En 1757 a eu lieu en France le dernier écartèlement, celui de Robert-François Damiens, originaire d'Arras et âgé de 42 ans. Son nom est moins légendaire que celui de son prédécesseur, François Ravaillac en 1610 (âgé de 33 ans), mais 34 ans après son supplice atroce, cette peine médiévale fut abolie, en 1791. Cette punition était sous l'Ancien Régime réservée aux régicides. Ainsi, Damiens avait planté dans le dos du roi Louis XV..... son canif !
Comme le héros du roman "
Le vitriol de lune", Blaise Cornillon, un jeunot de 20 ans, a le douteux privilège d'assister à ce lamentable spectacle à Paris, j'ai le regret de vous informer, chères lectrices et chers lecteurs, que vous n'y échapperez, hélas, pas non plus. Question donc de tourner en vitesse quelques pages (de la 140e à la 149e pour être précis).
Bien que Louis XV le Bien- ou le Mal-Aimé crût que son heure finale avait frappé, la blessure causée par un petit canif n'était évidemment pas de nature à craindre pour la survie de la dynastie des Bourbons.
Le récit démarre à Lyon en 1749, à Pâques, par la mort d'un bête froid d'Anita, originaire de Gênes, mère du galopin Blaise, qui a 12 ans, et l'épouse du boulanger exemplaire François Cornillon, qui ne supporte pas la mort de son grand amour et commence à mener une vie de débauche qui le fait mourir la même triste année.
Le petit Blaise n'a plus que son oncle Giambattista Badalaccio, qu'il adore parce qu'il lui raconte toujours des histoires absolument faramineuses et fantastiques. Or, le tonton chéri disparaît aussitôt à Montbrison et le gamin se trouve sous la garde de monsieur Farge, marchand de soie et capitaine de la milice, un bienfaiteur, qui le passe au père Marion, jésuite, de qui il devient le laqueton. Plus tard, le bon Farge amène le jeune Blaise à Paris dans une jesuitière, où il devient l'aide du père Walzer, bibliothécaire. Malgré la présence de personnages hauts en couleurs, tels le père Blas de Hoyios, un Portugais original et le père Etapier, un japonologue méritoire, notre jeune ami se sent solitaire et abandonné.
En fait, il rêve de retrouver son tonton fantaisiste. Et "miracoli"... ce cher Giambattista refait surface, mais pour impliquer son neveu dans des drôles d'histoires, où il est entre autre question de Louis XV, la marquise de Pompadour et Damiens. Après l'attaque royale, la vie devient difficile pour nos héros, qui sont obligés de se contenter de jobs subalternes, et se voient même contraints de choisir le large et la haute mer.
Ils naviguèrent de sorte pendant 3 longues années et passèrent 5 fois les tropiques. En 1772, las de battre les mers, "ils prirent terre à Bordeaux" et se rendirent au pays de Ravaillac, où Blaise tombe éperdument amoureux de Manlibe, une superbe huguenote.
Le goût prononcé pour les intrigues n'a pas abandonné le signore Badalaccio, qui engage lui et son neveu dans le camp du duc de Choiseul pour, après la mort de la Pompadour en 1764, soutenir la candidature de la duchesse de Grammont contre Madame du Barry, comme favorite royale. Mission délicate qui implique pour notre duo leur installation au Palais de Versailles.
Henri Béraud connaît très bien l'histoire de la France de peu avant la Révolution et a dû disposer d'un plan détaillé de la ville de Paris de cette époque. Il nous trimballe dans plein de ruelles qui n'existent plus depuis belle lurette.
La grande qualité de cet auteur constitue probablement son énorme vocabulaire. Son emploi de mots disparus et d'expressions abandonnées ont eu comme effet que j'ai dû plonger à plusieurs reprises dans mes grands dictionnaires pour en saisir toute la portée et la finesse. Si son lexique est légèrement périmé, son style, en revanche ne l'est nullement, bien que le livre date de 1921. Il est vrai qu'il s'agissait de son premier ouvrage qui lui a valu, ensemble avec son second roman "
Le martyre de l'obèse", le Prix Goncourt 1922.
Quelques petits exemples : en caractérisant un fabricant qui avait mené une vie chaste avant de se ruer au plaisir : "Il chut bientôt dans la crapule." (page 38) et " de tous, le plus surprenant était Marin, un gredin de l'écritoire, bas de figure comme un gabelou." (page 155). le père Etapier, qui, selon la comtesse Baschi, était trop beau pour rester jésuite." (page 66).
Comme le premier mai dernier, j'ai fait une critique de l'ouvrage biographique par
Jean Butin "
Henri Béraud ou le journalisme en littérature" et la dramatique implication de cet auteur dans le suicide du ministre de l'Intérieur de Léon Blum, Roger Salengro, en 1936, je ne vais pas répéter sa vie ici, ni par ailleurs cette ténébreuse affaire.
Quoique je tiens à répéter qu'à mon humble avis cet écrivain, trop longtemps boudé, mérite une redécouverte et un regain d'intérêt littéraire !