C'est avec un immense plaisir que j'ai fait mon retour aux sources, dans mon pays natal. L'histoire de
Violeta rejoint celle de ma famille.
Ce livre est une lettre de
Violeta à Camilo, quelqu'un qu'elle chérit par-dessus tout, dont on ne saura l'identité qu'aux deux tiers du livre.
Isabel Allende a rédigé
Violeta dans sa maison au nord de San Francisco, pendant la pandémie. Elle s'est enfermée dans son bureau pour faire revivre son pays et ses proches. L'écriture s'est imposée comme celle d'un journal ou d'un conte oral. J'ai vécu cette lecture comme une conversation avec une amie compatriote.
Comme je suis bilingue, je ne peux absolument pas lire de livres espagnols en traduction, les mots n'existent que dans la langue originale. J'aime la voix mélodieuse d' Isabel Allende, c'est une musique douce, sensuelle, sentimentale, magique.
Le roman se passe au
Chili, même si ce n'est jamais mentionné (comme dans
La Maison aux Esprits). Il n'est pas question de Santiago, mais de la capitale. Nahuel, Sacramento et Santa Clara, où se déroule l'essentiel de l'intrigue, sont des noms inventés pour désigner des lieux indéfinis d'Amérique du sud. Par contre, l'Argentine est clairement citée.
Le récit est fidèle à la chronologie d'évènements marquants de l'histoire
chilienne :
- Grippe espagnole (1920)
- Crise de 1929 (vers 1930)
- Tremblement de terre de 1960
- Présidence de Salvador Allende (3/11/1970 – 11/9/1973)
- Dictature de Pinochet (11/9/73 – 1990)
La grande histoire enlace la petite histoire mais ce n'est pas un roman historique, plutôt un roman humaniste, qui met à l'honneur la place des femmes, qui dénonce les violations des droits de l'homme, qui met en scène la singularité de la vie dans ces contrées australes, et surtout un roman intimiste, qui retrace le destin exceptionnel de
Violeta, qui a vécu cent ans. Elle est née en 1920, avec la grippe espagnole, et est morte en 2020, avec la pandémie du COVID.
Isabel Allende construit ses fictions sur la réalité, non seulement historique, mais aussi à partir de vraies personnes.
Violeta est une idéalisation de la mère d'Isabel Allende, Francisca LLona Barros « Panchita » (1920 – 2018), qui était une femme extraordinaire dont les talents ont été étouffés dans l'oeuf.
Violeta, contrairement à Panchita, réussit à s'émanciper du joug patriarcal, de son carcan bourgeois et conservateur. Elle devient une puissante et riche femme d'affaires. Elle est à l'origine, avec son frère José Antonio, des premières maisons préfabriquées dans son pays.
Autour de
Violeta, gravitent des personnages pittoresques.
Camilo, le destinataire de
Violeta, est Felipe Berrios del Solar, le meilleur ami d'Isabel Allende, un curé jésuite révolutionnaire.
Une gouvernante anglaise de Panchita a servi de modèle au personnage de Miss Taylor. Il était d'usage dans la haute bourgeoisie
chilienne de confier l'éducation des filles à des gouvernantes européennes.
Violeta n'échappera pas à la règle avec Miss Taylor qui l'éduquera certes, mais pas dans les canons bien-pensants.
Etelvina, la loyale bonne qui a élevé Camilo comme son fils, est Berta Beltran avec qui
Isabel Allende correspond régulièrement. A noter le rôle important, dans le passé des bonnes au
Chili, qui vivaient chez leurs maîtres, faisaient tout et étaient considérées comme membres de la famille. Je me souviens, en 1989, j'étais hébergée chez ma marraine à Santiago, je jetais par terre mes habits sales ! Maintenant, c'est le drame, parce qu'on ne trouve plus de bonnes, et les femmes
chiliennes de l'ancienne génération sont incapables d'assurer les tâches domestiques les plus élémentaires !
Violeta ne voit la société que par le prisme de la haute bourgeoisie, jusqu'à ce que son fils, Juan Martin, partisan d'Allende, lui dessille les yeux en l'amenant dans des bidonvilles, et lorsqu'il est contraint de s'exiler clandestinement lors du coup d'état de Pinochet – pendant quatre ans elle n'aura plus de ses nouvelles. Dans la quatrième et dernière partie du roman, intitulée « renaître » qui démarre par la macabre découverte d'une cave avec de nombreux cadavres de victimes de Pinochet, le discours change, et
Violeta devient l'avocate des déshérités.
Je pense que
Violeta c'est aussi Isabel qui tout en militant pour la gauche
chilienne (Michelle Bachelet, puis le président actuel, Gabriel Boric), en ayant créé une fondation pour soutenir les femmes en difficulté, vit confortablement en Californie depuis trente-cinq ans.
Violeta est un récit foisonnant de personnages, d'anecdotes, de rebondissements, de réflexion profonde teintée d'humour, de poésie, de thèmes sociétaux, où se croisent la Unidad Popular (parti de Salvador Allende), la CIA, l'évasion fiscale, la drogue, les gays, l'insémination artificielle des vaches...
Nous retrouvons un zeste de « réalisme magique » – avec le folklore local, des dialogues avec les morts, la guérisseuse Yaima… -. Je n'aime pas cette expression fourre-tout qui met dans un même sac
Isabel Allende,
Luis Sepulveda,
Garcia Marquez...
Si vous connaissez le
Chili, vous allez vous sentir chez vous, et si vous ne connaissez pas, ce livre est une belle invitation au voyage pour ce merveilleux pays. Vous pouvez aussi commencer par
La maison aux esprits, dont l'écriture est plus soutenue.