Frédéric Boyer publie une traduction personnelle des quatre évangiles. Cet ouvrage, élaboré au cours de huit années, est précédé d'une préface de 75 pages dans laquelle il précise le soin qu'il a pris à se tenir "au plus près" du texte original à sa disposition, à savoir le grec du 1er siècle. J'ai lu cette préface puis, à l'occasion de messes, comparé le texte lu à l'église (ou entendu en conférence, rencontré dans un ouvrage, etc.) avec celui proposé par
Frédéric Boyer.
le traducteur a développé plusieurs arguments pour justifier le parti qu'il a pris dans cette énième traduction "nouvelle" :
1. le texte original en grec est une transcription de l'araméen tel que parvenu par transmission orale environ un demi-siècle après les événements rapportés. Il faut donc chercher à rendre au texte écrit l'oralité (voire la sonorité) des discussions et débats rapportés.
2. le grec utilisé pour les premiers écrits était celui du monde commun de l'époque ; il faut s'en rapprocher autant que faire se peut.
3. La transcription de l'oral à l'écrit a été influencée par le milieu qui l'a opérée : la diaspora juive de l'époque. Elle a aussi été influencée par la période de crise alors vécue (destruction du temple de Jérusalem). Il faut en tenir compte.
4. Les évangiles ne sont pas un récit pour témoigner, mais une annonce pour faire advenir. En ce sens il s'agit d'une forme littéraire particulière dont il faut respecter la poésie.
5. Notre langue est chargée d'une histoire postérieure au texte original ; ainsi, les habitants de la Judée, contemporains de Jésus, ne sont-ils pas appelés par le traducteur "Juifs" ─terme qui n'est apparu en français que neuf siècles après l'époque de Jésus─ mais "Judéens").
6. Tout l'effort du traducteur consiste à réduire les "pertes en ligne" entre deux langues et deux époques. Là où deux mots différents en grec sont traduits par un mot unique en français, il y a risque d'altération du sens. Par exemple, ce qui est traditionnellement traduit par le "mal" se réfère suivant le contexte à l'une ou l'autre des deux acceptions suivantes : le "mal" peut être l'opposé du "bien", mais aussi "le mal perçu", le tourment. Inversement, un terme étranger peut être polysémique. C'est pourquoi
Frédéric Boyer n'hésite pas à utiliser des mots doubles (la loi Torah ; le Verbe parole ; etc.). Enfin, des mots ont vu leur propre signification évoluer (le "prêtre" auquel le texte se réfère est ainsi traduit par le "sacrificateur").
Il y a encore bien d'autres considérations qui sont développées dans cette riche préface, abondamment complétée au fil du texte par des notes en bas de page.
"Transmettre, c'est bien traduire, c'est faire passer la parole de la tradition, et la faire parler de nouveau." Toute traduction est par définition périssable puisque la langue cible est appelée à évoluer. Mais elle est aussi (quand elle est respectueuse) éclairage nouveau, approfondissement de la connaissance et réduction de la distance entre l'original et ce que nous en assimilons.
Bilan positif. Traducteurs, étymologistes, hellénistes et simples lecteurs gagneront à lire à tout le moins cette préface. Pour ma part, je garde sous le coude ces "Évangiles" et reviendrai de temps à autre faire un aller-retour entre le texte "officiel" actuel de l'Église et la traduction proposée par
Frédéric Boyer.