Un cri déchirant
Août 1945, Budapest,
Aron Gabor est convoqué par l'ambassadeur soviétique. Il n'est pas inquiet, en tant que secrétaire général
De La Croix rouge hongroise, ce n'est pas la première fois qu'il se rend à l'ambassade. S'ensuit une séquestration de neuf jours, suivie d'une arrestation. C'est le début de quinze années d'enfer.
« Il doit y avoir une erreur, les Alliés vont intervenir, il est tout de même un personnage important ».
Ce sont les premières réflexions de l'auteur. Elles seront suivies de milliers d'autres qu'il nous fait partager tout le long de son ouvrage. Très vite, deux personnes s'affrontent en lui : le Civil qu'il veut rester et le Forçat, celui qui a déjà accepté son sort et qui est prêt à tout pour survivre.
Dans la première prison, intervient la rencontre avec le professeur Savitzki, un "déjà" vieux condamné qui va lui donner les clefs pour survivre dans l'univers d
e Goulag. Il lui explique sa "théorie des grammes", selon laquelle, quoiqu'il arrive, un jour, tout prisonnier se renie pour quelques grammes de pain. le Civil refuse cette théorie alors que le Forçat l'a déjà admise.
Dans la seconde prison, celle des condamnés à mort,
Aron Gabor va passer seize mois à l'isolement. Il est condamné à mort, ne le sait pas et ne saura jamais pourquoi il ne fut pas exécuté, ni pourquoi la condamnation sera ramenée finalement à cinq ans. Il va sombrer, approcher la folie, perdre quarante kilos : il fait quarante-deux kilos pour plus d'un mètre quatre-vingt. Son univers est réduit à ses discussions sans fin avec le Forçat puis avec Adolphe une araignée, Joseph le roi des mouches et Elise et Pierrot un couple de souris, animaux bien réels suivis bientôt de nombreux autres personnages totalement inventés mais dont il était certain qu'ils étaient bien présents et avec qui il dissertait des journées entières.
Après un long séjour à l'hôpital, c'est le départ pour le grand nord. Un camp de travail en pleine Sibérie, un coup de blizzard terrible, une épidémie de typhoïde qui fait 190 morts sur 250 détenus, de nouveau l'hôpital puis un jour, enfin, la libération tant espérée.
C'était sans compter sur le système soviétique qui va faire de lui un relégué pendant dix ans. Les conditions, au début, sont encore plus terribles que dans les camps. Il n'est rien, n'a rien, pas de travail, pas de logement, pas d'argent. Il survivra, deviendra un travailleur reconnu, récompensé par l'État soviétique et, contre toute attente, réussira à quitter la Russie.
Un récit intense, sans concession, ô combien tragique, d'un homme qui est revenu de là d'où si peu sont revenus. Cet homme a tout connu, il a approché la folie, s'est renié comme lui avait prédit le professeur, a fait même partie des bandits, ces droits-communs qui volaient les autres prisonniers. Il fut dur, avec lui-même mais aussi avec les autres, il a triché, menti, fut parfois sans pitié mais les faibles ne sont-ils pas depuis longtemps ensevelis dans la taïga ?
Un récit prenant que l'on ne peut quitter, surprenant aussi comme lorsque l'auteur, à la suite de différentes circonstances, passera pour médecin, puis comme conducteur de travaux et presque comme architecte. de son propre aveu, l'auteur finira par aimer ce pays aux conditions de vie si terribles. Ses petits printemps si agréables lorsque la température "remonte" à moins trente degrés….
Un récit étonnant dans sa narration car nous sommes continuellement dans l'esprit de l'auteur, nous luttons avec lui dans ses contradictions, ses questionnements, ses lâchetés, ses compromis, ses espoirs ou surtout ses désespoirs.
Un récit qui n'est pas sans rappeler, évidemment, les textes de
Varlam Chalamov et ceux d'
Alexandre Soljenitsyne mais qui donne une approche différente du fait que l'auteur ne soit pas russe. Il porte un autre regard sur le système concentrationnaire, sur le communisme et sur cette société russe gangrenée par la corruption et le mensonge.
Aron Gabor était hongrois et quoiqu'il fit, pour les russes, il était et restait pour toujours un étranger, un "fasciste" hongrois.
Un témoignage essentiel et un livre immense qui donne à contempler, sans artifice, la nature humaine