J'ai fait un beau voyage en « terre urbaine » avec ce livre d'
Aline Recoura, et le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle a beaucoup de talent pour conter poétiquement ses histoires variées, toujours émouvantes « et l'avenir/qu'elle voudrait solaire » (p. 40) ou constater, entre autres signes de notre modernité, la « Mer près de Lampedusa larmes […] sa liberté éruptive/ sourde aux frontières » (p. 38).
J'ai retenu beaucoup de personnages bien croqués. Il y a par exemple « le danseur [qui] guide dans la nuit/ les naufragés de la Terre » (p. 36), la « Parisienne en trottinette » (p. 18) ou celui qui « n'a plus cessé de photographier » dans le poème « Le premier oeil » :
« Avec ses premières pièces accumulées
provenant de marchés où il vendait des fruits et légumes
il s'est offert un petit Leica d'occasion »
[…]
cohabitation de communautés
pulsions instinctives
combats de taureaux
rivalité et droiture
la vie Samurai
Ghost Dog et son élevage de pigeons
(p. 41- 43),
ou encore cette « jeune libraire » qui « lit des poèmes aux pigeons » (p. 216).
Dans la description lucide de la banlieue j'ai souri en lisant le vers suivant : « pas de télétravail pour les éponges les balais les détergents » (p. 17), ainsi que cette nouvelle définition du téléphone et de la télévision :
« Ici
on aime son téléphone
coeur du lien en dehors
du dedans ça bat tellement fort
pour des paysages ailleurs
on aime sa télévision
un présent actif qui lie au-delà des frontières
jusqu'aux souvenirs
jusqu'aux mémoires des ancêtres » (p. 16)
Le naturel avec lequel
Aline Recoura passe des « Taches de chewing-gum » à la « Cacophonie des transports » ou à des poèmes d'amour (cf. « Rue de la Huchette ») est surprenant.
Elle exprime aussi, dans « Circulation » (p. 202) un beau credo artistique :
« jusqu'au bout des routes de nuit sans éclairage
tournant sombres et travaux
quand le poète écrit inutile
l'utile de chercher conquête monnaie
gratuit éphémère du poète
la nuit finit la route
destination moteur coupé »
Ce livre est également un bel objet, imprimé sur papier glacé avec une mise en page aérée, et des peintures de Marjan dont celle page 228, en début du « cycle » « S'envoler » m'a émue le plus. À noter également l'alléchante présentation, en quatrième de couverture, faite par
Armel Louis.