Il a suffi du titre «
le phare, voyage immobile » pour être intriguée et avoir envie de découvrir ce récit, pour lequel l'auteur,
Paolo Rumiz, journaliste et écrivain voyageur italien, a reçu le prix
Nicolas Bouvier en 2015. (Je ne devrais pas user du terme "écrivain voyageur", je crois qu'il n'aime pas cette appellation).
Qui n'a pas -en effet- imaginé, au moins une fois dans sa vie, d'aller vivre sur une île, séjourner dans un phare ? …ne serait-ce que pour quelques jours, si ce n'est pour toujours ?
Je ne crois pas que mes origines finistériennes et mon enfance passée près de la mer, à moins d'un kilomètre d'un phare, soient l'unique raison à un tel rêve. Une île, loin de la civilisation et du bruit, c'est tout un imaginaire : ce sont les romans d'aventure de
Stevenson,
HG Wells, en passant par Thoreau et les nouveaux romans de nature writing.
Rumiz choisit pour vivre ce voyage immobile, le phare d'une petite île de la Méditerranée, encore habitée par deux gardiens. Un phare dont il taira d'ailleurs le nom et les coordonnées pour en sauvegarder un peu de son mystère et de sa beauté.
De ce journal tenu durant son séjour, il en ressort un incroyable récit dans lequel il décrit avec minutie le travail des gardiens, leurs tâches quotidiennes, souvent difficiles, l'isolement et le bruit du vent à en rendre parfois fou (Petit aparté : durant la lecture, j'avais l'impression d'entendre tellement ce vent que ça a un peu calmé mon envie de long séjour).
Il part à la découverte de toute la faune et la flore vivants sur cette île : les goélands, l'âne, les chats en passant par la poule apeurée (c'est en effet la seule survivante d'un poulailler car -faute de ne plus avoir assez de poissons du fait de la pêche intensive- les goélands se sont rabattus sur les poules) (Pauvre poule ! ) Et, bien sûr, le soleil, tous les vents, les tempêtes et la mer.
On lui avait dit qu'il allait s'ennuyer à mille marin de la civilisation, enfermé dans un phare, en plein milieu de nulle part.
Tout à l'inverse, il profite de toutes ses heures et de sa solitude, loin d'internet. Il prend pleinement conscience de chacun de ses gestes, de ses regards et savoure ainsi chaque instant rendu riche et tangible.
Il réalise combien ce lieu et cette atmosphère amènent à des réflexions profondes, à une immersion intérieure, à une curiosité exacerbée, à des envies d'écriture et de lecture. Il contemple les vagues, les couchers de soleil, la puissance des éléments, parfois déchainés, écoute les lamentations du vent et les chants de la mer.
Il sait mieux apprécier les repas préparés avec ce qu'offrent la nature et l'île : les poissons, les câpres sauvages, les tomates du potager. Rumiz nous fait saliver lorsqu'il prépare du pain, les poissons pêchés par les gardiens et, plus encore, son risotto accompagné d'un petit verre de malvoisie.
Il nous fait voyager en racontant les loups des mers, les dieux de la mythologie, les légendes et ses propres périples. Et en parlant -bien entendu- des phares qu'il connaît et admire, comme l'
Ar-Men sur l'île de Sein, le Fasnest en Irlande, celui des falaises de Cabo da Roca au Portugal et tant d'autres encore.
Le lecteur qui n'a pas autant voyagé, qui ne connait pas tous les termes techniques marins, tous les dieux grecs et latins, qui pense à Saint-Nicolas surtout comme celui qui offre des friandises aux enfants alors qu'il est aussi le patron des marins et navigateurs, pourrait se sentir impressionné par l'érudition de l'auteur. Et être vite plombé, largué, coulé.
Mais ce voyageur sait nous embarquer avec lui, nous amarrer à ses récits et récifs, nous hypnotiser par ses mots tels le chant des sirènes, en nous parlant des spectacles merveilleux qu'il contemple chaque jour. Et on le croit (tant il nous enchante !) lorsqu'il nous raconte combien il a été heureux pendant ces quelques semaines ! Il nous a fait rêver de voyages et d'un ailleurs, tout comme les gardiens des phares, ces gardiens des lumières.
Par ces passages empreints de poésie, d'embruns et de beauté, comme il fut agréable de faire ce voyage immobile avec cet écrivain. J'ai pensé à lui en regardant cet été le coucher de soleil près du phare que je connais depuis que je suis haute comme 3 pommes. Et même sans verre de Malvoisie avec moi, cette soirée-là avait un goût encore plus délectable que les fois précédentes.
J'ai rêvé de ces moments de solitude, entourée de la mer, plongeant mes yeux dans l'horizon. J'ai rêvé d'un tel voyage immobile.