À l'image de la quatrième de couverture qui est un extrait de l'avant-dernier poème, ce recueil, que j'ai beaucoup aimé, est un cri lucide de colère paradoxalement apaisée par une terrible envie de « renouveau ». J'ai comme l'impression que si
la cloche a sonné, cette fois-ci elle n'annonce pas des vacances scolaires, mais plutôt un nouveau départ. La maîtresse aux mille mugs « Merci maîtresse » et au « sac tissu pour voyage/avec écrit Aline dessus » semble prendre son envol et s'éloigner des enfants qui (étaient ?) « sont le seul nid de rêverie/ Aux traits longilignes infinis/ qui s'offre à [son] quotidien ».
En fée de conte à la baguette magique de volonté de bien faire son travail elle a vaillamment lutté, mais la lucidité a touché son fond, « car avoir de l'acuité/être lucide/peut rendre fou », « c'est pour ça qu'elle décide de changer de métier ». L'éducation nationale, ce « train qui va dans le mur », ce « système [qui] est foireux » semble sonner les cloches de la maîtresse aimée des enfants qu'on préfère, parce qu'elle ne se glisse plus dans le moule, envoyer devant le « spécialiste de la santé mentale et spécialiste en expertise » : « il faut qu'il trouve que c'est [elle] la défaillante et pas le système éducation nationale » (page 46). J'ai relevé, ce vers très touchant « j'évoque des occupations poétiques qui le laissent totalement indifférent » à rapprocher de l'image de l'oisillon de la page 45, qui « peut/ouvrir ses ailes comme il veut ». Pour cette maîtresse d'école maternelle, « le seul logis est le poème » (page 4), car parmi les nombreux cadeaux reçus à la fin de l'année scolaire il y a aussi « un dictionnaire de rimes et un livre de poésie ». Il y a encore des parents qui comprennent que la poésie est vitale. La maîtresse s'interroge (elle est « trop question » dès la page 34), sans aucun signe d'interrogation, en silence, car « muselée », cris étouffés « jusqu'à quel âge on peut travailler/avec des tout-petits enfants ».
Les quelques illustrations originales de
Ludo Godot, sont fort à propos, je trouve. Sombres comme le tableau dépeint par la slameuse de talent qui nous restitue vigoureusement et sans avoir sa langue dans la poche les « cris et kiffs d'une maîtresse d'école maternelle » (page 4).
Parmi les tranches de vie de ce quotidien professionnel, il y a des moments délicieux comme la visite du peintre Marjan en classe (page 39), la piscine qui « sort [les enfants] du quartier » (page 8), ou bien la « Sortie à la campagne » (page 14) quand « Le lapin tremble posé sur une caisse/des morveux passent lui faire une caresse ». J'ai ressenti beaucoup de tendresse, paradoxalement, dans ce « morveux » désignant « les enfants [qui] ont droit d'être un troupeau ».
Quand la cloche sonne uniquement les grands vacances, on est déjà dans le passé, quand « le lit douillet que personne veut quitter/les retards les pleurs tout/s'envole dans l'été et les grandes vacances » (page 29).
Je souhaite solidairement et de tout coeur à Aline que « le jour abreuve l'esprit/d'un fouet vital » encore pour longtemps et dans la même poésie qui libère.
Les enseignants on beau se mettre au numérique et regretter incidemment le papier, l'air qu'ils respirent est celui « étouffé d'un métier /un peu malade/un peu vieilli/que personne veut soigner » (page 25). J'ai bien peur, et je me permets de le dire en connaissance de cause, que ce ne soit pas le seul service public souffrant gravement de liberté. Celle-ci « se nourri[ssant]/de tas de pourquoi », elle est devenue incompatible avec un système qui souvent renie le bon sens.
Vive la force créative de la colère et vive la poésie d'Aline !