Citations sur Un billet d’avion pour l’Afrique (69)
Avant même d arriver, nous portions, tel un collier, des squelettes de désespoir séculaire et nous étions marqués au fer par le cynisme. En Amérique, nous dansions, riions, procréions; nous devenions juges, législateurs, instituteurs, médecins et prêcheurs, mais nous conservions sous nos glorieux habits l’insigne d’une histoire barbare cousue à notre peau foncée.
On disait souvent que les Noirs étaient puérils, mais, en Amérique, nous étions parvenus à la maturité sans avoir connu le véritable abandon de l'adolescence. Les actes jugés puérils étaient le plus souvent des bravades, un peu comme entrer dans un rassemblement du Ku Klux Klan en fredonnant un air de jazz.
Nous rivalisions d éloquence pour éreinter l'Amérique et porter l’Afrique aux nues
Il n'était jamais question des caniveaux à ciel ouvert qui longeaient les rues d’Accra, des cabanes en tôle ondulée de certains quartiers, des plages sales et des moustiques voraces. Et jamais au grand jamais nous n’évoquions notre désillusion devant l'indifférence que nous manifestaient les Ghanéens.
Notre besoin d’appartenance était tel que nous niions l évidence et créions des lieux réels ou imaginaires à la mesure de notre imagination.
Je songeais à la désagréable ironie qui voulait que les Africains et les Asiatiques parlent presque toujours des dialectes, et non des langues, tandis que les Européens parlent des langues et presque jamais des dialectes.
J’enviais sans limites ceux qui, grâce à la chance ou à la perfidie, étaient restés sur le continent africain. Leurs pays avaient été exploités et leurs cultures discréditées par le colonialisme, certes, mais, grâce à leurs chefs et à leurs prêtres, ils avaient malgré tout bénéficié de siècles de continuité. Les Africains les plus humbles pouvaient citer les noms d ´ancêtres ayant vécu des siècles auparavant.
Les Noirs se racontent une plaisanterie éculée dans laquelle un raciste se fait reprocher par ses amis de traiter tous les noirs de « nègres ».
– Mais c'est ce qu'ils sont, se récrie-t-il.
– Comment appelles-tu le pasteur de la vénérable église baptiste de White Rock ?
Le raciste répond :
– Un nègre
– Et le président de l'université noire ?
– Un nègre
– Et le scientifique qui a remporté un prix ?
– Un nègre
– Et l'homme noir qui nous observe, là, avec un couteau ?
– Ah ! Lui, je l'appelle monsieur.
L’odeur de l’esclavage d’autrefois était elle si forte que les gens étaient offensés et s’en prenaient automatiquement à nous?Ce que nous considérions comme de la discrimination raciale s’expliquait il moins par la race que par la malchance que nos ancêtres avaient eue de se faire capturer, vendre et exploiter comme des bêtes ?
- Les Noirs tolèrent les taquineries, les railleries, les âneries, les insinuations, le manque de respect, les jurons et même, dans certaines circonstances particulières, les insultes pures et simples, mais les attaques contre la famille exigent une riposte immédiate.
- Comment se fait-il que tu me connaisses si bien? Est-ce que mon papa rendait visite à ta maman chaque fois qu'il sortait de la maison?
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Les visiteurs nous dévisageaient d’un air réprobateur. L’évident besoin qu’ils avaient de croire que l’Afrique leur ouvrirait les bras comme une mère faisait peine à voir. Ils n’avaient pas du tout envie de savoir qu’ils n’étaient pas rentrés chez eux, qu’ils avaient quitté un lieu familier rempli de souvenirs (douloureux, il est vrai) au profit d’un lieu inconnu qui en était totalement dépourvu.
Les Africains ont du mal à nous pardonner l’esclavage, hein ? dit-il en me prenant la main. Je croyais que tu serais au courant. Ils ne nous pardonnent pas, ma chérie, et pis encore, ils ne se pardonnent pas à eux-mêmes. Ils me font penser aux jeunes du pays tragique où nous sommes (l'Allemagne). Ils ne pardonneront jamais à leurs parents le sort fait aux Juifs, pas plus qu’ils ne pardonnent aux Juifs d’avoir survécu et d’être la preuve vivante de la bestialité humaine