Au départ, ce roman graphique d'Alfred,
Senso, m'a laissé une impression en demi-teinte. Et puis, une fois refermé le livre, le récit est revenu dans mon esprit un peu plus tard, comme un thé qui infuse... Et depuis, je ne cesse d'y penser, non pas parce qu'il est un coup de coeur, - il ne l'est d'ailleurs pas pour moi-, mais parce que des scènes reviennent à moi comme si j'en avais vécues certaines d'entre elles, des scènes mais aussi des impressions...
Le synopsis est assez banal : un homme et une femme se rencontrent par hasard à une fête de mariage dans un vieil hôtel au sud de l'Italie. Chacun essaie de profiter de cette soirée pour donner un sens à leur vie. Dit comme cela, c'est en effet quelque chose de banal, peut-être quelque chose que vous avez déjà vécu...
Il s'appelle Germano, elle s'appelle Elena.
Pour résumer, Germano se rend à une exposition et voilà que tout dérape à son arrivée à la gare dans une ville du sud de l'Italie où il est venu assister à l'inauguration d'une exposition de photos organisée par sa fille. Personne ne l'attend à la gare, à l'hôtel, la chambre réservée est prise. Entre temps, il se fait voler sa valise. Il découvrira plus tard qu'il s'est trompé de semaine...
Germano, c'est un chien dans un jeu de quilles, c'est un éléphant dans un magasin de porcelaines, c'est un personnage étonnamment égaré dans cette histoire, qui s'étonne lui-même de ce qui lui arrive, sa gestuelle éperdue et son visage ressemblent sans cesse à un navire en plein naufrage.
À l'hôtel, il y a un mariage ce soir-là. C'est pour cela que l'hôtel est complet.
Elle s'appelle Elena, il s'appelle Germano.
Elena est invitée au mariage.
Leur rencontre, inattendue, est celle de deux personnages un peu à la dérive au milieu d'une fête qui ne les concerne pas.
Autour de l'hôtel, autour d'eux il y a un parc immense où l'imaginaire n'attend qu'eux pour s'exprimer. Ce parc ne serait rien sans eux, sans leurs hésitations, leurs tâtonnements, leur ivresse... Germano et Elena s'accrochent alors l'un à l'autre et se laissent guider par leur désir mutuel de donner, le temps d'une nuit, un sens à leur vie...
C'est une fugue presque immobile. J'ai aimé cette fugue, totalement bancale, pleine de maladresse et teintée d'ivresse, mais c'est cela qui crée aussi le chemin entre deux âmes perdues.
Cette histoire est aussi une insoumission contre l'ordre établi, un message rebelle, dissident, d'une portée écologique, message porté maladroitement comme si Germano n'en prenait pas conscience ou plutôt, oui il en prend conscience, mais c'est comme s'il ne savait pas bien le faire, manquait d'assurance, lui l'ancien producteur de groseilles biologiques, ayant fait faillite à cause de la pression des lobbyings agricoles environnants, jusqu'à ce que ceux-ci provoquent une pollution sur sa production...
Dans ce scénario dépeint sur des planches extrêmement expressives, j'y ai vu, derrière cette maladresse amoureuse, une dénonciation forte d'un modèle de société classique qui démontre ses limites.
Les dessins très expressifs m'ont émerveillé. Les personnages sont animés d'une vigueur étonnante. Certaines pages sont éblouissantes, telles de véritables peintures.
Mais l'amour est là aussi, bel et bien là ou plutôt naissant, comme si cet amour se forgeait justement sur le terreau d'un monde à la dérive, ces deux être fragiles que sont Germano et Elena se reconnaissent dans l'échec de leurs vies respectives, ils arrivent peut-être à un âge où chaque rencontre est un festin divin. Est-ce l'amour ? Peut-être pas, mais cela en prend presque déjà l'allure...
Ce que j'aime, ce sont les faux-pas des deux personnages principaux et leurs trébuchements qui mènent à l'amour, alors forcément je me suis ici régalé.
Dans nos vies, il est rassurant de lire des histoires d'anti-héros qui non seulement s'en sortent à merveille, mais en plus nous éblouissent par leurs pas de côté.