(Je précise que le livre que j'ai lu ne présente aucunement les douze portraits et artistes du résumé, mais se concentre sur les
femmes peintres aux alentours de la Révolution française. Il s'agit visiblement d'une édition différente (2021) de celle chroniquée par les premiers lecteurs.)
La couverture a attiré l'oeil de mon amoureux car elle présente le tableau « Étude de femme d'après nature » (1802) de Marie-Denise Villers, que j'ai justement choisi pour la couverture de mon roman « Incroyable Charlotte ». J'ai découvert ce portrait après de nombreuses recherches iconographiques et j'ai tout de suite su que c'était mon héroïne, particulièrement à cause du voile noir et de ce regard un peu amusé et insolent.
J'ai apprécié me plonger dans cet ouvrage, très bien documenté, avec de très belles reproductions (ce qui, pour un livre d'art, me semble essentiel), grâce auquel j'ai appris davantage sur cette période. Mais dès l'introduction, le propos féministe m'a fait soupirer ; depuis quelques années, j'ai l'impression que notre époque cherche à tout prix à dénicher dans
L Histoire des artistes femmes pour apporter de l'eau au moulin du mouvement féministe actuel, comme si « l'oubli » dans lequel elles étaient tombées était en réalité une omerta concertée au fil des siècles par le patriarcat éternel. Je trouve cette posture artificielle, car elle ne prend souvent pas en compte le contexte historique.
Comme beaucoup de livres qui sortent en ce moment, «
Femmes peintres » adopte et assume sans complexe un point de vue moderne sur le passé, au risque de manquer d'esprit critique. Mais le militantisme est-il compatible avec la démarche historique ? Quand le souci de défendre une cause précède la recherche de la vérité, peut-on encore dire qu'on fait de l'histoire ?
Ainsi, l'auteur part du postulat que les
femmes peintres auraient été oubliées pour trois raisons : « soit parce qu'elles ont dû abandonner leur carrière, soit parce que leur oeuvre a été confondue avec celle d'un maître plus connu dont le nom faisait monter les prix dans les salles de vente, soit encore parce que les historiens de l'Art, majoritairement masculins, ont écrit une histoire dans laquelle les femmes n'avaient pas leur place ». Pour les deux premières, passe encore – bien que l'emploi du verbe « devoir » me paraisse exagéré (quid de celles qui ont choisi d'abandonner leur carrière ? a-t-on des preuves qu'elles l'aient fait sous la contrainte ?). En revanche la troisième dénote clairement un parti-pris, voire un procès d'intention. Certes l'histoire de l'art a « oublié » certaines femmes. Elle a oublié encore davantage d'hommes ! Et prétendre que les femmes ont été oubliées parce qu'elles étaient femmes relève d'une accusation sans fondement (l'auteur n'en apporte en tout cas aucun). Si les artistes féminines sont moins nombreuses dans les livres, c'est premièrement parce qu'elles étaient moins nombreuses dans la réalité, et deuxièmement parce qu'elles étaient encore moins nombreuses à avoir apporté quelque chose de différent ou de nouveau, s'inscrivant plutôt dans les courants « en vogue » pour se faire reconnaître.
Le propos est constamment émaillé de ces petites marques de partialité, comme quand l'auteur décrit, en comparant deux scènes d'atelier, une assemblée de femmes comme « bienveillante » en opposition à une assemblée d'hommes où régnerait la « compétition », alors que, sincèrement, rien d'objectif ne permet de sous-tendre cette interprétation.
Pour revenir à la question du nombre, demandez à n'importe qui, qui ne soit pas un spécialiste de l'époque bien sûr, de vous citer des noms de peintres du XVIIIe siècle : si elle ne reste pas muette, la personne hésitera un peu avant de vous citer Fragonard, Watteau, David… ou Vigée le Brun. Les femmes seront moins nombreuses que les hommes, c'est certain : une seule est encore connue, mais elle l'est ! Si on ne regarde que les proportions, je me dis qu'un nombre tout aussi grand d'hommes a été oublié. Au détour des pages de ce livre, on parle de Joseph-Marie Vien, de Charles-Joseph Natoire, de François-André
Vincent, de Taillasson. Duplessis, Greuze… Des noms dont plus personne non plus ne se souvient, et je pourrais facilement allonger la liste. À mon avis, l'histoire de l'art oublie aussi bien les femmes que les hommes, tout simplement parce qu'il y a trop d'artistes à prendre en compte…
Et donc, comment les choisir ? En fonction de leur célébrité de leur vivant ? On voit bien que cela ne fonctionne pas. Au pif ? En fonction de leur sexe ? (ce que soutient l'auteur de ce texte). J'ai plutôt l'impression que l'histoire de l'art (et pas seulement l'histoire de la peinture) va retenir les noms des artistes apportant de la nouveauté, les pionniers d'un courant, les exceptions, les rebelles, les meilleurs, les différents, ceux aux destins remplis de malheurs ou de bonheurs, qu'ils soient hommes ou femmes. Par exemple, quand j'ai commencé à m'intéresser à la musique au temps de la Révolution (justement la période qui nous concerne ici), j'ai découvert Gossec et Grétry : aujourd'hui, quand vous demandez à quelqu'un de vous citer un nom de musicien des années 1800, on vous répondra tout de suite Beethoven : Gossec et Grétry sont devenus des inconnus, mais pourtant, ils étaient très célèbres à leur époque, plus que Beethoven en France ! Pourquoi les a-t-on oubliés ? Peut-être parce qu'ils composaient des oeuvres trop convenues, collant trop parfaitement aux goûts de l'époque ? Il ne viendrait à l'idée de personne de dire qu'on les a oubliés « parce qu'ils sont des hommes ». Pourtant, quand il s'agit de femmes, c'est la première raison invoquée. Or, personne n'oublie Élisabeth Vigée le Brun : parce qu'elle était l'artiste de la reine ? Ou bien parce qu'elle était la meilleure portraitiste de son temps ?
Tirer des artistes de l'oubli, cent fois oui, mais pas en fonction de leur sexe… À force de le souligner, finalement, on continue d'opposer hommes et femmes, et on verse dans le sexisme.