Ayant déjà découvert et apprécié pas mal de romans des Editions Poulpe Fictions pour des lecteurs plus âgés, j'avoue que j'étais un peu réticent pour cette lecture dans la mesure où leur nouvelle collection (Mini-Poulpe) apparue début mai est réservée à des enfants bien plus jeunes. Et je dois reconnaître que mon appréhension ne se justifiait aucunement car encore une fois cette maison d'édition a mis dans le mille :
- de part le traitement de la trame traditionnelle d'un conte qui en devient finalement extrêmement contemporain. Face au mauvais sort de la méchante sorcière Pignole, le prince, en bon héritier d'un royaume patriarcal à souhait, se gausse de cette malédiction car il va régler le problème en deux temps trois mouvements. le problème est qu'il ne s'attend pas à la réaction de sa princesse, Eline, qui voit dans sa transformation en batracienne une forme de libération et le moyen d'échapper au qu'en dira-t-on dont elle (et l'ensemble de la gente féminine à travers elle) subit les conséquences au quotidien. Et là où le jeune mâle se retrouve encore une peu plus refroidi, c'est quand la princesse n'envisage à aucun moment un quelconque retour en arrière. Un baiser ne suffira pas au prince pour reconquérir sa belle, il va devoir se remettre en question et combattre son ego outragé. Un tel traitement de cette intrigue traditionnelle fait du bien dans la mesure où le bien-être de la jeune princesse prend une plus grande importance que les desiderata d'une société conformiste.
- Dans notre société où l'individualisme règne, ce petit conte met également en avant l'importance de devoir faire des compromis. On n'a pas toujours tout ce que l'on veut dans la vie et il s'agit alors de faire avec. On aime ainsi les discours que tiennent le roi et la reine quant à leurs efforts respectifs consentis afin de passer l'étape du « baiser ». L'objectif à atteindre (l'amour mutuel) nécessite ainsi de prendre parfois sur soi et de passer outre certaines imperfections chez l'autre car après tout, l'amour est bien plus fort que cela. le message de la nourrice est d'ailleurs très explicite sur cette question, soulignant ainsi la nécessité de prendre son temps et de discuter sur les souhaits de chacun pour trouver un « accord » qui convienne à tous dans une relation amoureuse. le bonheur se doit d'être partagé et non à sens unique.
- Question style, là encore les Editions Poulpe Fictions continuent à refuser de faire des concessions lexicales au regard de l'âge de son public. Et en cela, je les soutiens amplement. le vocabulaire employé reste d'un excellent niveau tout en demeurant tout à fait compréhensible pour un public de cet âge. La musicalité de certaines phrases est d'ailleurs d'une richesse absolue et digne des plus grands poètes : « Puisque tu te moques de ce qui est moche, puisque tu hais ce qui est laid, je transforme ta belle Eline en Crapouille la Grenouille« . Pour les petits lecteurs, c'est une lecture qui peut également s'envisager sans difficulté avec un parent d'autant que les thèmes abordés nécessitent discussion pour faire changer les mentalités de nos chères têtes blondes, bien mises à mal par certains discours entendus à la télé ou dans les cours d'école. En somme,
Gilles Abier, avec son texte, fait ici oeuvre de salut public auprès des jeunes générations.
- Enfin, encore une fois, on doit souligner l'importance donnée à l'illustration par cet éditeur et c'est
Maud Begon qui s'y colle ici avec une grande réussite.
Avis donc aux parents qui n'ont pas envie que leurs enfants grandissent trop bêtas : cette nouvelle collection de romans jeunesse est pour vous. Vous ferez de vos enfants au pire des gamins ouverts d'esprit au mieux des gamins qui changeront notre vision du monde en le rendant meilleur
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