Gil Agnelli est toujours en avance au rendez-vous du mercredi avec sa soeur Jo. « Sur la vitre sont collées en demi-cercle les lettres qui forment le nom du café LES TROIS COMPERES, mais il manque le P. Jo dit « les deux commères » pensant à elles. »
Gil travaille dans un cabinet d'avocats, mais son rêve secret est de devenir écrivain. Hélas, son manuscrit, envoyé à plusieurs maisons d'éditions, s'est heurté à une fin de non-recevoir. « Et si tu écrivais un best-seller », lui conseille Jo. Facile à dire ! Mais Jo a plus d'un tour dans son sac. Et voilà que naît Esther Egova, auteur glamour et adulée.
Dans son roman,
Mathilde Alet aborde deux thèmes qui me tiennent vraiment à coeur : les soeurs et la littérature. J'avais donc un a priori très favorable en ouvrant ce livre.
Dans les premières pages, on découvre Gil et Jo, bien ancrées dans leurs sacro-saintes petites habitudes : rendez-vous tous les mercredis aux « Trois Compères », même place : la banquette en skaï rouge, même vue imprenable sur le poster de Johnny, mêmes boissons : une bière pour Gil, un thé pour Jo. Elles ont donc l'air d'avoir un certain âge. Mais je me trompe complètement. Malgré ces petites maniaqueries, elles sont très jeunes. Jo est dynamique, impulsive, pleine de fantaisie et d'imagination. Elle fait chaque semaine l'aller-retour Bruxelles-Paris pour enseigner le français à des membres de la Communauté européenne.
Gil se trouve laide, quelconque, insignifiante. Elle voit de temps en temps un jeune homme, mais vit seule avec son chat, en compagnie duquel elle passe de longues heures à contempler une fissure au plafond. Elle parle à haute voix dans la rue, à la grande surprise des passants, avec « Arnaud-chéri » et « Joséphine », des amis imaginaires, émanations idéalisées de son petit ami et de sa soeur.
Le livre qu'elle a écrit est terne comme elle, « Blue monday », c'est ainsi qu'on appelle le troisième lundi du mois de janvier, censé être le jour le plus déprimant de l'année. Mais finalement, elle va considérer tous les jours de sa morne existence comme des « blue monday ».
Ce que j'ai aimé dans ce roman, c'est d'y découvrir des éléments que l'on croirait sortis de notre propre enfance, à mes soeurs et moi, comme ce « gâteau des familles [préparé] comme une lasagne en alternant les couches de biscuits trempés dans le café et les couches de crème au beurre ».
J'ai aimé filer les deux soeurs dans leurs déambulations à travers Bruxelles, dans des quartiers que je connais bien.
J'ai aimé les nombreuses allusions à la lecture et aux émissions littéraires qui constituent le centre de mon existence. Pourtant, Gil, toujours en avance, comme moi, « n'amène jamais de livre, espérant chaque fois une soudaine ponctualité de sa soeur. » L'horreur absolue pour moi. Une sorte de représentation de l'enfer : devoir patienter un temps interminable et ne rien avoir à lire.
J'ai aimé l'humour de certains passages. Jo explique les ingrédients de base qui font un best-seller : « une maison de famille, avec des planchers qui craquent, des feux de cheminée et une balançoire au fond du jardin ». On se croirait projeté dans le monde merveilleux de
Nora Roberts !
Quand Jo apparaît sur un plateau télé, « un chauffeur de salle a frappé dans ses mains très lentement et très fort en direction du public comme s'il lui enseignait l'art de l'applaudissement », tout à fait l'atmosphère des quelques enregistrements auxquels j'ai eu le plaisir d'assister !
L'émission littéraire « Le masque et la plume » se fait, bien évidemment, un devoir de démolir le roman d'Esther Egova, avec un cynisme teinté d'une bonne dose de cruauté : « le problème, c'est pas le sujet, qui n'est pas inintéressant, c'est quand même le nombre de clichés qui s'accumulent à chaque page (…) J'ai noté cette phrase : « les pommiers sont bleus sous la lumière mourante de cette fin d'après-midi ». Moi, j'ai trouvé que c'était pas si mal,
Marc Lévy fait bien pire. »
En revanche, ce que je n'ai pas du tout aimé, c'est cette terrible sensation de déjà-lu, tellement forte que je n'hésiterais pas à parler de plagiat. « La
petite fantôme » évoque deux soeurs dont l'une écrit et l'autre occupe le devant de la scène, présentant le livre sur les plateaux télé, posant en couverture des magazines. C'est exactement ce qui se passe dans «
Les yeux jaunes des crocodiles » de
Katherine Pancol, où le personnage principal s'appelle Joséphine, qu'on abrège familièrement en Jo. Tout comme le fait
Mathilde Alet. Donc, même si les intentions de cette dernière sont différentes de celles de
Katherine Pancol, j'ai quand même éprouvé une grosse impression de malaise en pensant qu'elle a puisé l'argument de base de son récit chez une autre !