Je me suis intéressé à la mission parlementaire
que les députés
François Ruffin, et
Bruno Bonnell ont menée sur les métiers du liens . J'ai retenu, au vol, quelques chiffres et quelques faits : les conseils départementaux allouent un tarif de 19.67 € de l'heure dans le cadre de l'allocation personnalisée d'autonomie, les employeurs dont nombre d'entreprises d'insertion doivent donc sur cette somme régler les salaires, les charges, la TVA, les cotisations … Rien d'étonnant que les auxiliaires de vie qui, en réalité travaillent à plein temps, soient rémunérées à temps partiel.
Les assistantes maternelles, que chacun imagine travailler à domicile peuvent faire jusqu'à 50 km par jour ( pour rendre un service complet aux parents) et pendant le confinement de mars à mai 2020 le gouvernement leur a demandé de continuer à travailler notamment pour s'occuper des bébés des soignants. Et pourtant, elles n'ont pas eu accès à la prime Ségur ; il faut aussi savoir que la gestion des agréments leur fait perdre des possibilités d'accueil lorsqu'elles ont un bébé, avec l'impact sur le budget familial et renforçant précarité de leur statut.
Dans son ouvrage,
les femmes du lien, sous titre : la vraie vie des travailleuses essentielles, dont je viens de lire la version illustrée, Vincent Jarrouseau, photographe-documentaliste nous livre un documentaire magnifique, mêlant récit de vie, reportage daté, précis, du quotidien. Sous la forme de BD, de roman photo, et avec de très beaux portraits grand format, il nous raconte et nous rend compte scrupuleusement la vie de huit travailleuses du lien, exerçant en banlieue parisienne ou dans les Hauts-de France, là où les besoins sont plus criants que sur d'autres territoires et où la relégation des bénéficiaires et les conditions d'exercice de ces métiers sont particulièrement durs et se cumulent avec les difficultés de transport, de logement, de coût de la vie, restent très impactantes pour l'équilibre de vie professionnelles.
L'album est magnifiquement réalisé, et cette forme nous permet de découvrir de l'intérieur le monde des métiers du lien, de comprendre les motivations, le contenu des concrets des actes de soin à réaliser, et surtout le contexte d'exercice des tâches et missions.
Ces femmes sont tes attachantes parce qu'elles sont attachées aux personnes, dévouées jusqu'au « sans limite », il est bien mis en évidence ce que tout le monde sait, mais ne veut pas voir, la cécité maximale étant atteinte par les politiques qui ne se sont pas attaqué à la question, voire s'enfoncent dans une sorte de déni concernant l'impact du vieillissement , lequel n'a même pas fait l'objet d'un projet de Loi Grand Âge annoncée à plusieurs reprises et qui a été mise sous le boisseau lors de la campagne électorale de 2022.
Il était donc particulièrement urgent de porter un éclairage honnête, précis, documenté sur ces travailleurs « essentiels », invisibles qui forment la nouvelle classe ouvrière. J'ai appris beaucoup de choses et était très ému par la manifestation de l'amour envers autrui qui continue à nourrir la motivation de ses intervenantes sans que leur isolement, leur solitude, les atteintes à leurs corps qui vieillit très vite soient reconnus dans leur rémunération et dans les systèmes de valorisation qui restent pingres et frôlent l'indigence. J'ai beaucoup appris sur les métiers de technicienne d'intervention sociale et familiale, d'aide à domicile, d'assistante maternelle, d'aide-soignante, d'assistante familiale, d'auxiliaire de vie sociale, d'éducatrice spécialisée, d'accompagnante éducative et sociale. C'est faire oeuvre utile que de mettre ainsi en scène ces femmes du lien, alors que nous les avons tous côtoyées pour nous mêmes, nos enfants, nos aînés et des proches ou des « voisins » socialement défavorisés, sans vraiment les voir .. Et sans trop approfondir les contraintes et la limitation drastique de temps disponible qu'elles souhaiteraient pouvoir consacrer pour accompagner avec plus d'humanité les plus âgés en perte irréversible d'autonomie ou les malades . Une forme de déni qui les enferme dans un statut figé, leur interdisant toute perpective de carrière.