Un billet d’avion pour l’Afrique

 Vous êtes des êtres humains, dit le chef. Je le vois bien. Dieu a choisi de vous priver d’une peau convenable. Je ne demande pas pourquoi. J’accepte cette réalité. Nous vous avons fait entrer chez nous et nous vous avons nourris et donné un lieu où dormir parce que vous êtes humains. Vous ne pouvez pas nous payer. Nous ne vous avons pas faits humains. C’est Dieu qui s’en est occupé. Vous parcourez une terre étrangère. C’était la moindredes choses. Si j’avais voyagé chez vous et que je m’étais retrouvé dehors, vous auriez fait la même chose pour moi. Aurais-je pu vous payer ? Non. Car vous ne m’avez pas fait. C’est Dieu qui s’en est chargé. 

"  Dieu a fait la lumière du jour pour que les êtres humains puissent vaquer à leurs occupations au grand air, soit cultiver la terre, pêcher et faire tout ce qui se fait à la lumière du jour. Dieu a aussi donné aux êtres humains cette tête, dit la femme en désignant la sienne d’un doigt maigre, afin qu’ils aient assez de jugeote pour se fabriquer un abri. Les êtres humains dorment à l’intérieur la nuit parce que Dieu a fait la nuit pour permettre aux animaux de chercher leur nourriture, de s’accoupler et d’avoir leurs petits. "

Je songeai à la désagréable ironie qui voulait que les Africains et les Asiatiques parlent presque toujours des dialectes, et non des langues, tandis que les Européens parlent des langues et presque jamais des dialectes.

Les Africains, dont la littérature et les coutumes sont riches en proverbes, émaillent volontiers leur conversation d’axiomes venus de l’anglais.

 " L’Amérique peut utiliser ses citoyens noirs pour infiltrer l’Afrique et saboter notre lutte, car la peau des Noirs américains leur offre le camouflage idéal. Méfie-toi, Afrique, des Noirs du Corps des volontaires pour la paix, des Noirs de l’AID, des Noirs du Service extérieur. " Il ajouta que les Africains devaient aborder tous les Noirs américains avec prudence, « à supposer qu’il faille les aborder ».

Des chuchotements et des rumeurs laissaient entendre que les communistes, mus par leurs visées expansionnistes indirectes, mais indéniables, avaient tenté d’assassiner le président dans l’intention de plonger le Ghana, Phare de l’Afrique, dans les ténèbres du chaos. Ces conjectures ne firent pas long feu. Puis les nouvelles colportées par les journaux m’enivrèrent. On dénonça le capitalisme américain, l’impérialisme américain, l’interventionnisme américain et le racisme américain. Le Ghanéen moyen constaterait enfin que les récits d’oppression et de discrimination que nous faisions, nous, Noirs désenchantés, n’étaient pas de pures fabrications.

« Depuis trop longtemps, l’Afrique parle par la voix des autres. Dorénavant, ce que j’ai appelé la Personnalité africaine dans les affaires internationales aura la possibilité d’exercer l’influence qu’elle mérite et de la communiquer avec le reste du monde par la voix de ses fils. » Lorsqu’il affirma que les Antillais et les Noirs américains comptaient parmi les plus beaux cadeaux de l’Afrique au monde, les immigrants furent éperdus de gratitude. Pour la première fois de notre vie ou de celle des membres de nos familles dont nous gardions le souvenir, un président nous ouvrait les bras. Nous étions régis par des lois conçues par des Noirs et, en cas d’infraction, nous serions jugés par des Noirs. Pour la première fois, nous ne pouvions pas invoquer la discrimination raciale pour expliquer nos malheurs ou nos échecs.

Je bus et dus m’avouer que j’enviais sans limites ceux qui, grâce à la chance ou à la perfidie, étaient restés sur le continent africain. Leurs pays avaient été exploités et leurs cultures discréditées par le colonialisme, certes, mais, grâce à leurs chefs et à leurs prêtres, ils avaient malgré tout bénéficié de siècles de continuité. Les Africains les plus humbles pouvaient citer les noms d’ancêtres ayant vécu des siècles auparavant. La terre qu’ils occupaient leur appartenait depuis des temps immémoriaux. Malgré l’asservissement politique et l’exploitation économique, ils avaient préservé une indéracinable innocence.

S’il avait invoqué l’amour, je me serais peut-être laissé fléchir, moi dont les émotions avaient été nourries au cinéma hollywoodien, mais son offre était aussi précise qu’une négociation commerciale, et je n’eus aucune difficulté à refuser d’être de la transaction.

Depuis longtemps, je savais qu’il y avait un monde de différence entre les mâles et les hommes, autant qu’entre les femelles et les femmes. Les organes génitaux déterminent le sexe, mais c’est le travail, la discipline, le courage et l’amour qui créent les hommes et les femmes.