Or donc,
Blacklight, polar régional qui se déroule à Lille dans le milieu du tatouage. Étant moi-même tatoué des chevilles aux épaules, le thème me botte (de cuir). Manque plus qu'un chapeau melon et je lancerai une série télé.
Sur le sujet – du tatouage, pas du couvre-chef si cher à Chaplin –, rien à redire, l'auteur a fait son taf de recherche. Y a les notions techniques, le vocabulaire, un très bonne restitution des sensations lors d'une séance et un tas de petits détails qui rendent bien l'univers du tatouage, ses us, ses coutumes, ses peuples. Ayant pas mal grenouillé dans les salons, j'ai retrouvé dans les pages du roman l'ambiance propre à ce monde très codifié et très détendu du gland à la fois. Ça sent le vécu – allez, Denis, avoue que tu as une fée Clochette tatouée sur le fesse droite – ou au moins un travail documentaire de fond pour éviter de servir au lecteur un univers fantasmé tout en clichés à deux ronds cinquante.
Ce roman condensé risque de laisser sur leur faim les amateurs de pavés. Tant pis pour eux. Dans mon cas, cette brièveté prend des airs de Colt Seavers et tombe à pic : je n'en peux plus des pavés diarrhéiques de quatre, cinq, six cents pages, dont les auteurs n'ont pas compris que ce n'est pas parce qu'un bouquin est gros qu'il est intéressant. L'écriture n'a rien d'une compétition pénienne où l'objectif est de déballer la plus grosse oeuvre. Vaut mieux l'avoir courte et agile que maousse et soporifique.
Plutôt que balancer des pelletées d'ingrédients, Albot joue sur la concision et sur le rythme. Essentiel, le rythme. Très marqué dans le cas présent par une patte série TV (séries américaines, hein, pas Mongeville, Louis la Brocante ou je ne sais quel pensum français mou du genou).
Ici, pas de visite guidée des curiosités touristiques de Lille en égrenant des chapelets de noms de rue dont on n'a rien à secouer. Pas d'introspection longuette et cliché du héros sur ses problèmes de divorce, d'alcool, de rejeton rebelle ou autre topos lu et relu. Pas d'intrigue secondaire hors-sujet.
Le passé du héros est posé avec quelques flashback courts et, dans tous les sens du terme, percutants, sans tartiner chaque fois un plein chapitre de séquence souvenir. L'enquête avance à fond les ballons sans se perdre en multiples fausses pistes et autant de chapitres “tout ça pour ça”. Idem la relation entre les deux personnages principaux, qui se construit vite et bien, peut-être un poil trop, mais pourquoi pas ? Les choses peuvent aussi bien se passer, ce n'est pas parce qu'on est dans un roman qu'il faut coller un obstacle toutes les deux lignes, ce qui finit par ne plus rimer à rien.
Bon choix aussi d'avoir évité les traditionnelles descriptions misérabilistes d'un Nord où tout ne serait que grisaille, pluie, alcoolisme, chômage et inceste. On peut très bien accoucher d'un polar régional nordiste sans en passer par là, la preuve.
Bref, sorti en 2017, ce roman va à contre-courant de la mode actuelle des volumes toujours plus épais au point qu'il faudra bientôt un lutrin pour pouvoir bouquiner sans risquer un tassement de vertèbres. Même chose pour l'ambiance générale qui ne se croit pas obligée de superposer des couches de noir à n'en plus finir. Tout n'est pas rose, loin de là, mais
Blacklight s'offre beaucoup de moments légers et propose un final qui change des odes nihilistes au désespoir (enfin, ce seraient des odes nihilistes au désespoir si elles étaient bien écrites et non de sombres étrons pondus à coups de pathos facile et commercial).
Blacklight, court, rapide, assure le taf. Y a pas besoin de plus pour une bonne petite soirée de lecture pas prise de tête.
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