacités des infrastructures ferroviaires), les prétendus membres d'un inexistant Parti paysan du travail, ou encore le premier qui cesse d'applaudir un discours sur Staline… En résumé : n'importe qui pouvait être arrêté, chacun pouvant être un ennemi du peuple. L'article 58 du code pénal, ouvrait la porte à toutes les interprétations et devait conférer un vernis de légalité au processus. Un paroxysme fût atteint lors des grandes purges de Staline (procès de Moscou en 1936), mais assassinats et déportations de masse ne résultent pas de la seule paranoïa du dictateur ou de son "Egocratie". Dès 1917, Vladimir Illich Oulianov (Lénine) voulait « nettoyer la terre russe des tous les insectes nuisibles » (dont les ivrognes). Il ne s'agissait pas seulement d'assurer la survie d'un régime par la terreur mais aussi de fournir de la main d'oeuvre pour de grands travaux.

• "L'instruction" (chapitre 3) est toujours à charge contre le prévenu ; ses aveux ainsi que des témoignages contre d'autres sont activement recherchés. Tortures physiques et/ou morales sont de mise : le catalogue qu'en dresse Soljénitsyne est effrayant. Celui qui s'en sort en n'incriminant que lui-même peut partir la conscience tranquille.

• "Les liserés bleus" (chapitre 4) : La couleur bleu est l'insigne des personnes qui participaient à ce système. Quels furent leurs motivations ? Cupidité et soif de pouvoir constituent souvent les premiers mobiles, tandis que la défense d'idéaux n'est qu'un prétexte. Soljénitsyne se demande aussi ce qu'il aurait fait s'il avait été en position d'être à leur place : sa réponse est nuancée...

• "Première cellule - premier amour" (chapitre 5) : La vie en prison est régie par de nombreuses règles, implicites ou non, réglementaires ou pas (qu'importe, ici la raison de l'Administration est toujours le meilleure...). L'arrivée d'un nouveau dans la cellule est un événement : l'occasion pour les prisonniers d'avoir des nouvelles de l'extérieur et de découvrir un parcours. le nouveau venu doit éviter les confidences hâtives : le "mouton" (mouchard placé là incognito pour surveiller les autres) peut donner des éléments aux instructeurs du Goulag (contre le nouvel arrivant, ou contre d'autres personnes à inculper).

• "Ce printemps-là" (chapitre 6), celui de 1945, fut le printemps de la victoire contre les troupes allemandes. Une victoire du peuple, mais pas pour le peuple. Ce printemps-là aurait dû être celui de la libération, mais il marqua le passage d'un joug sous un autre, et pour les russes prisonniers des allemands, d'une prison à une autre.

• "La chambre des machines" (chapitre 7) : Voici quelques caractéristiques du système judiciaire à cette époque :
- la condamnation n'est pas une question de culpabilité mais une question de danger social,
- les articles du code pénal et la diversité de leurs interprétations permettait de condamner des personnes en raison de sa seule origine sociale (appartenance à un milieu social dangereux) ou pour ses relations avec un individu dangereux,
- toutes les étapes de la procédure se déroulent souvent en huis clos, sauf en cas de volonté politique de publiciser l'affaire.

• "La loi-enfant", "la loi devient adulte", et "la loi dans la force de l'âge " (chapitres 8, 9 et 10) : de grands procès publics, il y en eut en effet (Boukharine, Zinoviev…), dont on peut encore se souvenir. Mais la mémoire des individus et des peuples fonctionne en pointillés et les historiens doivent contribuer à éviter l'oubli. Ces chapitres reprennent et analysent quelques affaires dans un ordre chronologique et en les resituant dans leur contexte.

• "La mesure suprême" (chapitre 11), c'est la peine de mort. Utilisée ponctuellement sous certains tsar (et alors pas toujours judiciarisée), l'usage de l'exécution devint massif sous le régime soviétique (souvent par balle) puisqu'elle frappât alors plusieurs centaines de milliers de personnes.

• "Tiourzak : la réclusion" (chapitre 13) : ici l'auteur compare surtout les conditions de détention des prisonniers politique entre les périodes pré et post révolutionnaire. Sans surprise, la période soviétique est la plus cruelle.

■ Deuxième Partie : le mouvement perpétuel.

"Les vaisseaux de l'Archipel" représentent les moyens de transport vers les camps. Promiscuité, manque d'eau, et manque de nourriture, sont souvent du voyage. Des wagons spéciaux sont affrétés, appelés ironiquement "stolypine" (en référence à un ancien Premier Ministre de Nicolas II, assassiné en 1911 et qui alliait répression et mesures libérales, pour tuer dans l'oeuf les projets révolutionnaires). Pour les condamnés au titre de l'article 58 du code pénal, la rencontre avec les condamnés de droit commun est un choc. A la confrontation physique s'ajoute la compréhension de la moindre considération accordée au condamné politique par les autorités qu'à un délinquant/criminel, ainsi qu'un traitement plus sévère (« au moment de la fouille, d'être pris avec un couteau ne vous vaudra pas le même traitement qu'à un truand : entre les mains d'un truand, un couteau c'est une espièglerie, la tradition, un signe d'inconscience ; entre vos mains, c'est du terrorisme. » (…)). Gardiens et condamnés de droit commun s'entendent d'ailleurs souvent pour voler et réprimer les condamnés politiques ("possédez le moins de choses possibles pour ne pas avoir à trembler pour elles !" (…) "si vous donnez tout sans combattre l'humiliation empoisonnera votre coeur. Mais si vous résistez vous resterez pour tout bien avec la bouche sanglante" (…) que votre mémoire soit votre unique sac de voyage").
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Mon avis :
Cet ouvrage a marqué un tournant dans la connaissance à l'étranger du fonctionnement de la société et de l'économie soviétique jusqu'à l'assouplissement de son appareil coercitif après le « Rapport sur le culte de la personnalité » (dit « Rapport Krouchtchev », présenté en février 1956 aux seuls délégués du XXe congrès du Parti Communiste d'Union soviétique). A la fin de l'année 1973, ce livre venant d'arriver en France, Bernard Pivot lui consacra une émission dans « Ouvrez les guillemets ». Une partie de la gauche française, en particulier le Parti Communiste Français, dénigra l'auteur et son ouvrage, avec une mauvaise foi qui caractérisa ce parti politique jusqu'à la chute du mur de Berlin dès qu'il s'agissait d'observer la situation à l'est du continent (et encore plus longtemps ailleurs, s'agissant du régime castriste ; André Glucksman - adhérent du PC dans les années 50 mais défenseur des dissidents dans les années 70 - évoque à ce sujet un phénomène « d'auto-conviction, d'auto-intoxication »…).
Il est vrai qu'il est difficile de vérifier des chiffres avancés par Soljénytsine (il l'admet d'ailleurs, faute de sources). Ses fréquentes comparaisons entre régimes soviétique et tsaristes prennent parfois l'allure d'une défense de ces derniers ; ces comparaisons sont rétrospectivement possibles, mais pas nécessairement constructives. La description des dérives de l'après révolution se suffit.
La dénonciation par Soljénytsine du système soviétique de répression et d'exploitation de la main d'oeuvre est convaincante, avec des témoignages directs ou indirects très révélateurs. Ce livre présente un intérêt particulier pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de la Russie. Je recommande aussi à tous ceux qui se revendiquent révolutionnaires. En effet, des leçons sont à tirer de cette expérience, malheureusement pas tout à fait unique. Pour produire des résultats favorables à l'intérêt général, la suppression d'un système politique et de ses institutions nécessite un projet politique cohérent et en phase avec la maturité des sociétés concernées. En d'autres termes, ceux qui promettent de renverser la table ne doivent pas nous écraser tous dessous…

Pour poursuivre la réflexion sur ce thème, je recommande aussi l'oeuvre d'Arthur Koestler : 'Le zéro et l'infini' (sur les procès de Staline), 'Spartacus', ainsi que ses essais historiques ('Le Yogi et le Commissaire'…).
Cet auteur - communiste de la première heure, ensuite repenti - s'interroge sur l'équilibre entre la fin (une société meilleure) et les moyens (ceux à mettre en oeuvre pour préserver des idéaux révolutionnaires).
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Ce deuxième tome nous raconte les Camps.

Leur naissance, dès 1920, dans les îles Solovki d'abord puis leurs métastases, comme les appelle l'auteur, qui créeront cet Archipel qui finira par recouvrir tout le pays.



De ces camps, Alexandre Soljenitsyne va nous expliquer la création destinée d'abord à exterminer les "Ennemis du Peuple" puis à les faire travailler comme esclaves pour toujours plus de profit.

Il va ensuite nous narrer la vie quotidienne de tous ceux qui y vivent ainsi que ceux qui gravitent autour de ces camps.

Il y a bien sûr les gardiens dont il va nous expliquer la sélection pratiquée pour garder les plus " sadiques".

Il y a surtout les prisonniers dont à travers des témoignages, il va essayer de
décrire les vies et notamment celles des femmes et des enfants qui sont particulièrement effroyables.



C'est une lecture particulièrement éprouvante remplie d'abominations, l'auteur essaye parfois de mettre en valeur certains moments d'espoir, voire d'élévation de l'esprit qui lui auraient permis de tenir mais il faut avouer que l'ensemble est plutôt noir et souvent sans avenir pour ces ZEK.

Pour tous ceux qui s'intéresse au Goulag, c'est, à mon avis, une lecture
indispensable et qu'il ne faut pas lâcher malgré les 500 pages.
La question est : " Comment un pays peut-il en arriver là, à tuer ses propres enfants ?"

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Comment parler de l'indicible ? Comment parler d'un génocide par les camps de travail ? de déportations massives ?

De populations que l'on a pris dans leurs villages et qu'on a déplacé dans des terres arides, incultes, sans rien leur donner ?

Comment parler de la mort de millions de personnes, assassinés par les gens de son propre peuple ?

Tout simplement comme Alexandre Soljenitsyne l'a fait dans son célèbre livre qui lui valu des sueurs froides lorsqu'il le composa, ne laissant jamais l'entièreté d'un chapitre au même endroit, ne laissant jamais tout son travail étalé sur sa table. Trop dangereux.

Il est des livres qui, une fois terminés, vous donnent envie de plonger dans du Tchoupi ou équivalent (mais rien de plus fort). L'envie de plonger dans du Oui-Oui s'est déjà faite ressentir après certains chapitres de romans particulièrement éprouvants ("Cartel" & "La frontière", de Winslow).

Pour l'Archipel, j'ai eu l'envie de me rabattre sur des P'tit Loup après chaque phrase lue, c'est vous dire sa puissance ! C'est vous dire les horreurs que l'on a faites aux prisonniers politiques, condamné sur base de l'article 58 et qu'on appellera des Cinquante-huit dans les camps.

Mais jamais Soljénitsyne ne s'amuse à faire dans le glauque pour le plaisir d'en faire, jamais il ne fait dans le larmoyant.

Alors oui ce qu'on lit fend le coeur, fait naître des sueurs froides, surtout si vous imaginez que ces horreurs arrivent à vos proches, mais l'écriture de l'auteur fait tout passer facilement car il donne l'impression de vous raconter une histoire, vraie et tragique, mais d'une manière telle que vous continuez la lecture sans arrêter.

Ce livre n'est pas vraiment un livre dans le sens habituel puisque la trame narrative n'est pas une suite, mais plutôt un rassemblement de divers témoignages, le tout étant regroupé dans des sections bien définies, commençant par l'industrie pénitentiaire qui décrit la mise en place de la machine à broyer.

Le ton de Soljénitsyne n'est pas dénué de cynisme, de causticité, mais jamais au grand jamais il ne fait de réquisitoire contre la politique, ni contre ceux qui broyèrent les autres, car il est lucide : le hasard de la vie aurait pu le mettre du côté des tortionnaires au lieu d'être avec les victimes du Grand Concasseur Humain.

Et il se pose une question que peu de gens osent se poser (et n'osent jamais y répondre véritablement) : qu'aurait-il fait si le destin, le hasard, l'avait placé du côté de ceux qui avaient le pouvoir de vous pourrir la vie, de vous arrêter arbitrairement, bref, du côté des Méchants, des grands salopards ?

Il ne les juge pas trop durement, il sait très bien que bien des Hommes ont obéi afin d'avoir la vie sauve, pour protéger les leurs, pour ne pas crever de faim, tandis que d'autres se cachaient derrière le "on m'a donné un ordre", là où d'autres ont senti pris leur pied d'avoir le pouvoir de vie ou de mort sur des êtres moribonds.

Staline et son parti ont posé une chape de plomb sur les épaules de leurs concitoyens, fait régner la terreur car jamais au grand jamais vous n'auriez pu prévoir que le Rouleau Compresseur allait vous passer dessus, pour des peccadilles, bien entendu !

Vous avez osé dire que le matériel des Allemands était bon ? Apologie, donc au trou ! Vous avez fait un paraphe sur la gueule à Staline, sur le journal ? Au trou ! Aberrant les motifs d'emprisonnement, exagérés les peines de prison pour des riens du tout, mais c'est ainsi que l'on fait crever son peuple de trouille et qu'on obtient tout de lui.

Soljenitsyne le décrit très bien, nous expliquant aussi, sur la fin, pourquoi personne ne s'est révolté, rebellé, pourquoi les gens n'ont pas osé aider les autres. Même sous 40° à l'ombre, j'aurais eu froid dans le dos durant ma lecture.

Ce témoignage met aussi en lumière la folie des dirigeants, dont Staline, qui voyait des espions partout et qui a imaginé les camps de travail bien avant que Hitler ne monte ses abattoirs.

Ces deux moustachus sont des assassins en puissance (aidés par d'autres, bien entendu). À la lecture de ce récit, on constate que les horreurs de Staline ont durées plus longtemps et qu'elles firent encore plus de mort (oui, c'est possible) et étaient tout aussi horribles que les camps d'exterminations des nazis (oui, c'est possible aussi).

Lorsque le procès de Nuremberg se terminait et que tout le monde criait « Plus jamais ça », les camps de travail étaient toujours bien là en Russie. En 1931, des hommes avaient même creusé un canal (le Belomorkanal, 227 km) sans instruments de travail - ni pelles, ni pioches, ni roues aux brouettes,… Renvoyés à la Préhistoire !) et en seulement deux ans….

Le 20ᵉ siècle fut un siècle d'extermination en tout genre, hélas. Par contre, il est dommage que l'on ne porte pas plus d'éclairage sur les goulags, sur les camps de travail, sur les prisonniers innocents qui y périrent, sur leurs conditions de détentions déplorables,… J'ai l'impression qu'on les oublie dans la multitude des horreurs du 20e.

Une lecture faite sur 6 jours, une lecture coup de poing, une lecture à faire au moins dans sa vie.

PS : Cela fait longtemps que je voulais lire ce témoignage, mais j'avais du mal à trouver les différents tomes dans les bouquineries, alors, lorsque j'ai vu que Points avait sorti une édition abrégée, j'ai sauté sur l'occasion et acheté ce livre en octobre 2019.

Je voulais lire ce témoignage en janvier 2020 et c'était "Cartel" de Winslow qui est passé à la casserole et j'ai reporté cette lecture aux calendes grecques car le récit me faisait peur.

Peur que le récit et moi n'entrions pas en communion (ce qui aurait été dommageable), peur d'avoir peur de ce que j'allais y lire et que le roman de Soljénitsyne ne termine au freezer, comme d'autres le firent avant lui, notamment des livres parlant des camps de concentration.

Tout compte fait, nous nous sommes rencontrés, sans aucun problème et il est regrettable que j'ai reporté cette lecture. Maintenant que je l'ai faite, je suis contente et le livre termine dans les coups de coeur ultimes.

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Livre hautement intéressant d'un point de vue historique car l'auteur reprend la création et l'organisation des premiers goulags en Russie,puis il nous décrit les différents types de goulags ainsi que les types de population qui y sont enfermés.
L'auteur nous y décrit les terribles conditions de vie et de travail.
Tout comme d'autres ouvrages qui traitent des systèmes d'emprisonnement,de détention;surtout sous les régimes totalitaires,cet ouvrage est très dur à lire mais je crois sincèrement qu'il faut aller jusqu'au bout de l'innomable et de l'abaissement à cette cruauté qui n'est finalement qu'humaine.
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Citations et extraits (60) Voir plus Ajouter une citation
Cette valise je l'ai conservé, et aujourd'hui encore, quand elle me tombe sous les yeux, je passe les doigts sur la déchirure béante. Car elle ne peut pas se cicatriser comme le font les blessures du corps et du cœur. Les choses ont plus de mémoire que nous les humains
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Voici à quoi s'occupe l'ingénieur Ié., dans un coin assez retiré de la zone, par un dimanche très chaud : un être anthropoïde est assis dans un repli de terrain ; à ses pieds, un creux où s'est amassée une eau brune de tourbière. Sur le pourtour du trou sont disposés des têtes de harengs, des arêtes et des cartilages de poisson, des croûtes de pain, des boulettes de kacha, des épluchures de pommes de terre crues qui ont été lavées, et d'autres choses encore auxquelles il est même difficile de donner un nom. Un petit feu brûle, disposé sur un morceau de fer-blanc, et au-dessus est suspendue une gamelle de soldat noire de fumée où cuit un brouet. C'est prêt, semble-t-il ! Armé d'une cuillère de bois, le crevard commence à puiser dans la gamelle la lavasse sombre, et accompagne chaque cuillerée tantôt d'une épluchure de pomme de terre, tantôt d'un cartilage, tantôt d'une tête de hareng. Il mâche très longuement, plein d'une attention qu'on sent voulue (le tort des crevards est en général d'avaler précipitamment, sans mâcher). On voit à peine son nez au milieu de la végétation d'un gris sombre qui couvre son cou, son menton, ses joues. Le nez et le front sont d'une teinte cireuse à reflets bistres, ils pèlent par places. Les yeux larmoient, ils clignent sans arrêt.
Remarquant qu'un étranger s'approche, le crevard rassemble rapidement tout ce qui est étalé et qu'il n'a pas encore eu le temps de manger, il serre la gamelle contre sa poitrine, se colle à la terre et se roule en boule comme un hérisson. Maintenant on peut le frapper, le pousser - sa position est solide, il n'en bougera pas et ne lâchera pas sa gamelle.
N.K. Govorko engage amicalement la conversation avec lui : le hérisson se déplie un peu. Il voit qu'on ne va ni le battre, ni tenter de lui prendre sa gamelle. Le dialogue se poursuit. Tous deux sont ingénieurs (N.G. géologue, Ié. chimiste), et voici que Ié. expose à G. sa foi. En s'appuyant sur les formules chimiques des aliments, qu'il n'a pas oubliées, il démontre que même dans les détritus on peut trouver toutes les substances nutritives dont on a besoin, qu'il faut seulement surmonter son dégoût et employer tous ses efforts à les en extraire.
En dépit de la chaleur, Ié. porte sur lui plusieurs couches de vêtements, et tous sales. (Cela aussi a son fondement : Ié. a établi expérimentalement que dans un vêtement très sale, poux et puces cessent de se reproduire, on dirait que cela les dégoûte. Partant de ce principe, il a même choisi pour faire un de ses sous-vêtements un chiffon qui avait servi dans un atelier.)
Voici son aspect : un bonnet à la Boudionny avec un bout de chandelle noir à la place de la pointe et parsemé de plaques de roussi. Aux oreilles d'éléphant, toutes graisseuses, de ce bonnet, sont restés collés ici du foin, là de l'étoupe. Le vêtement du dessus, lacéré, laisse pendre comme des langues de longs lambeaux qui ballottent dans le dos et sur les côtés. Des pièces, encore des pièces. Une couche de goudron sur un des côtés. La bourre qui sort de la doublure fait une frange sur tout le bas du vêtement. Les deux manches du dessus sont déchirées jusqu'au coude, et lorsque le crevard lève les bras, on dirait une chauve-souris qui bat des ailes. Aux pieds, il a des godasses en forme de bateaux, confectionnées avec des morceaux de pneus rouges collés ensemble.
Pourquoi donc est-il habillé si chaudement ? Premièrement, l'été est court et l'hiver est long, il faut conserver tout cela pour les froids, et où le garder sinon sur soi ? Ensuite et surtout, il crée ainsi une couche molle, des coussins d'air, si bien que les coups ne lui font pas mal. On le bat à coups de pied et à coups de bâton, et il n'a pas de bleus. C'est sa seule manière de se défendre. Il lui suffit seulement de voir à temps qui va le frapper et de se laisser tomber en remontant ses genoux vers son ventre pour le protéger, en collant son menton contre sa poitrine et en s'entourant la tête de ses bras bien rembourrés. À ce moment-là, on ne peut plus lui donner de coups que sur du mou. Cependant, pour éviter que ça dure longtemps, il faut procurer rapidement à celui qui frappe un sentiment de victoire : pour cela, Ié. a appris à pousser dès le premier coup des cris déchirants, des cris de cochon qu'on égorge, bien qu'il n'ait absolument pas mal. (Au camp, on aime beaucoup battre les faibles, et "on", ce ne sont pas seulement les répartiteurs et les brigadiers, ce sont aussi les simples zeks, qui font cela pour sentir qu'ils ne sont pas encore arrivés au dernier degré de faiblesse. Qu'y pouvons-nous si les hommes ont besoin, pour être sûrs de leur force, de commettre des actes cruels ?)
Ié. estime qu'il a choisi là un mode de vie tout à fait proportionné à ses forces, rationnel et qui, en outre, ne l'oblige pas à salir sa conscience. Il ne fait de mal à personne.
Il espère arriver vivant au bout de son temps.
L'interview du crevard est terminée.
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En août 1918, Vladimir Ilitch [Lénine]...dans un télégramme adressé à Eugénie Bosch, écrivait ce qui suit: "Enfermer les douteux [non pas les « coupables »...] dans un camp de concentration hors de la ville...faire régner une terreur massive et sans merci... »
[...]
Voilà donc où ...a été trouvé... ce terme de camps de concentration, l'un des termes majeurs du XXe siècle, promis à un si vaste avenir international!...Le mot lui-même s'était déjà employé pendant la Première Guerre mondiale, mais s'agissant de prisonniers de guerre, d'étrangers indésirables. Ici, pour la première fois, il est appliqué aux citoyens du pays lui-même.
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Voici des siècles,on a découvert que le monde est gouverné par la faim.Tout homme affamé,à moins qu'il n'ait décidé lui-même,consciemment de mourir,est gouverné par la faim.La faim,qui oblige l'honnête homme à tendre la main vers l'objet qu'il va voler quand le ventre crie la conscience se tait.La faim qui force l'homme le plus désintéressé à regarder avec envie dans l'assiette d'autrui,à évaluer le cœur serré combien pèse la briquette du voisin.La faim qui obscurcit le cerveau et ne tolère aucune distraction,aucune pensée,aucune parole qui ne concerne pas la nourriture,ta nourriture,la nourriture.La faim,à laquelle on finit par ne plus pouvoir échapper en dormant;en rêve on voit de la nourriture,dans l'insomnie on voit de la nourriture.Et bientôt il n'y a plus que l'insomnie.La faim,qui fait ensuite,par un effet de retard,on ne peut même plus arriver à rassassier:l'homme se transforme en un tube ou les aliments passent tout droit et ressortent exactement dans l'état ou ils ont été avalés.
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Dans la vie des camps, comme au combat, on n'a pas le temps de réfléchir : un emploi de planqué passe à votre portée, vous sautez dessus.
Mais les années et les décennies ont passé, nous avons survécu, nos camarades ont péri. Aux pékins étonnés et aux héritiers indifférents nous commençons à entrouvrir le monde de là-bas, un monde qui ne recèle à peu près rien d'humain, et c'est armé des lumières de la conscience humaine que nous devons l'évaluer.
Et là, un des principaux problèmes moraux qui se posent est celui des planqués.
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Histoire de la conception, du parcours...jusqu'en France en 1968 du livre . Nombreux témoignages de personnalités en France et aussi en URSS.
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